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Date : 20060501

Dossier : IMM‑1972‑05

Référence : 2006 CF 549

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

AHMAD YAMA (YOUNG) BAKTASH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 mars 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui lui a refusé la qualité de réfugié au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger.

 

 

LES FAITS

 

[2]               Le demandeur est de nationalité afghane. Né en 1978, il est un musulman sunnite d’origine tadjike. Il a ouvert une librairie à Kaboul à la fin de l’an 2000, où il vendait des livres écrits en dari, en pashto et en anglais. Il a quitté l’Afghanistan le 18 août 2001. Après s’être rendu au Pakistan et aux États‑Unis, il est arrivé au Canada le 26 août 2001 et a demandé l’asile à la frontière canadienne.

 

[3]               Sa première demande d’asile a été refusée, mais la demande de contrôle judiciaire qu’il a déposée contre cette décision a été admise. Il a déposé un premier Formulaire de renseignements personnels (FRP) le 24 octobre 2001. À la demande de la Commission, il a déposé un second FRP le 20 janvier 2005. Le second FRP est identique au premier.

 

[4]               Selon le FRP du demandeur, il a été payé 10 $US au début de 2001 par les travailleurs de l’hôpital de Noor pour distribuer des brochures et des magazines aux clients de sa librairie. On lui a dit qu’il pourrait garder le produit de la vente des magazines. Le demandeur s’est vite rendu compte, en vendant les magazines, qu’ils parlaient de christianisme et contenaient des illustrations d’êtres vivants, bravant ainsi deux interdits à l’époque du gouvernement des talibans. Voyant que les magazines seraient rejetés par les talibans, il les a rangés dans un coin de son magasin. Il a mis les brochures dans l’arrière‑boutique.

 

[5]               Le demandeur dit qu’il a vendu sept des vingt magazines entre janvier et juillet 2001. Il n’a pas cependant distribué de brochures. À la mi‑juillet 2001, trois membres armés des talibans sont venus au magasin. Ils ont trouvé les brochures et les magazines. Quelques livres furent brûlés devant lui et le demandeur dit qu’il a été roué de coups au point de s’évanouir.

 

[6]               En novembre 2001, le père du demandeur est revenu au magasin pour vendre les livres restants. Le père a été battu par les talibans, qui l’ont averti que, si le demandeur retournait chez lui, il serait immédiatement livré aux autorités et serait passible d’emprisonnement pour avoir vendu des écrits contraires à l’islam.

 

[7]               Le demandeur dit qu’il s’est caché, puis qu’il a quitté l’Afghanistan. Il dit craindre de retourner en Afghanistan parce qu’il est recherché par les autorités, qui l’accusent de vendre des magazines chrétiens et autres écrits contraires à l’islam. Il dit qu’il risquerait d’être emprisonné, roué de coups et peut‑être aussi enrôlé de force dans l’armée. Il craint aussi la persécution en raison de son appartenance à la minorité tadjike.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[8]               La Commission a relevé des contradictions dans la preuve et a conclu que le demandeur n’était pas crédible à propos du risque qu’il prétendait courir en cas de renvoi en Afghanistan.

 

[9]               La Commission a trouvé invraisemblable que le demandeur ait vendu des écrits à contenu chrétien dans sa librairie. Il disait qu’il abordait les clients s’il pensait qu’ils parlaient l’anglais, et qu’il leur montrait alors les magazines. Vu les convictions et pratiques religieuses des talibans à l’époque, la Commission a trouvé invraisemblable cette méthode de vente.

 

[10]           La Commission a aussi relevé que, alors que le demandeur espérait vendre très vite les écrits, il n’avait au bout de six mois vendu que sept des vingt magazines.

 

[11]           La Commission a jugé invraisemblable que le demandeur ait laissé des brochures à contenu chrétien dans son arrière‑boutique, puisqu’il ne les distribuait pas et qu’il ne comptait pas en tirer de l’argent.

 

[12]           La Commission n’a pas non plus jugé crédible le témoignage relatif au père du demandeur et a douté que le père eût été capable de rouvrir la librairie en novembre 2001 pour vendre les livres restants, puisque c’était l’époque où les talibans étaient au pouvoir et peu de temps après que le père du demandeur eut été roué de coups dans le magasin pour avoir tenté de vendre les livres.

 

[13]           La Commission n’a pas cru le demandeur quand il disait craindre de retourner en Afghanistan parce qu’il avait commis un crime contre l’islam. Le demandeur a dit qu’il est considéré en Afghanistan comme un apostat et comme un défenseur du christianisme. La Commission a écarté cette crainte parce qu’elle ne figurait pas dans le FRP du demandeur. D’après la Commission, c’était là une omission de taille. Cette allégation n’avait été donné qu’au moment de l’audience.

 

[14]           La Commission a aussi estimé que le demandeur n’avait pas expliqué suffisamment pourquoi il n’avait pas écrit dans son FRP que, deux mois après son départ d’Afghanistan, les talibans étaient allés chez lui pour le chercher. Le demandeur a dit que son FRP ne concernait que ce qui lui était arrivé personnellement, mais, selon la Commission, cette explication ne tenait pas puisque le FRP faisait aussi état de faits qui concernaient le père du demandeur.

 

[15]           La Commission a aussi examiné les conditions ayant cours dans le pays et a jugé qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur risquait d’y être exécuté, emprisonné ou autrement persécuté. La Commission a relevé que les talibans ont perdu leur pouvoir politique et que c’est l’État islamique transitoire d’Afghanistan (EITA) qui est aux commandes depuis décembre 2001. La Commission s’est référée à un rapport du Département d’État daté du 15 septembre 2004 qui montrait que la nouvelle Constitution de l’Afghanistan garantit la liberté de religion et que le pays compte une petite population chrétienne qui est libre de s’assembler et de pratiquer sa foi. La Commission a aussi estimé que le risque auquel le demandeur prétendait être exposé aujourd’hui ne serait pas crédible même si elle avait conclu que le demandeur vendait des magazines à contenu chrétien.

 

[16]           La Commission a trouvé curieux que le demandeur n’ait pas écrit dans son FRP qu’il craint aussi la persécution religieuse aux mains de chefs de guerre en Afghanistan autres que les talibans.

 

[17]           La Commission a constaté aussi que l’enrôlement forcé dans l’armée n’est signalé que dans le Nord de l’Afghanistan. Comme le demandeur ne vient pas de cette région, la Commission a estimé qu’il n’était pas vraisemblable qu’il serait enrôlé de force à son retour à Kaboul.

 

[18]           La Commission a relevé que, selon l’avocat du demandeur, l’appartenance au groupe minoritaire tadjik n’était plus l’un des fondements de la demande d’asile.

 

[19]           La Commission a dit, pour conclure, qu’il y a des guerres de clans en Afghanistan et que la situation sur le plan de la sécurité est instable. Selon elle, des raisons d’ordre humanitaire pouvaient militer contre le retour du demandeur en Afghanistan, mais le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[20]           Le demandeur soulève les points suivants :

 

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a mal interprété ou mal appliqué la définition de « réfugié au sens de la Convention »?

 

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a laissé de côté ou mal compris la preuve qu’elle avait devant elle, ou parce qu’elle a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées d’une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve?

 

LES CONCLUSIONS DU DEMANDEUR

 

[21]           Selon le demandeur, qu’il soit ou non un témoin crédible, il peut être considéré comme un réfugié au sens de la Convention si les activités religieuses dont il est suspecté sont susceptibles de conduire à son arrestation et à sa condamnation (Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.)). Il a apporté la preuve qu’il serait vu comme un individu se livrant à des activités chrétiennes. La preuve documentaire montre qu’une personne qui vend des écrits à contenu chrétien en Afghanistan sera réputée prêcher le christianisme et s’être convertie au christianisme. Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur dans sa manière d’apprécier la preuve. Sans doute est‑il vrai que les chrétiens peuvent pratiquer librement leur foi, mais le demandeur dit que la situation est différente pour une personne qui renie l’islam pour le christianisme et qui s’avise ensuite de faire des prosélytes parmi les musulmans.

 

[22]           Le demandeur dit aussi que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve documentaire, qui montre que la situation en Afghanistan reste instable et que l’instauration de l’État de droit est loin d’être achevée. Des documents confirmaient que les forces de sécurité commettaient des assassinats et que les agents de l’État recouraient à la torture dans les prisons.

 

[23]           Le demandeur fait valoir que la Commission s’est livrée à des suppositions et à des conjectures quand elle a dit qu’il ne pouvait avoir vendu des écrits à contenu chrétien de la manière qu’il avait décrite (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.)). Il dit aussi que la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas motivé cette conclusion.

 

[24]           Le demandeur fait aussi valoir que la Commission a appliqué des valeurs ou notions occidentales à une situation qui faisait intervenir d’autres valeurs et notions. Selon lui, la Commission a commis une erreur de droit en exigeant que soit produit le bail du magasin alors qu’il avait dit à la Commission qu’il ne s’agissait que d’un bail verbal. Le demandeur n’était pas tenu de produire un document au soutien de cette affirmation et, en l’absence d’une preuve contraire, la Commission n’aurait pas dû tirer argument de la non‑production d’un document pour dire qu’il n’était pas crédible (Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (A93), 65 F.T.R. 137, [1993] A.C.F. n° 705 (QL) (1re inst.); Attakora, précité).

 

[25]           Selon le demandeur, la Cour d’appel fédérale a jugé, dans l’arrêt Attakora, qu’il n’est peut‑être pas absolument indispensable de mettre à l’épreuve la crédibilité d’un demandeur d’asile lorsque la persécution passée qu’il relate est confirmée par le bilan peu reluisant de son pays en matière de respect des droits de l’homme. La preuve documentaire produite à la fois par le demandeur et par l’agent de protection des réfugiés (APR) montrait que la situation qui a cours en Afghanistan reste instable. Cette preuve confirmait que les talibans faisaient sentir de nouveau leur présence et que les combats entre milices locales persistaient.

 

[26]           L’APR a fait observer que le demandeur avait donné des réponses directes et n’avait pas embelli son témoignage. Selon le demandeur, même si la Commission a pu trouver que son récit renfermait des contradictions mineures ou qu’il était parfois exagéré, cela ne suffisait pas à rejeter l’ensemble de son témoignage (Yaliniz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] A.C.F. n° 248, (1988) 7 Imm. L.R. (2d) 163 (QL) (C.A.F.); Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. n° 800, (1989) 9 Imm. L.R. (2d) 150 (QL) (C.A.F.)). Il dit que la Cour est aussi bien placée que la Commission pour dire si les incidents dont il a fait état ont pu raisonnablement se produire.

 

[27]           Le demandeur dit aussi que, quand la Commission a conclu qu’il n’espérait pas recevoir de l’argent pour les brochures et qu’il les avait placées à un endroit où elles pouvaient être trouvées, il s’agissait là de conclusions qui étaient contraires à la preuve et qui constituaient donc des erreurs de droit.

 

[28]           Le demandeur fait aussi valoir que la remarque de la Commission selon laquelle il n’avait pas consulté un avocat pour savoir s’il pouvait être accusé ou recherché en Afghanistan montre que la Commission a mal compris la preuve et la nature de la crainte du demandeur. Il affirme qu’il craint la persécution extrajudiciaire, non la persécution judiciaire.

 

[29]           Lors de l’instruction de l’affaire devant la Cour, l’avocat du demandeur a dit que la Commission avait commis les mêmes erreurs que les premiers commissaires et a souligné que la Commission avait laissé de côté le « critère des personnes se trouvant dans la même situation », voire négligé d’effectuer une analyse distincte pour les aspects relevant de l’article 97.

 

LES CONCLUSIONS DU DÉFENDEUR

 

[30]           Selon le défendeur, la Commission pouvait parfaitement dire que le témoignage du demandeur n’était pas crédible. La conclusion de la Commission en la matière doit bénéficier d’un niveau élevé de retenue, et la Commission est fondée, pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile, à s’en rapporter à la raison et au bon sens (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 415 (QL) (C.A.F.). L’appréciation de la preuve est également du ressort de la Commission (He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1107 (QL) (C.A.F.)).

 

[31]           Le défendeur dit que la Commission est fondée à s’en remettre à sa propre interprétation du comportement humain pour savoir si le récit d’un demandeur d’asile est ou non crédible (Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 805 (QL) (1re inst.); Qasem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1182; Mehmet Aktan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1222, [2002] A.C.F. n° 1661 (QL)). Il était loisible à la Commission de trouver invraisemblable que le demandeur ait pu vendre les écrits à contenu chrétien, durant le régime des talibans, en abordant des étrangers. Pour la Commission, il était impossible de croire que le demandeur ait été disposé à vendre des magazines pour quelques cents alors qu’il avait déjà reçu 10 $US pour les vendre, ou qu’il ait conservé les brochures à contenu chrétien dans la librairie alors qu’elles n’allaient pas être vendues.

 

[32]           D’après le défendeur, la Commission a aussi eu raison de ne pas croire le demandeur en raison des contradictions entre le FRP du demandeur et son témoignage et aussi en raison des silences de son FRP. Il n’y avait pas de concordance entre le FRP du demandeur et son témoignage quant à la date à laquelle les talibans avaient découvert le contenu chrétien des magazines et des écrits. Le défendeur relève que le demandeur n’avait pas mentionné dans son FRP qu’il était recherché par les talibans pour s’être converti au christianisme ou avoir prêché le christianisme, et qu’il n’avait pas non plus précisé que les talibans s’étaient rendus chez lui en Afghanistan un mois ou deux après son départ du pays. Il était raisonnable pour la Commission de tenir compte des silences du FRP du demandeur et de dire que cela minait sa crédibilité (Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 444 (QL) (1re inst.); Lobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 597 (QL) (1re inst.)).

 

[33]           Le défendeur dit aussi que, s’il n’est pas ajouté foi à un incident capital, comme c’est le cas ici, les autres présumées erreurs sont sans conséquence (Yang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 121 (QL) (C.A.F.)).

 

[34]           Le défendeur dit que la Commission a eu raison de douter que le demandeur serait persécuté par les talibans s’il était renvoyé en Afghanistan. Il n’est pas établi que le demandeur est recherché aujourd’hui par une autorité quelconque.

 

[35]           Finalement, le défendeur dit que, pour avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention en se fondant sur la violation générale des droits de la personne, le demandeur devait rattacher à son cas personnel les conditions générales qui ont cours en Afghanistan. Faute de preuve montrant que le demandeur est personnellement menacé, il ne pouvait pas être un réfugié au sens de la Convention (Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.)).

 

ANALYSE

 

[36]           La norme de contrôle applicable aux conclusions en matière de crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. n° 732 (QL) (C.A.F.); Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 2001 (QL) (1re inst.); Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] CFPI 582). En l’espèce, il était loisible à la Commission de dire que le récit du demandeur n’était pas crédible.

 

[37]           Il était loisible à la Commission de mettre en doute les propos du demandeur quand il affirmait qu’il vendait des livres censurés à des étrangers en les abordant lorsqu’il voyait qu’ils parlaient l’anglais. Le demandeur a dit qu’il n’abordait que les clients qui avaient visité le magasin au moins une fois auparavant, mais la Commission avait des raisons de penser que la méthode employée par le demandeur pour vendre les magazines était imprudente et difficile à croire, étant donné les conséquences terribles qui en auraient résulté pour lui s’il avait été pris. La Commission n’a pas non plus commis une erreur sujette à révision en refusant de croire que le demandeur ait pu conserver les brochures à l’intérieur de sa librairie. Les brochures ne lui rapportaient rien, mais elles le mettaient en danger. Puisque, selon la preuve, la police religieuse des talibans s’arrêtait quelquefois à la librairie du demandeur, la Commission a considéré à juste titre qu’il n’était pas vraisemblable qu’il ait pu conserver les brochures dans la librairie.

 

[38]           Puisque la Commission a refusé de croire le demandeur lorsqu’il disait qu’il vendait des écrits à contenu chrétien dans sa librairie, il s’ensuit que le demandeur n’était pas non plus crédible quand il affirmait qu’il avait été roué de coups et que son père avait tenté de rouvrir la librairie, étant donné que ces affirmations étaient logiquement rattachées à la vente des écrits à contenu chrétien.

 

[39]           La jurisprudence confirme le principe selon lequel l’omission, dans un FRP, de faits importants ou de renseignements qui sont essentiels pour la demande d’asile peut justifier une conclusion défavorable en matière de crédibilité (El Masalati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1311 (CanLII), qui renvoie à la décision Robles c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 520 (QL), 2003 CFPI 374, au paragraphe 43; Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 626 (CanLII), au paragraphe 13; Erdos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 955, au paragraphe 24, qui renvoie à la décision Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 444 (QL) (1re inst.)). Le demandeur a omis des renseignements essentiels en négligeant de préciser que quelqu’un s’était rendu chez lui à la recherche de la personne qui avait vendu les magazines. Il était loisible à la Commission de mettre en doute la crédibilité du demandeur parce qu’il n’avait pas ajouté ce renseignement. La Commission était fondée également à dire que la crainte du demandeur d’être persécuté aux mains de chefs de guerre aurait dû être mentionnée dans son FRP. La situation a évolué en Afghanistan, mais le demandeur aurait pu néanmoins modifier son FRP pour y inclure de nouveaux renseignements (Udeagbala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1507 (CanLII)).

 

[40]           Le demandeur soulève plusieurs questions, mais il n’ébranle pas l’assise de la décision d’où procède tout le reste. La Commission a expressément dit qu’il n’était pas vraisemblable que « le demandeur d’asile ait vendu des documents sur le christianisme dans sa librairie de la manière dont il l’a raconté ». À la lecture de la décision, on constate que la Commission n’a tout simplement pas pu croire l’élément central du récit : le fait qu’il avait vendu des écrits chrétiens. La Commission a examiné l’ensemble de la preuve pour arriver à cette conclusion et elle a fondé sa décision sur le bon sens et la raison, comme elle est habilitée à le faire. Voir la décision Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 805 (QL) (1re inst.). Il était loisible à la Commission de juger invraisemblable que le demandeur ait vendu durant le régime des talibans des écrits à contenu chrétien en s’adressant à des étrangers. Ainsi que le faisait observer la juge Sharlow dans la décision Gonzalez :

27. La Cour est d’avis que la SSR était en droit d’évaluer la conduite de la demanderesse comme elle l’a fait, en tenant compte de son récit, de même que de la manière dont il a été livré et vérifié au cours de l’audience, avec comme arrière‑plan les autres preuves et sa propre perception du comportement humain. L’opinion de la Cour est appuyée par les observations du juge O’Halloran dans l’affaire Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, à la page 357 (C.A.C.‑B.) :

 

[TRADUCTION] En résumé, le véritable critère de la véracité du récit d’un témoin [...] doit être sa compatibilité avec la prépondérance des probabilités qu’une personne raisonnable et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnable à cet endroit et dans ces conditions.

 

28. La Cour ne voit rien dans l’affaire Giron qui soit incompatible avec cette conclusion. Elle se réfère à cet égard aux commentaires du juge Décary dans l’affaire Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), aux pages 316 et 317 :

 

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire.

 

[41]           La Commission s’est également fondée sur d’autres constats pour arriver à sa décision, par exemple les contradictions et omissions du FRP du demandeur.

 

[42]           Toutes ces conclusions étaient de nature factuelle et ont manifestement été tirées au vu de la preuve que la Commission avait devant elle. La Cour ne peut pas intervenir pour les modifier.

 

[43]           Ces conclusions fondamentales étant prises en compte, le récit du demandeur perd alors toute substance. La Commission a considéré les conditions ayant cours dans le pays, mais il n’était pas véritablement nécessaire de le faire, étant donné ses conclusions de fait sur les aspects essentiels de la demande d’asile.

 

[44]           Étant donné ses conclusions essentielles, il n’était pas nécessaire pour la Commission d’examiner les risques auxquels étaient exposées des personnes dans la même situation, et cela parce que le demandeur n’avait prouvé aucun lien avec ces personnes (c’est‑à‑dire les chrétiens faisant du prosélytisme) et, vu les circonstances de l’affaire, il n’était pas nécessaire de faire une analyse distincte pour l’article 97, puisque la Commission n’avait pas accepté le témoignage du demandeur à propos de ce qui lui était arrivé.

 

[45]           J’ai examiné chacun des points soulevés par le demandeur, mais aucun d’eux n’ébranle ni n’a raison de cet aspect essentiel de la décision. Aucune erreur sujette à révision n’a été commise et il n’y a rien qui puisse justifier le renvoi de l’affaire pour réexamen.

 

[46]           Finalement, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de dire qu’elle n’ajoutait pas foi à la demande d’asile. Il s’ensuit que la Commission n’a commis aucune erreur sujette à révision en concluant que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

 

ORDONNANCE

 

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                            IMM‑1972‑05

 

 

INTITULÉ :                                           AHMAD YAMA (YOUNG) BAKTASH

                                                                c.

                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   LE 14 MARS 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                          LE 1er MAI 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Randal Montgomery                                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Rhonda Marquis                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rodney Woolfe

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

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