Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990527


IMM-1714-98

E n t r e :

     TAMARA ROSHID NAVID,

     demanderesse,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 18 mars 1998 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]      Les faits, tels que relatés par la demanderesse, peuvent être résumés de la façon suivante. La demanderesse, Tamara Roshid Navid, est une musulmane iranienne. Elle a revendiqué le statut de réfugiée au sens de la Convention au motif qu'elle craignait d'être persécutée en raison de présumées opinions politiques contraires au régime théocratique de son pays et de son appartenance à un groupe de femmes monarchistes défendant des idées allant à l'encontre de l'intégrisme islamique.

[3]      La demanderesse affirme que sa famille s'est toujours opposée au régime islamique. À titre d'exemple, par loyauté envers le schah, la demanderesse a, au cours de la révolution islamique, refusé de se conformer aux préceptes islamiques en matière vestimentaire ou de participer à la prière quotidienne. C'est la raison pour laquelle, explique-t-elle, elle a été congédié de son poste de secrétaire en 1982.

[4]      Peu de temps après, avec l'aide de son mari, qui était réalisateur à la télévision, la demanderesse a décroché un emploi à la télévision nationale iranienne comme réalisatrice. Son travail consistait à faire de la recherche et à réaliser une courte émission quotidienne de divertissement de 15 minutes qui était diffusée chaque soir et qui portait sur diverses questions sociales comme les pénuries d'eau et d'approvisionnements à Téhéran, les problèmes des sites d'épuration des eaux et les mesures que le gouvernement devait prendre pour empêcher les blessures en cas de tremblement de terre.

[5]      En 1996, on a demandé à la demanderesse de réaliser une émission sur les élections prochaines en Iran. Elle a donc interrogé de simples citoyens pour recueillir leur opinion sur les élections. Beaucoup d'entre eux se sont dits insatisfaits du gouvernement islamique et de son régime unipartite.

[6]      Au cours du présumé enregistrement sur bande vidéo d'une des entrevues réalisées dans la rue, la caméra a accidentellement filmé une murale du gouvernement illustrant l'ecclésiastique le plus élevé en grade en Iran. Deux slogans étaient inscrits sous la murale : le premier louait l'ecclésiastique et l'autre l'insultait. Or, en raison de l'angle de la caméra, seul le slogan insultant a été filmé.

[7]      Le 28 février 1996, des bandes vidéos et des documents relatifs à ces entrevues ont été volés au bureau de la demanderesse. Deux gardes révolutionnaires se sont présentés au bureau de la demanderesse et l'ont emmenée en compagnie de deux de ses collègues de la télévision au bureau de la sûreté où ils ont été interrogés, emprisonnés, insultés verbalement, agressés, soumis à des exécutions simulées et détenus pendant neuf jours. En prison, on a dit à la demanderesse que tout ce que les gardiens avaient besoin de savoir était sur les bandes vidéos saisies. On a usé également de contrainte à l'égard de la demanderesses pour qu'elle révèle le nom des femmes du groupe monarchiste qu'elle rencontrait régulièrement pour discuter de la façon de faire avancer la situation de la femme au sein de la société iranienne.

[8]      La Commission a estimé que le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible et elle a en conséquence rejeté sa revendication. Voici en quels termes la Commission a formulé ses conclusions, aux pages 2 et 3 de sa décision :

             [TRADUCTION]             
             La Section du statut de réfugié conclut que Tamara Roshdi Navid n'est pas une réfugiée au sens de la Convention pour les motif suivants. Le tribunal a examiné le témoignage de la revendicatrice en son entier et conclut qu'elle n'est pas un témoin digne de foi. Son témoignage comporte en effet de nombreuses contradictions. Le tribunal constate également qu'il existe des contradictions entre le formulaire de renseignements personnels de la revendicatrice, son témoignage et les notes que l'agent d'immigration a prises au point d'entrée. Qui plus est, après examen de l'ensemble de la preuve documentaire que la revendicatrice lui a soumise, le tribunal conclut que bon nombre des incidents et des causes de ceux-ci que la revendicatrice a exposés sont invraisemblables et ne sont donc ni crédibles ni dignes de foi.             

[9]      La Commission a donc rejeté la revendication de la demanderesse pour des raisons de crédibilité après avoir conclu que, compte tenu de son degré de scolarité, la revendicatrice avait répondu aux questions de manière évasive et impatiente. La Commission a estimé que les explications de la demanderesse étaient vagues, contournées, tendancieuses et invraisemblables et qu'elle éludait les questions. La Commission a conclu que la façon dont la demanderesse avait témoigné affaiblissait sa preuve et sa revendication.

[10]      L'échange suivant a eu lieu au cours de l'audience du tribunal et est reproduit dans les motifs de la Commission :

             [TRADUCTION]             
             Mme GIBBS :              De quel type d'infraction avez-vous été accusée en Iran ?             
             LA REVENDICATRICE :          D'abord, à cause de cette émission que j'ai réalisée et de mes antécédents et de la détention et des interrogatoires que j'ai subis et de la perception que la République islamique a de moi et de la torture que l'on m'a fait subir...             
             Mme GIBBS :              Excusez-moi de vous interrompre, mais lorsqu'on dit " type d'infraction ", de quoi avez-vous été accusée ou inculpée ?             
             LA REVENDICATRICE :          Le type d'infraction dont j'ai été accusée, la bande vidéo qu'ils ont obtenue de moi, c'était une atteinte au gouvernement de la République islamique.             
             COMMISSAIRE WINKLER :      Lorsqu'on comparaît devant le tribunal, on est bien accusé de quelque chose ?             
             LA REVENDICATRICE :          Je n'avais pas encore subi mon procès. Il n'y avait donc pas de verdict.             
             COMMISSAIRE WINKLER :      Non, non, non, je parle des accusations.             
             LA REVENDICATRICE :          Eh bien, mon infraction n'était pas l'accusation portée contre moi. Et l'infraction n'était pas une chose banale, parce qu'ils ont exigé un cautionnement de plus de trente millions sur deux mois.             
             COMMISSAIRE WINKLER :      Qu'est-ce que ça veut dire ?             
             LA REVENDICATRICE :          Ça veut dire qu'un cautionnement de trente millions sur deux mois est une garantie très sérieuse et très onéreuse. Il n'est pas facile de trouver une telle somme1.             

[11]      La Commission cite cette conversation dans sa décision pour illustrer le caractère évasif des réponses de la demanderesse. À cet égard, la Commission déclare ce qui suit à la page 5 de sa décision :

             [TRADUCTION]             
             Le tribunal constate que la revendicatrice est titulaire d'un diplôme d'études secondaires (ayant douze années de scolarité) et qu'elle a travaillé pendant environ quatorze ans dans les médias iraniens. Ces faits permettent de penser que la revendicatrice est intelligente et très bien informée. En outre, on peut logiquement présumer qu'en tant que réalisatrice et recherchiste expérimentée à la télévision, elle a de la facilité à communiquer, qu'elle a la parole facile, qu'elle a le sens de l'observation et qu'elle est capable de bien s'exprimer. Le tribunal conclut que ce n'est pas le cas. Au contraire, la revendicatrice est demeurée évasive et évitait fréquemment de répondre aux questions qui lui étaient posées en donnant d'autres renseignements que ceux qui lui étaient demandés. Souvent, ses réponses étaient tellement alambiquées que la personne qui lui avait posé la question était forcée de lui demander ce qu'elle voulait dire par là. Par exemple, lorsqu'on lui a demandé quelles étaient les accusations qui avaient été portées contre elle en Iran, elle a répondu que le procès n'avait pas encore eu lieu et qu'aucun verdict n'avait encore été rendu. On lui a demandé ce qu'elle voulait dire par là, ce à quoi elle a répondu que l'infraction n'était pas une chose banale parce que les autorités avaient exigé un cautionnement de 30 millions de tomans pour sa remise en liberté. Invitée à préciser cette déclaration, elle a répondu qu'un cautionnement de 30 millions de tomans est une garantie très sérieuse et très onéreuse. Elle a ajouté qu'il n'était pas facile de trouver une telle somme.             

[12]      Plus loin, aux pages 6 et 7, la Commission déclare ce qui suit :

             [TRADUCTION]             
             La revendicatrice a essayé d'expliquer la différence entre tous ses reportages vidéos précédents et le dernier (qui se serait soldé par son arrestation) en affirmant que les premiers avaient tous été censurés et n'avaient pas été diffusés. Plus tard, elle a déclaré que ses émissions précédentes ne critiquaient pas le régime, mais uniquement " la situation de la femme " au sein de la société. Le tribunal estime qu'il ne s'agit là que de la répétition en des termes différents et ambigus de pratiquement la même réponse. Elle a poursuivi en affirmant qu'en Iran, les élections constituent un événement très important et que c'est la raison pour laquelle les autorités sont beaucoup plus sensibles à ce sujet qu'elles ne le sont à l'égard de l'opposition manifestée à l'égard des questions sociales.             

[13]      Sur la même question, la Commission ajoute les commentaires suivants à la page 7 :

             [TRADUCTION]             
             [...] Les tentatives qu'elle a faites pour expliquer sa situation étaient insatisfaisantes. Le tribunal conclut que, loin d'expliquer en quoi sa dernière émission télévisée était différente de toutes ses émissions précédentes au point d'entraîner son arrestation et sa détention, les réponses qu'elle a données sont des fabulations destinées à renforcer sa revendication du statut de réfugiée et ne sont pas dignes de foi.             

[14]      Outre ce qui précède, j'ai examiné attentivement la transcription du témoignage de la demanderesse et je suis convaincu qu'il renferme plusieurs exemples qui appuient la conclusion de la Commission suivant laquelle le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible. Voici un extrait représentatif des échanges qui ont eu lieu au cours de l'audience :

     [TRADUCTION]
     Me BERGER :              Comment se fait-il qu'ils connaissaient l'existence de ce groupe de femmes ?         
     LA REVENDICATRICE :          Parce qu'une fois par mois, je rencontrais ces femmes. Nous sortions déjeuner ensemble. Au bureau, chaque fois que je m'absentais pour aller à ces réunions, je disais où j'allais.         
     Me BERGER :              La direction était donc au courant de leur existence ?         
     LA REVENDICATRICE :          Eh bien, au début, ces activités n'avaient rien d'incriminant qui aurait pu me causer des problèmes au travail. Mais, par la suite, au fur et à mesure que nous nous réunissions, que nous discutions des façons de venir en aide aux femmes, de leurs droits, la situation est devenue davantage complexe que compliquée.         
     COMMISSAIRE WINKLER :      Pourriez-vous répondre à la question que l'avocat vous a posée, qui est, si je ne m'abuse, si votre directeur savait que vous assistiez à ces rencontres et où celles-ci avaient lieu ?         
     LA REVENDICATRICE :          Eh bien, vous voyez, ce n'est pas la question des réunions qui se pose, mais j'ai découvert par la suite que les activités de chacun sont surveillées par les autorités. Avant cela, chaque fois que je sortais le midi pour aller manger, eh bien, j'avertissais la secrétaire.         
                     Mais par la suite, on a commencé à m'interroger au sujet de mes activités, des endroits où je me rendais. Par exemple, ce jour-là, on m'a demandé pourquoi je m'étais rendue au Palais de justice. Je me suis donc rendue compte qu'ils étaient peut-être au courant de toutes ces réunions avec d'autres femmes. Ces réunions n'avaient cependant aucun caractère politique.         
     COMMISSAIRE WINKLER :      Est-ce que je pourrais quand même juste poser une question ?         
     LA REVENDICATRICE :          Oui.
     COMMISSAIRE WINKLER :      Rencontriez-vous ce groupe de femmes pendant vos heures de travail ?         
     LA REVENDICATRICE :          Le midi. Oui, quand nous sortions le midi, c'était pendant les heures de travail.         
     COMMISSAIRE WINKLER :          Donc, vous disiez où vous alliez ?         
     LA REVENDICATRICE :          Il m'arrivait de dire où je m'en allais, parce que les réalisateurs ne sont pas tenus d'être en studio tout le temps.         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Vous alliez manger ou vous disiez que vous alliez chez quelqu'un ?         
     LA REVENDICATRICE :          Le jour, lorsque je voulais sortir pour manger, le midi, nos studios étaient situés dans un quartier où il y a beaucoup de restaurants. Nous pouvions donc à l'occasion sortir et déjeuner au restaurant.         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Vous aviez donc l'habitude de dire que vous sortiez pour le déjeuner.         
     LA REVENDICATRICE               Oui.         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      En fait, vous vous rendiez à ces rencontres.         
     LA REVENDICATRICE :          Eh bien, il s'agissait seulement de rencontres privées, pas vraiment de réunions, parce que certaines d'entre elles appartenaient aux monarchistes ou en étaient membres, mais elles doivent bien connaître la personne, elles doivent avoir confiance en elle et permettre ensuite à cette personne de joindre leurs rangs. On ne m'avait pas encore donné le genre de...         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Je vous remercie de vos explications. Auriez-vous l'obligeance de vous en tenir à la question et de répondre directement à la question. Si nous avons besoin d'explications, nous vous le demanderons.         
                     Ce que je vous ai demandé, c'est si vous avez dit que vous sortiez pour déjeuner alors qu'en fait, vous alliez à ces réunions ?
     LA REVENDICATRICE :          Eh bien, parfois nous avions une entente et nous fixions à l'avance un moment pour aider une femme dont nous avions déjà examiné le cas et avions constaté qu'elle avait besoin d'aide. Le midi, nous sortions et allions aider cette femme, par exemple.         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Tenons-nous en aux occasions où vous vous êtes rendue à ces réunions. Tenons-nous en à ces réunions. Que disiez-vous à votre secrétaire lorsque vous vous rendiez à ces réunions ?         
     LA REVENDICATRICE :          Je ne donnais pas toujours d'explication, parce que parfois ces rencontres avaient lieu chez moi.         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      À ces occasions, lorsque vous disiez effectivement quelque chose à votre secrétaire au sujet de l'endroit où vous vous rendiez lorsque vous vous rendiez à ces rencontres privées, vous est-il arrivé de dire que vous alliez à une réunion ou à quelque chose de semblable ? Avez-vous dit quelque chose de cet ordre ?         
     LA REVENDICATRICE :          Non, pas vraiment. Parce qu'habituellement, les secrétaires de ces unités sont également des agents des services secrets, des secrétaires de ces services.         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Autrement dit, vous n'avez jamais dit que vous vous rendiez à ces rencontres privées ?         
     LA REVENDICATRICE :          Eh bien, parfois, ces femmes m'appelaient au téléphone. Lorsque je conversais avec elles, il se peut que quelqu'un d'autre ait surpris notre conversation et se soit rendu compte que je m'occupais de ces questions.         
     Me BERGER :              Si vous le permettez. Je crois que ce que le tribunal essaie de savoir, c'est comment les autorités pouvaient être au courant de votre participation à ces rencontres privées si vous ne le disiez pas directement à votre directeur ou à votre secrétaire.         
     LA REVENDICATRICE :          Simplement par nos relations. Parfois, on venait me voir en personne. Ainsi, une de ces femmes travaillait à l'université et s'il y avait une question à discuter, elle venait à mon bureau2.         

[15]      Le caractère évasif des réponses de la demanderesse ressort à l'évidence selon moi des questions et réponses qui précèdent.

[16]      On trouve un autre exemple du caractère évasif des réponses de la demanderesse dans l'échange suivant qui a eu lieu entre l'avocat de la demanderesse, Me Max Burger, le commissaire Winkler et la demanderesse au sujet de ce qui s'est passé au cours de la détention de la demanderesse :

             [TRADUCTION]             
     Me BERGER :              Pourriez-vous maintenant nous parler de ce qui s'est passé au cours du reste de votre détention jusqu'au moment où vous avez finalement été remise en liberté ?         
     LA REVENDICATRICE :          Après ma remise en liberté, évidemment avant cela, je ne savais pas ce qui se passait à l'extérieur, car on ne m'autorisait à appeler mon père pour lui parler qu'une fois et au bout de 48 heures.         
                     Lorsqu'on m'a relâchée, on m'a relâchée dans la rue. J'étais dans un état pitoyable lorsque j'ai appelé à la maison.
     COMMISSAIRE WINKLER :      Mme Navid, j'aimerais que vous écoutiez bien attentivement les questions de votre avocat. Il connaît votre histoire et sait ce que nous avons besoin d'entendre. Et, bien que ce que vous racontez soit intéressant, il est vraiment nécessaire que vous répondiez à ses questions.         
                     Je crois qu'il voulait savoir ce qui vous est arrivé au cours de votre détention. Bon, comme ces renseignements se trouvent déjà dans votre formulaire de renseignements personnels, il y a peut-être des questions plus précises, Me Berger, que vous aimeriez poser au sujet de cette période.
     INTERPRÈTE :              La revendicatrice a affirmé qu'elle croyait que vous aviez dit : " après la remise en liberté, après la détention ".         
     COMMISSAIRE WINKLER :      Pendant...         
     Me BERGER :              Non, ce n'est pas exact. Je vous ai simplement demandé de nous raconter ce qui vous est arrivé pendant le reste de votre incarcération3.         

[17]      Encore une fois, la demanderesse essaie de reformuler les questions et de répondre à sa reformulation plutôt qu'à la question qui lui est posée.

[18]      Pour illustrer encore le caractère évasif des réponses de la demanderesse, voici un extrait de la transcription où le commissaire Prabhakara essaie de savoir qui a informé la demanderesse que son cautionnement avait été accepté :

     [TRADUCTION]
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Qui vous a dit que votre cautionnement avait été accepté ? Quelqu'un vous a annoncé que votre cautionnement avait été accepté.         
     LA REVENDICATRICE :          Après avoir appelé mon père et après qu'on m'eut emmenée à l'hôpital, on m'a appris ce qui se passait là-bas et ce que mon frère faisait là-bas. Il était là pour...
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Je voudrais simplement des éclaircissements, si vous n'avez pas d'objection. En consultant mes notes, je lis que vous avez dit qu'aucun verdict n'avait été rendu ce jour-là.         
     LA REVENDICATRICE :          Aucun verdict n'avait été rendu ce jour-là. J'étais temporairement...         
     COMMISSAIRE PRABHAKARA :      Non, écoutez-moi. Je n'ai pas encore fini. Écoutez-moi. Ensuite, vous pourrez répondre à la question. D'accord ? Vous avez dit, selon mes notes, qu'aucun verdict n'avait été rendu ce jour-là, sauf le cautionnement qui a été versé pour votre remise en liberté et les renseignements qui vous ont été communiqués au sujet de la date de votre comparution. Ces renseignements ne vous ont-ils pas été communiqués ce jour là ? Par qui vous ont-ils été donnés ? S'ils vous été communiqués ce jour-là, par qui vous l'ont-ils été ?         
     LA REVENDICATRICE :          Non. C'est mon frère qui m'a dit tout cela plus tard. Mais, pendant l'interrogatoire, ils n'arrêtaient pas de me dire que je serais exécutée et qu'ils avaient découvert des preuves contre moi et que la seule peine possible serait mon exécution4.

[19]      Après avoir discuté de toutes sortes de questions, la demanderesse a fini par répondre à la question du commissaire.

[20]      Voici un dernier exemple. Il s'agit d'un échange entre l'agent d'audience, Mme Gibbs, et la demanderesse. Pour essayer de savoir comment la demanderesse en est venue à réaliser l'émission sur les élections, Mme Gibbs pose les questions suivantes à la demanderesses :

             [TRADUCTION]             
     Mme GIBBS :          Comment en êtes-vous venue à passer de la réalisation d'une émission quotidienne de divertissement de 15 minutes à la réalisation d'une émission sur les élections, sujet que vous avez vous-même qualifié de très délicat ?         
     LA REVENDICATRICE :      Eh bien, là n'est pas la question, parce que je pouvais réaliser plusieurs émissions en même temps.         
     Mme GIBBS :          Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?         
     LA REVENDICATRICE :      Je veux dire que je pouvais réaliser une courte émission de divertissement ou un segment sur les loisirs. En même temps, on pouvait me confier un tournage qui pouvait durer six mois, qui nécessitait de la recherche et du temps pour la réalisation.         
     Mme GIBBS :          Vous venez de mentionner qu'en règle générale, vos émissions portaient sur des questions sociales et non sur des questions politiques.         
     LA REVENDICATRICE :      Non, pas politiques.         
     Mme GIBBS :          Mais, les élections, c'est un sujet politique, non ?         
     LA REVENDICATRICE :      On ne peut pas dire que c'était politique, parce que le groupe avec lequel je travaillais était apolitique. Un autre groupe s'occupait de l'aspect politique. Je travaillais au sein du groupe de sensibilisation qui est chargé de sensibiliser et d'informer le public dans tous les domaines.         
     Mme GIBBS :          Bon. J'ai posé cette question, parce que nous essayons de comprendre la raison pour laquelle cette émission précise vous a causé autant d'ennuis, alors que les émissions antérieures auxquelles vous aviez collaboré ont tout simplement été censurées. Vous n'aviez jamais été arrêtée auparavant.         
                 Bon. D'une part vous avez expliqué que le sujet était différent, qu'il était politique, et non social, et qu'il était beaucoup plus délicat. Mais maintenant vous affirmez qu'il n'était pas politique, que vous vous occupiez de sensibilisation.
     LA REVENDICATRICE :      Eh bien, je n'ai pas dit qu'il n'était pas politique. Le groupe avec lequel je travaillais était apolitique. Toutefois, plusieurs émissions ont été réalisées et cette fois-ci, il lui ont donné un aspect ou un ton politique. Mais je n'avais pas l'intention d'en faire une émission politique. Si j'avais pu faire le montage de cette émission, je n'aurais jamais été confrontée à une telle situation5.         

[21]      La demanderesse commence par essayer d'éluder la question en rétorquant que " là n'est pas la question ". Elle essaie ensuite de contourner la question portant sur la différence entre la nature des émissions antérieures et des émissions actuelles et parle plutôt du temps qu'il lui a fallu pour les réaliser. Lorsqu'on lui demande expressément d'expliquer le fait que les élections sont de caractère politique et que ses émissions antérieures étaient à thème social, elle essaie une fois de plus de contourner la question en prétendant que l'émission sur les élections n'était pas politique, étant donné qu'elle avait été réalisée par un groupe de gens qui ne produisaient pas d'émissions politiques. Finalement, la demanderesse reconnaît que l'émission sur les élections était politique mais ajoute que cela n'était pas son intention. Il vaut la peine de noter qu'à la fin de cet échange, la demanderesse n'a toujours pas expliqué pourquoi on lui a demandé de réaliser une émission à thème politique alors qu'elle avait jusqu'alors réalisé des émissions à caractère social.

[22]      À mon avis, il ressort à l'évidence de la transcription des témoignages que, même en faisant un effort d'imagination, on ne pourrait qualifier de déraisonnables les conclusions que la Commission a tirées au sujet de la crédibilité de la demanderesse. J'ai lu à plusieurs reprises la transcription de la déposition de la demanderesse et je n'ai aucun mal à comprendre pourquoi la Commission en est venue à une telle conclusion. Bien que je n'aie pas eu l'avantage d'entendre et de voir la revendicatrice, il m'apparaît évident qu'elle était évasive, car elle a tout fait en son pouvoir pour éviter de répondre à bon nombre des questions qui lui ont été posées au cours de l'audience.

[23]      Comme la preuve justifie pleinement la conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité de la demanderesse, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres points soulevés par la demanderesse.

[24]      Par ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

     Marc Nadon

Toronto (Ontario)     

Le 27 mai 1999                              JUGE

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-1714-98
INTITULÉ DE LA CAUSE                   TAMARA ROSHID NAVID
                             et
                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                            

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE JEUDI 11 MARS 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Nadon le jeudi 27 mai 1999

ONT COMPARU :                      M e Micheal Crane

                                 pour la demanderesse

                             M e Sally Thomas

                                 pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER      Me Micheal Crane

                             Avocat et procureur
                             166, rue Pearl, bureau 200
                             Toronto (Ontario
                             M5H 1L3
                                 pour la demanderesse

                              M e Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général

                             du Canada

                                 pour le défendeur

                            

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date : 19990527

                        

         IMM-1714-98

                             E n t r e :

                             TAMARA ROSHID NAVID

     demanderese,

                             - et -

                             MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                        

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                             MOTIFS DU JUGEMENT

                            

__________________

1 Procès-verbal de l'audience du tribunal, à la page 367.

2Procès-verbal de l'audience du tribunal, aux pages 352 à 354.

3 Procès-verbal de l'audience du tribunal, à la page 356.

4 Procès-verbal de l'audience du Tribunal, à la page 358.

5 Procès-verbal de l'audience du tribunal, à la page 358.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.