Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

.





     Date : 19990615

     Dossier : IMM-3995-98


ENTRE :


LYSANDER LEE,


     demandeur,


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


     défendeur.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE BLAIS


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de l'avis portant que le demandeur constitue un danger pour le public, exprimé le 30 juin 1998, par W. A. Sheppit, directeur général, Règlement des cas, en sa qualité de délégué du ministre, en vertu du paragraphe 70(5) et du sous-alinéa 46.01(1)e)iv) de la Loi sur l'immigration.


LES FAITS

[2]      Le demandeur, qui est âgé de 22 ans, est né à Manille, aux Philippines, le 25 août 1976. Il avait treize ans lorsqu'il est arrivé au Canada en 1990 avec sa mère, ses trois soeurs et son frère. Ses parents étant divorcés, son père est demeuré aux Philippines. Les autres membres de la famille ont choisi de s'installer à Toronto et résident dans cette région. Ils ont obtenu le droit d'établissement au Canada au mois de septembre 1993. La mère du demandeur ainsi que ses soeurs et son frère sont maintenant citoyens canadiens. Quant au demandeur, il a été arrêté deux semaines avant l'obtention de sa citoyenneté.

[3]      Le 9 septembre 1997, le demandeur a été arrêté et accusé de complot dans le but d'importer une substance contrôlée pour avoir participé à une opération de trafic de stupéfiants en transportant volontairement huit kilos de cocaïne ayant une valeur marchande d'environ un million de dollars.

[4]      Après avoir été mis en liberté sous caution, le demandeur a reçu des menaces proférées contre lui et les membres de sa famille par les personnes qui l'avaient embauché pour livrer leur paquet. Il a tenté de s'enfuir à Hong Kong, mais n'a pas réussi. Il est revenu au Canada et s'est livré aux autorités. Après avoir plaidé coupable, il a été condamné à une peine d'emprisonnement de cinq ans.

[5]      Selon l'avocate du demandeur, le décideur ne disposait pas de tous les documents lorsqu'il a rendu sa décision.

[6]      Selon elle, la demande en vue d'obtenir un avis du ministre présentée par Bonnie Maystrenko, agente de réexamen, avec le concours de Glen Mc Brien, analyste principal, examen des cas, Direction générale du règlement des cas, et signée par les deux en date du 29 juin 1998, qui a ensuite été adressée à W.A. Sheppit, délégué du ministre, directeur général, Direction générale du règlement des cas, qui l'a signée le 30 juin 1998, ne fait mention de l'observation du demandeur que dans une seule ligne, à la page deux :

     [Traduction]
     J'ai examiné avec soin la lettre d'intention de requérir un avis, les documents à l'appui mentionnés dans cette lettre et le rapport concernant l'Avis ministériel dressé par le CIC de même que l'observation présentée par le client.
     (non souligné dans l'original)

[7]      L'avocate du demandeur fait référence au rapport concernant l'Avis ministériel signé par Mme Dunn, le 16 juin 1998, et en particulier, à la [Traduction] Partie " F " - Annexes, qui se retrouve à la page 76 du dossier de la demande du demandeur, où l'agente n'a pas mentionné que l'observation de l'avocate, les évaluations ou certificats psychiatriques ou le rapport des services correctionnels étaient annexés au rapport avec la recommandation contenue dans la [Traduction] Partie " G " - Recommandations.

[8]      Selon l'avocate du demandeur, cela signifie qu'il est impossible de conclure que le décideur disposait de tous les documents lorsqu'il a rendu sa décision.

[9]      Elle prétend qu'une erreur a donc été commise et que la décision doit être annulée.

[10]      Quant à l'avocate du défendeur, elle soutient qu'il y a lieu de croire, notamment en raison de la brève mention qui apparaît à la page 2 de la demande visant à obtenir l'avis du ministre, signée par Bonnie Maystrenko, Glen McBrien et W.A. Sheppit, que le décideur avait reçu tous les documents :

     [Traduction]
     ... de même que l'observation présentée par le client.

[11]      De plus, l'avocate du défendeur fait valoir que le rapport concernant l'Avis ministériel signé par Mme Bunn inclut également, au paragraphe 13, une mention suivant laquelle les membres de la famille du demandeur l'appuient et qu'il aurait été impossible d'être au courant de ce fait sans avoir consulté la lettre de l'avocate et les annexes.

[12]      Pour sa part, l'avocate du demandeur soutient que si le décideur avait réellement eu accès à tous les documents, l'avocate du défendeur aurait dû déposer un affidavit l'attestant afin de clarifier la situation.

[13]      L'avocate du défendeur a ensuite demandé un ajournement pour pouvoir produire un affidavit attestant que le décideur avait en main tous le documents disponibles, y compris les observations du demandeur et les annexes, lorsqu'il a rendu sa décision.

[14]      L'avocate du demandeur s'est opposée à cette requête. Elle a allégué que le défendeur avait eu suffisamment de temps pour déposer et signifier un affidavit et qu'il était maintenant trop tard.

[15]      Après avoir analysé tous les faits pertinents, la Cour a rejeté la demande d'ajournement.

[16]      J'ai aussi examiné soigneusement les documents déposés et je ne suis pas convaincu que tous les documents disponibles, et en particulier l'observation du demandeur avec les annexes, ont été effectivement soumis au décideur avant qu'il rende sa décision.

[17]      La [Traduction] Partie " F " Annexes du rapport concernant l'Avis ministériel me préoccupe plus particulièrement, car il n'y est pas démontré, par l'apposition d'un " X " dans la marge vis-à-vis des documents très importants, que ceux-ci ont été examinés avant la signature par Mme Dunn, le 16 juin 1998, de la recommandation énoncée à la page suivante.

[18]      Le défendeur savait, dès le 28 septembre 1998, que le demandeur soulèverait cette question, l'avocate du demandeur ayant alors déposé le dossier de la demande, dont les paragraphes 12 et 13 alléguaient clairement que le décideur n'avait pas en main tous les documents disponibles.

[19]      Le défendeur a donc eu suffisamment de temps pour produire un affidavit attestant qu'il les avaient en main, le cas échéant.

[20]      Dans l'affaire Moghaddam c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 1792 (QL), le juge Dubé a déclaré :

     Manifestement, les conclusions du requérant ne sont pas mentionnées sur la liste. Voulant expliquer l"absence des conclusions du requérant, l"avocat de l"intimé répond simplement que la procédure suivie par la Direction générale du règlement des cas consiste à transmettre les conclusions du requérant en même temps que tous les autres documents pertinents.
     Malheureusement, cette réponse ne suffit pas à régler le problème. Puisque le requérant a soulevé la question dans l"exposé de ses arguments, l"intimé aurait dû déposer soit un affidavit de la Direction générale du règlement des cas attestant que les conclusions de l"avocat du requérant avaient été effectivement transmises au délégué, soit un affidavit du délégué attestant que celui-ci les a bien reçues.
     Dans l"arrêt M.C.I. c. Williams , [1997] 2 C.F. 646 (C.A.F.), la Cour d"appel fédérale a confirmé l"équité générale de la notion de "danger pour le public", mais a également souligné que le requérant doit avoir la possibilité de présenter ses conclusions au ministre. Autrement dit, la Cour d"appel fédérale a jugé important, pour l"équité de la procédure, que les conclusions du requérant soient soumises au fonctionnaire qui prend la décision.
[21]      Je ne suis pas convaincu que tous les documents disponibles ont été fournis au décideur, et il s'agit là d'une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire.
[22]      Pour ces motifs, la décision du ministre portant que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada est annulée. Le ministre réexaminera l'affaire en veillant au respect de la directive que lui donne la Cour de s'assurer que délégué du ministre reçoive les observations du demandeur et toutes les annexes, y compris les évaluations psychiatriques, le rapport des services correctionnels et les autres documents comme les lettres de référence et les pièces justificatives.
[23]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
     Pierre Blais
                                             Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 15 juin 1999
Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-3995-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          LYSANDER LEE

                         et

                         MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 3 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                  15 JUIN 1999




ONT COMPARU :

Me YEHUDA LEVINSON              POUR LE DEMANDEUR

Me CLAIRE A. H. LE RICHE          POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

YEHUDA LEVINSON              POUR LE DEMANDEUR

Me Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur

général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.