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Date : 19990805


Dossier : T-2432-88

Ottawa (Ontario), le 5 août 1999

EN PRÉSENCE DE Mme LA JUGE SHARLOW

ENTRE :


SA MAJESTÉ LA REINE,


demanderesse,


et


CHAMBRE D'IMMEUBLE DU SAGUENAY-LAC ST. JEAN INC.,

CHAMBRE D'IMMEUBLES DE QUÉBEC,

CHAMBRE D'IMMEUBLE DE MONTRÉAL,

CHAMBRE D'IMMEUBLE DE L'OUTAOUAIS INC.,

ASSOCIATION OF REGINA REALTORS INC.,

CALGARY REAL ESTATE BOARD CO-OP LTD.,

FRASER VALLEY REAL ESTATE BOARD,

WINDSOR-ESSEX COUNTY REAL ESTATE BOARD,

LONDON AND ST. THOMAS REAL ESTATE BOARD, ET

L'ASSOCIATION CANADIENNE DE L'IMMEUBLE,


défenderesses.


ORDONNANCE

     La requête de l'Association canadienne de l'immeuble, datée du 2 juin 1999, est accueillie avec dépens. En vertu du paragraphe 34(2.2) de la Loi sur la concurrence, l'ordonnance du juge Addy, datée 20 décembre 1988, est devenue caduque le 18 mars 1999.

Karen R. Sharlow

Juge

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier



Date : 19990805


Dossier : T-2432-88


ENTRE :


SA MAJESTÉ LA REINE,


demanderesse,


et


CHAMBRE D'IMMEUBLE DU SAGUENAY-LAC ST. JEAN INC.,

CHAMBRE D'IMMEUBLES DE QUÉBEC,

CHAMBRE D'IMMEUBLE DE MONTRÉAL,

CHAMBRE D'IMMEUBLE DE L'OUTAOUAIS INC.,

ASSOCIATION OF REGINA REALTORS INC.,

CALGARY REAL ESTATE BOARD CO-OP LTD.,

FRASER VALLEY REAL ESTATE BOARD,

WINDSOR-ESSEX COUNTY REAL ESTATE BOARD,

LONDON AND ST. THOMAS REAL ESTATE BOARD, ET

L'ASSOCIATION CANADIENNE DE L'IMMEUBLE,


défenderesses.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LA JUGE SHARLOW :


[1]      Le 20 décembre 1988, le juge Addy a rendu une ordonnance en cette cour conformément aux dispositions du paragraphe 34(2) de la Loi sur la concurrence, interdisant à l'Association canadienne de l'immeuble (l'ACI) et à neuf de ses membres (des chambres d'immeuble locales) la commission de certains actes. L'ordonnance, rendue sur consentement après négociation, faisait suite à une enquête menée par le directeur des enquêtes et recherches. J'appellerai cette ordonnance " l'ordonnance ACI ".

[2]      Le 18 mars 1999, l'article 34 de la Loi sur la concurrence a été modifié par L.C. 1999, chapitre 2, article 111 (la loi modificatrice). Le paragraphe 34(2), sur lequel l'ordonnance ACI était fondée, n'a pas été modifié.

[3]      La loi modificatrice ajoute une nouvelle disposition à la Loi sur la concurrence, savoir le paragraphe 34(2.2), qui limite à une période de dix ans toute ordonnance rendue en vertu du " présent article ". Rien de tel n'existait dans la Loi avant la modification.

[4]      L'ACI soutient que le paragraphe 34(2.2) a pour effet de rendre l'ordonnance ACI caduque le 18 mars 19992. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l'ACI a raison.

L'article 34 de la Loi sur la concurrence, telle que modifiée

[5]      Depuis le 18 mars 1999, l'article 34 est rédigé comme suit :

34.(1) Dès qu'une personne est déclarée coupable d'une infraction visée à la partie VI, le tribunal peut, à la demande du procureur général du Canada ou du procureur général de la province, en sus de toute autre peine infligée à cette personne, interdire la continuation ou la répétition de l'infraction ou l'accomplissement, par cette personne ou par toute autre personne, d'un acte qui tend à la continuation ou à la répétition de l'infraction3.
(2) Lorsqu'il apparaît à une cour supérieure de juridiction criminelle dans des procédures commencées au moyen d'une plainte du procureur général du Canada ou du procureur général de la province, pour l'application du présent article, qu'une personne a accompli, est sur le point d'accomplir ou accomplira vraisemblablement un acte ou une chose constituant une infraction visée à la partie VI, ou tendant à la perpétration d'une telle infraction, le tribunal peut interdire la perpétration de cette infraction ou l'accomplissement ou la continuation, par cette personne ou toute autre personne, d'un acte ou d'une chose constituant une telle infraction ou tendant à sa perpétration.
(2.1) L'ordonnance rendue en vertu du présent article à l'égard d'une infraction peut enjoindre à une personne de prendre :
a)      soit les mesures que le tribunal estime nécessaires pour empêcher la perpétration, la continuation ou la répétition de l'infraction;
b)      soit toutes mesures convenues entre cette personne et le procureur général du Canada ou le procureur général de la province4.
(2.2) L'ordonnance rendue en vertu du présent article s'applique pendant une période de dix ans ou la période plus courte fixée par le tribunal5.
(2.3) Le tribunal peut annuler ou modifier l'ordonnance qu'il a rendue en vertu du présent article en ce qui concerne une personne à l'égard de laquelle elle a été rendue, dans les cas suivants :
a)      cette personne et le procureur général du Canada ou le procureur général de la province y consentent;
(b)      il conclut, à la demande de cette personne, du procureur général du Canada ou du procureur général de la province, que les circonstances ayant entraîné l'ordonnance ont changé et que, sur le fondement des circonstances qui existent au moment où la demande est présentée, l'ordonnance n'aurait pas été rendue ou n'aurait pas eu les effets nécessaires à la réalisation de son objet6.
(2.4) Il ne peut être intenté de poursuite en vertu de la partie VI contre une personne contre laquelle l'ordonnance prévue au paragraphe (2) est demandée, si les faits qui seraient allégués au soutien de la poursuite sont les mêmes ou essentiellement les mêmes que ceux qui ont fait l'objet de la demande7.
(3) Le procureur général du Canada ou le procureur général de la province ou toute personne contre laquelle est rendue l'ordonnance prévue au présent article8 peut interjeter appel de l'ordonnance, du refus de rendre une ordonnance ou de l'annulation d'une ordonnance d'une cour supérieure de juridiction criminelle dans la province ou de la Section de première instance de la Cour fédérale, respectivement, à la cour d'appel de la province ou à la Cour d'appel fédérale pour tout motif comportant une question de droit ou, si l'autorisation d'appel est accordée par le tribunal auprès duquel l'appel est interjeté dans les vingt et un jours suivant le prononcé du jugement faisant l'objet de la demande d'autorisation d'appel ou dans le délai prolongé qu'accorde, pour des raisons spéciales, le tribunal auprès duquel l'appel est interjeté ou un juge de ce tribunal, pour tout motif d'appel jugé suffisant par ce tribunal.
(3.1) Le procureur général du Canada ou le procureur général de la province ou toute personne contre laquelle est rendue l'ordonnance prévue au présent article9 peut interjeter appel de l'ordonnance, du refus de rendre une ordonnance ou de l'annulation d'une ordonnance de la cour d'appel de la province ou de la Cour d'appel fédérale, selon le cas, à la Cour suprême du Canada pour tout motif comportant une question de droit ou, si l'autorisation d'appel est accordée par la Cour suprême, pour tout motif d'appel jugé suffisant par cette cour.
(4) Lorsque la cour d'appel ou la Cour suprême du Canada permet un appel, elle peut annuler toute ordonnance rendue par le tribunal d'où l'appel est interjeté et peut rendre toute ordonnance qu'à son avis le tribunal d'où l'appel est interjeté aurait pu ou aurait dû rendre.
(5) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), la partie XXI du Code criminel s'applique, compte tenu des adaptations de circonstance, aux appels prévus au présent article.
(6) Le tribunal peut infliger l'amende qu'il estime indiquée ou un emprisonnement maximal de deux ans à quiconque contrevient à une ordonnance rendue aux termes du présent article10.
(7) Toute procédure engagée sur plainte du procureur général du Canada ou du procureur général d'une province aux termes du présent article est jugée par le tribunal sans jury, et la procédure applicable aux procédures en injonction dans les cours supérieures de la province s'applique dans la mesure du possible.
(8) Au présent article, " cour supérieure de juridiction criminelle " s'entend au sens du Code criminel .

L'ordonnance ACI

[6]      L'ordonnance ACI est longue et détaillée, et je ne décrirai pas tout son contenu. En l'instance, il suffit de noter qu'elle interdit la commission de certains actes liés au SIA (Service inter-agence) et à la marque de commerce MLS, dont l'ACI est propriétaire et qu'elle gère, et dont elle assure la promotion auprès des organisations membres.

[7]      L'ordonnance ACI a apparemment pour but d'empêcher qu'on utilise le SIA pour contrôler l'activité des courtiers immobiliers dans des domaines divers. L'ordonnance ACI interdit notamment la fixation des taux de commission et le partage des commissions entre les courtiers, les activités visant à décourager la collaboration entre les membres d'une chambre d'immeuble et les non-membres, et la pratique de limiter certains types de publicité utilisés par les courtiers.

[8]      L'ordonnance ACI exige aussi que l'ACI et les autres défenderesses donnent avis des changements à leurs règlements, codes de déontologie et documents connexes. De plus, l'ACI doit exiger que chaque chambre accepte de se conformer à certaines parties de l'ordonnance ACI comme condition d'adhésion.

[9]      Certaines parties de l'ordonnance ACI fixaient des exigences pendant les sept années suivantes quant à certains actes à poser. Par contre, la plupart des dispositions de l'ordonnance ne prévoient aucune limite de temps. Il semble que l'ordonnance ACI, telle que délivrée, vise une application en perpétuité par l'ACI et les organisations membres des dispositions autres que celles qui étaient limitées à sept ans11.

[10]      L'avocat de l'ACI soutient que les termes du paragraphe 34(2.2) sont clairs et qu'on doit les interpréter littéralement. Je les reprends ici pour faciliter la compréhension :

     L'ordonnance rendue en vertu du présent article s'applique pendant une période de dix ans ou la période plus courte fixée par le tribunal.

[11]      L'avocat de l'ACI soutient que comme l'ordonnance ACI avait plus de dix ans lorsque le paragraphe 34(2.2) est entré en vigueur le 18 mars 1999, elle est devenue caduque.

[12]      Cet argument a un grand poids. Quiconque lirait seulement le paragraphe 34(2.2) en tirerait la conclusion que l'ordonnance ACI est caduque. Abordé littéralement, le paragraphe 34(2.2) s'applique à toutes les ordonnances en vertu de l'article 34, quel que soit le moment où elles ont été rendues. Rien dans la Loi sur la concurrence ou dans la loi modificatrice ne limite expressément l'application du paragraphe 34(2.2) aux ordonnances rendues après son adoption. Ceci va dans le sens d'une conclusion portant que l'ordonnance ACI est devenue caduque le 18 mars 1999.

[13]      L'avocat de l'ACI appuie son interprétation sur plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada. Aucune des affaires citées ne porte exactement sur cette question, mais elles illustrent bien la façon dont la Cour aborde des questions similaires. Dans toutes ces affaires, on trouve une modification législative qui vient mettre fin à un droit obtenu par contrat ou en vertu du cadre législatif ou réglementaire, lorsque ce droit n'avait pas été exercé avant l'entrée en vigueur de la modification. Toutes ces décisions vont dans le sens du point de vue de l'avocat de l'ACI : Acme (Village) School District No. 2296 (Board of Trustees) c. Steele-Smith, [1933] R.C.S. 47; Corporation de l'Hôpital Bellechasse c. Pilotte, [1975] 2 R.C.S. 454; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national) [1977] 1 R.C.S. 271; P.G. (Québec) c. Tribunal de l'expropriation, [1986] 1 R.C.S. 732; Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole du Québec), [1989] 1 R.C.S. 880.

[14]      Compte tenu de cette jurisprudence, l'interprétation donnée au paragraphe 34(2.2) par l'avocat de l'ACI est à retenir, sauf s'il existe une raison de limiter l'application du paragraphe 34(2.2) aux ordonnances postérieures à son entrée en vigueur.

[15]      L'avocat de la Couronne soutient qu'une interprétation plus restrictive du paragraphe 34(2.2) est fondée. Je résumerai son point de vue comme suit. Le paragraphe 34(2.2) limite à dix ans la validité des ordonnances rendues en vertu du " présent article ", savoir l'article 34. Mais les termes " présent article ", que l'on trouve au paragraphe 34(2.2), ne renvoient qu'à la version précitée de l'article 34, savoir la version telle que modifiée par L.C. 1999, chapitre 2 (la loi modificatrice). Ils ne renvoient pas à la version de l'article 34 qui était en vigueur à l'époque ou l'ordonnance ACI a été rendue. Par conséquent, aucune ordonnance rendue en vertu de l'ancien article 34 n'est affectée par le paragraphe 34(2.2).

[16]      L'avocat de la Couronne soutient que cette interprétation restrictive est appuyée par la preuve extrinsèque, par les dispositions transitoires de la loi modificatrice, et par les principes gouvernant l'interprétation des modifications législatives ayant un effet rétroactif.

1) La preuve extrinsèque

[17]      En mai 1998, le directeur des enquêtes et recherches a indiqué au Comité permanent de l'industrie que la nouvelle période de limitation de dix ans ne s'appliquerait pas aux ordonnances d'interdiction rendues avant l'entrée en vigueur des modifications. Le directeur a ensuite expliqué pourquoi ce résultat était perçu comme positif.

[18]      Cette déclaration peut être présentée comme preuve de l'intention du directeur ou de ses rédacteurs législatifs. Elle peut aussi refléter un avis juridique conçu ou adopté par le directeur par rapport à un projet de loi. En tout état de cause, cette déclaration n'est pas pertinente. Elle ne peut d'aucunement expliciter le sens du paragraphe 34(2.2) tel qu'adopté.

[19]      La déclaration du directeur peut aussi illustrer une des raisons de politique pour lesquelles le Parlement pourrait avoir désiré que le paragraphe 34(2.2) ne s'applique pas aux ordonnances déjà existantes. Une telle preuve pourrait nous aider à comprendre l'objectif visé par la modification, ce qui serait pertinent si celle-ci pouvait être interprétée de deux façons sans qu'on puisse voir clairement quelle interprétation retenir.

[20]      Même si je présumais que le paragraphe 34(2.2) est ambigu tel qu'on le dit, la déclaration du directeur ne m'aiderait pas à l'interpréter. La raison de politique identifiée par le directeur est inutile en l'instance, à moins qu'on puisse la lier directement à la version du paragraphe 34(2.2) qui a été mise en vigueur. Le dossier ne nous dit pas quelle version du projet de loi était à l'étude lorsque la déclaration a été faite, non plus que quels changements, s'il en est, ont été apportés au projet de loi après la réunion du Comité.

[21]      Il est clair que les ordonnances d'interdiction rendues conformément à l'article 34, tel que modifié, ou en vertu de la disposition prévoyant les " redressements administratifs " (alinéa 74.1(1)a )), ont une durée d'application maximum de dix ans. Ceci indique qu'il y a de bonnes raisons de politique pour éviter les ordonnances à perpétuité12. C'est peut-être ces raisons qui ont mené le Parlement à conclure, nonobstant ce qui semblait être l'avis du directeur, que les ordonnances d'interdiction devraient être de dix ans au plus, y compris celles qui étaient en vigueur avant la modification.

[22]      Toutefois, rien de cela n'est utile puisque le paragraphe 34(2.2) est assez clair pour qu'il ne soit pas nécessaire de recourir à la preuve extrinsèque pour l'interpréter.

2) Dispositions transitoires de la loi modificatrice

[23]      Il n'y a pas de disposition transitoire dans la loi modificatrice qui traite de la limite de dix ans inscrite au paragraphe 34(2.2). L'avocat de la Couronne s'appuie toutefois indirectement sur deux dispositions transitoires de la loi modificatrice qui s'appliquent à d'autres aspects des ordonnances antérieures. Ces dispositions sont rédigées comme suit :13

     39. Les ordonnances rendues en vertu de l'article 34 de la Loi sur la concurrence en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 52, 53 ou 57 à 59 de cette loi, dans leurs versions antérieures à l'entrée en vigueur des articles 12, 14 et 17 de la présente loi, sont réputées rendues en application de l'alinéa 74.1(1)a) de la Loi sur la concurrence, édicté par l'article 22 de la présente Loi.
     40. Le paragraphe 34(2.3) de la Loi sur la concurrence, édicté par le paragraphe 11(2) de la présente Loi, s'applique aux ordonnances rendues en application de l'article 34 de la Loi sur la concurrence avant ou après l'entrée en vigueur de l'article 11 de la présente Loi.

[24]      L'avocat de la Couronne soutient que ces dispositions démontrent que le Parlement a tenu compte de l'effet des ordonnances antérieures rendues en vertu de l'article 34, et qu'il a limité l'effet de la loi modificatrice à ces deux aspects. Il en déduit que la version modifiée de l'article 34 n'était pas prévue s'appliquer aux autres aspects des ordonnances prises antérieurement en conformité de l'article 34.

[25]      Il est vrai que si le Parlement avait voulu que le paragraphe 34(2.2) s'applique aux ordonnances antérieures, il aurait pu édicter une disposition transitoire à cet effet. On peut dire aussi bien que si le Parlement avait voulu que le paragraphe 34(2.2) ne s'applique qu'aux ordonnances rendues après son entrée en vigueur, il aurait pu le dire dans le paragraphe 34(2.2)14.

[26]      Je ne suis pas d'avis qu'on puisse tirer une telle conclusion des articles 39 et 40 de la loi modificatrice.

[27]      L'article 39 traite des ordonnances rendues en conformité de dispositions spécifiques de l'ancienne Loi sur la concurrence15 créant des infractions et porte qu'elles sont réputées avoir été rendues en application de l'alinéa 74.1(1)a) de la Loi sur la concurrence. L'alinéa 74.1(1)a) est une nouvelle disposition, qui fait partie d'un régime prévoyant des sanctions civiles plutôt que criminelles dans certains cas. Les actes prohibés en vertu de ce nouveau régime civil sont appelés des " comportements susceptibles d'examen ". Les effets juridiques des ordonnances rendues en application du nouveau régime civil diffèrent sensiblement de ceux qu'on connaissait sous l'ancien régime criminel, compte tenu de la probabilité de modification des droits acquis.

[28]      L'article 40 soumet expressément les ordonnances antérieures au nouveau paragraphe 34(2.3), qui permet de modifier ou de révoquer les ordonnances rendues en vertu de l'article 34. Rien de tel n'existait dans la Loi sur la concurrence avant les modifications de 1999. La cour est présumée ne pouvoir modifier ou révoquer une ordonnance, à moins que ce pouvoir lui soit expressément accordé par la loi. L'article 40, comme l'article 39, démontre qu'on a constaté qu'il fallait contrer la présomption qu'on ne peut modifier des droits acquis.

[29]      J'en conclus que les dispositions transitoires citées par l'avocat de la Couronne ne nous sont d'aucune aide dans l'interprétation du paragraphe 34(2.2). Tout ce qu'elles nous indiquent, c'est que le Parlement a spécifiquement prévu l'effet de la loi modificatrice sur les ordonnances antérieures prise en vertu de l'article 34 lorsqu'il y avait des motifs précis de croire que ces ordonnances seraient soumises à l'exercice de nouveaux pouvoirs créés par la législation.

3) Le paragraphe 34(2.2) a-t-il un effet rétroactif?

[30]      L'avocat de la Couronne fait état de la présomption qui veut que les modifications aux lois n'aient pas d'effet rétroactif, et il soutient que l'interprétation donnée par l'ACI au paragraphe 34(2.2) lui donne un effet rétroactif non recherché et malvenu. L'avocat de l'ACI soutient que l'article 34(2.2) n'a pas d'effet rétroactif.

[31]      À ce sujet, les deux avocats s'en sont remis à l'analyse de la législation avec effet rétroactif que l'on trouve aux pages 128 à 130 de l'ouvrage Interprétation des lois au Canada de Côté16. On trouve à la page 130 la définition suivante de " l'effet rétroactif " :

     ... il y a effet rétroactif lorsqu'une nouvelle loi s'applique de façon à prescrire le régime juridique de faits entièrement accomplis avant son entrée en vigueur.

[32]      En substance, on trouve ici la même définition que celle adoptée par la Cour suprême du Canada dans Gustavson Drilling (précité). On trouve ceci aux pages 279 et 280 de cette décision :

     ... l'analyse de la disposition abrogative démontre qu'elle n'a aucune portée rétroactive dans le sens qu'elle modifie des droits acquis, bien qu'elle porte incontestablement atteinte aux transactions passées. L'article, tel que modifié par la disposition abrogative, ne vise pas les années d'imposition antérieures à la date de la modification; il ne cherche pas à s'immiscer dans le passé et ne prétend pas signifier qu'à une date antérieure, il faille considérer que le droit ou les droits des parties étaient ce qu'ils n'étaient pas alors. Pour autant que l'appelante soit concernée, cet article ne vise qu'à retirer pour l'avenir le droit de faire certaines déductions dont il était auparavant possible de tirer avantage; l'article n'a aucune incidence sur ce droit dans la mesure où il a été exercé à une date antérieure à l'adoption de la loi modificatrice.

[33]      Pour appliquer cette définition, il faut premièrement identifier les faits qui ont des conséquences juridiques. Deuxièmement, il faut situer ces faits dans le temps. Dans ce contexte, il y a trois sortes de faits17. Une action ou un événement est un fait éphémère, qu'on peut facilement fixer dans le temps. Un fait continu est un état de choses qui persiste dans le temps et qui a une durée (par exemple, la propriété d'un bien); il peut donc être en partie dans le passé et en partie dans l'avenir. Un fait successif est composé d'une série d'autres faits ou étapes, chacun devant se produire avant que le fait successif puisse être situé dans le passé. Une fois que les faits ont été identifiés et situés dans le temps, il faut troisièmement déterminer de quelle façon la modification législative s'applique à ces faits. Ce n'est que si la modification vient changer quelque chose aux conséquences juridiques de faits qui sont entièrement passés qu'on peut dire qu'elle a un effet rétroactif.

[34]      L'avocat de la Couronne soutient que le seul fait pertinent en l'instance est que l'ordonnance de l'ACI a été rendue le 20 décembre 1988. Il déclare que si l'ACI a raison, l'effet de la modification est de démarrer l'horloge de dix ans à cette date, situation qui n'existerait pas en l'absence de la loi modificatrice. À son avis, ceci constitue un effet rétroactif.

[35]      L'avocat de l'ACI soutient que l'ordonnance de l'ACI est un fait continu, qui a fixé les droits et les obligations juridiques de l'ACI et des autres défenderesses pour la période qui commençait le 20 décembre 1988 et se prolongeait aussi longtemps que l'ordonnance continuait à s'appliquer. Il soutient qu'en vertu de l'interprétation qu'il propose, la modification ne change rien à l'effet juridique de quoi que ce soit qui s'est produit avant son entrée en vigueur. L'ordonnance ACI est restée en vigueur jusqu'à cette date et elle continuera à gouverner les conséquences de toute violation de l'ordonnance ACI qui aurait pu se produire avant cette date. La modification ne fait que fixer une échéance à l'ordonnance de l'ACI, de telle façon qu'il n'est plus possible de la violer après le 18 mars 1999. Je partage l'avis de l'avocat de l'ACI sur ce point.

Conclusion

[36]      J'en conclus que l'ordonnance ACI est devenue caduque le 18 mars 1999. Je délivrerai une déclaration en conséquence.




                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 5 août 1999



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              T-2432-88

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SA MAJESTÉ LA REINE C. CHAMBRE D'IMMEUBLE DU SAGUENAY-LAC ST-JEAN INC.


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 15 juin 1999

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT DE Mme LA JUGE SHARLOW

EN DATE DU :              5 août 1999



ONT COMPARU :

James Sutton                              POUR LA DEMANDERESSE

Lorne Morphy                          POUR LA DÉFENDERESSE

Michael Penny


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. James Sutton                          POUR LA DEMANDERESSE

Ministère de la Justice, Industrie Canada

M. Michael Penny                          POUR LA DÉFENDERESSE

__________________

1 Sanctionnée le 11 mars 1999 et entrée en vigueur le 18 mars 1999, C.P. 1999-442 (enregistrement TR/99-25, le 31 mars 1999).

2 L'avocat de l'ACI a renoncé à sa requête pour obtenir une ordonnance modifiant l'ordonnance ACI, afin que celle-ci devienne caduque le 18 mars 1999. Rien dans la preuve ne viendrait justifier une telle modification.

3 Modifiée par L.C. 1999, ch. 2, par. 11(1). L'ancien par. 34(1) de la Loi sur la concurrence autorisait la délivrance d'une telle ordonnance dans les 3 années suivant la déclaration de culpabilité.

4 Nouvelle disposition, L.C. 1999, ch. 2, par. 11(2).

5 Nouvelle disposition, L.C. 1999, ch. 2, par. 11(2).

6 Nouvelle disposition, L.C. 1999, ch. 2, par. 11(2).

7 Nouvelle disposition, L.C. 1999, ch. 2, par. 11(2)

8 Mon souligné. Modifiée par L.C. 1999, ch. 2, par. 11(3). Ces termes remplacent les termes " une ordonnance d'interdiction ou de dissolution " qu'on trouvait dans l'ancienne version.

9 Mon souligné. Modifiée par L.C. 1999, ch. 2, par. 11(3). Ces termes remplacent les termes " une ordonnance d'interdiction ou de dissolution " qu'on trouvait dans l'ancienne version.

10 Modifiée par L.C. 1999, ch. 2, par. 11(4). L'ancienne version disait à peu près la même chose.

11 L'ordonnance porte aussi que la Cour est habilitée à modifier ou à révoquer l'ordonnance à la requête de l'une des parties.

12 À ce sujet, l'avocat de la Couronne a proposé une interprétation possible du paragraphe 34(2.2) qui ferait que les ordonnances antérieures seraient visées et qu'elles se verraient fixer une limite de dix ans à compter du 18 mars 1999. Rein dans la loi modificatrice ne justifie une telle interprétation.

13 L.C. 1999, ch. 2. art. 39 et 40.

14 L'avocat de l'ACI a cité une modification législative qui donnerait raison à la Couronne. Lorsque la Residential Rent Regulation Act (Ontario) a été modifiée en 1991, l'article 100b a été rédigé comme suit : " ...cette partie s'applique à toutes les augmentations de loyer qui entrent en vigueur le 1er octobre 1990, ou après cette date ". Il aurait été aussi simple pour le Parlement d'ajouter au paragraphe 34(2.2) les termes " avant l'entrée en vigueur de ce paragraphe ".

15 Aucune des dispositions citées à l'article 39 de la loi modificatrice n'est en cause dans l'ordonnance ACI, celle-ci renvoyant à des infractions prévues aux articles 45 et 61.

16 2e édition (Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1990). La même analyse est effectuée par Ruth Sullivan dans Driedger on the Construction of Statutes, 3rd edition (Toronto et Vancouver, Butterworths, 1994), aux pp. 513 à 515.

17 Voir Sullivan (précité).

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