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Date : 19990618

Dossier : T-1389-98

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. (1985), ch. C-29,

ET un appel interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté,

ET AFFAIRE INTÉRESSANT

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                         demandeur,

et

CHI KIN WONG,

                                                                                                                                          défendeur.

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Le présent appel, interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, est une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre visant une décision de Mme Ford, juge de la Cour de la citoyenneté. Par cette décision, datée du 14 mai 1998, la juge de la citoyenneté a octroyé la citoyenneté canadienne au défendeur, Chi Kin Wong. La décision de la juge porte que :

                        [traduction]

Bien qu'il (M. Wong) ait été absent du Canada pendant 958 jours, ses affaires exigent qu'il voyage en Asie. Il a fourni la preuve qu'il réside en permanence au Canada. De plus, sa femme et sa fille sont citoyennes canadiennes.

[2]         La déclaration des avocats que cette décision [traduction] « n'est pas un modèle de clarté » me semble décrire adéquatement la décision de Mme Ford.

[3]         De toute façon, la question litigieuse en l'espèce consiste à déterminer si la juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en acceptant la demande de citoyenneté du défendeur, nonobstant le fait que ce dernier n'a séjourné que 137 jours au Canada pendant une période d'au moins trois ans de résidence.

[4]         Selon le demandeur, le défendeur aurait dû être présent au Canada 958 jours de plus pour satisfaire aux critères d'obtention de la citoyenneté.

            Les faits

[5]         Le 5 février 1994, le défendeur a reçu le statut de résident permanent au Canada en même temps que son épouse. Le défendeur et sa famille avaient fait l'acquisition d'une résidence à Richmond (Colombie-Britannique), en septembre 1993, soit avant d'être admis au Canada. Le défendeur y a résidé avec sa famille jusqu'à sa demande de citoyenneté le 5 juillet 1997.

[6]         Selon les termes de l'avocat du défendeur, [traduction] « c'est dans cette maison que le défendeur laissait son épouse et son enfant lorsqu'il s'absentait du Canada » .

[7]         Depuis son arrivée au Canada jusqu'au moment où il a présenté sa demande de citoyenneté, le défendeur a passé le plus clair de son temps à voyager en dehors du Canada pour ses affaires.

[8]         En fait, le défendeur déclare dans sa demande de citoyenneté qu'il était absent du Canada pendant 1 079 jours entre le 24 février 1994 et le 30 mai 1997. Voici la liste que le défendeur a faite de ses absences durant cette période[1] :

De

(A/M/J)

À

(A/M/J)

Destination

Motif

Nombre de jours d'absence

94 · 02 · 25

94 · 03 · 31

Hong Kong

Affaires

33

94 · 04 · 09

94 · 06 · 10

Hong Kong

Affaires

61

94 · 06 · 18

94 · 10 · 07

Hong Kong, Chine

Affaires

120

94 · 10 · 15

94 · 12 · 23

Hong Kong

Affaires

68

95 · 01 · 01

95 · 01 · 27

Hong Kong

Affaires

25

95 · 02 · 05

95 · 04 · 13

Hong Kong

Affaires

66

95 · 04 · 18

95 · 04 · 18

É.-U.

Tourisme

1

95 · 04 · 22

95 · 10 · 22

Hong Kong, Chine, Vietnam

Affaires

182

95 · 10 · 31

96 · 02 · 12

Hong Kong, Chine

Affaires

103

96 · 02 · 29

96 · 04 · 03

Hong Kong

Affaires

33

96 · 04 · 13

96 · 10 · 18

Hong Kong, Chine, Thaïlande

Affaires

181

96 · 10 · 28

97 · 02 · 04

Hong Kong, Chine

Affaires

98

97 · 02 · 16

97 · 05 · 30

Hong Kong, Corée, Japon

Affaires

102

_______

1079

[9]         Je crois qu'il est important de noter que le défendeur a quitté le Canada trois semaines seulement après son arrivée. Je suis donc convaincu qu'il n'a pu, durant cette période de trois semaines, établir un lien avec le Canada.

[10]       Lors de ses absences pour affaires, le défendeur vivait dans ce qui avait été sa résidence familiale à Hong Kong. La preuve démontre qu'il est toujours propriétaire de cette maison, où il vit lorsqu'il s'absente du Canada.

[11]       Le défendeur a été physiquement présent au Canada à peu près 137 jours dans les quatre années qui ont précédé la date à laquelle il a présenté sa demande.

[12]       Le défendeur soutient qu'il n'est pas au-dessous du minimum prévu de trois ans de « résidence » au Canada, car même s'il n'était pas physiquement présent au Canada, il répondait à l'exigence de résidence puisque son épouse et son enfant y étaient physiquement présentes et parce qu'ils avaient [traduction] « conjointement établi leur domicile » au Canada.

[13]       De plus, le défendeur soutient qu'il a pris les mesures suivantes pour établir sa résidence, savoir : il a obtenu une carte d'assurance sociale, une « Care card » de la Colombie-Britannique, et une carte bancaire de la Banque Royale du Canada. Il paie l'impôt sur le revenu au gouvernement fédéral du Canada et à la Colombie-Britannique. Son revenu pour 1994 était approximativement de 105 000 $.

            Critère applicable

[14]       Je suis convaincu que le critère applicable dans la présente affaire de contrôle judiciaire est celui qui est énoncé par M. le juge Rouleau dans l'affaire Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Hin Keung Hung[2].

[9]            En vertu du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut accorder réparation si le tribunal a) a outrepassé sa compétence ou refusé d'exercer sa compétence, b) n'a pas observé un principe de justice naturelle, c) a rendu une décision entachée d'une erreur de droit, ou d) a rendu une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive.

[10]          Les cours de justice ne modifieront presque jamais les conclusions de fait tirées par un décideur en fonction de la norme de la décision correcte. Le décideur est souvent mieux placé pour se prononcer sur des questions de fait et de crédibilité puisqu'il a vu et entendu les témoins directement. Toutefois, si un tribunal fait complètement abstraction d'éléments de preuve importants sans fournir d'explications, sa décision peut être annulée.

[11]          L'alinéa 18.1(4)d) codifie la façon dont les cours de justice envisagent les conclusions de fait tirées par les tribunaux administratifs. Dans l'arrêt Kibale c. Transports Canada (1988), 90 N.R. 1 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée (1989), 101 N.R. 238 (C.S.C.)), le juge Pratte a déclaré, à la p. 4, que « même si la Cour est convaincue qu'une décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, elle ne peut intervenir à moins qu'elle ne soit également d'avis que le tribunal inférieur, en tirant cette conclusion, a agi de façon absurde, arbitraire ou sans égard à la preuve » . Non seulement la conclusion de fait doit avoir été tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans égard à la preuve soumise à l'arbitre, mais la Cour doit également tirer pareille conclusion pour pouvoir intervenir en vertu de l'alinéa 18.1(4)d).

            Discussion

[15]       Après avoir examiné les faits de l'affaire et la preuve présentée au juge de la citoyenneté, je suis convaincu que cette dernière a commis une erreur de droit en décidant que le défendeur a démontré qu'il avait résidé en permanence au Canada.

[16]       La lecture de la décision du juge de la citoyenneté m'indique qu'elle a conclu que le défendeur répondait au critère de résidence du fait que [traduction] « son épouse et sa fille sont des citoyennes canadiennes » .

[17]       La Loi sur la citoyenneté exige qu'une personne demandant la citoyenneté réside au Canada pendant trois des quatre années précédant sa demande. Pourquoi? Si, comme plusieurs personnes demandant la citoyenneté semblent le croire, il est possible d'avoir le statut de « résident » alors qu'on n'est pas physiquement présent au Canada, à quoi sert l'exigence de trois années de résidence?

[18]       Comme je l'ai déjà dit souvent, je suis d'avis que cette exigence de trois années de résidence a pour but de permettre à un demandeur de constater combien le Canada est un pays spécial et merveilleux. Cette période permet d'apprendre et de « sentir » ce que c'est que d'être un Canadien. On ne devient pas un résident du Canada simplement en s'y présentant, en achetant une maison, en laissant derrière soi dans cette maison une épouse et un enfant, ou en obtenant une carte de santé, une carte bancaire, ou une carte d'assurance sociale.

[19]       Je me range à l'avis exprimé par M. le juge Joyal dans l'affaire Re Man Yick Chung[3].

En 1978, dans Re. Papadogiorgakis[4], la Cour a décidé que la condition de résidence dans la Loi n'imposait pas nécessairement la présence physique pendant trois ans. Il y a été statué que les absences pour des fins commerciales, pour faire des études, pour travailler à l'étranger pour une entreprise canadienne ou pour liquider une succession sont toutes de nature à constituer le genre de résidence imputée capable de satisfaire à la règle des trois ans, pourvu qu'il existe pendant toutes ces absences la preuve de l'intention évidente de l'immigrant de retourner au Canada et de ce que le Canada est en fait devenu son nouveau pays de résidence.

L'application de la théorie de la résidence imputée doit bien entendu se faire cas par cas, et il existe le risque de faire échec à la volonté du législateur si cette théorie est appliquée trop loin. Le juge Muldoon s'est élevé contre une telle application dans Affaire intéressant Hui[5], où il a sévèrement critiqué la Cour parce qu'elle avait été beaucoup trop généreuse dans l'application de la décision Re. Papadogiorgakis. Je conviens avec lui qu'il faut être prudent, particulièrement dans l'examen des indices de résidence tels que les cartes de crédit, le permis de conduire, les comptes en banque, la carte de santé et la carte d'assurance sociale. Bien que tous ces indices soient révélateurs de résidence, aucun d'eux n'est individuellement ou collectivement déterminant.

[20]       Il est clair que le défendeur en l'instance n'a présenté aucune preuve, sauf sa déclaration de revenus pour 1994, qu'il avait l'intention claire durant la période en cause de revenir vivre au Canada et que le Canada était effectivement devenu son nouveau pays de résidence. La chose est encore plus claire lorsqu'on constate que le défendeur est toujours propriétaire de la maison familiale à Hong Kong.

[21]       Je l'ai déjà dit et je le répète, on ne peut acheter la citoyenneté canadienne. Il faut la mériter. Un demandeur doit manifester qu'il est intéressé à devenir Canadien. Il y a autre chose en cause ici que la seule obtention d'un passeport canadien.

[22]       Je suis d'accord avec les déclarations du juge Muldoon au sujet de la résidence dans Re Moa-Song Chang[6], et dans Re John Ting Min Mui[7].

[23]       Je suis convaincu que la juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en décidant que le défendeur satisfaisait aux critères de résidence de la Loi sur la citoyenneté.

[24]       L'appel est accueilli. La décision de la juge de la citoyenneté Ford, datée du 14 mai 1998, est annulée.

[25]       La demande de citoyenneté est rejetée, au motif que le défendeur n'a pas satisfait aux critères de résidence imposés par la Loi sur la citoyenneté.

                                                                                                « Max M. Teitelbaum »

                                                                                                            Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 18 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                               T-1389-98

DATE DE L'AUDIENCE :    le 17 juin 1999

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Re Chi Kin Wong

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

en date du 18 juin 1999

ONT COMPARU :

            Mme Brenda Carbonell                        pour le demandeur

            M. Darryl Larson                                           pour le défendeur

Mme J. Fisher                           amicus curiae

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                   pour le demandeur

            Sous-procureur général

            du Canada

M. Darryl Larson                                           pour le défendeur

            Larson Suleman Sohn Boulton

            Vancouver (C.-B.)

            Mme Julie Fisher                                              amicus curiae

            Watson, Goepel, Maledy

            Vancouver (C.-B.)



     [1]Dossier du tribunal, p. 4.

     [2]T-1345-98, le 21 décembre 1998 (C.F. 1re inst.), aux pp. 3 et 4.

     [3]T-692-97, le 15 décembre 1997 (C.F. 1re inst.), à la p. 2.

     [4](1978) 2 C.F. 208.

     [5](1994) Imm. L.R. (2d) 8.

    [6]T-1183-97 (C.F. 1re inst.).

     [7](1994), 24 Imm. L.R. (2d) 8 (C.F. 1re inst.).

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