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Date : 20050509

Dossier : IMM-3460-04

Référence : 2005 CF 651

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

IRYNA TAHIYEVA

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]         La demanderesse, Mme Iryna Tahiyeva, est une citoyenne de l'Ukraine qui prétend être une personne à protéger en raison de sa crainte fondée dtre maltraitée par son conjoint de fait. Elle prétend en outre qu'elle ne peut pas se prévaloir de la protection de ltat parce son conjoint de fait a longtemps été membre des forces policières ukrainiennes. La demanderesse est arrivée au Canada en novembre 2001 et a demandé la qualité de réfugiée le 20 janvier 2003. Dans une décision du 23 mars 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a jugé que la demanderesse n'avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]         La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Questions en litige

[3]         Bien que la demanderesse ait soulevé plusieurs questions, j'estime que les questions déterminantes sont les suivantes :

1.          La Commission a-t-elle rendu sa décision sans tenir compte de la preuve dont elle disposait?

2.          L'erreur de la Commission (admise par le défendeur) quant à l'incohérence alléguée du témoignage de la demanderesse est-elle une erreur importante, en ce sens qu'elle justifierait l'annulation de sa décision?

Analyse

[4]         La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Autrement dit, la décision ne peut être annulée que si aucun élément de preuve ne la justifie.


[5]         La demande d'asile de la demanderesse reposait sur la relation de violence présumée qu'elle a entretenue pendant treize ans avec un homme qui avait été policier et avec lequel elle a affirmé avoir vécu. Malgré cette longue relation, la demanderesse n'a pas été en mesure de fournir le moindre document pour appuyer ses dires. Elle n'a fourni aucune photographie, aucune preuve confirmant qu'elle avait quitté la maison de ses parents ni aucun élément de preuve indépendant démontrant que son conjoint a bel et bien été policier. La Commission a conclu ce qui suit :

[Traduction] De l'avis du tribunal, ces contradictions constituent un motif suffisant pour douter de ses allégations selon lesquelles elle aurait été la conjointe de fait de Vladimir Galazov [...] Pour ces motifs, je conclus que la demanderesse n'a pas réussi à prouver sa qualité de conjointe maltraitée, incapable de se prévaloir de la protection de ltat, allégation sur laquelle repose toute sa demande. En conséquence, sa demande est rejetée.

[6]         Toutefois, la Commission a ensuite examiné les autres aspects de la demande et a conclu que [traduction] « il y avait une raison valable de douter de la véracité des allégations de la demanderesse, selon lesquelles elle aurait été maltraitée par Vladimir Galazov, et de rejeter ces allégations » . La Commission a énoncé les raisons pour lesquelles elle a décidé dcarter le témoignage de la demanderesse.

[7]         En résumé, la Commission n'a pas cru que la demanderesse a déjà eu un conjoint de fait qui avait été policier et, même si M. Galazov existait réellement, les allégations de la demanderesse quant à la violence dont il aurait fait preuve à son égard ntaient pas crédibles.


[8]         Ayant examiné la décision dans son ensemble, je suis convaincue que ces conclusions ntaient pas déraisonnables. Néanmoins, la décision recèle deux possibilités d'erreur qui méritent un examen plus approfondi. La première erreur est l'omission de la Commission de mentionner les éléments de preuve qui auraient pu corroborer les allégations de la demanderesse au sujet de la violence dont elle aurait été victime; la deuxième est l'importance de l'erreur reconnue par le défendeur.

1. Omission de tenir compte de certains éléments de preuve

[9]         La demanderesse soutient qu'en omettant de mentionner certains éléments de preuve documentaire qui contredisent directement ses conclusions, la Commission a commis une erreur fatale. Elle s'appuie sur la décision de la Cour dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, et, plus particulièrement, sur le raisonnement du juge Evans au paragraphe 17 :

[P]lus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion.

[10]       Les premiers éléments de preuve qui, selon la demanderesse, appartiennent à cette catégorie sont quatre lettres qu'elle a reçues de sa mère et d'un ami et dans lesquelles il est allégué que le conjoint est toujours déterminé à pourchasser la demanderesse si elle devait retourner en Ukraine. Vu les circonstances de la présente instance et si l'on applique l'analyse du juge Evans, la première question à trancher est celle de savoir si ces éléments de preuve sont si importants que le fait de ne pas les avoir mentionnés permet de penser qu'ils n'ont pas été pris en considération.


[11]       Aucune de ces lettres ne porte de date précise mais, apparemment, elles ont toutes été écrites après que la demanderesse eut déposé sa demande d'asile. Ces lettres sont très différentes des éléments de preuve documentaire dont il était question dans Cepeda-Gutierrez, soit un rapport de psychologue. Dans une autre affaire invoquée par la demanderesse, la Commission a commis une erreur en omettant de mentionner une vidéo produite par un tiers indépendant (Iordanov c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 367). Chacune de ces décisions portait sur une preuve indépendante qui corroborait la demande en cause. Il s'agissait d'une preuve « importante » .

[12]       En l'espèce, il ne s'agit pas d'une preuve de cette nature. Les quatre lettres de la mère et d'un ami de la demanderesse ont été écrites dans un but intéressé, c'est le moins qu'on puisse dire. Il est évident, lorsqu'on lit la décision dans son ensemble, que la Commission était à la recherche dléments de preuve indépendants et fiables pour corroborer la version de la demanderesse. Les lettres font mention d'un homme en le désignant par son prénom seulement et n'indiquent qu'une seule fois qu'il s'agit de l'ex-conjoint de la demanderesse. Ces lettres ne constituent pas, à mon avis, une preuve contredisant carrément les conclusions de fait de la Commission. Il aurait été préférable que la Commission fasse mention de ces lettres mais, compte tenu des circonstances en l'espèce, il ne s'agit pas d'une erreur susceptible de contrôle.


[13]       L'autre renseignement dont, selon la demanderesse, la Commission n'aurait pas tenu compte est une demande de visa de visiteur dans laquelle il est question d'un conjoint de fait. Cet élément de preuve ne permet pas, selon moi, dtablir l'existence du conjoint violent. La demande ne mentionne pas M. Galazov par son nom. En outre, le dossier indique que l'agent des visas qui a examiné la demande avait des doutes sur l'existence d'un conjoint de fait. En omettant de mentionner cet élément de preuve secondaire et ambivalent, la Commission n'a commis aucune erreur.

2. Importance de l'erreur

[14]       En évaluant la version de la demanderesse à lgard d'un incident précis de violence, la Commission a jugé que son témoignage [traduction] « était non seulement intrinsèquement contradictoire, mais incompatible avec son exposé circonstancié » . À titre d'exemple, la Commission a mentionné la description du déroulement présumé de l'incident. Comme l'a reconnu le défendeur, la Commission a commis une erreur; la transcription démontre clairement que le témoignage de la demanderesse ne contient aucune contradiction. Reste à savoir si cette erreur justifie l'annulation de la décision.


[15]       Si la Commission stait appuyée sur cette seule contradiction pour conclure que le témoignage de la demanderesse ntait pas crédible, j'aurais vraisemblablement jugé que cette erreur remettait en cause la validité de la décision. Toutefois, contrairement à ce que prétend la demanderesse, cette conclusion erronée ntait pas déterminante ni essentielle pour la décision. La Commission a expliqué en détail plusieurs autres lacunes, contradictions et omissions qui justifient sa conclusion que le témoignage de la demanderesse ntait pas cohérent. Elle s'est fondée sur l'ensemble de ces incohérences pour conclure qu'il n'y avait pas eu d'agression comme l'avait allégué la demanderesse qui avait [traduction] « inventé toute cette histoire pour conférer un air de vraisemblance à son récit selon lequel elle était une conjointe maltraitée » . Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que cette erreur était importante pour la décision dans son ensemble. Même si l'on exclut cette conclusion, il reste des éléments de preuve en quantité plus que suffisante pour justifier la décision de la Commission.

Conclusion

[16]       Prise dans son ensemble, la décision de la Commission est justifiée par la preuve. La Commission n'a pas cru la relation des faits de la demanderesse. Toute erreur était sans importance, compte tenu de la longue liste d'incohérences dont est entaché le témoignage de la demanderesse et de l'absence de preuves solides pour étayer sa demande d'asile. Je ne vois aucune raison d'annuler la décision de la Commission.

[17]       La demande sera rejetée. Les parties n'ont pas proposé de question à certifier. Il s'agit d'une demande portant essentiellement sur des faits et ne soulevant aucune question de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée.

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

       « Judith A. Snider »       

     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                        IMM-3460-04

INTITULÉ:                                         IRYNA TAHIYEVA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 4 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

DATE :                                                LE 9 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Inna Kogan                                          POUR LA DEMANDERESSE

Tamrat Gebeheyu                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Inna Kogan                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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