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Date : 20210805


Dossier : IMM-2690-19

Référence : 2021 CF 823

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 août 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

ARIF BASHIROV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Arif Bashirov, est un citoyen de l’Azerbaïdjan âgé de 63 ans. Il est arrivé au Canada en mai 2016 et a demandé l’asile au motif qu’il risque d’être persécuté par le gouvernement azerbaïdjanais en raison de son activisme politique au sein du Parti démocrate d’Azerbaïdjan (PDA), un parti d’opposition. Le demandeur a affirmé s’être joint au parti en 2012 et avoir occupé des postes de plus en plus importants au cours des quatre années suivantes. Il a soutenu avoir perdu son emploi d’ingénieur en raison de son engagement politique et avoir été détenu et torturé pour la même raison. Il a obtenu un visa pour entrer aux États‑Unis et, après un bref séjour dans ce pays, il est entré illégalement au Canada et a demandé l’asile.

[2] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a entendu la demande du demandeur au cours de trois séances distinctes entre mars et juillet 2017. Le 24 juillet 2017, la SPR a rendu ses motifs oralement et a rejeté la demande d’asile du demandeur.

[3] Le demandeur a interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la CISR. Dans ses motifs datés du 29 mars 2019, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[4] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs qui suivent, la demande doit être rejetée.

[5] Il est bien établi que la décision de la SAR sur le fond doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au para 35). Le caractère approprié de cette norme de contrôle a été confirmé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.

[6] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable. Afin de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue « qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). La Cour doit « être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable » (ibid.).

[7] La question déterminante pour la SPR était le manque de crédibilité du demandeur. La SPR a fondé sa conclusion défavorable sur les facteurs suivants :

  • Comportement : La SPR a conclu que le comportement du demandeur a miné sa crédibilité parce qu’il n’a pas répondu aux questions avec franchise. La SPR a conclu que le demandeur semblait dérouté par une série de questions qui n’auraient pas dû poser problème si, comme il le soutenait, il avait parlé de son expérience personnelle.

  • Omission de demander l’asile aux États‑Unis : En 2016, le demandeur a séjourné aux États‑Unis pendant environ deux semaines avant d’entrer au Canada et il n’y a pas demandé l’asile. La SPR a conclu que l’explication du demandeur selon laquelle sa demande d’asile aux États‑Unis serait rejetée était déraisonnable. Elle a tiré une conclusion défavorable pour ce motif. La SPR a également tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’a pas produit son visa américain.

  • Documents frauduleux : La SPR a conclu que les timbres figurant sur les lettres de la police présentées par le demandeur n’étaient pas authentiques puisqu’ils avaient été numérisés par ordinateur. La SPR a tiré la même conclusion en ce qui concerne une carte de membre du PDA et une lettre du parti. Par conséquent, la SPR a conclu que les documents étaient frauduleux. Cette conclusion l’a ensuite menée à tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

  • Connaissance des positions de principe du PDA et de la politique en Azerbaïdjan : La SPR a signalé qu’à la première journée d’audience, le demandeur était incapable de répondre à certaines questions relatives aux positions de principe clés du PDA. À la troisième journée d’audience, il était en mesure de répondre au même genre de questions en donnant de nombreux détails. Le demandeur a expliqué que ces divergences étaient attribuables à sa nervosité lors de la première séance. La SPR a conclu que cette explication était déraisonnable et a fait remarquer que le demandeur avait eu amplement de temps, entre la première et la troisième séance, pour expliquer pourquoi il avait eu de la difficulté à témoigner. La SPR a conclu qu’entre‑temps, le demandeur s’était renseigné quant aux politiques du PDA dans le but de renforcer sa demande. Pour ce motif, elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

[8] En appel devant la SAR, le demandeur a contesté le bien‑fondé de la conclusion défavorable de la SAR en matière de crédibilité. Il a également soutenu que la piètre qualité du service d’interprétation l’avait privé d’un procès équitable. Cette dernière observation était appuyée par une transcription annotée préparée par une personne parlant couramment l’azerbaïdjanais et l’anglais, mais qui n’était pas autrement qualifiée pour exercer la profession d’interprète. La SAR a refusé d’admettre la transcription annotée. Le demandeur a aussi cherché à déposer un nouvel élément de preuve relatif à un incident mettant en cause sa femme. La SAR a également refusé d’admettre cette preuve au motif que les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR (telles qu’interprétées dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96) n’étaient pas remplies.

[9] La SAR a conclu que la qualité de l’interprétation satisfaisait à la norme applicable et qu’elle ne soulevait aucune question d’équité procédurale. Elle a reconnu qu’il y a eu une certaine confusion relativement à la terminologie au cours du témoignage (par exemple au sujet des postes que le demandeur avait occupés au sein du PDA), mais a soutenu que la norme applicable était celle de la compréhension linguistique et non de l’interprétation parfaite. La SAR était convaincue que cette norme avait été respectée.

[10] La SAR a examiné les conclusions de la SPR selon la norme de la décision correcte. Elle a conclu que la SPR ne jouissait pas d’un avantage par rapport à la SAR dans son évaluation de la preuve et que, par conséquent, elle ne devait pas faire preuve de retenue à cet égard.

[11] La SAR a tiré les conclusions suivantes au sujet de la crédibilité du demandeur :

  • La SPR a commis une erreur en concluant que le fait que le demandeur n’ait pas demandé l’asile aux États‑Unis affectait sa crédibilité. La SAR a infirmé cette conclusion.

  • La SAR a également conclu que la SPR a commis une erreur sur un point dans sa compréhension de la preuve du demandeur (laquelle était imputable au moins en partie à une erreur d’interprétation).

  • La SPR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des lettres de la police et du PDA présentées par le demandeur. La SAR a convenu que les anomalies relevées par la SPR dans les documents de la police donnaient à penser que ces derniers n’avaient pas vraiment été fournis par la police. La SAR a trouvé des anomalies semblables dans les documents du parti présentés par le demandeur et a conclu que ceux‑ci n’étaient pas authentiques non plus.

  • La SAR a conclu que la SPR a eu raison de tirer une inférence de crédibilité défavorable à l’égard du demandeur en raison des différences importantes relevées dans son témoignage au sujet des politiques du PDA entre la première et la troisième séance. La SAR a conclu que l’ignorance du demandeur quant à ces politiques lors de la première séance était « fondamentalement incompatible » avec les rôles qu’il soutenait avoir occupés au sein du parti. Les problèmes de santé qui l’auraient rendu inconfortable à la deuxième séance n’étaient étayés par aucune preuve médicale et ne justifiaient pas les divergences relevées dans son témoignage entre la première et la troisième séance.

[12] En résumé, la SAR a conclu que, même s’il y avait une erreur dans la décision de la SPR, sa conclusion était correcte dans son ensemble et le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[13] Le demandeur conteste la décision de la SAR en se fondant sur trois motifs, que j’énoncerai de la façon suivante : 1) La SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve; 2) L’évaluation par la SAR de la qualité de l’interprétation au cours de l’audience devant la SPR est déraisonnable; 3) L’évaluation défavorable de la SAR quant à la crédibilité du demandeur est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision de la SAR est viciée pour l’un ou l’autre de ces motifs.

[14] Examinons tout d’abord les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Il s’agit d’une déclaration écrite de sa femme ainsi que d’un rapport médical décrivant certaines blessures pour lesquelles celle‑ci a été soignée. Dans sa déclaration, la femme du demandeur a soutenu avoir été attaquée et blessée le 28 mai 2018 lorsqu’elle est retournée en Azerbaïdjan depuis la Géorgie (où elle habitait) dans le cadre d’une visite. Elle a fait valoir que l’attaque était motivée par les opinions politiques de son mari.

[15] La SAR a reconnu qu’aucun des deux documents n’était disponible au moment où la demande a été rejetée puisqu’ils avaient trait à des événements qui s’étaient produits après que la SPR eut rendu sa décision. Cependant, la SAR a conclu que la déclaration de la femme du demandeur n’était pas crédible. Conformément à l’arrêt Singh, la SAR était tenue d’établir si la déclaration était crédible « compte tenu de [sa] source et des circonstances dans lesquelles [elle est apparue] » (aux para 38 et 44). Le demandeur n’a pas établi en quoi la décision de la SAR est déraisonnable. La SAR a expliqué pourquoi la déclaration n’était pas crédible, en particulier à la lumière des préoccupations importantes en matière de crédibilité soulevées par la SPR et confirmées par la SAR. Ces préoccupations étaient en partie fondées sur la présentation de documents frauduleux par le demandeur. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de douter de la véracité de la déclaration de la femme du demandeur ou de conclure que celle‑ci était inadmissible pour cette raison.

[16] Dans le même ordre d’idées, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que le rapport médical n’avait aucune valeur probante puisqu’aucune explication n’était fournie quant aux blessures pour lesquelles la femme du demandeur avait été traitée. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision n’a pas pour rôle d’apprécier ou d’évaluer à nouveau la preuve examinée par le décideur ni de modifier des conclusions factuelles en l’absence de circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125). Le demandeur n’a pas démontré l’existence de telles circonstances en l’espèce.

[17] Ensuite, la SAR a raisonnablement conclu que l’équité de l’audience devant la SPR n’était pas compromise par une interprétation déficiente. Il n’est pas clair si le demandeur conteste le refus de la SAR d’admettre la transcription annotée, mais, de toute manière, ce refus n’était pas déraisonnable puisque la personne ayant préparé la transcription n’avait aucune expertise au-delà du fait de parler l’azerbaïdjanais. Plus précisément, le demandeur n’a pas démontré qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure que, peu importe leur cause, les difficultés qu’il a eues lors de son témoignage au sujet de son rôle au sein du parti (le principal point en litige à l’égard de l’interprétation) n’étaient pas particulièrement importantes quant à la conclusion défavorable en matière de crédibilité. Cette conclusion était fondée sur plusieurs autres facteurs.

[18] Finalement, cette réflexion m’amène à l’observation du demandeur selon laquelle la conclusion défavorable en matière de crédibilité est elle‑même déraisonnable. Je ne suis pas d’accord.

[19] La SAR s’est montrée attentive aux questions de crédibilité tout au long de sa décision. En effet, elle a annulé la conclusion de la SPR en matière de crédibilité liée au fait que le demandeur n’avait pas demandé l’asile aux États‑Unis. De plus, la SAR a procédé à une analyse minutieuse du témoignage du demandeur en ce qui concerne les rôles qu’il jouait au sein du parti et n’a pas souscrit à l’interprétation qu’en a faite la SPR sur un point. D’autre part, les connaissances changeantes du demandeur quant aux politiques du PDA ainsi que l’authenticité des documents qu’il a déposés ont été des facteurs déterminants tant pour la SPR que pour la SAR. Peu importe que ces facteurs soient considérés isolément ou ensemble, ils permettent raisonnablement d’étayer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur. La SAR a examiné les arguments présentés par le demandeur en appel et y a répondu. Comme le montrent ses motifs, la SAR a effectué une évaluation indépendante de la preuve en ce qui concerne ces facteurs clés et la crédibilité du demandeur en général. Là encore, en l’absence de circonstances exceptionnelles, la cour de révision doit faire preuve de retenue à l’égard de ses conclusions. Le demandeur n’a établi aucun fondement justifiant la modification de ces conclusions.

[20] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[21] Les parties n’ont soulevé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2690-19

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est soulevée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2690-19

 

INTITULÉ :

ARIF BASHIROV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 AOÛT 2021

 

COMPARUTIONS :

Victor Pilnitz

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Victor Pilnitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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