Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210811

Dossier : P‑1‑19

Référence : 2021 CF 834

[TRADUCTION FRANÇAISE]

APPEL INTERJETÉ DEVANT L’ÉVALUATEUR

EN VERTU DE LA LOI SUR LA SANTÉ DES ANIMAUX

Ottawa (Ontario), le 11 août 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill, évaluateur adjoint

ENTRE :

VICTOR BERGEN ET CHRIS BERGEN

appelants

et

LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’AGROALIMENTAIRE DU CANADA

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS


Table des matières

I. Aperçu 3

II. Le contexte 5

III. La décision portée en appel 7

IV. L’historique de l’instance 8

V. La preuve 9

A. Les témoins des appelants 9

B. Les témoins de l’intimé 10

VI. La question en litige 11

VII. Le cadre juridique applicable 11

VIII. L’évaluation du ministre 17

A. Le regroupement en cohortes 17

B. La notation du poids des carcasses chaudes 18

C. La multiplication du poids de la carcasse chaude en kg par 11,50 $ 19

D. Le contrat de l’AWAPCO 19

E. L’estimation des poids vifs 20

F. L’absence de renseignements spécifiques aux animaux 20

G. Les permis de déplacement des cervidés 21

H. Les taux de gestation 22

I. Les indicateurs externes 22

J. L’évaluation des femelles 23

K. L’évaluation des mâles 24

L. Les catégories spéciales d’animaux 25

IX. Les positions des parties 26

A. Les appelants 26

B. L’intimé 30

X. Analyse 32

A. Le modèle économique 32

B. Les valeurs du programme Agri‑stabilité 34

C. La valeur marchande par opposition au coût de remplacement 35

D. Les limites du marché de la Saskatchewan 37

E. Les ventes vérifiées 38

F. La crédibilité de M. Friedel 45

XI. Conclusion 47

ANNEXE A 50

I. Aperçu

[1] Victor et Chris Bergen [les Bergen] possèdent et exploitent une ferme d’élevage de wapitis près du village de Drake, en Saskatchewan. Ils en font la reproduction et l’élevage pour la chasse et la venaison, ainsi que pour la production de bois de velours.

[2] Le 28 novembre 2017, les Bergen ont découvert dans leur ferme la carcasse d’un wapiti femelle âgé de trois ans. Ils ont signalé la mort à l’Agence canadienne d’inspection des aliments [l’ACIA], et les épreuves de laboratoire ont confirmé un résultat préliminaire positif de maladie débilitante chronique [MDC].

[3] La MDC est une encéphalopathie spongiforme transmissible à l’origine d’une maladie neurologique évolutive chez le wapiti et d’autres cervidés. Elle serait causée par des protéines anormales, appelées prions, qui affectent le système nerveux central des animaux. La maladie est hautement contagieuse et toujours létale. Il s’agit d’une maladie déclarable au sens de l’article 5 de la Loi sur la santé des animaux, LC 1990, c 21 [la Loi], ainsi que de l’article 2 du Règlement sur les maladies déclarables, DORS/91‑2.

[4] Le troupeau de wapitis des Bergen a été abattu le 13 décembre 2017. Le 9 janvier 2019, l’ACIA a émis un avis d’indemnisation concernant la destruction du troupeau. Les Bergen se sont vu accorder une indemnité de 350 000 $ pour les wapitis, ainsi qu’une indemnité supplémentaire de 26 597,20 $ pour les frais de disposition, conformément au paragraphe 51(2) de la Loi.

[5] Les Bergen ont interjeté appel de l’indemnité accordée, conformément au paragraphe 56(1) de la Loi.

[6] Pour les motifs qui suivent, l’évaluation, par le ministre, du troupeau des Bergen était juste et raisonnable. Il convient donc de rejeter l’appel.

[7] Les Bergen ont fait état de préoccupations légitimes quant à leur impossibilité de prendre part au processus d’évaluation qui s’est soldé par l’avis d’indemnisation du 9 janvier 2019. Il a été remédié aux lacunes procédurales du processus d’évaluation initial par le présent appel, lequel s’est déroulé sous la forme d’une audience de novo, mais ces lacunes sont suffisamment sérieuses pour priver le ministre d’une adjudication de dépens.

II. Le contexte

[8] Le 29 novembre 2017, l’ACIA a délivré un avis de l’obligation de disposer de tous les wapitis présents dans la ferme des Bergen. Le 29 novembre 2017, deux vétérinaires de l’ACIA, les Drs Abel Akon et Lisa Wayman, se sont présentés à la ferme des Bergen. La Dre Wayman a informé ces derniers que le DAkon superviserait l’abattage intégral (ou le dépeuplement) du troupeau.

[9] Les 11 et 12 décembre 2017, les wapitis ont été étiquetés et préparés en vue de leur transport. Leur abattage a eu lieu le 13 décembre 2017.

[10] Le 2 janvier 2018, l’ACIA a délivré un second ordre de destruction en vue de la disposition de tous les wapitis encore présents dans la ferme des Bergen. Le 11 juillet 2018, un wapiti mâle (taureau ou mâle non castré), 13 veaux femelles et neuf veaux mâles ont été euthanasiés et enterrés dans la ferme.

[11] Le 11 décembre 2017, le DBrian Wormald a assumé la responsabilité de l’affaire des Bergen. La Dre Lisa Wayman a pris en charge le dossier le 1er mai 2018 et elle a continué d’être la responsable principale de l’ACIA jusqu’à la fin du dossier.

[12] Les Bergen ont demandé à leur comptable, M. Bill Riach, de préparer une évaluation des wapitis en vue de la soumettre à l’ACIA. Celui‑ci a envisagé deux options pour déterminer cette valeur : la valeur marchande et un modèle économique. Comme les ventes d’animaux issus du troupeau des Bergen étaient restreintes, il a opté pour le modèle économique.

[13] L’ACIA a retenu les services de Serecon, une entreprise qui fournit des services d’évaluation, de conseils de gestion et d’autres services au secteur agricole, pour préparer une évaluation du troupeau des Bergen. À l’instar de M. Riach, Serecon s’est fondée à cette fin sur un modèle économique. La Dre Wayman a décidé par la suite que seule la valeur marchande pouvait servir à fixer l’indemnité à verser sous le régime de la Loi. Elle n’a pas communiqué cette conclusion aux Bergen, ni ne leur a donné une possibilité d’y répondre.

[14] La Dre Wayman a été orientée vers M. Bruce Friedel, un homme chevronné et de premier plan dans l’industrie de la production des wapitis, et elle s’est fondée dans une large mesure sur ses conseils pour déterminer la valeur du troupeau des Bergen. Là encore, la Dre Wayman n’a pas fait part aux Bergen des conseils qu’elle avait reçus de M. Friedel, ni ne leur a donné une possibilité d’y répondre avant qu’elle mette la dernière main à l’évaluation le 9 janvier 2019.

[15] L’ACIA n’a pas communiqué immédiatement aux Bergen l’avis d’indemnisation daté du 9 janvier 2019. Toutefois, le 8 février 2019, les Bergen se sont présentés au bureau local de l’ACIA pour demander pourquoi personne n’était entré en contact avec eux au sujet de la négociation de leur indemnité. Ils ont appris que celle‑ci avait été fixée plus d’un mois plus tôt, et que les valeurs établies par M. Riach et par Serecon avaient été toutes deux rejetées par la Dre Wayman en faveur des conseils de M. Friedel.

III. La décision portée en appel

[16] La section explicative du rapport d’évaluation de la Dre Wayman comporte les passages suivants :

[TRADUCTION]

Tous les wapitis de plus de 12 mois ont été transportés chez Bouvry Exports pour y être abattus. Le rapport d’abattage a été fourni avec le poids individuel de chacune des carcasses chaudes.

Le poids de la carcasse chaude a été utilisé pour estimer le poids vif de chaque animal des différentes classes du troupeau : le poids de la carcasse chaude converti en livres (lb) divisé par le pourcentage de freinte attribué. Une freinte normale serait de 58 % (diviser par 0,58), une freinte sévère, de 53 % (diviser par 0,53) et une freinte de 51,5 % constituerait le pire des cas.

C’est ce dernier pourcentage, 51,5 % ou 0,515, qui a été utilisé pour déterminer le poids vif des animaux du troupeau, en raison des deux jours d’assemblage et de manipulation qui ont été nécessaires pour l’identification et l’étiquetage effectués par l’ACIA, ainsi que l’assemblage et le chargement faits le troisième jour. Cette freinte a eu pour effet d’augmenter de 11,3 % le poids vif estimé de chaque animal. Par conséquent, l’évaluation basée sur la taille ou de l’état de l’animal s’est révélée être à l’avantage du producteur.

Pour de nombreux wapitis femelles des Bergen, le poids de la carcasse chaude était plus faible que la moyenne, qui est de 125 kg, pour les wapitis femelles abattus à l’abattoir Bouvry. Les poids des carcasses femelles qui étaient plus élevés que la moyenne se sont traduits par des valeurs de poids vif plus élevées. Le poids vif estimé des vaches d’un an (nées en 2016), en particulier, était très bas, et, à ce poids, il est très peu probable qu’elles auraient pu concevoir et porter un veau à terme.

La valeur des wapitis des Bergen a été estimée comme si aucune maladie n’était présente, et un facteur de 11,50 $/kg de carcasse chaude a été utilisé pour calculer la valeur des animaux, ce qui est le prix typique utilisé aux fins d’indemnisation. Ce prix reflète le montant « normal » payé par kg de carcasse chaude par l’AWAPCO pour des troupeaux indemnes de maladie envoyés à l’abattoir. Le montant de 8,65 $/kg payé par l’AWAPCO pour le troupeau Bergen est un prix négocié dans le cadre de l’appel d’offres compétitif remporté par l’AWAPCO. C’est ce montant qui a été utilisé pour comptabiliser le paiement effectué par l’AWAPCO à M. Bergen sur le 4203 (198 419 $). Aucune déduction n’a été faite pour les coûts de nettoyage et d’élimination effectués à la ferme ou après l’abattage et l’échantillonnage à l’abattoir, car ces coûts ont été assumés directement par l’ACIA, comme le prévoyaient les lettres d’instructions fournies par M. Bergen à l’AWAPCO pour le paiement du transport du troupeau jusque chez Bouvry et à d’autres entrepreneurs pour les coûts d’élimination.

De plus, aucune déduction n’a été faite pour l’estimation des coûts de camionnage généralement assumés par le producteur qui envoie ses wapitis à l’abattoir, des frais qui atteignent généralement de 75 à 100 $ par animal, un élément qui a augmenté le montant payé à M. Bergen pour ses animaux.

Le résultat global des ventes aux enchères pour la production de 2017 et 2018, l’évaluation du troupeau par les économistes (SERECON), les prix payés de gré à gré et dans les ventes de dispersion de troupeaux ont tous été pris en compte pour déterminer un coût de remplacement raisonnable pour des animaux semblables à ceux dont la destruction a été ordonnée. Même si M. Bergen a choisi de sélectionner les wapitis de meilleure qualité de plusieurs classes disponibles aux enchères publiques comme animaux de remplacement, cela ne reflète pas typiquement l’animal moyen de son troupeau dépeuplé.

IV. L’historique de l’instance

[17] Les Bergen ont produit leur avis d’appel le 12 avril 2019. La réponse du ministre a été déposée le 17 juin 2019.

[18] L’audition de l’appel a duré trois jours : les 29, 30 et 31 mars 2021.

[19] Les Bergen ont déposé leurs observations finales le 30 avril 2021. À cause d’une affaire imprévue et urgente, le ministre a demandé que le délai pour déposer ses observations finales soit prorogé au 7 mai 2021. Cette requête a été accordée à la condition que les observations écrites des Bergen ne soient pas communiquées au ministre avant que l’on ait reçu ses observations finales. Cela a été fait le 6 mai 2021.

[20] Chacune des parties a eu la possibilité de répondre à tout renseignement ou argument nouveau que contenaient les observations finales de l’autre partie. Les Bergen ont déposé leurs observations en réponse le 19 mai 2021, et le ministre a déposé les siennes le 20 mai 2021.

V. La preuve

A. Les témoins des appelants

[21] M. Victor Bergen est l’un des appelants dans la présente instance. Il a grandi à Drake, en Saskatchewan, et travaille dans le domaine agricole depuis l’âge de 14 ans.

[22] M. Ryan McClennon est un agriculteur de l’Alberta qui est actif dans le domaine de l’élevage des wapitis depuis 21 ans. L’exploitation agricole de M. McClennon est principalement axée sur la reproduction d’animaux destinés aux marchés du velours de bois, ainsi que sur la production de bois dur et sur les exportations aux États‑Unis. Depuis les cinq dernières années, il exploite également un ranch en Saskatchewan.

[23] M. Bill Riach est le comptable des Bergen, auxquels il fournit des services de comptabilité depuis les 20 dernières années. Il fournit également des services comptables à d’autres producteurs agricoles de la région.

[24] M. Randy Wehrkamp est le représentant des Bergen dans le présent appel. Il est un spécialiste de l’industrie du wapiti, et il élève également des wapitis pour son propre compte.

B. Les témoins de l’intimé

[25] La Dre Lisa Wayman est l’inspectrice vétérinaire qui a accordé l’indemnité faisant l’objet du présent appel. Elle est au service de l’ACIA depuis novembre 2000.

[26] M. Bruce Friedel est un agriculteur de la quatrième génération, en Alberta. Il détient un baccalauréat en agriculture, avec spécialisation en pâturage de parcours et en gestion de la faune, de même qu’une maîtrise en agriculture et en science animale, avec spécialisation en productivité de la faune. M. Friedel a aidé la Dre Wayman à déterminer la valeur du troupeau des Bergen. L’ACIA s’est déjà inspirée de ses méthodes pour déterminer la valeur d’autres troupeaux dont la destruction avait été ordonnée sous le régime de la Loi. M. Friedel est impliqué dans l’industrie du wapiti depuis 40 ans.

VI. La question en litige

[27] La seule question soulevée dans le présent appel consiste à savoir si l’indemnité accordée aux Bergen était raisonnable.

VII. Le cadre juridique applicable

[28] Le ministre est autorisé à prendre des mesures de disposition à l’égard d’animaux ou de choses contaminés, conformément à l’article 48 de la Loi :

Mesures de disposition

48 (1) Le ministre peut prendre toute mesure de disposition, notamment de destruction, — ou ordonner à leur propriétaire, ou à la personne qui en a la possession, la responsabilité ou la charge des soins, de le faire — à l’égard des animaux ou choses qui :

a) soit sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou soupçonnés de l’être;

b) soit ont été en contact avec des animaux ou choses de la catégorie visée à l’alinéa a) ou se sont trouvés dans leur voisinage immédiat;

c) soit sont des substances toxiques, des vecteurs ou des agents causant des maladies, ou sont soupçonnés d’en être.

Disposal of affected or contaminated animals and things

48 (1) The Minister may dispose of an animal or thing, or require its owner or any person having the possession, care or control of it to dispose of it, where the animal or thing

(a) is, or is suspected of being, affected or contaminated by a disease or toxic substance;

(b) has been in contact with or in close proximity to another animal or thing that was, or is suspected of having been, affected or contaminated by a disease or toxic substance at the time of contact or close proximity; or

(c) is, or is suspected of being, a vector, the causative agent of a disease or a toxic substance.

[29] L’article 51 de la Loi porte sur l’indemnité à payer aux propriétaires d’animaux dont la disposition a été ordonnée en vertu de l’article 48 :

Indemnisation : animal

51 (1) Le ministre peut ordonner le versement, sur le Trésor, d’une indemnité au propriétaire de l’animal :

a) soit détruit au titre de la présente loi, soit dont la destruction a été ordonnée par l’inspecteur ou l’agent d’exécution mais mort avant celle‑ci;

b) blessé au cours d’un examen ou d’une séance de traitement ou d’identification effectués, au même titre, par un inspecteur ou un agent d’exécution et mort ou détruit en raison de cette blessure;

c) affecté à des expériences au titre du paragraphe 13(2).

Montant de l’indemnité

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), l’indemnité payable est égale à

a) la valeur marchande, selon l’évaluation du ministre, que l’animal aurait eue au moment de l’évaluation si sa destruction n’avait pas été ordonnée,

b) déduction faite de la valeur de son cadavre.

Compensation to owners of animals

51 (1) The Minister may order compensation to be paid from the Consolidated Revenue Fund to the owner of an animal that is

(a) destroyed under this Act or is required by an inspector or officer to be destroyed under this Act and dies after the requirement is imposed but before being destroyed;

(b) injured in the course of being tested, treated or identified under this Act by an inspector or officer and dies, or is required to be destroyed, as a result of the injury; or

(c) reserved for experimentation under paragraph 13(2)(a).

Amount of compensation

(2) Subject to subsections (3) and (4), the amount of compensation shall be

(a) the market value, as determined by the Minister, that the animal would have had at the time of its evaluation by the Minister if it had not been required to be destroyed minus

(b) the value of its carcass, as determined by the Minister.

[30] Aux termes de l’article 56 de la Loi, tout propriétaire insatisfait de l’indemnité accordée en vertu de l’article 51 peut interjeter appel devant un évaluateur, lequel est nommé sous le régime de la partie II de la Loi sur l’indemnisation du dommage causé par les pesticides, LRC 1985, c P‑10 [la LIDCP]. Un juge de la Cour fédérale peut être désigné comme évaluateur en vertu de l’article 14 de la LIDCP. L’évaluateur peut ensuite désigner un évaluateur adjoint pour entendre et trancher tout appel, comme c’est le cas en l’espèce.

[31] Un appel d’une indemnité n’est pas un exercice de contrôle judiciaire. Il s’agit, en fait, d’un procès de novo sur la question de savoir si l’indemnité accordée par le ministre sous le régime de la Loi était raisonnable (Willow Hollow Game Ranch Ltd c Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2016 CF 343 [Willow Hollow] au para 8, citant la décision Ferme Siclo c Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2004 CF 871 au para 55). Le processus vise à offrir aux producteurs un moyen informel et rapide de contester une décision rendue en matière d’indemnisation (Willow Hollow, au para 8).

[32] Les appels se limitent aux questions relatives à l’insuffisance d’une indemnité, ou à la justification du refus d’en accorder une :

Appel

56 (1) Il peut être interjeté appel devant l’évaluateur soit pour refus injustifié d’indemnisation, soit pour insuffisance de l’indemnité accordée.

Appeal

56 (1) A person who claims compensation and is dissatisfied with the Minister’s disposition of the claim may bring an appeal to the Assessor, but the only grounds of appeal are that the failure to award compensation was unreasonable or that the amount awarded was unreasonable.

[33] L’évaluateur peut confirmer ou modifier la décision du ministre, ou renvoyer l’affaire à celui‑ci. Les frais relatifs à l’appel peuvent être accordés au ministre ou mis à sa charge :

Pouvoirs de l’évaluateur

57 (1) L’évaluateur qui entend l’appel peut confirmer ou modifier la décision du ministre ou renvoyer l’affaire à celui‑ci pour qu’il y soit donné suite de la manière que lui‑même précise.

Frais

(2) Les frais peuvent être accordés au ministre ou mis à sa charge.

Powers of Assessor

57 (1) On hearing an appeal, the Assessor may confirm or vary the Minister’s disposition of the claim or refer the matter back to the Minister for such further action as the Assessor may direct.

Costs

(2) Costs may be awarded to or against the Minister in an appeal.

[34] Les décisions de l’évaluateur ne sont pas susceptibles d’appel ou de révision (Loi, art 57(3)).

[35] Le critère applicable est la décision raisonnable (Ferme Avicole Héva Inc c Canada (Ministre de l’Agriculture), [1998] ACF no 1021 [Ferme Avicole Héva] au para 9). Comme l’a expliqué le juge Barry Strayer au paragraphe 2 de la décision Nelson c Canada (Ministre de l’Agriculture), [1991] ACF no 1003 :

[…] L’appel porte en fait sur la question de savoir si l’indemnité fixée par le ministre est « insuffisante », compte tenu vraisemblablement du critère établi à l’intention du ministre et en vertu duquel il doit déterminer l’indemnité qui, à son avis […] est égale à la juste valeur marchande que l’animal aurait eue immédiatement avant d’être détruit en application de la présente loi […]

[36] L’analyse ne se limite pas au prix offert par un vendeur; elle englobe aussi le prix que paierait un acheteur. Le coût de remplacement déprécié peut être une méthode d’évaluation raisonnable dans les cas où il n’existe aucun marché (Ferme Avicole Héva, aux para 31‑34).

[37] Aux termes de l’article 55 de la Loi, le ministre peut, par règlement, régir le mode de calcul de la valeur marchande des animaux qui, selon lui, sont difficilement commercialisables. Cette disposition lui permet de fixer les plafonds des valeurs marchandes ou leur mode de calcul pour l’application du paragraphe 51(3) ou de l’article 52 de la Loi :

Règlements

55 Le ministre peut, par règlement :

a) régir le mode de calcul de la valeur marchande des animaux difficilement commercialisables selon lui;

b) fixer les plafonds des valeurs marchandes des animaux ou des choses ou leur mode de calcul;

c) autoriser l’indemnisation pour frais de disposition — notamment par destruction — d’animaux ou de choses et fixer soit le montant de celle‑ci ainsi que le plafond, soit le mode de leur détermination.

Regulations

55 The Minister may make regulations

(a) respecting the method of calculating the market value of animals for which the Minister considers there is no readily available market;

(b) establishing maximum amounts, or the manner of calculating maximum amounts, for the purpose of subsection 51(3) or section 52; and

(c) permitting compensation for any costs related to the disposal of animals and things and for determining the amounts of the compensable costs, including maximum amounts, or a manner of calculating them.

[38] Le Règlement sur l’indemnisation en cas de destruction d’animaux, DORS/2000‑233 [le RIDA], prévoit ce qui suit à l’article 2 :

2 Pour l’application du paragraphe 51(3) de la Loi, la valeur marchande d’un animal qui est détruit ou qui doit l’être en application de l’alinéa 27.6(1)b) ou du paragraphe 48(1) de la Loi ne peut dépasser :

a) le montant prévu à la colonne 3 de l’annexe, pour tout animal visé à la colonne 1;

b) 30 $, dans tout autre cas.

2 For the purpose of subsection 51(3) of the Act, the amount that is established as the maximum amount with respect to an animal that is destroyed or required to be destroyed under paragraph 27.6(1)(b) or subsection 48(1) of the Act is

(a) if the animal is set out or included in column 1 of an item of the schedule, the amount set out in column 3 of that item; and

(b) in any other case, $30.

[39] L’annexe du RIDA fixe le plafond que le ministre peut verser par wapiti : 8 000 $ pour un mâle non castré (ou taureau) âgé d’un an ou plus, et 4 000 $ pour tout autre wapiti qui est visé par cette catégorie.

[40] Dans les cas où les renseignements relatifs au marché ne permettent pas de déterminer avec précision la valeur des animaux, divers indicateurs et hypothèses peuvent être utilisés de manière raisonnable à cette fin. Au paragraphe 265 de la décision Willow Hollow, le juge James Russell a écrit ce qui suit :

[…] même si une évaluation exacte n’était pas possible, il aurait paru raisonnable d’utiliser des indicateurs et des hypothèses pour évaluer les autres mâles, notamment :

i) l’âge;

ii) le poids des bois de velours;

iii) les permis de mouvement de cervidés;

iv) une comparaison selon la source;

v) la valeur des mâles de remplacement achetés après l’abattage intégral de 2014.

VIII. L’évaluation du ministre

[41] La méthode d’évaluation de M. Friedel, adoptée par la Dre Wayman, peut être résumée de la manière suivante.

A. Le regroupement en cohortes

[42] Les wapitis des Bergen ont été répartis en cohortes selon l’âge et le sexe. Les femelles ont été groupées en cinq cohortes selon leur âge :

Vaches adultes nées entre 2006 et 2013 – 25 animaux;

Vaches nées en 2014 (3 ans) – 11 animaux;

Vaches nées en 2015 (2 ans) – 20 animaux;

Vaches nées en 2016 (1 an) – 12 animaux;

Veaux (femelles) nés en 2017 – 13 animaux.

[43] Les mâles ont été groupés en sept cohortes selon leur âge :

Taureaux adultes nés entre 2004 et 2010 – 20 animaux;

Taureaux nés entre 2011 et 2015 (5 et 6 ans) – 9 animaux;

Taureaux nés en 2013 (4 ans) – 16 animaux;

Taureaux nés en 2014 (3 ans) – 14 animaux;

Taureaux nés en 2015 (2 ans) – 27 animaux;

Taureaux nés en 2016 (1 an – mâles immatures) – 4 animaux;

Veaux (mâles) nés en 2017 – 9 animaux.

B. La notation du poids des carcasses chaudes

[44] M. Friedel a examiné le poids des carcasses chaudes de chaque animal transporté de la ferme des Bergen à l’abattoir. Le poids individuel de chaque animal abattu a été consigné par l’Alberta Wapiti Products Co‑op [l’AWAPCO] et transmis à l’ACIA. Le poids des carcasses chaudes a été consigné en kilogrammes (kg), sauf dans deux cas : les animaux pour lesquels le résultat du dépistage de la MDC n’était pas positif.

C. La multiplication du poids de la carcasse chaude en kg par 11,50 $

[45] Le poids, en kg, de la carcasse chaude de chaque animal a été multiplié par 11,50 $. M. Friedel a déclaré que cette valeur constituait un point de départ utile, car il s’agissait du montant qu’un membre de l’AWAPCO aurait reçu si les animaux avaient été vendus pour la viande. (Le ministre note que les Bergen n’étaient pas membres de l’AWAPCO et qu’ils n’auraient peut‑être pas obtenu ce prix). Selon M. Friedel, le poids de la carcasse chaude en kg x 11,50 $ représentait une [traduction] « valeur indice initiale » pour les animaux.

D. Le contrat de l’AWAPCO

[46] L’AWAPCO a obtenu le droit d’acquérir et de vendre la viande des animaux abattus sur le marché des viandes exotiques après avoir participé à un processus d’appel d’offres en concurrence avec d’autres acheteurs potentiels. L’offre de l’AWAPCO était de 8,65 $ par kg. Une deuxième valeur d’abattage hypothétique pour la viande de chaque animal était donc le poids de la carcasse chaude, en kg, multiplié par 8,65 $.

[47] Dans le cadre du processus d’indemnisation de l’ACIA, ces montants ont été calculés pour chaque animal et payés directement aux Bergen par l’AWAPCO, à titre de versement initial de l’indemnisation. Les montants initiaux sont indiqués dans la décision d’octroi d’une indemnité sous « Carcass Value/Valeur de la carcasse ». Il ne s’agit pas de montants d’indemnisation, mais plutôt de paiements initiaux basés sur ce que le gouvernement a pu obtenir pour la viande auprès d’une entité du secteur privé.

E. L’estimation des poids vifs

[48] L’ACIA a voulu estimer la valeur des animaux comme s’ils étaient vivants, ce qui a nécessité un ajustement de la valeur des carcasses. Pour estimer le poids vif des animaux, le poids de la carcasse chaude a été converti de kilogrammes en livres, l’unité de mesure conventionnelle utilisée par l’industrie des wapitis. Le transport et l’abattage font perdre du poids aux animaux, ce qui nécessite l’utilisation d’un facteur de « freinte ». M. Friedel a déclaré qu’un facteur de freinte normal serait de 0,56. Par exemple, si le poids de la carcasse chaude d’un animal était de 300 livres (lb), son poids vif estimé serait de 536 livres (300/0,56 = 535,71).

[49] Un facteur de freinte plus généreux de 0,515 est parfois appliqué, ce qui donne une estimation plus élevée du poids vif. Avec l’exemple précédent, si le facteur de freinte est de 0,515, le poids vif estimé de l’animal serait de 583 lb (300/0,515 = 582,52). M. Friedel a estimé les poids vifs en utilisant ces deux facteurs de freinte, soit le facteur normal et le plus généreux.

F. L’absence de renseignements spécifiques aux animaux

[50] La note des ramures représente la somme de la longueur des bois, de la longueur des pointes, des circonférences et de l’écartement intérieur, et peut être utile pour estimer la valeur des wapitis adultes. Les Bergen n’ont pas fourni de note des ramures, ni pour les animaux abattus en raison du dépeuplement ni pour ceux qui avaient été vendus auparavant. Cela inclut les 12 mâles qui ont été vendus sur le marché de la chasse en 2017.

[51] Très peu de renseignements ont été fournis sur le prix d’achat des animaux individuels du troupeau des Bergen. Ces derniers n’ont fourni aucune information généalogique sur les animaux du troupeau, que ce soit par des tableaux ou autrement.

[52] Les Bergen ont fourni les registres des ventes globales de velours des cinq années précédant l’évaluation de la Dre Wayman, mais aucune quantité individuelle de production de velours pour les animaux abattus en raison du dépeuplement ou les animaux précédents des mêmes cohortes d’âge.

G. Les permis de déplacement des cervidés

[53] Les permis de déplacement des cervidés [les PDC] pour les animaux qui ont été emmenés jusqu’à la ferme des Bergen au cours des cinq années précédant l’évaluation de la Dre Wayman ont été pris en compte. Deux taureaux (AJRG52A et AJRG38A) avaient été acquis auprès de Golden Willow Elk Products à Clive, en Alberta, une entreprise connue pour la grande qualité de ses animaux. L’évaluation a accordé le maximum de 8 000 $ pour chacun de ces animaux. Selon les notes de la Dre Wayman, les mâles dont le numéro d’identification commence par SLBW ont été acceptés comme provenant de fermes offrant des animaux de grande qualité.

[54] Les PDC des animaux qui ont quitté la ferme des Bergen au cours des cinq années précédant l’évaluation de la Dre Wayman ont également été pris en compte. Toutes les femelles (100 %) avaient été vendues pour l’abattage (c’est‑à‑dire pour la viande). Aucune n’avait été vendue à d’autres fermes à des fins de reproduction ou autres. Soixante‑huit pour cent (68 %) des mâles avaient été vendus pour l’abattage, tandis que seulement 32 % avaient été vendus sur le marché de la chasse.

H. Les taux de gestation

[55] M. Friedel ne se souvenait pas d’avoir vérifié le nombre de femelles gravides abattues au moment du dépeuplement. Il a plutôt proposé un calcul approximatif des taux de gestation estimés pour l’année 2017 à partir des renseignements fournis par l’AWAPCO. Selon lui, 37 des 68 wapitis femelles qui avaient été abattus étaient raisonnablement susceptibles d’avoir été gravides à ce moment‑là. Il a donc estimé que le taux de gestation était de 57,3 %.

[56] La Dre Wayman a remarqué le faible poids des femelles, en particulier celles d’un an. Selon elle, avec un poids aussi faible, ces femelles n’auraient pas été en mesure de porter des veaux à terme.

I. Les indicateurs externes

[57] M. Friedel a orienté la Dre Wayman vers les résultats des ventes aux enchères semestrielles organisées par l’Alberta Elk Ranchers Association et exploitées par Gateway Auctions Ltd à Nisku, en Alberta, pour 2017 et 2018. Il l’a également référée aux [traduction] « prix payés de gré à gré » et aux [traduction] « prix […] payés dans les ventes de dispersion de troupeaux ».

[58] Selon le rapport d’évaluation de la Dre Wayman, les prix payés dans les ventes aux enchères en 2017 et 2018, l’évaluation de SERECON et les prix payés de gré à gré et dans les ventes de dispersion de troupeaux ont tous été pris en compte. Elle fait référence à une publication intitulée State of the Industry par J. Galbraith (Alberta Agriculture and Foresty, 23 mars 2018) [State of the Industry], et constate que [traduction] « l’industrie des wapitis est en déclin depuis 2006. » Elle poursuit : [traduction] « en Saskatchewan, l’industrie des wapitis a connu une diminution plus marquée des ventes de gré à gré, car les producteurs de la Saskatchewan ne peuvent pas exporter aux États‑Unis ».

J. L’évaluation des femelles

[59] L’évaluation des femelles a été réalisée en majorant les valeurs indices initiales à la hausse, à la centaine de dollars près. Cette méthode a été appliquée, quelle que soit la marge, grande ou petite. Le ministre note que les valeurs indices initiales étaient probablement plus élevées que ce que les Bergen auraient reçu s’ils avaient décidé de vendre leurs animaux pour l’abattage en l’absence de dépeuplement.

[60] L’évaluation des femelles tenait compte des cohortes auxquelles elles appartenaient. En général, la valeur des femelles d’un an a été estimée à un montant se situant entre 900 $ et 1 200 $; celles de deux ans, à un montant entre 1 100 $ et 1 700 $; celles de trois ans, à un montant entre 1 500 $ et 1 700 $. La valeur des femelles adultes a été estimée à un montant se situant entre 1 500 $ et 2 000 $.

K. L’évaluation des mâles

[61] Comme il a été mentionné plus haut, les taureaux de la plus haute qualité ont reçu la valeur réglementaire maximale de 8 000 $. L’évaluation des autres mâles a pris comme point de départ les valeurs indices initiales. Toutefois, la majoration de ces valeurs a donné des valeurs nettement plus élevées. Par exemple, le mâle adulte identifié comme [traduction] « échantillon numéro 126 » avait une valeur indice initiale de 2 128 $, alors que son évaluation d’indemnisation était de 3 500 $.

[62] L’évaluation a tenu compte du fait que 32 % des mâles avaient été vendus sur le marché de la chasse au cours des cinq années précédentes. L’évaluation des mâles a également tenu compte de la [traduction] « composante velours ». Les acheteurs et vendeurs de wapitis mâles considèrent souvent la production de velours prévue pour une année comme un facteur supplémentaire à la valeur d’abattage.

[63] La plupart des taureaux de deux ans ont été évalués à 1 800 $; ceux de trois ans ont généralement été évalués à 2 300 $; ceux de quatre ans, à 2 500 $; et ceux de cinq et six ans, à 3000 $. En général, les taureaux adultes (ceux de sept ans et plus) ont été évalués à 3 500 $.

[64] Comme pour les femelles, les évaluations ont tenu compte de la contraction de l’industrie, de la baisse de la demande et du manque d’accès au marché des États‑Unis ou de l’Alberta.

L. Les catégories spéciales d’animaux

[65] La valeur de certains animaux a dû être estimée séparément.

[66] Un vieux taureau, né en 2014, était trop faible pour être transporté de la ferme des Bergen jusqu’à l’abattoir. Selon le ministre, un animal qui ne peut pas être transporté n’a sans doute aucune valeur. L’ACIA a néanmoins accordé une indemnisation de 2 500 $ pour le taureau.

[67] Aucun poids n’a été consigné pour les veaux femelles ou mâles. L’AWAPCO n’a pas voulu les accepter, car ils n’avaient aucune valeur d’abattage. Celui qui achèterait ces veaux devrait les transporter jusqu’à une ferme, les garder pendant au moins un an (en assumant les frais connexes) avant de les vendre. Le coût du transport s’élèverait probablement à au moins 500 $ par animal, et le coût de l’alimentation à 500 $ de plus par animal, soit une dépense totale d’au moins 1 000 $. L’acheteur intéressé ne connaîtrait pas d’avance le poids des animaux après un an, ni leur valeur à l’abattage. Malgré que les veaux n’avaient peut‑être aucune valeur marchande réelle, l’ACIA a initialement accordé 500 $ pour chacun des veaux femelles et 800 $ pour chacun des veaux mâles. Après que les Bergen ont fourni des renseignements sur ce qu’ils avaient payé pour six veaux de remplacement, la valeur d’une femelle a été haussée à 800 $ et celle d’une autre à 1 000 $. La valeur d’un mâle a été haussée à 1 000 $ et celle d’un autre à 1 800 $.

[68] Alors que les Bergen sont d’avis que leurs veaux dépeuplés étaient de la même qualité génétique que les animaux de remplacement qu’ils ont achetés en août 2018, selon le ministre, cette affirmation n’est pas adéquatement appuyée par un témoignage d’expert (citant Alsager c Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2011 CF 1071).

[69] Deux mâles pour lesquels aucun poids n’a été consigné ont été évalués à 2 300 $ et 2 500 $ chacun, ce qui, selon le ministre, correspond aux autres animaux des mêmes cohortes.

IX. Les positions des parties

A. Les appelants

[70] Les Bergen reconnaissent que l’ACIA leur a demandé de faire un choix entre un évaluateur unique et le concept d’une équipe. Cependant, ils disent avoir clairement fait savoir à l’ACIA qu’ils ne prendraient la décision qu’après avoir été informés de la valeur fixée par l’ACIA. Selon eux, on ne leur a jamais expliqué que le recours à un évaluateur « unique » voulait dire que l’évaluation serait faite exclusivement par l’ACIA, et qu’ils renonçaient à la possibilité de présenter leur propre évaluation.

[71] Les Bergen soutiennent qu’il aurait fallu prendre en compte l’évaluation de M. Riach, basée sur le modèle économique, et qu’il aurait dû y avoir un dialogue avec l’ACIA pour fixer le montant précis de l’indemnité. La Dre Wayman les a amenés à croire que toutes les parties se rencontreraient et négocieraient. Selon eux, ils ont compris que la Dre Wayman recourait au concept d’une équipe jusqu’au moment où, à la fin de décembre 2019, elle a unilatéralement décidé qu’une rencontre n’était pas nécessaire.

[72] Les Bergen font valoir que M. Riach est un expert indépendant qui n’a aucun intérêt personnel dans l’industrie du wapiti. Il ne possède aucun animal, et le seul lien qu’il a avec l’industrie se fait par le truchement des informations qu’ils lui fournissent chaque année aux fins comptables.

[73] Les Bergen allèguent que l’ACIA a fait preuve de négligence en omettant de leur indiquer que l’évaluation établie par M. Riach était inacceptable. Ils disent qu’on aurait dû leur donner la possibilité de retenir les services d’un expert ou de procéder à une autre évaluation dans le cadre des paramètres prescrits par la Loi. Ils contestent le fait que la Dre Wayman s’est fondée sur les conseils obtenus de M. Friedel, ainsi que l’absence d’une possibilité de présenter leur propre évaluation fondée sur le marché.

[74] Les Bergen font valoir qu’étant donné que la Dre Wayman a reconnu ne pas être une spécialiste de l’industrie du wapiti ou du processus d’évaluation, et qu’elle s’est fiée presque entièrement à l’expertise de M. Friedel, l’évaluateur adjoint ne peut avoir aucune confiance en l’objectivité de la décision qu’elle a rendue. Ils reconnaissent que M. Friedel a eu beaucoup de succès dans l’industrie, mais affirment que ses opinions étaient presque exclusivement basées sur des statistiques de l’Alberta, du ouï‑dire et des affirmations non corroborées.

[75] Les Bergen disent que l’évaluation faite par M. Friedel reposait sur des données datant de 2019 et de 2020, et non de décembre 2017, date à laquelle le troupeau a été détruit. Ils affirment que cette évaluation était essentiellement le prix de la viande multiplié par le poids des carcasses. La taille de leurs wapitis, disent‑ils, était supérieure à la moyenne.

[76] Les Bergen font valoir que les déclarations générales de M. Friedel à propos des ventes commerciales sont contredites par les données relatives aux ventes réelles. M. Friedel n’a pas tenu compte de leur programme étendu d’abattage sélectif, ni reconnu la plus‑value des wapitis qu’ils avaient décidé d’élever dans leur ferme. M. Friedel a également omis de reconnaître la plus‑value des vaches gravides. Les Bergen signalent que les taux de grossesse des vaches dépeuplées n’ont pas été consignés, ce qui, disent‑ils, a été un grave oubli de la part de l’ACIA.

[77] Les Bergen remettent en question la déclaration de M. Friedel selon laquelle les veaux sont invendables, et ils disent que leur documentation confirme l’existence de ventes de veaux à la fois commerciales et de gré à gré. Ils ajoutent que l’affirmation de M. Friedel selon laquelle les wapitis de l’Alberta ont plus de valeur que ceux de la Saskatchewan, parce qu’il est possible d’exporter le wapiti albertain aux États‑Unis, n’est confirmée par aucun document. Au contraire, M. McClennon a déclaré dans son témoignage que le wapiti de la Saskatchewan jouissait d’un avantage sur le marché, parce que cette province compte des fermes de chasse, et pas l’Alberta.

[78] Les Bergen soutiennent que les valeurs que fixe le programme de stabilité agricole [Agri‑stabilité] sont les plus objectives. Toutes les différences de valeur signalées par les producteurs sont remises en question par les administrateurs du programme et doivent être vérifiées au moyen de reçus de vente et d’achat réels. Les chiffres du programme Agri‑stabilité représentent donc une [traduction] « mise en moyenne » transversale et véritablement indépendante des valeurs, selon l’âge et le sexe. Les valeurs du programme Agri‑stabilité sont admises par Revenu Canada et par la Saskatchewan Crop Insurance Corporation comme véridiques et exactes.

[79] Les Bergen disent qu’il ne faut pas fixer la valeur de leurs wapitis à des prix de « vente à tout prix » et à un moment précis dans le temps, mais plutôt par rapport à un marché ordinaire. Ils allèguent que M. Friedel a procédé à un calcul fondé sur un faux marché, ce qui l’a amené à nettement sous‑évaluer leurs wapitis et les empêche de remplacer le troupeau détruit.

[80] Les Bergen soutiennent que la Dre Wayman n’était pas en mesure de vérifier l’exactitude de l’évaluation de M. Friedel, et qu’elle aurait donc dû en obtenir une seconde à titre de [traduction] « test décisif », de manière à pouvoir déterminer l’exactitude de l’une ou l’autre des évaluations, ou des deux.

[81] Les Bergen disent qu’ils devraient être indemnisés pour 16 lb de bois de mâle immature, à un tarif de 50 $/lb, multiplié par 16 lb, soit un montant total de 800 $.

[82] Les Bergen demandent donc que l’on majore leur indemnité à 784 844 $, en prenant pour base les valeurs du programme Agri‑stabilité, plus la somme de 800 $ pour le velours de mâle immature. Il s’agit là, disent‑ils, d’une indemnité juste et raisonnable qui leur permettra de remplacer les animaux dépeuplés par des animaux dont les caractéristiques génétiques, le sexe et l’âge sont comparables.

B. L’intimé

[83] Le ministre fait valoir que les wapitis des Bergen, en tant qu’animaux vivants, n’étaient pas exportables vers le vaste marché des États‑Unis. Ils ne l’étaient pas vers l’Alberta non plus. Le seul marché dans lequel ils pouvaient être vendus se limitait à la Saskatchewan.

[84] Le ministre dit que, dans la mesure où les Bergen se fient aux prix de la vente de wapitis vivants à des enchères tenues en Alberta, ces prix ne sont pas des indicateurs fiables de la valeur de leurs animaux. Dans cette province, les prix sont généralement supérieurs, à cause de la différence d’accès au marché. En outre, les enchères semestrielles que tient l’Alberta Elk Ranchers’ Association comptent parfois des animaux de reproduction, c’est‑à‑dire des animaux d’une qualité exceptionnelle qui sont destinés à générer une progéniture née dans les fermes des acheteurs.

[85] Les enchères qui comportent des « ventes de dispersion », dans le cadre desquelles un éleveur vend des groupes d’animaux, parce qu’il a pris la décision de quitter l’industrie, peuvent être un indicateur plus utile. Cependant, même dans ces circonstances, il est possible que certains des animaux n’atteignent même pas l’offre de réserve. Le prix moyen auquel les animaux sont vendus peut donc ne pas être un bon indicateur de la véritable valeur marchande de tous les animaux appartenant à une cohorte particulière, vu la demande restreinte. Il est nécessaire de tenir compte à la fois de l’accès au marché et de la qualité des animaux au moment de prendre en considération les données concernant les ventes de dispersion en Alberta.

[86] Le ministre dit qu’étant donné que les wapitis de la Saskatchewan ont un accès facile au marché de la venaison, et cela inclut l’Alberta et les États‑Unis, les prix relatifs à l’abattage des wapitis sont des indicateurs de valeur utiles.

[87] Selon le ministre, dans le cas des femelles vivantes, un acheteur et un vendeur en Saskatchewan conviendront souvent de la valeur prévue de l’abattage plus 20 %. Quant aux mâles vivants, un acheteur et un vendeur peuvent prendre en considération la valeur de l’abattage plus la valeur d’une année de velours ayant poussé sur les bois. Le prix des mâles vivants peut également refléter la possibilité que certains de ces animaux puissent convenir à une vente sur le marché de la chasse, mais cela est difficile à évaluer.

[88] Les taux de grossesse et de sevrage dans le cas des femelles, ainsi que les données généalogiques pour les deux sexes, peuvent aussi être pris en compte, s’ils sont disponibles. Les frais de transport jusqu’à l’exploitation de l’acheteur et le coût futur de l’alimentation joueront également un rôle lors des négociations.

[89] Le ministre fait remarquer que, à l’exception du cas d’un mâle reproducteur et d’une femelle, les Bergen n’ont pas produit de reçus d’achat. Ils n’ont fourni aucun reçu de vente pour les animaux abattus. Ils ont toutefois produit une note manuscrite et des copies de bordereaux de dépôt bancaire pour la vente de 12 animaux sur le marché de la chasse en 2017. Ils ont fourni un dossier global au sujet du velours, mais pas de documents individuels.

[90] Le ministre dit que la Dre Wayman a travaillé en étroite collaboration avec M. Friedel, un éminent expert de l’industrie, qui l’a guidée et dirigée pendant tout le processus d’évaluation. La vaste connaissance du marché qu’avait M. Friedel a aidé la Dre Wayman à déterminer la valeur des animaux dépeuplés et à attribuer une indemnité pour chaque animal. Le poids et l’âge des animaux ont été utilisés comme indicateurs de valeur. Les PDC ont servi à déterminer les points d’origine et de destination des animaux qui avaient été vendus pendant les cinq années précédentes. Des documents relatifs à des ventes aux enchères ont été pris en considération dans la mesure où ils étaient utiles, tout comme des publications de l’industrie produites par des gouvernements. Toutes les informations que les Bergen ont fournies ont aussi été prises en compte.

[91] Le ministre soutient donc que l’évaluation des wapitis des Bergen était juste et raisonnable, et qu’elle représentait la valeur marchande des animaux dépeuplés.

X. Analyse

A. Le modèle économique

[92] Selon les Bergen, le modèle économique d’évaluation qu’a appliqué M. Riach, tout comme Serecon, est approprié, et la Dre Wayman aurait dû l’accepter. Ils sont conscients des plafonds d’indemnisation que prévoit la Loi, mais ils font valoir que cela n’empêche pas de recourir à des pratiques comptables ordinaires pour l’évaluation de leur troupeau. Ils ajoutent que M. Riach a produit un relevé bien documenté de la valeur de l’entreprise d’élevage de wapitis pour l’exploitation agricole des Bergen.

[93] Les Bergen soutiennent que l’évaluation qu’a établie Serecon, le propre expert de l’ACIA, était mieux présentée et plus détaillée que celle de M. Friedel. Cela ne veut pas dire qu’ils sont d’accord avec l’évaluation de Serecon, mais seulement que celle‑ci a tenu compte d’un éventail de facteurs plus large que celui de M. Friedel.

[94] Le modèle d’évaluation économique convient peut‑être bien dans le domaine de l’assurance ou pour le calcul des dommages dans une poursuite civile, mais il est bien établi que l’on ne peut s’en servir pour fixer une indemnité sous le régime de la Loi. La juge Danièle Tremblay‑Lamer a confirmé dans la décision Ferme Avicole Héva que, lorsqu’il est question de fixer l’indemnité à payer, la perte de profit ou de valeur pour le propriétaire n’est pas la même chose que la valeur marchande (au para 38) :

Il a été établi dans la jurisprudence que la valeur pour le propriétaire ne correspond pas à la juste valeur marchande et que l’indemnité n’avait pas pour but de compenser le propriétaire pour ses pertes de profits en le remettant dans la même situation avant l’abattage des animaux. […]

[95] La décision de la Dre Wayman de rejeter les rapports établis par M. Riach et Serecon était donc raisonnable. Je conviens avec le ministre que les rapports sont en grande partie non pertinents pour le présent appel.

B. Les valeurs du programme Agri‑stabilité

[96] Les Bergen soulignent les valeurs que le programme Agri‑stabilité a fixées pour les wapitis par cohorte, des valeurs qui, disent‑ils, représentent les entrées et les données combinées d’un grand nombre de producteurs. D’après eux, cela élimine tout élément subjectif de l’évaluation, et cela permet aux producteurs de recevoir une indemnité juste et raisonnable qui leur permettra de reconstituer leur troupeau en prenant pour base des valeurs moyennes.

[97] Peu d’éléments de preuve ont été produits à l’audience sur le programme Agri‑stabilité, ou sur la raison pour laquelle il évalue des animaux de ferme. Selon les observations finales en réponse du ministre, les valeurs que fixe ce programme n’ont rien à voir avec les indemnités prévues par la Loi. Le ministre se fonde sur l’extrait suivant, tiré du site Web du programme Agri‑stabilité :

Agri‑stabilité est l’un des programmes de gestion des risques de l’entreprise offert dans le cadre du Le [sic] Partenariat canadien pour l’agriculture. Il protège les producteurs canadiens contre les baisses importantes du revenu agricole attribuables notamment aux pertes de production, à la hausse des coûts et aux conditions du marché. Agri‑stabilité est un programme fondé sur des marges conçu pour aider les producteurs à gérer les baisses de revenu importantes. Chaque année, vous devez vous inscrire au programme, payer les droits exigés et soumettre un formulaire dans les délais requis.

[Non souligné dans l’original.]

[98] Le ministre dit que, contrairement au programme Agri‑stabilité, il n’y a aucune cotisation à payer pour obtenir une indemnité sous le régime de la Loi. Il fait donc valoir que cette indemnité est destinée par le législateur à accorder une réparation restreinte aux producteurs dont on détruit les animaux en raison du fait qu’ils sont infectés par une maladie déclarable. Le programme Agri‑stabilité est en fait un régime d’assurance qui compense les pertes économiques excédant la valeur marchande des animaux. Cela est à mettre en contraste avec l’indemnité que prévoit la Loi, qui se limite à la valeur marchande des animaux dépeuplés.

[99] Les éléments de preuve et les observations qui m’ont été fournis m’amènent à conclure que le programme Agri‑stabilité est un programme de gestion de risques d’entreprise qui vise à offrir une protection contre les baisses marquées des revenus agricoles par suite d’une perte de production, d’un hausse des coûts et des conditions du marché. L’évaluation des animaux dans ce contexte n’aide pas à évaluer la valeur marchande de ces animaux d’une manière conforme à la Loi.

C. La valeur marchande par opposition au coût de remplacement

[100] Les Bergen soutiennent que le processus d’évaluation et d’indemnisation devrait offrir aux producteurs la possibilité de repeupler leur ferme avec un [traduction] « produit semblable ». Ils disent que ce sont les animaux de remplacement qu’ils cherchent et qu’ils achètent qui confirment le plus précisément possible la valeur de leur troupeau dépeuplé.

[101] Selon les Bergen, le processus n’est pas aussi simple qu’une confirmation du prix de la viande à l’époque pertinente, comme on pourrait le faire pour déterminer la valeur de porcs ou de bovins commerciaux. Comme l’a dit M. Wehrkamp, [traduction] « un wapiti de boucherie est un wapiti de réforme ». Dans l’industrie du wapiti, l’abattage ne sert qu’à éliminer les wapitis qui n’ont plus de valeur pour la ferme. Cependant, l’industrie du wapiti repose sur les bois de ces animaux, et non sur leur viande. Pour ce qui est de déterminer la valeur du wapiti, les principaux facteurs sont la production de velours et les résultats relatifs au bois dur.

[102] Dans la décision Ferme Avicole Héva, la juge Tremblay‑Lamer a fait remarquer que le coût de remplacement déprécié pouvait être une méthode d’évaluation raisonnable, mais uniquement dans les cas où il n’existait aucun marché (aux para 31‑34). Dans le même ordre d’idées, dans la décision Willow Hollow, le juge Russell a conclu que la valeur des mâles non castrés de remplacement, achetés après un dépeuplement, pouvait être prise en compte, mais uniquement de pair avec l’âge, le poids des bois de velours, les PDC ainsi que des éléments de comparaison selon la source, entre autres indicateurs (à l’al 265h)).

[103] Je conclus donc que la valeur marchande ne permet pas nécessairement aux producteurs de repeupler entièrement leur ferme uniquement à l’aide des montants indemnisés. La Loi utilise invariablement l’expression « valeur marchande », pas « coût de remplacement ». La valeur marchande doit être déterminée au moment du dépeuplement du troupeau, et non en fonction du coût de l’obtention d’animaux de remplacement à un moment différent ou au sein d’un marché différent. Le coût de remplacement ne doit être pris en compte, de pair avec d’autres facteurs, que dans les cas où il n’existe aucun marché local pour les animaux dépeuplés. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

D. Les limites du marché de la Saskatchewan

[104] Les Bergen ne sont pas d’accord avec l’affirmation du ministre selon laquelle le marché du wapiti en Saskatchewan est restreint, du fait qu’on ne peut pas exporter d’animaux vivants en Alberta ou aux États‑Unis. Ils soutiennent qu’il existe un protocole d’exportation d’animaux vivants vers l’Alberta, mais que cette pratique est rare, parce que le marché albertain est généralement considéré comme autosuffisant. Ils reconnaissent qu’on ne peut pas exporter d’animaux vivants de la Saskatchewan aux États‑Unis.

[105] Dans ces observations finales, le ministre a fourni de nombreuses informations supplémentaires sur les restrictions juridiques visant l’exportation de wapitis vivants de la Saskatchewan vers l’Alberta. Les Bergen s’opposent à ces informations supplémentaires, qui, disent‑ils, auraient dû être présentées à l’audition de l’appel. Cependant, on leur a donné la possibilité de traiter de tout nouvel argument ou renseignement dans leurs observations écrites en réponse. En outre, il est bien reconnu qu’un tribunal peut prendre connaissance d’office de faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre personnes raisonnables, ou de faits dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable (R c Le, 2019 CSC 34 au para 84, citant R c Find, 2001 CSC 32).

[106] Le survol qu’a fait le ministre des restrictions imposées aux déplacements de wapitis de la Saskatchewan vers l’Alberta est joint aux présents motifs en tant qu’annexe A. Ce survol et les éléments de preuve produits à l’audience me convainquent que les restrictions juridiques provinciales ont pour effet pratique d’empêcher que des wapitis vivants de la Saskatchewan soient importés en Alberta à une fin autre que leur abattage immédiat pour la venaison. Les Bergen admettent qu’un wapiti vivant ne peut pas être exporté directement de la Saskatchewan vers les États‑Unis. J’accepte donc la prétention du ministre selon laquelle les producteurs de la Saskatchewan sont en grande partie exclus du marché de l’Alberta, de même que de celui des États‑Unis.

E. Les ventes vérifiées

[107] Les Bergen soutiennent que, indépendamment des restrictions en matière d’exportation, la valeur du wapiti de la Saskatchewan est la même que pour celui de l’Alberta. Ils se fient à des documents portant sur les ventes d’animaux vivants en Alberta et sur les ventes de gré à gré en Saskatchewan qui, disent‑ils, montrent que les montants payés dans les deux provinces se situent dans la même fourchette de prix. Cela s’applique, peu importe que les wapitis soient des veaux, des vaches ou des taureaux.

[108] M. McClennon et M. Bergen ont tous deux déclaré dans leur témoignage que la Saskatchewan était un marché avantageux pour les taureaux destinés à la chasse. L’Alberta n’a pas de ranchs de chasse et, de ce fait, les producteurs de cette province ne peuvent avoir accès au précieux marché de la chasse qu’en vendant des animaux en Saskatchewan ou aux États‑Unis. M. McClennon est un producteur albertain qui a souvent déplacé des animaux en Saskatchewan pour le marché de la chasse. D’autres producteurs de l’Alberta, dont M. Friedel, ont vendu des taureaux sur le marché de la chasse de la Saskatchewan, aux prix pratiqués dans cette province. Selon les Bergen, si le marché des États‑Unis revêtait une plus grande valeur, les producteurs de l’Alberta feraient vraisemblablement fi du marché de la Saskatchewan et vendraient exclusivement leurs animaux aux États‑Unis.

[109] Les Bergen soutiennent que la détermination d’une valeur exige des données à l’appui qui soient concrètes et vérifiables. Le ministre, ajoutent‑ils, n’a produit aucun document pour appuyer l’argument selon lequel les prix du wapiti en Alberta étaient supérieurs à ceux de la Saskatchewan. Il n’a pas non plus fourni de document montrant que les prix étaient plus élevés aux États‑Unis. M. Friedel n’a pas corroboré son témoignage au moyen de reçus, et il a fourni peu de détails sur les différences de prix qu’il alléguait entre la Saskatchewan, l’Alberta et les États‑Unis.

[110] Les Bergen exposent les différences entre ce qu’ils décrivent comme les opinions non corroborées de M. Friedel et leurs reçus de vente, qui émanent de plusieurs fermes. Ils disent que ces documents étayent la valeur supérieure des taureaux de chasse en Saskatchewan.

[111] Le ministre signale que M. Friedel a déposé en tant que témoin expert, et qu’aucune objection n’a été formulée à l’égard de ses titres de compétence ou de son impartialité. M. Friedel a fourni des données qui reposent sur sa connaissance personnelle des ventes de wapitis en Saskatchewan, en expliquant qu’il n’avait pas l’autorisation des acheteurs et des vendeurs pour produire les véritables reçus. Sa connaissance personnelle des ventes de wapitis s’étendait également à l’Alberta. Il a déjà occupé le poste de représentant de l’Alberta auprès d’une organisation nationale d’éleveurs de wapitis, et c’est à ce titre qu’il a acquis une partie de son savoir sur le marché dans les deux provinces. Il a pu témoigner sur le déplacement d’animaux vivants de l’Alberta vers la Saskatchewan, ainsi que sur les déplacements de l’Alberta vers les États‑Unis.

[112] M. Friedel ne s’est pas présenté en personne à la ferme des Bergen, mais il a examiné avec soin la preuve limitée relativement aux caractéristiques particulières du troupeau, dont les données moyennes concernant les bois de velours des mâles, les taux de grossesse et de reproduction des femelles, ainsi que les poids des animaux. Il a ensuite appliqué ses connaissances relatives aux normes et aux pratiques de l’industrie pour obtenir des évaluations de la valeur marchande au moment de l’abattage.

[113] Dans le présent appel, les Bergen ont fourni d’autres renseignements généalogiques supplémentaires sur les animaux de leur troupeau, dont des documents relatifs à leurs pedigrees. M. Friedel a eu la possibilité de commenter ces renseignements supplémentaires. Il a déclaré qu’en fin de compte le pedigree n’était pas important : ce qui compte, c’est la performance, c’est‑à‑dire le poids et la production. C’est donc dire que les nouveaux renseignements généalogiques n’ont pas changé ses conclusions.

[114] Les Bergen s’opposent au fait que M. Friedel [traduction] « a semblé avoir des données sur les poids des bois de velours que personne d’autre ne détenait » et ils disent qu’il doit avoir [traduction] « deviné » ces poids en se fondant sur ses propres suppositions. M. Friedel a eu la possibilité de faire part de ses commentaires sur les données supplémentaires relatives aux poids des bois de velours que les Bergen ont fournies dans le cadre du présent appel. Il a déclaré que ces données ne changeaient pas ses conclusions.

[115] Les Bergen citent les prix de vente moyens de wapitis vendus lors de quatre enchères publiques semestrielles organisées par l’Alberta Elk Ranchers Association et exploitées par Gateway Auctions Sales, à Nisku, en Alberta. Ils ont produit des documents relatifs aux enchères tenues le 17 février 2017, le 11 août 2017, le 16 février 2018 et le 10 août 2018. Ces documents incluaient les prix de vente moyens d’animaux issus de cohortes différentes. Les Bergen ont calculé les [traduction] « moyennes de moyennes » ou les [traduction] « moyennes nettes » des quatre ventes pour les différentes cohortes, qui, disent‑ils, représentent les valeurs marchandes des cohortes correspondantes que comportait leur troupeau.

[116] Le ministre dit que les Bergen n’ont pas appliqué cette méthodologie de manière constante et qu’ils ont substitué des estimations de prix approximatives dans le cas des années où aucun animal issu d’une cohorte particulière n’avait été vendu à une enchère. Quoi qu’il en soit, le ministre soutient qu’en raison des restrictions en matière d’exportation, les enchères semi‑annuelles qui ont lieu à Nisku, en Alberta, ne reflètent pas le marché du wapiti en Saskatchewan. De plus, les enchères tenues en Alberta servent souvent à vendre des animaux de première qualité, destinés à la reproduction. Le ministre signale que les Bergen n’ont jamais vendu d’animaux leur appartenant aux enchères tenues en Alberta. En fait, les wapitis des Bergen ne pouvaient pas être déplacés dans cette province pour y être vendus en tant qu’animaux vivants. C’est donc dire qu’on ne peut pas comparer le bassin des éventuels acheteurs des animaux des Bergen au bassin des éventuels acheteurs d’animaux vendus aux enchères en Alberta.

[117] Comme nous l’avons vu plus tôt, l’évaluation de la Dre Wayman tient bel et bien compte des prix obtenus aux enchères tenues en 2017 et en 2018, et surtout lors des ventes de dispersion. Cependant, une part importante des animaux, lors des ventes de dispersion, n’ont pas attiré l’offre minimale ou de « réserve ». La Dre Wayman n’a donc pas été convaincue que même les ventes de dispersion reflétaient la valeur caractéristique d’un animal particulier au sein d’une cohorte particulière.

[118] Dans quelques cas, les valeurs moyennes obtenues lors d’une enchère s’appliquaient à des animaux qui ne présentaient pas les caractéristiques du troupeau des Bergen. Par exemple, les prix de vente moyens des femelles nées en 2016 n’étaient disponibles que pour deux enchères seulement : le 11 août 2017 et le 10 août 2018. Ces chiffres ont produit un prix de vente moyen de 1 537,50 $ par animal. La Dre Wayman a toutefois fait remarquer que le poids des carcasses chaudes des femelles d’un an des Bergen était [traduction] « très bas » et qu’il était [traduction] « très peu probable qu’elles auraient pu concevoir et porter un veau à terme ». Le ministre fait donc valoir que les femelles d’un an dépeuplées des Bergen n’étaient pas de la même qualité que celle des animaux vendus aux enchères en Alberta.

[119] Pour les femelles nées avant 2011, les Bergen ont avancé le concept des [traduction] « super‑femelles », c’est‑à‑dire celles qui ont de bons antécédents de vêlage, un bon tempérament et qui sont capables de produire beaucoup de lait pour leurs veaux. Le ministre dit qu’aucune preuve objective n’étaye l’affirmation des Bergen, à savoir que certains animaux de leur troupeau étaient des [traduction] « super‑femelles ».

[120] Les Bergen ont fourni les renseignements suivants sur les taureaux prêts pour la chasse qu’ils avaient vendus entre 2014 et 2017 :

[traduction]
Année Chasse Abattage

2014 3 (100 %) 0 (0 %)

2015 2 (6 %) 31 (94 %)

2016 9 (23 %) 30 (77 %)

2017 12 (100 %) 0 (0 %)

[121] Les Bergen signalent qu’en 2017, la totalité (100 %) des ventes se composait de taureaux destinés à la chasse. Ils disent que cela confirme qu’ils ont pris de sérieuses mesures de réforme en 2015 et en 2016, et qu’ils ont trié le troupeau de manière à se concentrer principalement sur le marché des taureaux destinés à la chasse. À mon avis, le nombre des ventes est trop bas, et la période trop courte, pour pouvoir inférer quoi que ce soit de valable au sujet du rapport entre les taureaux destinés à la chasse et les animaux destinés à l’abattage, dans l’exploitation agricole des Bergen, au cours de la période applicable.

[122] Les Bergen affirment que tous les wapitis mâles âgés de cinq ans ou plus devraient être considérés comme [traduction] « prêts pour la chasse » et que leur valeur devrait être fixée en prenant pour base les ventes antérieures sur le marché de la chasse. Le ministre dit que cela ne concorde pas avec les propres relevés des ventes des Bergen, lesquels donnent à penser que 32 % de leurs taureaux, tout au plus, ont été vendus sur le marché de la chasse au cours des cinq années antérieures à la date de l’évaluation.

[123] Sur les 12 taureaux vendus en 2017, tous étaient âgés de 9 ans ou de 10 ans. Quatre taureaux vendus en 2016 étaient âgés de 9 ou 10 ans. Deux autres, eux aussi vendus en 2016, étaient âgés chacun de 14 ans. Les relevés relatifs aux deux taureaux vendus en 2015 n’indiquent pas leur âge. Le ministre conteste donc la prétention des Bergen selon laquelle tous les mâles de leur troupeau qui étaient âgés de cinq ans ou plus devraient être évalués comme s’ils étaient prêts pour la chasse. Les animaux vendus sur le marché de la chasse étaient en général nettement plus âgés.

[124] La Dre Wayman a déclaré dans son témoignage que l’exercice d’évaluation avait tenu compte de la diminution constante et marquée des ventes d’animaux de gré à gré, comme en font foi les PDC. Selon la publication State of the Industry, [traduction] « en Saskatchewan, l’industrie des wapitis a connu une diminution plus marquée des ventes de gré à gré, car les producteurs de la Saskatchewan ne peuvent pas exporter aux États‑Unis ».

[125] Je conclus donc que la preuve que les Bergen ont fournie au sujet des ventes vérifiées, d’animaux de leur ferme ou d’ailleurs, est insuffisante pour réfuter le témoignage d’expert de M. Friedel sur la juste valeur marchande de leur troupeau. Les critiques qu’ils formulent à propos de la méthodologie employée par M. Friedel reviennent à « critiquer depuis les gradins », plutôt qu’à fournir un compte rendu indépendant et exhaustif des valeurs marchandes en Saskatchewan à l’époque pertinente (Astrazeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 322 au para 298).

F. La crédibilité de M. Friedel

[126] En fin de compte, le caractère raisonnable de l’évaluation du troupeau que le ministre a effectuée dépend dans une très large mesure de la crédibilité de M. Friedel. Ayant jugé que les rapports de M. Riach et de Serecon étaient peu utiles, la Dre Wayman s’est fiée presque entièrement à M. Friedel pour l’évaluation de toutes les cohortes d’âges, mâles et femelles, et du fait de savoir si les animaux devaient être considérés comme prêts pour la chasse, comme reproducteurs ou comme convenant uniquement à l’abattage. Le ministre continue de se fonder sur le témoignage de M. Friedel dans le cadre du présent appel.

[127] M. Wehrkamp a reconnu que M. Friedel jouissait d’une [traduction] « formation et d’antécédents exceptionnels » et qu’il avait acquis une place éminente dans l’industrie du wapiti en Alberta et ailleurs. M. Wehrkamp a dit des animaux de M. Friedel qu’ils se trouvaient dans une ligue à part. Il a également loué ses [traduction] « antécédents remarquables au sein de l’industrie ».

[128] M. Friedel a déjà été rémunéré pour les travaux qu’il avait faits dans le cadre d’évaluations menées par l’ACIA, mais il n’a rien reçu pour le travail qu’il a accompli en l’espèce. Il a admis avec franchise qu’il n’appréciait pas l’idée de témoigner dans le présent appel. Il a déclaré qu’il ne remettait pas en question la documentation limitée que les Bergen avaient fournie au sujet des ventes de leurs animaux et que, dans toute la mesure du possible, il leur avait accordé le bénéfice du doute en vue de majorer la valeur de leur troupeau.

[129] Je n’hésite aucunement à accepter le fait que M. Friedel est un expert hautement qualifié dans l’industrie du wapiti en Alberta, en Saskatchewan et ailleurs. Il a témoigné avec franchise, et était manifestement mal à l’aise à l’idée qu’une bonne part de son témoignage n’aiderait pas les Bergen dans le cadre de leur appel. Je suis convaincu que son témoignage était impartial et mûrement réfléchi et que son fondement factuel était suffisant pour qu’il soit fiable.

[130] Par contraste, M. Wehrkamp a joué un double rôle dans le présent appel. Il était à la fois le représentant des Bergen et leur principal témoin expert. Il avait joué un double rôle semblable dans l’affaire Willow Hollow, et les réserves qu’a émises le juge Russell quant à cette démarche sont toutes aussi pertinentes en l’espèce (aux para 54, 56) :

[…] L’intimé ne s’est pas opposé au double rôle joué par M. Wehrkamp — ce qui peut avoir un certain sens dans le contexte d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi — mais, en examinant la preuve et les arguments avancés par M. Wehrkamp, la Cour doit garder à l’esprit qu’il agit à la fois comme témoin et comme représentant de l’appelant. […]

Rien ne me porte à croire que M. Wehrkamp a témoigné autrement qu’en toute sincérité, mais son double rôle de témoin et de défenseur des intérêts porte à des chevauchements qui obligent la Cour à envisager la preuve que présente l’appelant avec un œil très prudent, pour s’assurer que les critiques sévères exprimées à l’endroit de l’ACIA […] reposent sur des éléments probatoires objectifs.

[131] Bien que je ne mette pas en doute la sincérité des témoins appelés pour le compte des Bergen, dans les cas où leur témoignage diffère, c’est celui de M. Friedel que je privilégie.

XI. Conclusion

[132] Comme l’a fait remarquer le juge Russell dans la décision Willow Hollow, la MDC eut avoir des conséquences économiques et émotionnelles dévastatrices pour le producteur. La reconstitution du troupeau de wapitis après l’abattage est un long processus, qui peut nécessiter des années de dur labeur et beaucoup d’ingéniosité, d’expérience et d’endurance mentale et physique (Willow Hollow, au para 2).

[133] Le régime d’indemnisation que prévoit la Loi n’est pas exhaustif, et, souvent, il ne couvre pas la totalité des pertes subies à la suite d’une éclosion de MDC. Les producteurs sont appelés à supporter un fardeau général sans, souvent, avoir commis de faute, et c’est pourquoi une certaine forme d’indemnisation est justifiée. Toutefois, le Trésor public est sollicité de toutes parts, et le législateur a décidé de limiter l’indemnisation accordée au titre de la Loi (Willow Hollow, aux para 3 et 4).

[134] L’issue du présent appel est fonction de la nature et de la qualité de la preuve présentée, et cela inclut les témoignages d’experts. Pour les raisons expliquées plus haut, j’ai conclu que l’évaluation établie par M. Friedel était impartiale, mûrement réfléchie et appuyée par les faits. Je conclus donc que l’évaluation, par le ministre, du troupeau des Bergen était juste et raisonnable.

[135] Les Bergen ont soulevé des préoccupations légitimes quant au manque d’occasions de prendre part au processus d’évaluation qui s’est soldé par l’avis d’indemnisation daté du 9 janvier 2019. Le présent appel, qui s’est déroulé comme une audition de novo, a remédié aux lacunes procédurales du processus d’évaluation initial, mais ces lacunes sont suffisamment sérieuses pour priver le ministre d’une adjudication de dépens.


JUGEMENT

L’ÉVALUATEUR ADJOINT STATUE :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


ANNEXE A

[TRADUCTION]

EXTRAIT DES OBSERVATIONS ÉCRITES FINALES

DU PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

SUR LES RESTRICTIONS RELATIVES AUX DÉPLACEMENTS DES WAPITIS DE LA Saskatchewan VERS L’ALBERTA

  1. Il semble que l’Alberta, consciente de la nature endémique de la MDC en Saskatchewan et soucieuse de préserver l’accès de ses wapitis aux marchés des États‑Unis, a pris des mesures énergiques pour adopter des dispositions législatives destinées à tenter d’enrayer la propagation de la maladie dans la province. Ces dispositions semblent agir en pratique comme une interdiction de déplacer des wapitis de la Saskatchewan vers l’Alberta.

  2. Le déplacement de wapitis de la Saskatchewan vers l’Alberta est réglementé par un système de permis créé par la loi intitulée Livestock Industry Diversification Act (la LIDA) [1] [Loi sur la diversification de l’industrie du bétail] et le règlement qui l’accompagne, intitulé Domestic Cervid Industry Regulation (le Règlement DCI) [2] [Règlement sur l’industrie des cervidés indigènes], lesquels sont tous deux mis en application par le truchement de stricts protocoles d’importation.

  3. Aux termes de la LIDA et du Règlement DCI, les wapitis sont considérés en Alberta comme des « animaux d’élevage diversifiés » :

LIDA

Interprétation

1.1 (m.2) « animal d’élevage diversifié actuel » Animal d’une espèce prescrite par le lieutenant‑gouverneur en conseil et n’appartenant pas à la Couronne, à la Couronne du chef du Canada ou à un propriétaire privé qui en assure les soins aux termes d’un permis, au sens de la loi intitulée Wildlife Act [Loi sur la faune], qui est identifié et enregistré et qui se trouve en un lieu d’élevage en Alberta, mais à l’exclusion de l’une quelconque de ses parties exuviées […]

Règlement DCI

Définition d’un « animal d’élevage diversifié actuel » dans la Loi

6 Les espèces d’animaux qui suivent sont établies en tenant compte de l’alinéa 1(1)m.2) de la Loi :

[…]

d) wapitis […]

  1. La LIDA fixe de strictes mesures de contrôle concernant la possession d’animaux d’élevage diversifiés et l’exploitation des fermes connexes :

  • a) Une licence ou un permis est nécessaire pour posséder un animal d’élevage diversifié (LIDA, art 18.02);

  • b) Un permis est nécessaire pour transporter un animal d’élevage diversifié à l’extérieur d’une ferme d’animaux d’élevage diversifiés (LIDA, art 18.1);

  • c) Un « animal d’élevage diversifié actuel » doit être identifié et enregistré (LIDA, art 1.1m.2));

  • d) Tout animal d’élevage diversifié éventuel doit lui aussi être identifié et enregistré (LIDA, art 11);

  • e) Les exploitants d’une ferme d’animaux d’élevage diversifiés doivent détenir une licence (LIDA, art 4(1)).

  1. La LIDA accorde de vastes pouvoirs au ministre de l’Agriculture et des Forêts. Celui‑ci peut assortir de conditions la licence d’exploitation d’une ferme d’animaux d’élevage diversifiés en vertu du paragraphe 6(4) de la Loi. L’article 3 confère au ministre, ou au directeur (un employé de l’État désigné par le ministre comme directeur), des pouvoirs discrétionnaires d’une grande portée :

Conditions applicables aux permissions et autres

3(1) Une permission, une ordonnance ou une autre décision du ministre ou du directeur sous le régime de la présente Loi, y compris un permis, peut être assujettie aux conditions que le ministre ou le directeur juge appropriées.

(2) Nul ne peut contrevenir à une condition imposée en vertu du paragraphe (1).

  1. Un autre aspect des pouvoirs que la LIDA confère au ministre est l’exercice d’un contrôle sur les animaux d’élevage diversifiés éventuels qui proviennent de l’extérieur de l’Alberta. L’importation de tels animaux dans la province exige expressément un permis du ministre, aux termes de l’article 10.1 et du paragraphe 19(1) :

Permis – délivrance, autres options et conditions applicables

10.1(1) Le ministre peut délivrer un permis autorisant une activité prescrite qui constituerait ou est susceptible de constituer par ailleurs une infraction à la Loi.

[…]

(3) Plutôt que de délivrer un permis, le ministre peut prévoir par règlement l’octroi d’un permis, d’une licence ou d’un autre type de permission en vertu d’autres dispositions législatives de l’Alberta ou d’un autre ressort à titre d’autorisation de l’activité mentionnée au paragraphe (1).

(4) Le paragraphe 6(4) s’applique à un permis tout comme il s’applique à une licence, et nul ne peut contrevenir à ses conditions.

[…]

Importation et exportation

19(1) Sauf dans la mesure prévue, il est interdit d’importer en Alberta un éventuel animal d’élevage diversifié vivant, à moins que son importation soit expressément autorisée par un permis.

[…]

  1. Ces dispositions de la LIDA sont clarifiées par le paragraphe 17(1) du Règlement DCI :

Permis – Dispositions générales

17(1) Les permis qui peuvent être délivrés sous le régime de la Loi, pour l’application du paragraphe 10.1(1) de cette dernière, sont :

a) les permis d’importation autorisant l’importation en Alberta d’éventuels cervidés indigènes vivants appartenant aux espèces précisées dans les permis […]

  1. Le directeur, ou un inspecteur nommé par le ministre, jouit également d’importants pouvoirs d’enquête, sous le régime de la LIDA, afin de s’assurer que l’on respecte les dispositions de la Loi :

Entrée et inspection

26(1) Le directeur ou un inspecteur peut, sans mandat, entrer à toute heure raisonnable :

a) soit en tout lieu, autre que l’aire de vie d’un logement privé, utilisé en lien avec l’exploitation d’une ferme,

b) soit dans tout véhicule que le directeur ou l’inspecteur a des motifs raisonnables et probables de croire sert — ou a servi — à transporter des animaux d’élevage diversifiés, en vue d’inspecter les lieux ou le véhicule ou tout animal qui s’y trouve, ou tout document que la Loi exige d’être conservé.

(2) Si le directeur ou un inspecteur a des motifs raisonnables et probables de croire qu’il y a, dans l’aire de vie d’un logement privé, une preuve d’infraction à la Loi, il peut obtenir un mandat pour entrer dans ce logement privé en vue d’inspecter cette aire de vie ou tout animal qui s’y trouve, ou tout document que la Loi exige d’être conservé.

  1. Toute infraction visée au paragraphe 19(1) est assortie d’une amende d’un montant maximal de 50 000 $ ou d’une période d’emprisonnement de 12 mois (LIDA, art 30a)).

  2. La LIDA et le Règlement DCI créent ainsi un solide programme réglementaire qui vise à contrôler le déplacement des cervidés, tant vers l’Alberta qu’à l’intérieur de son territoire. L’obligation d’obtenir un permis d’importation au titre du paragraphe 19(1) de la LIDA et du paragraphe 17(1) du Règlement DCI semble être le fondement des stricts protocoles d’importation que le gouvernement de l’Alberta a adoptés depuis septembre 2004.

  3. Le ministère de l’Agriculture et des Forêts de l’Alberta se sert manifestement des vastes pouvoirs que lui confèrent la LIDA et le Règlement DCI pour énoncer les exigences pratiques qui s’appliquent à l’importation des cervidés dans la province. Le document intitulé Requirements for Movement of Farmed Cervids from Canada and the United States into the Province of Alberta [Exigences relatives aux déplacements de cervidés d’élevage du Canada et des États‑Unis vers la province de l’Alberta], daté du 13 mai 2004, a été présenté par l’intimé dans le cadre de son « Fourth Notice of Intention » [Quatrième avis d’intention] daté du 23 mars 2021, à l’onglet 2. Cette publication émane du DKeith Lehman de l’Office of the Provincial Veterinarian. Il est allégué qu’il s’agit de l’exercice concret, par l’Alberta, des pouvoirs que le législatif a conférés à l’exécutif. Ce document semble énoncer les exigences à remplir en vue d’obtenir un permis d’importation de cervidés d’élevage à une fin autre qu’un abattage immédiat [3] . Il a été fait référence à ce document lors du témoignage de Bruce Friedel au cours du contre‑interrogatoire mené par le représentant des appelants.

  4. Les protocoles énoncés dans Requirements for Movement of Farmed Cervids from Canada and the United States into the Province of Alberta autorisent ou interdisent l’importation de cervidés vivants, suivant la classification de la zone d’exportation (soit la province d’origine, soit une sous‑unité de la province). Les zones sont considérées comme à risque élevé pour la MDC si, pendant les trois années précédentes, il y a eu un manque de surveillance acceptable à l’égard de cette maladie ou une absence de protocole de réponse acceptable. Il est strictement interdit d’importer des cervidés vivants qui proviennent d’une zone à risque élevé. Les zones à risque moyen sont celles où la MDC est présente au sein des populations locales de cervidés en liberté. Cette situation peut s’appliquer à la Saskatchewan vu la nature endémique de la maladie dans la province. Il est possible d’obtenir un permis si les cervidés vivants viennent d’une zone à risque moyen, mais ce permis peut être assujetti à une longue liste de conditions atténuantes relevées au niveau des zones et des fermes.

  5. Ce sont les exigences à grande portée que précisent les protocoles qui ont pour effet pratique d’empêcher que les wapitis de la Saskatchewan entrent en Alberta à une fin autre qu’un abattage immédiat pour la venaison. Cela a pour effet d’exclure les producteurs de la Saskatchewan du marché de l’Alberta, tout comme ils sont exclus du marché des États‑Unis. Ce fait a une incidence marquée sur la détermination de la juste valeur marchande du wapiti de la Saskatchewan.


APPEL INTERJETÉ DEVANT L’ÉVALUATEUR

EN VERTU DE LA LOI SUR LA SANTÉ DES ANIMAUX

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

P‑1‑19

 

INTITULÉ :

VICTOR BERGEN ET CHRIS BERGEN c LE MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’AGROALIMENTAIRE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR vidÉoconfÉrence ENTRE GRONLID (SASKATCHEWAN), saskatoon (saskatchewan), ET ottawa (ontario)

DATES D’AUDIENCE :

LES 29, 30 ET 31 MARS 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 11 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Randy Wehrkamp

 

POUR LES APPELANTS

Stephen McLachlin

Cody Francon

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR L’INTIMÉ

 

 



[1] RSA 2000, c L‑17 (la LIDA)

[2] Alta Reg 188‑2014 (le Règlement DCI)

[3] Ne pas confondre ce document avec le protocole distinct qui s’applique aux cervidés destinés à un abattage immédiat; il s’intitule Import Protocol for Farmed Elk, White‑tailed Deer and Mule Deer from Saskatchewan to Approved Registered Abattoirs in Alberta FOR SLAUGHTER ONLY [Protocole d’importation de wapitis, de cerfs de Virginie et de cerfs mulets d’élevage de la Saskatchewan vers des abattoirs agréés approuvés en Alberta POUR L’ABATTAGE SEULEMENT] et peut être consulté à : https://www.alberta.ca/assets/documents/af‑import‑protocol‑for‑saskatchewan‑cervids‑for‑slaughter.pdf [en anglais].

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.