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Date : 20000531


Dossier : IMM-6179-98



ENTRE :

     ELISE MBOYO-EYENGA

     GREGORY MUANA-MPUTU

     GAEL MUANA-MPUTU

     Demandeurs


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ :


[1]      Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision en date du 5 octobre 1998 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration ("la section du statut") selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.


[2]      La demanderesse, une ressortissante de la République démocratique du Congo ("RDC"), représente également ses deux enfants qui sont demandeurs dans cette affaire. En 1994, la demanderesse, alors commerçante au marché central de Kinshasa a adhéré à l'Union des démocrates indépendants ("l'UDI") dirigé par Léon Kengo Wa Dondo. En juillet 1994, Kengo a été nommé Premier ministre du gouvernement de Mobutu. Le 19 janvier 1996, les femmes commerçantes ont tenu une manifestation de protestation contre Kengo parce qu'il n'avait pas consulté les militants de l'UDI avant d'accepter son nouveau poste. La manifestation a été brutalement réprimée par les gardes de la Division de la sécurité présidentielle ("la DSP") et la demanderesse elle-même a été arrêtée, détenue, violée et menacée de mort à plusieurs reprises. Elle a réussi à s'échapper pour venir revendiquer le statut de réfugié au Canada le 1er octobre 1996.

[3]      La section du statut a rejeté sa revendication au motif qu'il était hautement invraisemblable que la demanderesse soit persécutée advenant son retour au RDC attendu qu'elle s'est jointe à l'AFDL à Montréal qui est le parti de l'actuel président du pays, Kabila.

[4]      Dans sa décision la section du statut n'a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse relativement aux événements précités survenus au Congo. Elle note que la demanderesse a avoué avec candeur qu'elle avait adhéré à l'AFDL à Montréal et qu'elle détient une carte de membre. Elle souligne également que la demanderesse a ajouté n'avoir participé qu'à deux réunions de l'AFDL à Montréal, qu'elle a déclaré être entrée dans ce mouvement pour ne pas se sentir seule comme "si elle avait adhéré à un groupe de prières". Le paragraphe suivant reflète la conclusion du tribunal:

     Le tribunal conclut que, dans ce contexte, la crainte de persécution alléguée par la demanderesse en raison de ses opinions politiques est nettement exagérée car il n'a pas vu, dans la preuve documentaire soumise, aucune indication à l'effet que les autorités actuelles de la RDC s'en prendraient à des adhérents de l'AFDL,y compris ceux qui peuvent émettre publiquement des réserves sur l'un ou l'autre aspect du programme du parti ou de ce qui en tient lieu. Il nous semble également invraisemblable que les autorités actuelles s'en prendraient à une militante de l'AFDL pour la seule raison qu'elle aurait déjà été détenue en raison d'une participation à une manifestation contre certains dirigeants de l'UDI, tenue il a plus de deux et demi.

[5]      Effectivement, la preuve documentaire ne démontre aucune indication que les autorités actuelles de la RDC s'en prendraient aux adhérents de l'AFDL. C'est plutôt le contraire qui se produirait. Selon le Guide pour les réfugiés publié par le Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations-Unis, c'est le gouvernement AFDL qui aujourd'hui chasse les soldats de la DSP. En d'autres mots, ce sont maintenant les persécuteurs de la demanderesse qui sont pourchassés et recherchent la protection internationale. Qu'il suffise de rapporter le paragraphe 15.1 du Guide:

15.1 The Division Spéciale Présidentielle (DSP) consisting of about 15,000 men mainly from Mobutu's tribe (N'GBANDI) or region (EQUATEUR) had most of its cadres formed in Israel. It was set up in 1986 and it acted as a praetorian guard for Mobutu's personal protection. Hence it was the best equipped of all military organisations and put under the leadership of General ZIMBI, a Mobutu brother in law. Although this unit was involved in 1991 and 1993 riots and lootings in Kinshasa which resulted in some deaths and casualties, it is obvious that the AFDL government is today looking for DSP soldiers because of their close relationship with Mobutu himself and his family. If they are arrested they will be without any doubt killed or put in jail without trial as the AFDL did in Kinshasa when it took over from Mobutu in May 1997. For those reasons, life and freedom of DSP soldiers should be considered as being in danger in the Democratic Republic of Congo if they return there. They therefore deserve international protection, unless there is an evidence that they have committed a crime which excluded them from the benefit of the 1951 UN Convention. This might be the case for DSP high ranked staff only.

[6]      Même si la demanderesse éprouve une crainte subjective de retourner dans son pays, il demeure tout de même qu'elle a le fardeau de démontrer non seulement l'élément subjectif de sa crainte de persécution mais également que cette crainte est objectivement bien fondée (voir l'arrêt Chan c. Canada (M.E.I.)1. Également, le bien-fondé d'une crainte de persécution doit être évalué en fonction des risques de persécution au moment de l'examen de la revendication devant la section du statut et non en fonction de ceux qui existaient au moment où elle a quitté son pays (voir Mileva c. M.E.I.)2. Le changement de circonstance survenu dans un pays est essentiellement une question de fait (voir Yusuf c. M.E.I.)3. La Cour ne peut intervenir dans une telle interprétation de la section du statut à moins qu'elle ne soit manifestement déraisonnable.

[7]      À l'audition, la demanderesse a reconnu que ses anciens persécuteurs n'étaient plus en place mais elle a allégué une crainte de persécution de la part du nouveau gouvernement de Kabila en fonction depuis mai 1997. Selon elle, l'arrivée de Kabila n'a pas changé grand chose. Elle serait encore en danger si elle retournait chez elle et recommençait à exprimer ses opinions politiques contre le nouveau gouvernement en place. Pourtant, son adhérence à l'AFDL, si minime ou même marginale soit-elle, ne peut que l'aider à son retour au pays.

[8]      En conséquence, c'est à bon droit que la section du statut a conclu qu'il serait invraisemblable que le gouvernement de Kabila s'en prendrait à la demanderesse du simple fait qu'elle ait participé à une manifestation contre un autre gouvernement en janvier 1993. Évidemment, si elle s'en retourne dans son pays pour dénoncer le gouvernement en place et participer à des manifestations, elle peut s'attendre à des représailles.

[9]      La procureure de la demanderesse a souligné l'intention et le droit de sa cliente de défendre la démocratie et de dénoncer la dictature dans son pays et que sa crainte de la violation d'un tel droit par l'administration Kabila lui vaudrait un statut de réfugié au Canada. Si un tel argument était valide, il ouvrirait la porte d'entrée au Canada à plus d'un milliard d'êtres humains qui vivent sous un régime dictatorial et auraient le goût de le provoquer publiquement pour se mériter un accueil assuré dans un monde meilleur.

[10]      En conséquence, la section du statut était justifiée de conclure que la demanderesse n'avait pas, au jour de l'audition, une crainte bien fondée de persécution advevant son retour au Congo.

[11]      Cette demande de contrôle judiciaire ne peut donc être accueillie. Les deux procureurs et le tribunal sont d'accord qu'il n'y a pas de question d'importance générale à être certifiée.

OTTAWA, Ontario

le 31 mai 2000     

     Juge





Date: 20000531


Dossier: IMM-6179-98



OTTAWA, ONTARIO, CE 31e JOUR DU MOIS DE MAI 2000

PRÉSENT:      L'HONORABLE JUGE J.E. DUBÉ


ENTRE:

     ELISE MBOYO EYENGA

     GREGORY MUANA-MPUTU

     GAEL MUANA-MPUTU

     Demandeurs


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


    

     Juge

__________________

     1      [1995] 3 R.C.S. 593, 659.

     2      [1991] 3 C.F. 398 (C.A.F.) 404.

     (1995), 179 N.R. (C.A.F.) 12 ; demande d'autorisation d'appel rejetée par la C.S.C. le 22 juin 1995: [1995] S.C.C.A. No. 102 (C.S.C.).

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