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Date : 20051027

Dossier : IMM-585-05

Référence : 2005 CF 1459

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

HENRY MAURICIO GIL OSORIO

CATALINA RESTREPO BOTERO

OSCAR RESTREPO ANGEL (alias OSCAR RESTREPO)

MARIA EUGENIA BOTERO LONDONO (alias MARIA E. BOTERO LONDONO)

ESTEBAN RESTREPO BOTERO

MARIANITA RESTREPO BOTERO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Les demandeurs, citoyens de la Colombie, forment une famille élargie. Tous fondent leurs revendications sur la crainte d'être persécutés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Le demandeur principal et sa conjointe (Oscar et Maria Eugenia) vivent en union de fait avec leurs trois enfants. La plus vieille (Catalina) est l'épouse de Henry Mauricio, gendre du demandeur principal. Dans une décision rendue le 10 janvier 2005, un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), a statué que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

Les questions en litige

[2]         Les demandeurs soulèvent les points suivants :

  1. Les demandeurs ont-ils été privés d'une audition équitable de leur revendication, conforme aux principes de la justice naturelle, en raison de la manière dont celle-ci a été traitée par la Commission?

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la revendication présentée par le gendre du demandeur principal :

a)       en rejetant ou en ignorant l'explication de ce dernier selon laquelle il ne croyait pas compromettre sa demande de visa américain en visitant le Canada, et en fondant sa décision relative à une absence de crainte subjective sur ce facteur;

b)       en appliquant le mauvais critère d'évaluation du risque lorsqu'elle a conclu qu'en sa qualité de père d'un jeune enfant, il n'était pas exposé à un plus grand risque que tous les autres parents en Colombie?

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du risque couru par les demandeurs en ne tenant pas compte de la preuve relative aux risques auxquels sont exposés les gens d'affaires en Colombie?

Analyse

Question no 1 : Les demandeurs ont-ils été privés d'une audition équitable de leur revendication?

[3]         Les demandeurs, à l'exception du gendre du demandeur principal, sont arrivés au Canada en provenance des États-Unis au mois de mars 2001 et ont immédiatement revendiqué le statut de réfugié. Le gendre du demandeur principal est arrivé le 27 avril 2001, également en provenance des États-Unis, et a présenté sa revendication le 30 avril 2001, lorsque la réadmission aux États-Unis lui a été refusée.

[4]         La mise au rôle de l'audience a été difficile. Pour des raisons mal expliquées au dossier, l'audition des revendications n'a pas commencé avant le 29 juin 2004. La première journée d'audience a pris fin plus tôt que le veut la pratique normale de la Commission, en raison d'un rendez-vous pris préalablement par l'agent de protection des réfugiés (APR). La reprise de l'audience a été fixée au 28 septembre 2004. Lorsque les demandeurs, leur conseil et l'APR se sont présentés à cette date, le tribunal était absent. Les demandeurs ont par la suite été informés que la commissaire était malade. La mise au rôle de la deuxième journée d'audience a été marquée par les retards et la confusion. En novembre 2004, lorsque la reprise de l'audience était encore une fois menacée d'être reportée, les demandeurs ont fait savoir qu'ils acceptaient l'offre de la Commission de tenir une nouvelle audition après que celle-ci eut annulé unilatéralement une date d'audience. Enfin, la deuxième journée d'audience a eu lieu le 30 novembre 2004, une journée complète qui a dépassé les heures normales d'audience.

[5]         Les demandeurs allèguent que, en raison de ce [traduction] « traitement abusif » de la part de la Commission avant et pendant l'audience, ils n'ont pas bénéficié d'une audience équitable. Les demandeurs font aussi état d'interrogatoires [traduction] « abusifs et sarcastiques » de la part de la Commission. Ils reconnaissent que les interrogatoires, en eux-mêmes, ne constituent probablement pas un manquement à l'équité, mais ils plaident que l'effet cumulatif des difficultés procédurales et des interrogatoires abusifs constitue un manquement à l'équité procédurale.

[6]         D'entrée de jeu dans cette analyse, je ne suis pas d'accord avec les demandeurs pour dire que la manière de procéder aux interrogatoires devrait être considérée de manière cumulative avec les autres problèmes administratifs survenus dans le traitement de leurs revendications. Il n'y a aucun lien, selon moi, entre les difficultés relatives à l'établissement du rôle et la manière dont se sont déroulés les interrogatoires durant l'audience. Sauf la maladie de la commissaire le 28 septembre 2004 - indépendante de sa volonté -, rien n'indique que ce tribunal de la Commission en particulier était à l'origine des problèmes de mise au rôle ou qu'il ait agit de mauvaise foi dans l'audition des revendications.

[7]         En ce qui a trait aux interrogatoires de la part de la Commission durant l'audience, après en avoir relu la transcription, j'estimequ'ils sont très loin de satisfaire au critère de lacrainte raisonnable de partialité. Ce critère, pour paraphraser l'opinion largement partagée du juge de Grandpré formulée dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, pourrait conclure que, selon toute vraisemblance, la Commission, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste. Il est vrai que la transcription contient quelques exemples de commentaires qui, pris isolément, semblent être formulés de manière incisive. Mais si on les lit dans leur contexte, chacun de ces incidents peut s'expliquer par la complexité de la procédure, le désir de la Commission de clarifier des témoignages apparemment contradictoires ou par sa volonté de gérer une procédure complexe avec six demandeurs (dont cinq ont témoigné). Les demandeurs eux-mêmes reconnaissent que les interrogatoires sont loin de ceux qui ont été critiqués par la Cour dans les affaires Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2005] A.C.F. no 118 ou Sandor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2004] A.C.F. no 2183. En l'espèce, sa manière de procéder aux interrogatoires ne démontre pas qu'il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission.

[8]         Il reste à examiner les arguments selon lesquels l'audition de cette affaire a été gérée de manière si médiocre que les demandeurs ont été traités injustement. À mon avis, pour constituer un motif justifiant que la décision soit infirmée, le manque d'équité doit être identifiable quant aux conséquences négatives ou préjudiciables pour la personne touchée. Par exemple, priver un revendicateur de la possibilité de témoigner peut constituer une violation de son droit d'être entendu, et donc un manquement à l'équité procédurale. Les retards dans une instance qui ont pour conséquence la disparition d'un témoin ou une perte de mémoire due au temps écoulé peuvent être suffisants pour établir un manquement à l'équité procédurale. Chaque cas doit être étudié au mérite et, chaque fois, il doit y avoir un lien entre le mauvais traitement et le préjudice subi par les demandeurs.

[9]         Dans la requête dont je suis saisie, les demandeurs n'ont pas démontré l'existence d'un lien entre la décision rendue par la Commission dans leur dossier et un prétendu manque d'intégrité de sa part dans le traitement de leurs revendications. Rien n'indique que la décision ou l'audience a été entachée par la procédure fautive. Les demandeurs ne plaident pas, par exemple, que des témoignages ont été incorrectement écartés, qu'ils n'ont pas été autorisés à présenter des preuves documentaires ou que certains membres de la famille n'ont pu témoigner. L'une ou l'autre de ces choses serait raisonnablement susceptible de causer un préjudice aux demandeurs.

[10]       Dans la présente affaire, le traitement réservé aux demandeurs par les employés de la Commission semble avoir été déplorable. Pendant de longues périodes, il n'y avait aucune communication. L'audience a unilatéralement été reportée avec un court préavis. À un moment donné, les parties se sont présentées à l'audience pour être informées que la commissaire était malade. Les préoccupations exprimées par le conseil des demandeurs n'ont reçu aucune réponse. Malgré tout, les demandeurs concèdent qu'ils ne sont pas en mesure de démontrer l'existence de [traduction] « signes distinctifs du préjudice » . En l'absence de l'un ou de plusieurs de ces « signes distinctifs » , il n'est pas possible d'établir que les demandeurs n'ont pas bénéficié d'une audition équitable de leurs revendications.

[11]       Les demandeurs allèguent que le cumul des nombreux problèmes de procédure et la manière dont la Commission a procédé aux interrogatoires font en sorte que celle-ci a manqué à son obligation d'établir une « procédure équitable et efficace [...] qui soit respectueuse [...] de l'intégrité du processus canadien d'asile » (Guermache c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] C.F. 870, paragraphe 4). Cette allégation, essentiellement, revient à dire que le comportement de la Commission équivaut à un abus de procédure qui, dans certaines circonstances, peut constituer une erreur même si l'équité procédurale de l'audience n'est pas directement compromise.

[12]       Des arguments semblables ont été présentés à la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, affaire où il était question du retard, de la part de la Human Rights Commission de la Colombie-Britannique, à tenir une audience relative à des violations alléguées en matière de droits de la personne. M. Blencoe a plaidé devant la Cour, entre autres, que le délai inacceptable équivalait à un abus de procédure. En examinant ce motif de contrôle judiciaire, le juge Bastarache a affirmé au paragraphe 115 :

Je serais disposé à reconnaître qu'un délai inacceptable peut constituer un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque l'équité de l'audience n'a pas été compromise. Dans le cas où un délai excessif a causé directement un préjudice psychologique important à une personne ou entaché sa réputation au point de déconsidérer le régime de protection des droits de la personne, le préjudice subi peut être suffisant pour constituer un abus de procédure. L'abus de procédure ne s'entend pas que d'un acte qui donne lieu à une audience inéquitable et il peut englober d'autres cas que celui où le délai cause des difficultés sur le plan de la preuve. Il faut toutefois souligner que rares sont les longs délais qui satisfont à ce critère préliminaire. Ainsi, pour constituer un abus de procédure dans les cas où il n'y a aucune atteinte à l'équité de l'audience, le délai doit être manifestement inacceptable et avoir directement causé un préjudice important. Il doit s'agir d'un délai qui, dans les circonstances de l'affaire, déconsidérerait le régime de protection des droits de la personne. (Non souligné dans l'original.)

[13]       En traitant les revendications présentées par les demandeurs, la Commission a été moins compétente que ce à quoi on pourrait s'attendre d'une institution publique aussi importante. Les problèmes décrits par les demandeurs dans cette affaire constituent un comportement inacceptable de la part des fonctionnaires canadiens. Toutefois, celui-ci ne correspond pas au critère décrit dans l'arrêt Blencoe, précité. Les problèmes des demandeurs étaient particuliers à leur affaire - une affaire compliquée mettant en cause de nombreux intérêts divergents - et ne traduisent pas une défaillance systémique de la procédure normale de la Commission. Je suis incapable de conclure que tout le régime de demande d'asile canadien est déconsidéré par les actions des employés de la Commission et de la commissaire responsables du traitement du dossier des demandeurs.

[14]       Bref, les demandeurs n'ont pas réussi à me convaincre que l'iniquité du processus qu'ils ont vécu constituait une erreur donnant lieu à révision dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Ils ne m'ont pas persuadée que : a) ils ont subi un préjudice en raison des actions de la Commission; b) que les actions de la Commission, dans les circonstances de l'espèce, ont déconsidéré tout le régime de demande d'asile.

Question no 2 : La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la revendication présentée par le gendre du demandeur principal?

Historique de la revendication du gendre du demandeur principal

[15]       Le gendre du demandeur principal affirme qu'il craint d'être persécuté par les FARC. Il prétend notamment que les FARC ont tenté de le recruter alors qu'il allait à l'école à Armenia, en 1998. Il prétend avoir été témoin d'une fusillade dans un restaurant durant laquelle son meilleur ami a été tué. Le gendre du demandeur principal a quitté la Colombie le 24 décembre 1998 pour se rendre aux États-Unis, où il a fait l'objet d'une demande de visa parrainée par ses grands-parents. Au moment d'entrer au Canada en provenance des États-Unis, il avait engagé le processus de demande d'un visa américain. Le 27 avril 2001, il est venu au Canada rendre visite à Catalina, qu'il avait rencontrée aux États-Unis. Lorsqu'il a tenté de retourner aux États-Unis le 29 avril 2001, les services de l'immigration américains (INS) ont découvert qu'il avait travaillé illégalement aux États-Unis. Il a décidé de demeurer au Canada lorsque les douaniers américains l'ont informé qu'il serait placé en détention s'il rentrait aux États-Unis. Il a présenté une revendication le 30 avril 2001 en disant craindre avec raison d'être persécuté en Colombie par les FARC. Il est maintenant marié avec Catalina.

Constatations de la Commission relatives à la revendication du gendre du demandeur principal

[16]       En rejetant la revendication du gendre du demandeur principal, la Commission n'était pas convaincue que les FARC s'intéressaient à lui. La Commission a renvoyé à la preuve selon laquelle il a continué à vivre à la même adresse et à aller à l'école pendant plusieurs mois après les incidents pertinents. La Commission a aussi dit qu'il lui manquait des « preuves crédibles selon lesquelles les coups de feu tirés au restaurant [...] étaient bien destinés [au gendre du demandeur principal], étant donné qu'il n'y a pas eu de suivi [de la part des FARC] pendant les quatre mois après l'incident » . De plus, la Commission a conclu que son voyage au Canada en provenance des États-Unis, alors que sa demande de visa était en instance, « n'indique pas une crainte subjective de persécution » .

[17]       Pour résumer, la Commission n'était pas convaincue que le gendre du demandeur principal craignait avec raison d'être persécuté par les FARC. De plus, la Commission doutait de sa crainte subjective au motif qu'il avait compromis son visa américain en rendant visite à Catalina au Canada. La Commission a conclu que ce comportement contredisait sa prétention selon laquelle il avait une crainte subjective de persécution.

Visite du gendre du demandeur principal au Canada en provenance des États-Unis

[18]       Les demandeurs prétendent que la Commission s'est trompée en concluant que la décision du gendre du demandeur principal de visiter le Canada était incompatible avec une crainte subjective de persécution, car elle faisait courir un risque à sa demande de visa américain. Les demandeurs plaident que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve présentée par le gendre indiquant qu'il croyait ne pas avoir de problèmes.

[19]       Les demandeurs ont raison de dire que les motifs de la Commission ne contiennent aucun renvoi direct à l'explication donnée par le gendre selon laquelle un ami avait pu effectuer une visite sans difficulté. Compte tenu du temps que le gendre a passé aux États-Unis et de son évidente connaissance des règlements américains en matière d'immigration, la conclusion de la Commission ne m'apparaît pas déraisonnable. Il aurait toutefois été préférable que la Commission renvoie explicitement à l'explication et dise pourquoi elle l'avait rejetée. Il reste que, dans la présente affaire, une erreur quelconque de la Commission sur cette question est sans importance, puisque sa décision repose essentiellement sur sa conclusion que le gendre ne l'a pas convaincue du motif justifiant sa revendication. Toute conclusion relative aux raisons que pouvait avoir le gendre de venir au Canada constitue un élément pouvant appuyer - mais non déterminer - la décision de la Commission. Il n'y a pas d'erreur susceptible de révision.

Risque généralisé

[20]       En présentant sa revendication à la Commission, le gendre du demandeur principal a dit avoir des craintes pour lui-même et pour son fils, né au Canada, s'ils devaient retourner en Colombie. En ce qui a trait à l'intérêt de l'enfant, la Commission a déclaré avec raison qu'il serait « plus convenablement pris en compte par une filière autre que le présent tribunal » . Au sujet des conséquences pour le gendre d'être accompagné d'un jeune enfant en Colombie, la Commission a déclaré :

La conseil a fait valoir, dans ses observations, que s'il retournait en Colombie, [le gendre] subirait des peines ou des traitements cruels et inusités indirects à cause du stress psychologique qu'il aurait à vivre comme parent s'inquiétant du bien-être de son fils. Le tribunal est d'avis que ce risque est un risque général que courent tous les parents en Colombie en raison de la guerre civile qui dure toujours, et il ne dispose d'aucune preuve selon laquelle [le gendre] court un risque plus grand que tous les autres parents qui s'y trouvent.

[21]       Les demandeurs allèguent que la Commission a commis une erreur dans son application du critère établi en vertu du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, selon lequel, pour avoir qualité de personne à protéger, la personne doit être exposée à un risque « alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas » . Selon leurs allégations, la Commission a commis une erreur en assimilant « d'autres personnes » à « tous les parents » . À l'appui, les demandeurs citent une décision de la Commission dans laquelle elle avait conclu qu'un couple de revendicateurs était exposé à un risque de traitement cruel et inusité parce que leurs enfants risquaient d'être enlevés (I.D.Q. (Re), [2002] D.S.P.R. no 189).

[22]       Je note d'abord que la Commission, dans le paragraphe qui termine cette partie de ses motifs, déclare être arrivée à la conclusion que les risques auxquels est exposé le gendre « ne sont pas plus grands ni différents du risque général que courent tous les Colombiens » . Il semble donc que la Commission ait compris le critère correctement. La question est de savoir si le risque auquel est exposé un sous-groupe - en l'occurrence, les parents - correspond au risque visé par le sous-alinéa 97(1)b)(ii). La Commission a manifestement jugé que oui. La question dont je suis saisie est de savoir si cette extension du sens de « généralement » était correcte ou raisonnable. À mon avis, elle l'était.

[23]       Je ne trouve pas que la décision I.D.Q.,précitée, est utile. Dans cette affaire, les demandeurs d'asile étaient des ressortissants colombiens qui revendiquaient le statut de réfugié en disant craindre avec raison d'être persécutés par les FARC, et les enfants avaient été victimes de tentatives d'enlèvement. Le tribunal avait jugé qu'il existait une sérieuse possibilité que les enfants soient enlevés s'ils retournaient au Mexique et que « [s]i l'un de leurs enfants était enlevé et subissait un préjudice, les demandeurs d'asile adulte souffriraient vraisemblablement d'un grave traumatisme psychique » . En se fondant sur ces deux constatations, le tribunal a conclu que les enfants et leurs parents étaient des personnes à protéger. L'affaire dont je suis saisie est différente compte tenu des faits. Dans I.D.Q., les parents étaient exposés à un risque précis et personnel de la part de criminels qui avaient tenté d'enlever leurs enfants.

[24]       Il me semble que c'est le bon sens qui doit déterminer la signification du sous-alinéa 97(1)b)(ii). Disons les choses simplement : si les demandeurs ont raison de dire que les parents en Colombie forment un groupe exposé à un risque auquel les autres personnes de ce pays ne sont généralement pas exposées, cela veut dire que tout ressortissant colombien qui est un père ou une mère et qui vient au Canada est automatiquement une personne à protéger. Il ne peut pas en être ainsi.

[25]       Le risque décrit par les demandeurs et la Commission dans la présente affaire est un risque auquel des millions de Colombiens sont exposés; en fait, tous les Colombiens qui ont ou qui auront des enfants font partie de ce groupe. Il est difficile d'imaginer un groupe, à l'intérieur d'un pays, qui soit plus important ou considérable que le groupe formé par les « parents » .

[26]       De plus, je ne vois rien dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii) qui oblige la Commission à interpréter le mot « généralement » comme s'appliquant à tous les citoyens. Le mot « généralement » est communément utilisé dans le sens de « courant » ou « répandu » . Le législateur a délibérément choisi d'utiliser le mot « généralement » dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition. Si sa conclusion est raisonnable, comme c'est le cas ici, je ne vois pas le besoin d'intervenir.

[27]       En conclusion, la Commission a raisonnablement conclu que le risque auquel le gendre et son épouse étaient exposés était un risque général qui ne fait pas d'eux des personnes à protéger au sens de l'article 97.

Question no 3 : La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation du risque couru par les demandeurs en ne tenant pas compte de la preuve relative aux risques auxquels sont exposés les gens d'affaires en Colombie?

[28]       Les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur fatale en ne tenant pas compte du risque auquel les demandeurs étaient exposés du fait que le demandeur principal était le propriétaire d'une petite entreprise. Les demandeurs renvoient à de nombreux cas, attestés dans la preuve documentaire, de propriétaires de petites entreprises ciblés par les FARC pour des enlèvements, même à Bogotá, ville que la Commission a qualifiée de possibilité de refuge intérieur (PRI).

[29]       Je ne suis pas convaincue que ce fut une erreur. La Commission a évalué le risque possible pour les demandeurs à Bogotá en se fondant sur la preuve présentée par le demandeur principal. Celle-ci comprenait une admission de sa part qu'il pouvait trouver un emploi à Bogotá. Autrement dit, le témoignage même du demandeur principal était qu'il ne posséderait et n'exploiterait pas nécessairement sa propre entreprise de construction s'il retournait en Colombie et vivait à Bogotá. Même s'il avait déjà été ciblé par les FARC parce qu'il était un homme d'affaires, la preuve présentée à la Commission confirmait sa conclusion selon laquelle il n'était pas obligé d'être propriétaire de sa propre entreprise pour exercer son métier de constructeur intérieur. Ainsi, il n'était pas déraisonnable, de la part de la Commission, de conclure que Bogotá constituait une PRI viable. Dans les circonstances, il n'était pas nécessaire que la Commission renvoie à la preuve relative au ciblage des propriétaires d'entreprises.

Conclusion

[30]       Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

Les demandeurs proposent la question suivante pour fins de certification :

Peut-on établir qu'il y a eu violation du droit à une audition équitable, conforme au principes de la justice naturelle, même en l'absence de préjudice réel pour les demandeurs lorsque, d'après les faits de l'affaire, la Commission a procédé avant et après l'audience d'une manière si injuste qu'il n'y a pas apparence que justice a été rendue?

[31]       Le défendeur s'oppose à la certification de cette question.

[32]       Comme il a été dit plus haut, les pratiques administratives de la Commission étaient inappropriées, mais pas au point, à mon avis, d'être si injustes qu'il n'y avait pas apparence que justice avait été rendue. Par conséquent, la question de savoir si une telle injustice peut correspondre à une violation du droit à une audition équitable n'est pas déterminante. La question ne sera pas certifiée.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

     1.      que la demande soit rejetée;

   2.      qu'aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

« Judith A. Snider »

____________________________

                       Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-585-05

INTITULÉ :                                        HENRY MAURICIO GIL OSORIO et al.

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 5 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 27 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS :

Patricia Wells                                        POUR LES DEMANDEURS

Sharon Stewart Guthrie              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells, avocate                           POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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