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Date : 19990907


Dossier : IMM-5512-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 SEPTEMBRE 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

ENTRE :



GOMES ANNESLEY BERTRAM,

GOMES ROSMARY ALOMA,

GOMES MITCHELL BERTRAM,

GOMES ROZELLE NATASHA,



demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,



défendeur.


O R D O N N A N C E

     VU la demande de contrôle judiciaire déposée par les demandeurs contre la décision, datée du 20 octobre 1998, dans laquelle la conseillère en matière de citoyenneté et d"immigration P.M. Johnson avait déterminé qu"il n"y avait pas suffisamment de motifs d"ordre humanitaire pour leur accorder la dispense prévue au paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, relativement à l"exigence légale à satisfaire pour obtenir le statut de résident permanent au Canada;

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

                                     " B. Cullen "

                                     J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.




Date : 19990907


Dossier : IMM-5512-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 SEPTEMBRE 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

ENTRE :



GOMES ANNESLEY BERTRAM,

GOMES ROSMARY ALOMA,

GOMES MITCHELL BERTRAM,

GOMES ROZELLE NATASHA,



demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,



défendeur.



MOTIFS D"ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

[1]      Les demandeurs contestent par voie de contrôle judiciaire la décision, datée du 20 octobre 1998, dans laquelle la conseillère en matière de citoyenneté et d"immigration P.M. Johnson avait déterminé qu"il n"y avait pas suffisamment de motifs d"ordre humanitaire pour leur accorder la dispense prévue au paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi) relativement aux exigences légales auxquels les demandeurs du statut de résident permanent au Canada doivent habituellement satisfaire. L"autorisation de présenter la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée le 4 juin 1999 par M. le juge McKeown.

Le contexte

[2]      Les demandeurs sont tous membres d"une famille du Sri Lanka. Rosmary Aloma Gomes (la demanderesse principale) est arrivée à Vancouver le 3 mai 1995. Son époux, Annesley Bertram Gomes, est arrivé en juin 1995. Les documents n"indiquent pas clairement quand leurs deux enfants, Mitchell Bertram Gomes et Rozelle Natasha Gomes, sont arrivés au Canada, mais l"un des avocats a souligné qu"ils sont arrivés en compagnie de leur mère.

[3]      Tous les membres de la famille ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention le 14 juillet 1995. Leurs revendications ont cependant été rejetées, et la demande de contrôle judiciaire qu"ils ont par la suite déposée a aussi été rejetée. En conséquence, ils ont demandé à ce que leurs cas soient examinés en vertu du paragraphe 114(2). Ils ont quitté leur foyer car ils craignaient la situation générale qui régnait au Sri Lanka, mais aussi en raison de leur situations personnelles, plus précisément du fait que le père et la mère sont d"origines ethniques différentes : Mme Gomes est une Tamoule et son époux, un Cinghalais.

[4]      Les enfants, Mitchell et Rozelle, poursuivent des études à l"Université de Toronto. Mitchell fait un baccalauréat en commerce et Rozelle, un baccalauréat en génie civil.


[5]      La demanderesse principale travaille en tant que représentante du service à la clientèle pour la société Windemere International depuis août 1996 et en tant que télé-vendeuse pour la société Contact Solutions depuis septembre 1997. Monsieur Gomes travaille pour The Rug Company depuis 1997; il a déjà travaillé pour Windemere, d"août 1996 à juillet 1997. La famille a également fondé sa propre entreprise, A & A Maintenance, en janvier 1998.

La décision de l"agente d"immigration

[6]      Les demandeurs ont reçu une lettre, datée du 20 octobre 1998, les informant que leur demande visant à obtenir que leurs cas soient examinés en fonction de motifs d"ordre humanitaire avait été rejetée (dossier de la demande des demandeurs, onglet no 2, à la p. 6). Les motifs de cette décision n"ont pas été fournis, aucune demande à cet effet n"ayant été présentée.

[7]      Dans ses notes d"entrevue (dossier de la demande, onglet no 3, à la p. 10) datées du 16 octobre 1998, sous la rubrique " Est-il probable que la personne subisse des difficultés ou que des sanctions lui soient imposées si elle retourne dans son pays d"origine?", l"agente d"immigration a écrit :

[TRADUCTION] Aucune sanction. Cependant, l"intéressée soutient qu"en raison de leur mariage mixte, ils font l"objet de soupçons de la part des deux groupes qui s"opposent au Sri Lanka. Elle est une Tamoule et son époux est un Cinghalais. Elle soutient en outre qu"elle a été détenue et interrogée et que son époux a, à une occasion, été projeté au sol et qu"il s"est blessé au coup. En conséquence, ils craignent de retourner au Sri Lanka, car ils ne veulent pas subir la même chose de nouveau.

[8]      L"agente d"immigration a résumé la position des demandeurs de la façon suivante :

[TRADUCTION] Les intéressés soutiennent qu"il subiront des difficultés sur le plan psychologique s"ils retournent bredouilles au Sri Lanka. Ils estiment que les enfants vont bien à l"école ici et qu"ils perdraient tout l"argent qu"ils ont investi dans leur éducation. Ils craignent qu"une demande indépendante présentée depuis le Sri Lanka prendrait environ deux ans et que cela leur causerait certains ennuis.

[9]      Enfin, l"agente d"immigration a fait la recommandation suivante :

[TRADUCTION] La famille Gomes est installée au Canada depuis trois ans. Les parents occupent des emplois depuis deux ans et les enfants vont à l"école. Ils sont impliqués au sein de leur communauté et ils ont des économies considérables. Cependant, ils ne sont pas établis au Canada au point que le fait de quitter le pays bousculerait leur existence. Ils ont vécu presque toute leur vie dans leur pays d"origine et ils ont réussi à se déraciner pour venir s"installer au Canada. Ils ne devraient pas avoir trop de difficulté à quitter le Canada après y avoir vécu pendant seulement trois ans. C"est un risque qu"ils ont pris en toute connaissance de cause. Les parents de Mme Gomes et un autre enfant de ceux-ci vivent au Sri Lanka, alors que six frères et soeurs de son époux s"y trouvent. Ces membres de leurs familles devraient être en mesure de les aider à se réinstaller au pays.

Les intéressés soutiennent avoir eu des problèmes au Sri Lanka en raison du groupe ethnique auquel chacun d"eux appartient. Ils ont eu l"occasion de présenter une revendication du statut de réfugié, qui a été rejetée. Aucune preuve n"a été produite pour établir qu"ils subiraient des difficultés excessives s"ils retournaient dans leur pays d"origine. Le simple fait que cela leur causerait des ennuis ou qu"ils perdraient ce qu"ils ont investis dans l"éducation de leur enfants au Canada ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l"exercice favorable du pouvoir discrétionnaire.

La position des demandeurs

[10]      Les demandeurs soutiennent que l"agente d"immigration a commis une erreur lorsqu"elle s"est fondée sur l"avis de l"agent de révision des revendications refusées (l"agent de révision) en ce qui concerne la question du risque que courraient les demandeurs s"ils étaient renvoyés au Sri Lanka. Les demandeurs font valoir que l"agente d"immigration n"a pas tenu compte des observations orales et des observations écrites de leur avocat relativement à la situation qui règne dans leur pays et aux difficultés auxquelles ils sont confrontées.

[11]      Les demandeurs prétendent que l"agente d"immigration les a avisés que l"agent de révision tiendrait compte du facteur du risque. Ils soutiennent ne pas avoir eu l"occasion de répondre à la preuve sur laquelle l"agent de révision s"est fondé et qu"en conséquence, les règles de l"équité procédurale ont été violées.

[12]      Les demandeurs font également valoir que l"agente d"immigration a eu tort de se fonder sur l"avis de l"agent de révision, au lieu de faire sa propre appréciation.

[13]      En ce qui concerne le facteur du risque et le critère qui y est applicable, les demandeurs soutiennent que les demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada sont assujettis à un critère qui diffère de celui auquel sont assujetties les personnes qui présentent une demande fondée sur le paragraphe 114(2). Les demandeurs prétendent que le paragraphe 114(2) vise un plus grand éventail de situations que celles dont l"agent de révision doit tenir compte.

[14]      Enfin, les demandeurs soutiennent que l"agente d"immigration a omis de tenir compte de la preuve que leur avocat a produite à l"entrevue, preuve qui, selon eux, contredit les conclusions de l"agente d"immigration en ce qui concerne les risques et les difficultés auxquels ils seraient confrontés s"ils retournaient au Sri Lanka.

La position du défendeur

[15]      Grâce à la courtoisie de M. Francis Xavier, il a été permis à l"avocat du défendeur de déposer tardivement le dossier de son client.

L"analyse

[16]      Habituellement, les éventuels immigrants demandent et obtiennent des visas d"immigrant à l"extérieur du Canada, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi. Cependant, dans certains cas, il se peut que l"exigence voulant que la demande de visa soit présentée depuis l"étranger force le demandeur à quitter le Canada, ce qui crée des difficultés excessives pour ce dernier. En conséquence, le paragraphe 114(2) de la Loi permet au gouverneur en conseil d"accorder une dispense au demandeur pour des motifs de politique publique ou encore pour des motifs d"ordre humanitaire, de sorte que le paragraphe 9(1) ne s"applique pas à ce dernier.

[17]      La décision d"un agent d"immigration quant à savoir s"il doit ou non accorder une dispense en vertu du paragraphe 114(2) est tout à fait discrétionnaire, et il doit faire preuve d"un minimum d"équité procédurale; le demandeur qui cherche à obtenir une telle dispense doit remplir un fardeau très lourd afin de convaincre la cour de révision que le rejet de sa demande était illégale et qu"elle justifie une intervention judiciaire.

[18]      L"argumentation des demandeurs porte principalement sur la façon dont l"agente d"immigration a tranché les questions ayant trait au risque et aux difficultés. Malgré l"observation de l"avocat des demandeurs que l"agente d"immigration a simplement souscrit à l"avis de l"agent de révision, aucune preuve n"a été produite par affidavit pour étayer cette prétention. En fait, l"affidavit de la demanderesse principale ne mentionne aucunement ce qui s"est dit à l"entrevue (à l"occasion de laquelle l"agente d"immigration aurait avisé les demandeurs que l"agent de révision tiendrait compte du facteur du risque).

[19]      Malgré cette lacune, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l"agent d"immigration qui prend une décision en vertu du paragraphe 114(2) peut se fonder sur une appréciation du risque faite par l"agent de révision.

[20]      Dans Cojocar c. Canada (MCI) (IMM-2499-98, 21 janvier 1999), M. le juge Evans a examiné une affaire dans laquelle un agent d"immigration avait demandé à un agent de révision de lui fournir une appréciation du risque. Cette demande avait été faite à la suite d"une entrevue, et le rapport n"a pas été communiqué au demandeur. Dans cette affaire, le demandeur s"est fondé sur la décision Al-Joubeh c. Canada (MCI) (1996), 33 Imm. L.R. (2d) 77 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il a été conclu que constituait un déni d"équité procédurale le fait que l"agent d"immigration se fonde sur un rapport de l"agent de révision qui était en partie fondé sur une conversation que ce dernier avait eue avec un autre agent d"immigration de même que sur un livre et un article, sans que le rapport ne soit communiqué au demandeur pour qu"il fasse des commentaires. En examinant l"affaire, M. le juge Evans a dit :

Plus récemment, cependant, il a été jugé que l"équité n"exigeait pas qu"un agent communique, pour fins de commentaires, des renseignements sur la situation générale qui régnait dans un pays que l"agent de révision avait obtenus du Centre de documentation de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, au motif que de tels renseignements étaient mis à la disposition du public et que toute personne connaissant bien le processus s"attendrait à ce que l"agent de révision les consulte vraisemblablement : Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.F.). Vu l"absence de toute conclusion dans Al-Joubeh sur la question de savoir s"il était raisonnable de s"attendre à ce que le demandeur ou son avocat anticipent l"utilisation que l"on ferait des documents sur lesquels on s"est fondé, il est permis de se demander si cette décision doit toujours être appliquée, du moins en ce qui a trait au livre et à l"article.

La Cour a conclu qu"étant donné que le rapport était fondé sur des renseignements facilement disponibles au Centre de documentation, il était raisonnable de s"attendre à ce que l"agent de révision les consulte, et ces renseignements ne constituaient pas une preuve extrinsèque justifiant leur communication.

[21]      En l"espèce, les observations des demandeurs en ce qui concerne le degré de risque qu"ils courraient s"ils retournaient au Sri Lanka ne paraissent pas différer beaucoup du fondement de leurs revendications du statut de réfugié au sens de la Convention et des demandes qu"ils ont déposées en tant que demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. Les éléments de preuve supplémentaires qui ont été produits constituaient des éléments de preuve documentaire plus récents décrivant le conflit qui fait rage au Sri Lanka.

[22]      Les notes manuscrites accompagnant les notes informatiques de l"agente d"immigration mentionnent qu"elle a effectivement entendu les observations de l"avocat et qu"elle en a tenu compte (dossier de la demande, onglet no 3, aux pp. 12B et 12C). Les notes informatiques mentionnent également les craintes que les demandeurs ont exprimées. La remarque de l"agente dans la partie des notes portant sur sa recommandation, selon laquelle aucune preuve n"a été produite pour établir que les demandeurs subiraient des difficultés excessives s"ils retournaient dans leur pays, peut être interprétée comme voulant dire que la preuve produite par les demandeurs n"était tout simplement pas suffisante pour permettre à ces derniers de remplir leur fardeau. Cela ne veut pas dire, comme le suggère l"avocat des demandeurs, que l"agente d"immigration a négligé ou omis de tenir compte de ses observations.

[23]      Enfin, je souligne que le dossier ne comprend aucun élément ayant trait au rapport de l"agent de révision. En conséquence, il est difficile d"examiner en profondeur l"argument des défendeurs selon lequel l"agente d"immigration s"est fondée sur un tel rapport.

[24]      En ce qui concerne la prétention des demandeurs que la perte éventuelle d"éducation que les enfants demandeurs risquent de subir constitue une perte irréparable qui ne peut être compensée, les demandeurs se fondent sur la décision Khan c. Canada (MEI) , (1993) 62 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.). Cette affaire, cependant, traitait d"une requête visant à obtenir le sursis de l"exécution d"une mesure d"expulsion. Dans une affaire plus récente, Mahadeo c. Canada (MCI) (IMM-889-99, 5 mars 1999), qui traitait également d"une requête visant à obtenir le sursis de l"exécution d"une mesure d"expulsion, M. le juge Nadon a examiné le fait que l"année scolaire des deux demandeurs adolescents serait interrompue :

Le deuxième moyen qu'a fait valoir l'avocat des demandeurs est que ses clients subiront un préjudice irréparable du fait de l'interruption de leurs études étant donné que la mesure de renvoi sera exécutée avant la fin de l'année scolaire. Des difficultés personnelles de cette nature, bien qu'elles causent des désagréments, ne constituent pas à mon avis un préjudice irréparable. Dans l'arrêt Chatterjee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (16 août 1996), [C.F. 1re inst.) (Ottawa : IMM-2454-96)], le juge Richard, maintenant juge en chef adjoint, a déclaré que les difficultés personnelles ne constituent pas un préjudice irréparable [...].

[25]      En l"espèce, les demandeurs ont investi une somme d"argent considérable pour permettre à leurs enfants de poursuivre des études universitaires. Les enfants ont également obtenu des bourses d"études leur permettant de payer une partie de leurs frais d"inscription. Bien que cela soit certes louable, les demandeurs ont toujours su que leur statut d"immigrant était incertain et qu"ils étaient susceptibles d"être renvoyés du pays.

[26]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est rejetée.

                                 " B. Cullen "

                                     J.C.F.C.



Ottawa (Ontario)

Le 7 septembre 1999.




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :                      IMM-5512-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              GOMES ANNESLEY BERTRAM ET                              AUTRES c. MCI


LIEU DE L"AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :                  LE 1ER SEPTEMBRE 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE CULLEN

EN DATE DU :                      7 SEPTEMBRE 1999


ONT COMPARU :


I. FRANCIS XAVIER                      POUR LA DEMANDERESSE

KEVIN LUNNEY                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


I. FRANCIS XAVIER                      POUR LA DEMANDERESSE

M. Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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