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                                                                                                          IMM-1771-96

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 AVRIL 1997

 

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE PINARD

 

 

 

Entre :

 

                                               SALIHOU BELLO,

 

 

                                                                                                                 requérant,

 

 

                                                             - et -

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

 

                                                                                                                      intimé.

 

 

 

 

                                             O R D O N N A N C E

 

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention (la Commission), en date du 15 avril 1996, selon laquelle le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention, est rejetée.

 

 

                                                                                    «Yvon Pinard»  

                                                                       

 

                                                                                         Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

                                                                        François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

 

                                                                                                          IMM-1771-96

 

 

Entre :

 

                                               SALIHOU BELLO,

 

 

                                                                                                                 requérant,

 

 

                                                             - et -

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

 

 

                                                                                                                      intimé.

 

 

 

 

                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

            Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention (la Commission) en date du 15 avril 1996, dans laquelle la Commission a statué que le requérant, qui prétend avoir une crainte raisonnable d'être persécuté au Cameroun, n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

 

            Le requérant est un citoyen camerounais, né le 30 septembre 1968.  Il est membre de la tribu Peul et est originaire de la ville de Garoua, au Cameroun.  Le père du requérant a été président des lignes aériennes camerounaises et a été arrêté en 1984 à la suite d'une tentative de coup d'État par les membres de la tribu du requérant.   Son père a été libéré de prison en 1990 et il est assigné à résidence depuis.

 

            Le requérant a quitté le Cameroun en 1987, muni d'un visa d'étudiant, à destination de la France.  Il y a poursuivi des études grâce à une bourse du gouvernement camerounais qui, selon ses prétentions, a été obtenue grâce à des pots-de-vin payés par son oncle.  Il prétend de plus qu'il a quitté le Cameroun en 1987 à cause de sa relation avec son père, considéré comme un ennemi du gouvernement.

 

            Pendant qu'il se trouvait à Paris, le requérant a participé au mouvement d'opposition des étudiants camerounais.  Ce mouvement organisait des réunions pour s'opposer au gouvernement du Cameroun.  Le requérant craint que ces réunions aient été surveillées par les organismes de sécurité du gouvernement camerounais.  Il est retourné au Cameroun à deux reprises, une fois en 1989 pendant trois mois et une fois en 1990, de nouveau pour trois mois.

 

            En 1991, le gouvernement camerounais a cessé de financer les études du requérant, mais celui-ci a pu continuer à étudier grâce à l'aide de sa famille.  En 1994, le requérant a participé à un programme d'échange avec les États-Unis et il y est entré en juin 1994 muni d'un visa d'étudiant.  Il est demeuré chez des parents pendant son premier mois à New York et, par la suite, dans la mosquée de la rue Amherst, à Buffalo (New York).  En novembre 1994, il a demandé une prolongation de son visa aux États-Unis, mais sa demande a été refusée.  Quand il a communiqué avec sa famille au Cameroun au sujet d'un retour possible dans son pays, on lui a conseillé de ne pas rentrer étant donné que son père était toujours assigné à résidence.  Le 16 janvier 1995, il s'est présenté à la frontière canadienne et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada.  Jamais auparavant, le requérant n'avait revendiqué le statut de réfugié dans un autre pays.

 

            La Commission a entendu le cas du requérant le 21 novembre 1995 et a statué que les faits et gestes du requérant depuis son départ du Cameroun n'étaient pas compatibles avec ceux d'une personne qui a une crainte raisonnable d'être persécutée et, par conséquent, qu'il n'avait pas de crainte subjective d'être persécuté comme l'exige la Loi sur l'immigration[1].  Plus précisément, la Commission a jugé que le fait que le requérant soit retourné au Cameroun à deux reprises et qu'il n'ait jamais revendiqué le statut de réfugié dans aucun autre pays, dans les sept ans et demi qui ont précédé la revendication présentée au Canada, était incompatible avec une crainte subjective d'être persécuté.  La Commission s'exprime ainsi :

 

[TRADUCTION]

  Nous concluons donc que les faits et gestes du requérant qui n'a pas revendiqué le statut de réfugié en France ni dans aucun autre pays européen pendant les six ans et demi qu'il a vécus à Paris (France) ou pendant son séjour de huit mois aux États-Unis, dont les deux derniers mois dans l'illégalité puisqu'il n'avait plus aucun statut et qu'il courait le risque d'être renvoyé au Cameroun, où il craint d'être persécuté, ne sont pas compatibles avec ceux d'une personne raisonnable qui craint avec raison d'être persécutée.  Les faits et gestes du requérant, ou en fait pour être plus précis l'absence de tels faits et gestes, porte directement atteinte à sa crédibilité au sujet de la crainte raisonnable d'être persécuté.  À notre avis, la crédibilité du requérant est également diminuée du fait qu'il est allé à deux reprises au Cameroun en juillet 1989 et 1990 après avoir prétendument été forcé de quitter le pays en 1987.

 

   Par conséquent, la formation conclut que la preuve produite par le requérant au sujet de ses expériences au Cameroun et de sa crainte d'y retourner n'est pas digne de foi.  Le témoignage du requérant au sujet de ses séjours en France et aux États-Unis est compatible avec celui d'une personne qui cherche à améliorer son style de vie, mais pas avec celui d'une personne qui craint de retourner au Cameroun.

 

 

            La Commission conclut que le requérant n'a pas fourni d'éléments de preuve suffisamment crédibles ou dignes de foi pour établir, d'après la prépondérance des probabilités, qu'il y avait un risque raisonnable qu'il soit persécuté du fait de l'un des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

            À l'audience, qui s'est tenue devant moi, l'avocat du requérant n'a soulevé qu'une seule question : la Commission a-t-elle commis une erreur de droit en statuant que le témoignage du requérant concernant ses antécédents et sa crainte d'être persécuté n'est pas digne de foi uniquement parce qu'il a tardé à revendiquer le statut de réfugié?

 

ANALYSE

 

            Dans l'arrêt Huerta c. Canada (M.C.I.) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a statué que le retard à revendiquer le statut de réfugié n'est pas un facteur déterminant en soi mais que c'est néanmoins un facteur pertinent dont il faut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes du revendicateur.  Dans la décision Ilie c. Canada (M.C.I.) (1994), 88 F.T.R. 220 (C.F. 1re inst.), le juge Mackay était saisi du cas d'un demandeur du statut de réfugié qui n'avait revendiqué le statut dans aucun des pays qu'il avait traversés dans les six mois précédant son arrivée au Canada.  Le juge McKay est en venu à la conclusion suivante :

 

Enfin, j'estime que le tribunal était autorisé à tenir compte du défaut du requérant de revendiquer le statut de réfugié dans les autres pays d'Europe par lesquels il est passé entre juillet 1992 et janvier 1993 et à déterminer comment le témoignage du requérant devait être apprécié au regard de ce défaut.  En l'espèce, cet examen l'a amené à conclure que le fait que le requérant ait voyagé pendant environ six mois sans revendiquer le statut de réfugié contredisait la preuve selon laquelle il craignait d'être persécuté s'il retournait en Roumanie.  Cette conclusion touche au fond de la revendication du requérant.  Il n'était pas nécessaire que la Section du statut formule des motifs supplémentaires ou plus détaillés à l'appui de son refus d'admettre que le requérant avait une crainte bien fondée d'être persécuté.

 

 

            Dans la décision Lameen c. Canada (Secrétaire d'État), A-1626-92, le 7 juin 1994 (C.F. 1re inst.), le juge Cullen a également statué que le retard était un facteur important à examiner, mais il a noté que chaque cas devait être examiné d'après son propre bien-fondé pour déterminer à partir de quel moment le retard devient déraisonnable.  Dans cette affaire, le juge Cullen a maintenu la conclusion de la Commission selon laquelle l'omission de demander le statut de réfugié au cours du séjour de quatre mois du requérant en Italie et de trois ans et demi au Canada établissait qu'il n'y avait pas de fondement subjectif à la crainte du requérant d'être persécuté.

 

            En l'espèce, pendant plus de sept ans après avoir quitté son pays, le requérant n'a pas revendiqué le statut de réfugié; cependant, il a fait cette demande immédiatement après son arrivée au Canada.  La Commission a fait observer que la France, où le requérant a vécu pendant sept ans, et les pays avoisinants de la Belgique, de l'Italie et de la Suisse, sont tous signataires de la Convention de 1951 et que les États-Unis, où le requérant a vécu pendant six mois, a signé le Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés.  La Commission a signalé qu'à la question de savoir pourquoi il n'a pas revendiqué plus tôt le statut de réfugié, le requérant a répondu qu'il ne l'avait pas fait à Paris parce que la France appuyait le gouvernement camerounais et qu'il n'avait pas présenté de demande dans les pays avoisinants parce qu'il n'était pas au courant qu'il pouvait revendiquer ce statut.

 

            Il est du ressort de la Commission de se prononcer sur la crédibilité du requérant.  Il semble, d'après la jurisprudence, qu'il est loisible à la Commission de ne pas croire la crainte subjective d'être persécuté qu'entretient un requérant lorsque celui-ci a suffisamment tardé à revendiquer le statut de réfugié.  Il convient également de noter qu'en l'espèce la crainte subjective du requérant n'a pas non plus été jugée crédible parce qu'il est retourné à deux reprises dans le pays où il dit craindre d'être persécuté.

 

            Compte tenu de la preuve, je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que les faits et gestes du requérant ne sont pas compatibles avec ceux d'une personne qui a une crainte subjective d'être persécutée et de conclure par la suite que le témoignage du requérant n'était pas digne de foi.


            Par conséquent, la demande est rejetée.

 

            L'avocat du requérant a proposé la question suivante aux fins de la certification :

 

La Commission a-t-elle commis une erreur de droit quand elle a statué qu'un retard à revendiquer le statut de réfugié est un facteur déterminant en soi pour rejeter la crédibilité du témoignage du requérant concernant ses antécédents et suffisant pour statuer qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention?

 

 

            À mon avis, compte tenu de la décision limpide de la Cour d'appel sur ce sujet dans l'affaire Huerta, précitée, il n'y a pas lieu de certifier la question.

 

 

 

O T T A W A

 

le 11 avril 1997

 

 

                                                                                    YVON PINARD

                                                                       

 

                                                                                         Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

                                                                        François Blais, LL.L.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :                                           IMM-1771-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :SALIHOU BELLO c. M.C.I.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :     Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 2 avril 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                LE JUGE PINARD

 

 

DATE :le 11 avril 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Paul Vendervennon                                                    POUR LE REQUÉRANT

 

 

James Brender                                                 POUR L'INTIMÉ

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Paul Vendervennon                                                    POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

 

 

George Thomson                                                         POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

 



     [1]          L.R.C. (1985), ch. I-2.

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