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     Date : 19980311

     Dossier : IMM-967-98

ENTRE

     JOHNNY STEVE JACOBS,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

         (Prononcés à l'audience le 6 mars 1998 et transcrit, avec des modifications rédactionnelles, pour se conformer à l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale)

LE JUGE GIBSON

[1]          Je vais rejeter la présente demande cet après-midi et, comme vous pouvez le voir, pour deux motifs. Je vais consigner ce que je dois dire maintenant. En premier lieu, je crois que tant le requérant que son avocat méritent une explication raisonnée de ma décision dans toutes les circonstances de l'espèce, et lorsque je prononce à l'audience des motifs de décision, je suis tenu par l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale1, de déposer une copie de ces motifs au greffe, pour que les avocats et d'autres personnes qui pourraient s'y intéresser aient la possibilité de les examiner. Il s'agit là d'une obligation difficile à respecter en l'absence d'un sténographe judiciaire et d'un dispositif d'enregistrement installé, et c'est la raison pour laquelle j'utilise un dispositif d'enregistrement portatif pour enregistrer ce que je dois dire.

[2]          L'audition de cet après-midi découle d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de deux décisions. En premier lieu, il s'agit de la décision de l'arbitre McBrien de tenir une audience relative à la garde du requérant, et il est indiqué que cette décision a été prise le 5 mars 1998; et, en second lieu, la décision du même arbitre de continuer une enquête de l'immigration ou de tenir une nouvelle enquête, laquelle décision a été prise à la même date.

[3]          J'insiste sur le fait que telles sont les deux décisions à l'égard desquelles il est demandé l'autorisation et le contrôle judiciaire. Ni l'une ni l'autre de ces décisions ne se rapportent directement à l'arrestation, sans mandat, du requérant Johnny Steve Jacobs, qui ont apparemment eu lieu le 5 mars.

[4]          Par suite de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, le requérant a présenté une demande de mesure de redressement provisoire. Une telle mesure est , de par sa nature, une mesure de courte durée pour couvrir le temps entre le moment où la demande de contrôle judiciaire a été présentée et, au plus tard, le moment où il est définitivement statué sur cette demande, La nature de la mesure de redressement provisoire demandée est la suivante : une ordonnance qui suspendrait une audience relative à la garde prévue pour le 6 mars 1998, à 9 h, l'heure qui, au commencement de cette audience, s'était écoulée; en second lieu, un jugement déclarant que le requérant est illégalement détenu compte tenu des faits figurant dans le dossier; et, en troisième lieu, une suspension de toute autre enquête en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation ou, autrement dit, selon mon interprétation, une suspension de toute enquête jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande de contrôle judiciaire qui sous-tend la présente demande de mesure de redressement provisoire.

[5]          À l'occasion de la présente demande de mesure de redressement provisoire, la seule preuve dont la Cour dispose est l'affidavit du requérant, ainsi qu'un certain nombre de pièces jointes à cet affidavit. Je ne critique nullement le fait que la Cour ne dispose d'aucune autre élément de preuve aujourd'hui. L'espèce a été introduite dans un délai extrêmement bref, et je loue l'avocat du requérant pour avoir réuni autant de documents qu'il a pu dans un tel bref délai, c'est-à-dire entre l'après-midi d'hier et environ 9 heures ce matin lorsque ces documents ont été déposés. Je ne critique pas non plus l'avocat de l'intimé qui n'a déposé aucun élément de preuve avant l'audience de cet après-midi. La réalité est qu'il disposait moins de temps que l'avocat du requérant pour le faire, pour se préparer.

[6]          Pour qu'une demande de mesure de redressement provisoire telle que la présente soit accueillie, la loi exige que le requérant démontre trois choses, savoir en premier lieu qu'à l'occasion de la demande sous-jacente, c'est-à-dire la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, il existe une sérieuse question à trancher, qu'en second lieu, à moins que la mesure de redressement provisoire ne soit accordée, le requérant, c'est-à-dire M. Jacobs, subira un préjudice irréparable, au sens où cette expression a été interprétée par les tribunaux, et qu'en troisième lieu, la prépondérance des inconvénients penche en faveur de M. Jacobs, c'est-à-dire qu'il y a davantage lieu de lui accorder la mesure de redressement que de la lui refuser2.

[7]          Dans son argumentation, l'avocat du requérant a abordé, quoique quelque peu indirectement, tous les trois éléments du critère, mais bien franchement à l'égard de chacune des mesures de redressement demandées, et c'est la raison pour laquelle je parviens à la décision que je rends, de façon non satisfaisante selon la Cour. Je vais aborder, par ordre, les trois mesures de redressement provisoires demandées.

[8]          La première mesure est une ordonnance qui suspendrait une audience relative à la garde prévue pour ce matin à un moment qui précédait l'heure à laquelle la présente audience a eu lieu. Si je comprends bien l'avocat du requérant, cette audience ne s'est pas déroulée, et elle est maintenant prévue de nouveau, conformément à la loi, pour quelque temps le lundi 9 mars. Étant donné que M. Jacobs est en détention, il est difficile de comprendre, bien franchement, pourquoi lui ou son avocat qui le représente ne favoriserait pas une révision des motifs de la garde au cours de laquelle le requérant et son avocat auront pleinement la possibilité d'expliquer pourquoi, que l'arrestation sans mandat soit justifiée ou non, la garde continue n'est pas justifiée. Il est difficile pour la Cour de comprendre le fait pour le requérant d'écarter lui-même la possibilité de présenter cet argument, particulièrement lorsque l'un des éléments du critère, s'il doit avoir gain de cause devant moi, porte sur le fait que s'il n'obtient pas que cette audience soit suspendue, il subira un préjudice irréparable. La Cour conclut qu'il est beaucoup plus probable qu'il subisse un préjudice irréparable si on l'empêche de faire valoir pleinement et impartialement qu'il ne devrait pas être détenu. Puisque le critère à trois volets est conjonctif et non disjonctif, que le requérant doit satisfaire à chacun des trois éléments, et puisque, à l'égard de la première mesure de redressement qu'il demande, il ne m'a pas convaincu qu'il subirait un préjudice irréparable si la révision des motifs de la garde était autorisée à se dérouler, je n'accorderai pas cette mesure de redressement.

[9]          La seconde mesure de redressement demandée est un jugement déclarant que le requérant est illégalement détenu. Tout simplement, cette mesure n'est pas une mesure de redressement provisoire à l'égard de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire. L'avocat du requérant a soutenu avec beaucoup de sincérité et de ferveur que l'arrestation sans mandat de M. Jacobs le 5 mars était non seulement complètement injustifiée et illégale, mais a aussi été exécutée avec une ferveur déraisonnable et des éléments de conduite qui discréditeraient le ministère de l'intimé. Je ne tire aucune conclusion quant à la question de savoir si ces allégations, figurant également dans l'affidavit de M. Jacobs, et, comme je l'ai dit, articulées par son avocat avec beaucoup de sincérité, sont exactes. J'ai le sentiment que si le temps l'avait permis, un affidavit pour le compte de l'intimé détaillant les mêmes événements aurait présenté un aspect différent. Mais c'est de la pure spéculation de ma part. S'il y avait en l'espèce une arrestation illégale, si les circonstances entourant cette arrestation étaient irrégulières, il y aurait un moyen d'y remédier. La présente demande n'est simplement pas ce moyen. Pour ces motifs, la seconde mesure de redressement demandée sera également rejetée.

[10]          La troisième mesure de redressement provisoire demandée est une suspension de toute autre enquête en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée simultanément avec la présente requête. Encore une fois, sans se concentrer sur le premier des trois éléments du critère, savoir une question sérieuse à trancher, j'aborderai directement la question du préjudice irréparable. Un enquête est l'occasion pour une personne qui se trouve dans la situation de M. Jacobs de présenter des éléments de preuve expliquant pourquoi une mesure de renvoi du Canada ne devrait pas être prise contre lui. De nouveau, je trouve qu'il est difficile de comprendre comment M. Jacobs, dans les circonstances dont son affidavit témoigne, peut désirer autre chose qu'une possibilité pleine et équitable, j'insiste sur la caractère plein et équitable, de dire pourquoi il ne devrait pas être renvoyé du Canada. Je ne saurais conclure que permettre à une enquête de se poursuivre ou à une nouvelle enquête d'avoir lieu, et je ne tire aucune conclusion quant à la question de savoir laquelle de ces deux moyens est approprié dans les circonstances de l'espèce, peut causer un préjudice irréparable au requérant. Bien franchement, compte tenu des documents dont je dispose, je conclus que c'est tout à fait le contraire qui est le cas, à supposer encore une fois que l'enquête soit à la fois complète et équitable. Ainsi donc, la troisième forme de mesure de redressement demandée sera également refusée et, en conséquence, la présente demande sera rejetée.

[11]          En concluant comme je l'ai fait cet après-midi, je ne veux pas qu'on interprète ma conclusion comme minimisant les points litigieux éventuellement en jeu dans la tentative par l'intimé de renvoyer M. Jacobs aux États-unis d'où il est venu au Canada. De même, je ne veux pas qu'on interprète ma conclusion comme minimisant, de quelque façon que ce soit, la gravité de certaines des allégations faites par M. Jacobs dans son affidavit concernant la façon dont le processus d'enquête s'est déroulé jusqu'ici et la façon dont son arrestation sans mandat a été effectuée. J'insiste sur le fait que je ne tire aucune conclusion sur ces allégations, et que c'est ce qu'elles sont, des allégations. Mais je désire effectivement noter que, si une partie ou la totalité de ces allégations sont exactes, le processus jusqu'à ce stade ne ferait pas honneur au ministère de l'intimé dans la façon dont il exerce ses importantes fonctions prévues par la loi pour le compte du Canada et du gouvernement du Canada.

[12]          La demande d'autorisation et de contrôle judiciaire suivra son cours ordinaire. La décision de cet après-midi a pour seule conséquence qu'aucune mesure de redressement provisoire ne

sera accordée.

                                 FREDERICK E. GIBSON

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-967-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Johnny Steve Jacobs c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 6 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS

À L'AUDIENCE PAR :                  le juge Gibson

ONT COMPARU :

    Michael Swinwood                  pour le requérant
    Darrell Kloeze                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Michael Swinwood                  pour le requérant
    Almonte (Ontario)
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour l'intimé
   
__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. F-7.

     2      RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

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