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Date : 20011030

Dossier : T-403-98

Référence neutre : 2001 CFPI 1175

ENTRE :

                                                              IBM CANADA LIMITED

                                                                                                                                         demanderesse

                                                                                  et

                                                               SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            défenderesse

                                                        MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]              Il s'agit d'un appel formé en vertu du paragraphe 81.2(1) de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi), à l'encontre de l'avis de décision en date du 11 décembre 1997 par lequel le ministre du Revenu national a rejeté la demande de remboursement de la taxe de vente fédérale (TVF) à l'inventaire présentée par la demanderesse à l'égard de pièces de rechange libérées de la TVF (les pièces de rechange).

[2]                 Les motifs de la décision du ministre sont les suivants :

[TRADUCTION] Le ministre du Revenu national a examiné attentivement l'information et les motifs énoncés dans votre avis d'opposition. La détermination est par la présente ratifiée conformément au paragraphe 81.17(4) de la Loi sur la taxe d'accise.

Les marchandises en question ne peuvent faire l'objet d'un remboursement de la TVF à l'inventaire en vertu du paragraphe 120(2.1), qui précise que le remboursement de la TVF à l'inventaire ne s'applique pas à la partie des marchandises libérées de taxe qui sera vraisemblablement utilisée ou consommée par le fournisseur dans le cadre de la prestation d'un service.

[3]                 La question en litige dans le présent appel consiste à déterminer si les pièces de rechange donnent droit au remboursement prévu par le paragraphe 120(3) de la Loi. Plus particulièrement, il s'agit de savoir si les pièces de rechange remplissent les conditions requises par la définition d' « inventaire » énoncée à l'alinéa 120(1)a) de la Loi, compte tenu de l'esprit général de l'article 120. Il faut aussi déterminer si le paragraphe 120(2.1) a pour effet d'empêcher la demanderesse de bénéficier du mécanisme préventif de double imposition prévu au paragraphe 120(3), au motif qu'en date du 1er janvier 1991 les pièces de rechange allaient vraisemblablement être consommées ou utilisées par cette dernière.

Dispositions pertinentes de la Loi



Remboursement de la taxe de vente à l'inventaire

            Définitions

            120. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

            [...]

« inventaire » "inventory"       « inventaire » État descriptif des marchandises libérées de taxe d'une personne à un moment donné qui figurent à l'inventaire de la personne au Canada à ce moment et qui, à ce même moment, selon le cas :

                         a) sont destinées à être vendues ou louées séparément pour un prix ou un loyer en argent, dans le cours normal d'une activité commerciale de la personne;

                         b) sont des matériaux de construction réservés à l'usage de la personne dans le cadre d'une entreprise de construction, de rénovation ou d'amélioration de bâtiments ou de constructions qu'elle exploite, à l'exclusion de telles marchandises qui, avant ce moment, faisaient partie de constructions nouvelles ou de rénovations ou d'améliorations ou ont autrement été livrées à un chantier de construction, de rénovation ou d'amélioration.

Ne sont pas de telles marchandises :

                         c) les immobilisations de la personne;

                         d) les marchandises que la personne destine à la construction, à la rénovation ou à l'amélioration d'un bien qui est son immobilisation ou doit le devenir;

                         e) les marchandises figurant à l'inventaire d'une autre personne à ce moment.

[...]

            Vente improbable

(2.1) Pour l'application de l'alinéa

a) de la définition de « inventaire » au paragraphe (1), la partie des marchandises libérées de taxe qui figurent à l'inventaire d'une personne au Canada à un moment donné qui sera vraisemblablement consommée ou utilisée par la personne est réputée ne pas être destinée, à ce moment, à la vente ou à la location.

            Remboursement de la taxe de vente

            (3) Sous réserve du présent article, dans le cas où l'inventaire d'une personne inscrite aux termes de la sous-section d de la section V de la partie IX le 1er janvier 1991 comprend, au début de cette date, des marchandises libérées de taxe, les règles suivantes s'appliquent :

                         a) si les marchandises libérées de taxe ne sont pas des marchandises d'occasion, le ministre verse à la personne, sur sa demande, un remboursement en conformité avec les paragraphes (5) et (8);

b) si les marchandises libérées de taxe sont des marchandises d'occasion, elles sont réputées, pour l'application de l'article 176, être des biens meubles corporels d'occasion fournis par vente à la personne au Canada le 1er janvier 1991 relativement auxquels la taxe n'est pas payable par la personne, et avoir été acquises pour fourniture dans le cadre des activités commerciales de la personne pour une contrepartie payée à cette date égale à 50 % du montant auquel les marchandises seraient évaluées à cette date aux fins du calcul du revenu de la personne provenant d'une entreprise pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Sales Tax Inventory Rebate

Definitions

120. (1) In this section,

[...]

"inventory" « inventaire »

"inventory" of a person as of any time means items of tax-paid goods that are described in the person's inventory in Canada at that time and that are

(a) held at that time for sale, lease or rental separately, for a price or rent in money, to others in the ordinary course of a commercial activity of the person, or

            (b) building materials held at that time for use by the person in a business of constructing, renovating or improving buildings or structures carried on by the person, but not including any such goods that before that time have been incorporated into new construction or a renovation or improvement or have otherwise been delivered to a construction, renovation or improvement job site,

and that are not

(c) capital properties of the person,

            (d) held by the person for use in the construction, renovation or improvement of property that is or is to be capital property of the person, or

            (e) included in the description of any other person's inventory at that time;

[...]

Goods not expected to be sold

(2.1) For the purposes of paragraph (a) of the definition "inventory" in subsection (1), that portion of the tax-paid goods that are described in a person's inventory in Canada at any time that can reasonably be expected to be consumed or used by the person shall be deemed not to be held at that time for sale, lease or rental.

Rebate of sales tax

(3) Subject to this section, where a person who, as of January 1, 1991, is registered under Subdivision d of Division V of Part IX has any tax-paid goods in inventory at the beginning of that day,

(a) where the tax-paid goods are goods other than used goods, the Minister shall, on application made by the person, pay to that person a rebate in accordance with subsections (5) and (8); and

(b) where the tax-paid goods are used goods, the goods shall be deemed, for the purposes of section 176, to be used tangible personal property supplied in Canada by way of sale on January 1, 1991 to the person in respect of which tax was not payable by the person and to have been acquired for the purpose of supply in the course of commercial activities of the person for consideration paid on that day equal to 50% of the amount at which the goods would be required to be valued on that date for the purpose of computing the person's income from a business for the purposes of the Income Tax Act.


[4]        Tout d'abord, je dois parler brièvement du régime législatif qui a été mis en place par le gouvernement le 1er janvier 1991. À cette date, la taxe sur les produits et services (TPS), qui remplaçait la taxe de vente fédérale (TVF), entrait en vigueur au Canada.

[5]        En vertu du régime de la TVF, une taxe était prélevée sur la plupart des produits manufacturés et importés, cette taxe étant ensuite remise au gouvernement par le fabricant ou l'importateur. Sous le régime de la TPS, les entreprises perçoivent une taxe de 7 % sur le prix de vente de leurs produits et services et, ce faisant, agissent à titre de mandataires du gouvernement. Le montant ainsi perçu est ensuite remis au gouvernement.


[6]        Dans le but d'éviter une double imposition, c'est-à-dire pour éviter que les produits sur lesquels la TVF avait été prélevée soient assujettis à la TPS lors de leur vente subséquente, le législateur a adopté l'article 120 de la Loi sur la taxe d'accise et a prévu un mécanisme de remboursement de la TVF à l'égard des marchandises figurant à l' « inventaire » . Pour donner droit au remboursement prévu par l'article 120, les marchandises devaient :

(i)         être destinées à la fourniture taxable (au sens du paragraphe 123(1)) par vente ou location à d'autres dans le cours normal de l'entreprise de la personne, ou [...];

(ii)         figurer à l'inventaire de la personne et n'avoir jamais été radiées aux fins de l'impôt sur le revenu;

(iii)        être neuves et n'avoir jamais servi;

(iv)       avoir été acquises par la personne avant le 1er janvier 1991 et avoir être libérées de la TVF; et

(v)        avoir été importées au Canada avant le 1er janvier 1991.


[7]        En 1993, le législateur a modifié l'article 120 de la Loi de la façon suivante. Premièrement, le mot « séparément » a été ajouté à l'alinéa 120(1)a) après les mots « destinées à être vendues ou louées » [1]. Deuxièmement, le paragraphe 120(2.1) a été ajouté pour faire en sorte que la partie des marchandises « consommée ou utilisée par la personne » soit réputée ne pas être destinée à la vente ou à la location.

[8]        Les modifications ont été adoptées avec effet rétroactif au 17 décembre 1991.

[4]              Voyons maintenant les faits pertinents à la résolution de la présente affaire. En juin 1991, la demanderesse a présenté une demande de remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire pour une somme de 6 139 502 $. Le remboursement était demandé à l'égard de marchandises ayant une valeur de 75 796 320 $. La demande concernait des pièces de rechange d'ordinateurs figurant à l'inventaire de la demanderesse au 1er janvier 1991.


[5]              Les parties s'entendent sur le fait qu'à compter du 1er janvier 1991 les pièces de rechange allaient être fournies par la demanderesse à ses clients dans le cadre de l'exécution de ses obligations aux termes d'une entente sur les pièces de rechange et la main-d'oeuvre conclue avec chacun d'eux. Mme Felepchuk, responsable des programmes gouvernementaux chez la demanderesse, qui occupait le poste d'analyste dans le domaine des taxes à la consommation en 1991, a témoigné que les pièces de rechange étaient gardées en inventaire par la demanderesse pour fourniture à ses clients [TRADUCTION] « dans le cadre de notre entente sur l'entretien » [2]. Au 31 décembre 1991, toutes les pièces de rechange avaient été fournies par la demanderesse à ses clients. Les ententes sur l'entretien pour l'année se terminant le 31 décembre 1991 ont procuré un revenu d'environ 369 millions de dollars à la demanderesse. Sur cette somme, quelque 25 millions de dollars ont été remis au gouvernement au titre de la TPS.

[6]                 Le 15 octobre 1991, le ministre du Revenu national (le ministre) a délivré un avis de détermination rejetant la demande de remboursement de la demanderesse pour les motifs suivants :

[TRADUCTION] Votre demande a été rejetée :

- Les marchandises visées par la demande de remboursement ne sont pas destinées à être vendues ou louées à des clients dans le cours normal de votre activité commerciale.

[7]                 Le 7 janvier 1992, la demanderesse a présenté un avis d'opposition à la Division des appels du ministère du Revenu national. Les faits et les motifs invoqués par la demanderesse à l'appui de son avis d'opposition sont les suivants :


[TRADUCTION] Le présent avis d'opposition est présenté en réponse à l'avis de détermination 009627 daté du 15 octobre 1991, dont vous trouverez ci-joint une copie.

Notre demande de remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire pour une somme de 6 139 502 $ concernait des marchandises (pièces destinées à être utilisées dans le cadre d'une entente de garantie ou d'entretien) donnant droit au remboursement prévu par les dispositions de la Loi sur la taxe d'accise.

L'article 120 de la Loi prévoit que les marchandises neuves et n'ayant jamais servi qui ont été libérées de taxe, qui sont destinées à la fourniture taxable, qui figurent à l'inventaire d'une personne au Canada et ne sont pas des immobilisations de cette personne, donnent droit au remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire.

Les inventaires en question sont constitués de marchandises libérées de taxe neuves et qui n'ont jamais servi. Ces marchandises sont destinées à la fourniture taxable, telle que définie à l'article 123 de la Loi. Les pièces sont fournies à nos clients dans le cours normal d'une activité commerciale, et ne sont donc pas consommées dans le cadre de la prestation d'un service. Le titre de propriété de ces pièces est bel et bien transféré au consommateur. Les marchandises figurent à l'inventaire et ne sont pas des immobilisations de la personne. Pendant qu'elles figurent à l'inventaire, ces marchandises sont destinées à être vendues. Une partie de ces marchandises peut par la suite être utilisée dans le cadre de l'exécution d'un contrat de service, mais cela ne signifie pas que ces marchandises n'étaient pas destinées à être vendues lorsqu'elles figuraient à l'inventaire. Une partie de ces pièces a d'ailleurs été vendue à une autre entité juridique à la fin de l'année 1991, ce qui démontre bien que les inventaires sont destinés à la vente.

L'interprétation qui a été faite de la Loi dans l'avis de détermination en question a pour effet d'accorder un avantage concurrentiel indu aux entreprises qui détenaient une licence de fabricant ou de manufacturier sous l'ancien régime de la TVF. Plusieurs d'entre elles ont pu se procurer les pièces destinées à être utilisées dans le cadre d'une garantie ou d'une entente sur l'entretien en franchise de TVF pour ensuite établir elles-mêmes leur cotisation à l'égard des pièces destinées aux ententes sur l'entretien, au fur et à mesure qu'elles étaient retirées de l'inventaire. Leurs inventaires étaient donc exonérés de TVF au 1er janvier 1991. Les inventaires des entreprises qui ne détenaient pas de telles licences étaient constitués de marchandises à l'égard desquelles la TVF avait été payée.


Ces inventaires se trouvent maintenant assujettis à une double imposition, ce qui ne correspond manifestement pas à l'intention du législateur énoncée dans les notes explicatives concernant l'article 120. La plupart des pièces sous examen seront fournies à des clients dans le cadre d'une forme quelconque d'entente de garantie ou d'entretien après 1990, donnant ainsi lieu au paiement de la TPS. Le prix des pièces fournies aux termes de ces ententes comporteront un montant de TVF, d'où la double imposition.

Une autre injustice réside dans le fait que les pièces destinées à être fournies par un commerçant à un client dans le cadre d'une garantie du manufacturier donnent droit au remboursement, et ce, même si ces pièces devraient en principe être considérées comme des marchandises destinées à être utilisées dans le cadre de l'exécution d'un contrat de service. Par conséquent, les commerçants qui fournissent les pièces garanties directement au consommateur sont mis en position de désavantage concurrentiel par rapport à ceux qui fournissent ces mêmes pièces dans le cadre d'une garantie du manufacturier.

En conséquence de ce qui précède, nous soumettons que les marchandises visées par la demande en cours d'examen donnent droit au remboursement de la taxe de vente fédérale à l'inventaire. Nous demandons donc au ministre d'annuler l'avis de détermination.

[8]                 Le 11 décembre 1997, le ministre rendait la décision attaquée par la demanderesse au moyen du présent appel, formé le 11 mars 1998. La demanderesse demande à la Cour d'annuler la décision du ministre et d'ordonner à celui-ci de lui verser le remboursement demandé, avec intérêt. La demanderesse sollicite également les dépens.


[9]                 La position de la demanderesse est claire. Elle prétend que les pièces de rechange n'étaient pas destinées « à être consommées ou utilisées » de la façon prévue par le paragraphe 120(2.1). La demanderesse affirme que les pièces de rechange étaient destinées à être utilisées dans le cadre bien précis de l'exécution de ses obligations envers ses clients aux termes d'ententes sur les pièces et la main-d'oeuvre. Elle allègue que les pièces de rechange fournies à ses clients sont devenues, à un moment donné, la propriété de ces clients et que, de ce fait, il y a eu transfert de propriété et vente au sens où on l'entend dans la définition d' « inventaire » énoncée au paragraphe 120(1). Selon son interprétation, puisque les pièces de rechange étaient « destinées à être vendues » au sens de l'alinéa 120(1)a), elle a donc droit, en vertu du paragraphe 120(3), au remboursement demandé.

[10]          À titre subsidiaire, se fondant sur les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), la demanderesse soutient que le paragraphe 120(2.1) équivaut à une perquisition ou à une saisie abusive aux termes de l'article 8 de la Charte et/ou porte atteinte aux principes de justice fondamentale à un point tel qu'elle justifie le recours à la protection garantie par l'article 7 de la Charte.

[11]            La position de la défenderesse est aussi claire que celle de la demanderesse. Dans son argumentation écrite pour le compte de la défenderesse, M. Ciavaglia allègue ce qui suit :

[traduction] IBM Canada Ltd. poursuit la Couronne pour une affaire de remboursement de la taxe de vente fédérale payée sur des pièces de rechange d'ordinateurs importées au Canada avant 1991 et figurant à l'inventaire. IBM croit avoir droit au remboursement parce que ces pièces de rechange ont fait l'objet d'une double imposition. Elles auraient été assujetties à la taxe sur les produits et services lorsqu'elles ont été vendues à des clients après 1991, date d'entrée en vigueur de la TPS.

En réalité, cependant, la TPS n'a jamais été perçue à l'égard de ces pièces. La TPS est une taxe à la consommation prélevée sur le prix de vente des produits et services. Les pièces de rechange n'ont jamais été vendues aux clients. IBM les a plutôt fournies dans le cadre de services d'entretien.

Par conséquent, l'action d'IBM n'est pas fondée et devrait être rejetée.


[17]      Plus particulièrement, la défenderesse soutient que les pièces de rechange n'étaient pas destinées à être vendues, séparément ou autrement, par la demanderesse, et qu'elles étaient utilisées par celle-ci dans le cadre de la prestation d'un service à ses clients.

[12]          En ce qui concerne les prétentions de la demanderesse liées à la Charte, la défenderesse estime qu'elles sont sans fondement. Premièrement, la défenderesse soutient que la demanderesse n'avait pas droit au remboursement demandé en vertu de la loi antérieure à 1993 puisque les pièces de rechange n'étaient pas destinées à être vendues au 1er janvier 1991. Selon la défenderesse, le législateur n'aurait donc pas porté atteinte aux droits acquis de la demanderesse en édictant le paragraphe 120(2.1). Deuxièmement, la défenderesse fait observer que l'article 7 de la Charte ne s'applique pas aux personnes morales et que cette disposition n'a pas pour objet de protéger des intérêts d'ordre financier. Troisièmement, la défenderesse prétend que la loi rétroactive en question ne peut être considérée comme une saisie au sens de l'article 8 de la Charte parce qu'une « saisie » , au sens de cet article, consiste en une saisie de biens à des fins d'enquête ou de preuve.


[13]            Pour trancher les questions qui me sont soumises, il est important, voire primordial, d'examiner les ententes intervenues entre la demanderesse et ses clients. Aux termes de ces ententes, que je qualifierai d'ententes sur l'entretien, la demanderesse s'est engagée à réparer ou échanger les ordinateurs faisant l'objet de l'entente. La pièce A-31, qui est une copie du document énonçant les conditions générales du plan de service de la demanderesse, et la pièce A-32, qui consiste en une copie de l'entente sur l'entretien découlant de ce plan de service (services d'entretien), ont été déposées en preuve. Les clauses 1 et 3 de l'entente sur l'entretien (pièce A-32) sont pertinentes et je les reproduis ci-dessous :

[TRADUCTION]

1.        Documents contractuels connexes

Le document contractuel connexe à la présente entente est le document énonçant les conditions générales du plan de service d'IBM.

[...]

3.        Service d'entretien

IBM fournira le service d'entretien inclus dans l'un des types de service définis au paragraphe intitulé « Types de service » . IBM fournira le service d'entretien au besoin, en réparant ou en échangeant l'appareil selon le type de service que vous aurez choisi. Si l'appareil n'est pas marqué d'une étiquette, vous pourrez ultérieurement opter pour un autre type de service, qui entrera en vigueur dans les 15 jours suivant l'avis donné à IBM à cet effet. Si l'appareil est marqué d'une étiquette, le type de service choisi demeurera en vigueur pour une période d'un an. Sur réception du paiement des frais applicables, IBM vous enverra une étiquette identifiant le type de service choisi. Vous vous engagez à fixer l'étiquette sur le bon appareil.

IBM déterminera et installera les modifications techniques applicables aux appareils aux périodes convenues entre vous et IBM.

Réparation

Dans le cadre d'un service de réparation, IBM fournira de la maintenance corrective pour garder les appareils en bon état de marche, ou pour les remettre dans un tel état. Ce service pourra inclure de l'entretien préventif si IBM le juge nécessaire. Le service de réparation pourra inclure la lubrification, l'ajustement et le remplacements de pièces si IBM le juge nécessaire. IBM installera les pièces de remplacement, qui pourront être neuves ou usagées, sur la base d'un échange. Les pièces remplacées deviendront la propriété de IBM.

Échange


Dans le cadre d'un service d'échange, IBM fournira un appareil en échange. Cet appareil pourra être usagé, mais devra être en bon état de marche. Au moment de l'échange, la propriété dudit appareil vous sera transférée et IBM deviendra propriétaire de l'appareil défectueux. Vous devrez faire en sorte que l'appareil défectueux soit libre de toute charge au moment où vous le remettrez à IBM.

IBM se réserve le droit de vérifier si l'appareil est admissible à l'échange. L'appareil offert en échange à IBM ne devra pas être usé ni altéré, ni nécessiter des réparations autres que celles prévues dans le cadre du service d'entretien, ou être endommagé au point d'être non réparable. Cependant, si IBM constate, après inspection, qu'elle a reçu en échange un appareil défectueux en pareille condition, vous serez responsable des frais liés à la réparation du dommage ou à la restauration de l'appareil. Vous serez également responsable des réparations dues à des pièces manquantes.

[...]

[14]          La clause 1 de l'entente sur l'entretien stipule que ladite entente est sujette aux conditions générales énoncées dans le plan de service d'IBM (pièce A-31). Les clauses 2 et 3 de ces conditions générales prévoient ce qui suit :

[traduction]

2. Facturation et paiement

IBM vous facturera les frais spécifiés dans le(s) contrat(s). Vous devrez faire les paiements de la façon indiquée dans la facture ou dans tout autre document de facturation.

3. Taxes

Outre les frais indiqués dans le supplément, vous vous engagez à payer le montant de toute taxe, imposition, cotisation ou tout autre frais pouvant découler d'une offre ou de toute activité s'y rapportant, à l'exception de l'impôt calculé sur le revenu net de IBM. Les frais indiqués dans le supplément comprennent les sommes découlant des taxes d'accise et de vente fédérales et des droits de douane en vigueur à la date du supplément. Nonobstant toute disposition contraire d'un contrat, vous devrez payer à IBM toute augmentation de ces droits ou taxes, de même que tout montant, nouveau ou modifié, relatif à ces droits, taxes, cotisations ou impositions.


[15]            Je reproduis également la clause 6 :

[traduction]

LA PRÉSENTE ENTENTE EN EST UNE DE SERVICES. SAUF EN CAS DE STIPULATION CONTRAIRE, IBM N'OFFRE AUCUNE GARANTIE, EXPRESSE OU IMPLICITE, Y COMPRIS MAIS DE FAÇON NON LIMITATIVE LES GARANTIES IMPLICITES DE QUALITÉ MARCHANDE ET D'APTITUDE À UN USAGE PARTICULIER.

[16]          Aux termes des ententes sur l'entretien, la demanderesse s'engage à fournir à ses clients, pour une période convenue, une protection contre la défaillance des pièces d'ordinateurs faisant l'objet de ces ententes. Plus particulièrement, la demanderesse s'engage à réparer ces pièces d'ordinateurs qui sont défectueuses. Les coûts de la main-d'oeuvre nécessaire pour effectuer les réparations sont également compris dans ces ententes.

[17]            En contrepartie de la réparation des pièces défectueuses ou de l'échange de l'ordinateur, les clients de la demanderesse acceptent de verser un montant fixe, généralement mensuel, qu'il ait ou non été nécessaire de réparer des pièces défectueuses ou de procéder à un échange. La TPS est imputée sur le forfait mensuel convenu. Les pièces D-2 et D-3 sont des échantillons de factures établies par la demanderesse à l'égard de ses clients. Par exemple, à la pièce D-2, qui est une facture établie en date du 1er avril 1991, figurent les frais d'entretien applicables pour le mois d'avril 1991. Ces frais s'élèvent à 1542 $ et ont été majorés d'une somme de 107,94 $ au titre de la TPS.


[18]            Lorsqu'une pièce d'ordinateur a besoin de réparation, les clients de la demanderesse n'ont rien d'autre à payer que le forfait mensuel convenu. Par conséquent, lorsque la demanderesse fournit une pièce à un client, cette pièce lui est fournie sans frais, et, de ce fait, aucune autre facture que celle relative au forfait mensuel n'est envoyée au client.

[19]          Lors de son témoignage, Mme Felepchuk a expliqué comment la demanderesse établissait le prix du forfait mensuel ou annuel. Aux pages 92 et 93 de la transcription d'avril 2001, Mme Felepchuk a donné les explications suivantes :

[TRADUCTION]

Q.         J'aimerais vous interroger sur la façon d'établir les prix. Comment les frais étaient-ils facturés dans le cadre de ces ententes sur l'entretien, le cas échéant?

R.          Nous facturons ces frais généralement sur une base mensuelle, parfois sur une base annuelle.

Q.         Et comment les prix étaient-ils été établis?

R.          Les prix étaient établis en fonction de ce que nous coûtaient les pièces et la main-d'oeuvre fournis dans le cadre des ententes. Donc, par exemple, nous pouvions estimer le coût des pièces, de même que le coût de la main-d'oeuvre, et nous appliquions ensuite un supplément approprié afin de s'assurer d'atteindre nos objectifs de profit brut.

Q.         Quel rôle tenaient les pièces de rechange, le cas échéant, dans l'établissement des prix des ententes sur l'entretien?

R.          Elles tenaient un rôle important parce qu'elles constituent une portion appréciable et coûteuse du service fourni.

Q.         Quand les frais afférents aux services d'entretien sont-ils facturés?


R.          Généralement le premier jour de chaque mois.

Q.         La TPS est-elle imputée aux sommes facturées comme il se doit?

R.          Oui.

Q.         Avez-vous une idée de la valeur relative de la pièce de rechange par rapport à la valeur de la main-d'oeuvre fournie?

R.          Oui. Nous n'avons qu'à consulter nos états financiers vérifiés pour constater que les pièces valent généralement deux fois plus que la main-d'oeuvre. Donc, bien qu'il s'agisse de chiffres ronds, je peux affirmer que si vous fournissez pour 66 $ de pièces, cela équivaut à 34 $ de main-d'oeuvre.

Q.         Donc, vous dites « généralement » . S'agit-il d'une donnée générale ou disposez-vous de données spécifiques à l'appui de votre affirmation?

R.          Non. Nous avons utilisé nos états financiers, qui ont été vérifiés par nos vérificateurs externes, pour tirer cette conclusion.

Q.         Donc, disposez-vous ou non de données spécifiques à l'appui de votre affirmation?

R.          Je dispose de données spécifiques.

Q.         Vous souvenez-vous, comment s'évalue le coût -- vous avez mentionné un rapport de 66 à 34? Quel rapport s'établit entre le coût et la valeur relative en ce qui concerne les revenus gagnés en vertu des ententes sur l'entretien?

R.          Ce rapport est - excusez-moi. Il y a un rapport direct parce que vous ajoutez un supplément tant aux pièces qu'à la main-d'oeuvre afin d'obtenir le profit brut désiré, et le même rapport existe tant du côté des revenus que du côté des coûts.

Q.         Que voulez-vous dire par « ajouter un supplément » ?

R.          Vous prenez le coût de la pièce et le coût de la main-d'oeuvre, puis vous déterminez le profit que vous vouliez obtenir en les fournissant, et vous ajoutez un supplément pour établir le prix.

[20]          Selon le témoignage de Mme Felepchuk, les frais facturés par la demanderesse à ses clients dans le cadre des ententes sur l'entretien incluaient le coût des pièces de rechange.

[21]          J'en viens maintenant aux motifs sur lesquels se fonde la défenderesse pour refuser le remboursement demandé par la demanderesse. Comme je l'ai mentionné précédemment, la défenderesse allègue que les pièces de rechange n'étaient pas destinées à être vendues, séparément ou autrement, par la demanderesse, et que celle-ci a utilisé ces pièces dans le cadre de la prestation d'un service à ses clients. Dans son argumentation écrite, M. Kreklewetz, pour le compte de la demanderesse, a exprimé en ces termes les questions en litige :

(1)                 Les pièces de rechange étaient-elles « destinées à être vendues » ?

(2)                 Si les pièces de rechange étaient « destinées à être vendues » , la Cour doit se demander si ces marchandises sont réputées ne pas être destinées à la vente en vertu du paragraphe 120(2.1) de la Loi;


(3)              Si les pièces sont réputées ne pas être « destinées à être vendues » en vertu du paragraphe 120(2.1), la dernière question à trancher consiste à savoir si ledit paragraphe 120(2.1) porte atteinte aux droits de la demanderesse garantis aux articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés, et s'il est, par conséquent, inopérant en application de l'article 52 de la Charte.

[22]          J'examinerai la première question à la lumière de la loi antérieure à 1993 et des modifications qui y ont été apportées en 1993. Je commencerai par une brève analyse de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Will-Kare Paving & Contracting Limited c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, sur lequel les deux parties fondent leurs positions respectives. Le juge Major, qui a rédigé les motifs pour la majorité, a formulé en ces termes, à la page 921, la question dont la Cour était saisie :

Le présent pourvoi porte sur le droit de l'appelante de se prévaloir, pour les années d'imposition 1988,1989 et 1990, de deux stimulants fiscaux aux titres de la fabrication et de la transformation, fondés sur le coût en capital d'une usine de fabrication d'asphalte qu'elle a construite en 1988. Le droit aux deux stimulants, à savoir la déduction pour amortissement accéléré et le crédit d'impôt à l'investissement, est fonction de ce que l'usine produisant l'asphalte fourni dans le cadre des services d'asphaltage soit utilisée principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre.


[23]          Plus particulièrement, la Cour suprême devait décider si l'usine construite par l'appelante dans le but de produire l'asphalte qu'elle allait fournir dans le cadre de l'exécution de ses contrats constituait un bien utilisé pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente. Dans son résumé des faits pertinents, le juge Major a indiqué que l'entreprise de l'appelante consistait à revêtir d'asphalte des allées, des stationnements ainsi que des voies publiques secondaires pour des clients commerciaux et résidentiels. Il a également précisé que 75 % de la production d'asphalte de l'appelante était utilisée en liaison avec son entreprise d'asphaltage et que 25 % de cette production était vendue à des tiers. À la page 931, au paragraphe 26 de ses motifs, le juge Major résume ainsi l'un des arguments invoqués par l'appelante :

Dans le présent pourvoi, Will-Kare reconnaît que l'asphalte fourni dans le cadre des services d'asphaltage l'est en application d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux. Néanmoins, elle demande à notre Cour de recourir à l'interprétation fondée sur le sens ordinaire qui est préconisée dans Halliburton et Nowsco et selon laquelle la fabrication de marchandises à vendre s'entend de la fabrication de toute marchandise devant être fournie à un client contre valeur, peu importe que des services d'asphaltage soient fournis concurremment. L'intimée fait valoir au contraire que, comme il est mentionné dans Crown Tire et Hawboldt Hydraulics, le mot vente employé dans le cadre des stimulants fiscaux pour la fabrication et la transformation s'entend nécessairement de la vente de marchandises au sens de la common law et de la loi.

[30]      Dans l'arrêt Will-Kare, précité, l'appelante, pour avoir gain de cause, devait établir que l'usine de fabrication d'asphalte qu'elle avait construite constituait un « bien admissible » au sens du paragraphe 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, devant être utilisé directement ou indirectement par elle au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente. Aux pages 928 à 930 (paragraphes 19 à 22), le juge Major expose les points de vue contradictoires qui ressortent de la jurisprudence sur le sens à donner au mot « vente » dans la loi en cause :

19        Il ressort de la jurisprudence canadienne deux interprétations divergentes des activités comportant fabrication et transformation de marchandises à vendre. Il peut être utile, sans examiner de façon approfondie la jurisprudence pertinente, d'exposer brièvement les affaires qui illustrent ces deux écoles de pensée.


20        L'un des deux points de vue est exprimé dans Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219 (1re inst.), qui invoque des distinctions issues de la common law et du droit provincial en matière de vente de marchandises pour définir l'admissibilité aux stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Seuls sont admissibles les biens en immobilisation utilisés pour fabriquer ou transformer des marchandises fournies en exécution de contrats comportant uniquement la vente de ces marchandises. Un bien utilisé pour fabriquer ou transformer des marchandises fournies dans le cadre de la prestation de services, c'est-à-dire en exécution d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, n'est pas considéré comme utilisé directement ou indirectement au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation d'articles destinés à la vente et n'ouvre donc pas droit à la déduction pour amortissement accéléré ou au crédit d'impôt à l'investissement.

21        La question en litige dans l'affaire Crown Tire était de savoir si la fixation de bandes de roulement fabriquées par la contribuable à des pneus que des clients venaient faire réparer équivalait à la fabrication ou à la transformation d'articles à vendre. Le juge Strayer (nommé depuis à la Cour d'appel) a rejeté la prétention de la contribuable selon laquelle elle avait droit au crédit d'impôt au titre des bénéfices de fabrication et de transformation prévu à l'art. 125.1, car les bandes de roulement fabriquées étaient fournies en exécution d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, cette qualification étant fondée sur le mode de transfert de la propriété à l'acheteur.

[...]

22        L'autre école de pensée se dissocie du point de vue exprimé dans Crown Tire et se refuse à appliquer les règles issues des lois et de la common law en matière de vente de marchandises pour déterminer à quels biens en immobilisation s'appliquent les stimulants fiscaux accordés pour la fabrication et la transformation. Elle préconise plutôt une interprétation littérale du mot « vente » , de telle sorte que la prestation d'un service accessoire à la fourniture d'un article fabriqué ou transformé n'empêche pas le contribuable de bénéficier des stimulants. Le transfert de propriété contre valeur suffit. Voir Halliburton Services Ltd. c. La Reine, 85 D.T.C. 5336 (C.F. 1re inst.), conf. par 90 D.T.C. 6320 (C.A.F.), et La Reine c. Nowsco Well Service Ltd., 90 D.T.C. 6312 (C.A.F.).

23         Dans Halliburton et Nowsco, le type de contrat entre le contribuable et le client n'a pas été jugé pertinent. Dans les deux cas, la Cour d'appel fédérale a cité et approuvé ce que disait le juge Reed, en première instance, dans Halliburton, semblant recommander un autre critère fondé sur la source du bénéfice du contribuable (à la p. 5338) :

[...] je ne trouve aucune exigence selon laquelle le contrat qui donne lieu au bénéfice du contribuable doive être d'une nature particulière par ex. : un contrat pour la vente de marchandises et non un contrat d'une nature plus étendue qui comprend le travail et la main-d'oeuvre ainsi que les marchandises ou les matériaux qui sont fournis. À mon avis, c'est la source du bénéfice, (qui découle de la transformation) qui est importante [...] et non la nature du contrat du contribuable avec ses clients.


[31]      Le juge Major a conclu que l'usine de production d'asphalte avait été utilisée principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises fournies dans le cadre de contrats de fourniture d'ouvrage et de matériaux, et non dans le cadre de contrats de vente. Le juge Major a considéré que le sens du mot « vente » devait être déterminé en fonction des « notions de vente et de louage [...] établies par le droit privé » . En somme, le juge Major a adopté la position prise par le juge Strayer (tel était alors son titre) dans Crown Tire Service Ltd. c. La Reine, [1984] 2 C.F. 219 (1re inst.). Le raisonnement suivi par le juge Major pour en arriver à cette conclusion se trouve aux paragraphes 31 à 36 de ses motifs (pages 933 à 935), où il s'exprime en ces termes :

31         Interpréter en l'espèce le mot vente selon son « sens ordinaire » supposerait que la Loi s'applique en vase clos sans tenir aucun compte de la qualification juridique des rapports commerciaux plus généraux qu'elle vise. Il ne s'agit pas d'un code du commerce qui s'ajoute à une loi fiscale. Notre Cour a tenu pour acquis, dans des arrêts antérieurs, qu'il faut s'en remettre aux règles plus générales du droit commercial pour attribuer un sens à des mots qui, indépendamment de la Loi, sont bien définis. Voir Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298. Voir également P. W. Hogg, J. E. Magee et T. Cook, Principles of Canadian Income Tax Law (3e éd. 1999), à la p. 2, où les auteurs signalent :

[TRADUCTION] La Loi de l'impôt sur le revenu se fonde implicitement sur le droit commun et plus particulièrement sur le droit des contrats et le droit des biens [...] Le fait qu'une personne soit un employé, un entrepreneur indépendant, un associé, un mandataire, le bénéficiaire d'une fiducie ou l'actionnaire d'une société par actions a généralement une incidence sur l'obligation fiscale et dépend de notions du droit commun, soit généralement du droit provincial.

32         Il est également conforme au principe moderne de l'interprétation des lois en fonction de leur objet de s'en remettre au contexte plus large du droit commercial pour déterminer le sens à donner aux termes employés dans la Loi. Comme le dit E. A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87 :


[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au par. 21. Pour l'interprétation des lois fiscales, notre Cour a appliqué la méthode moderne. Voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, au par. 5, le juge Bastarache, et au par. 50, le juge Iacobucci; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, à la p. 578.

33         La nature technique de la Loi ne permet pas d'élargir le principe du sens ordinaire de manière à englober le sens courant. Le mot vente a un sens juridique bien établi et reconnu.

34         Dans ses arguments, Will-Kare préconise essentiellement l'application du critère des réalités économiques pour déterminer ce qui constitue une vente pour l'octroi des stimulants fiscaux au titre de la fabrication et de la transformation. Toutefois, comme je l'ai déjà mentionné, sauf indication contraire expresse dans la loi,je considère que, en ce qui concerne les stimulants fiscaux, le renvoi aux notions de vente et de louage introduit des distinctions établies par le droit privé. Les dispositions en cause sont claires et non équivoques, et le renvoi aux réalités économiques n'est pas justifié. Voir Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au par. 40.

35         Il serait loisible au législateur de prévoir une définition plus étendue de la vente aux fins de l'application des stimulants fiscaux en adoptant un libellé clair en ce sens. Cependant, comme les dispositions en cause renvoient simplement à la vente, on ne peut conclure qu'il a voulu donner une autre portée que celle découlant de la common law et des lois relatives à la vente de marchandises.

36         Pour les années d'imposition considérées, environ 75 pour 100 de l'asphalte fabriqué à l'usine de Will-Kare était fourni dans le cadre des services d'asphaltage de Will-Kare. Ainsi, l'usine était utilisée principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises fournies en exécution de contrats de fourniture d'ouvrage et de matériaux, et non en exécution de contrats de vente. La propriété de l'asphalte est passée aux clients de Will-Kare comme accessoire fixe d'un bien.

[Non souligné dans l'original.]

[24]          La défenderesse se fonde sur l'arrêt Will-Kare, précité, de la Cour suprême pour affirmer que les marchandises fournies dans le cadre de la prestation d'un service, soit dans le cadre d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux en l'occurrence, ne sont pas des marchandises à vendre dans le contexte de la législation fiscale. La demanderesse n'est pas d'accord avec la défenderesse sur le sens à donner au mot « vente » . La demanderesse soutient que la définition adoptée par la Cour suprême du Canada dans Will-Kare, laquelle définition découle de la common law et des lois relatives à la vente de marchandises, n'est pas appropriée dans le contexte de la Loi sur la taxe d'accise. Dans son argumentation écrite, M. Kreklewetz a allégué que [TRADUCTION] « contrairement à la Loi de l'impôt sur le revenu - où le mot « vente » n'a pas un sens bien établi ou juridiquement reconnu - ce mot a bel et bien un sens bien établi et juridiquement reconnu dans les autres parties de la Loi sur la taxe d'accise.

[25]            Au soutien de son argumentation, M. Kreklewetz a cité de nombreuses décisions de cette Cour ayant abordé la question du sens à attribuer au mot « vente » dans le contexte de la Loi sur la taxe d'accise. Il a également renvoyé à la définition du mot « vente » figurant au paragraphe 123 (1) de la Loi :


[...]

« vente » Y sont assimilés le transfert de la propriété d'un bien et le transfert de la possession d'un bien en vertu d'une convention prévoyant le transfert de la propriété du bien.

[...]

[...]

"sale", in respect of property, includes any transfer of the ownership of the property and a transfer of the possession of the property under an agreement to transfer ownership of the property;

[...]

[34]       Dans l'arrêt R. c. Stevenson Construction Co. Ltd., (1979) 24 N.R. 390, la Cour d'appel fédérale devait interpréter le paragraphe 44(2) de la Loi sur la taxe d'accise, lequel comportait une disposition portant remboursement et nécessitant un achat de marchandises. Plus particulièrement, la Cour a été appelée à définir le mot « achat » dans le contexte global de la Loi sur la taxe d'accise. À la page 397, le juge Le Dain a dit ceci au nom de la Cour :


10___ __Il découle de ce passage que compte tenu des intentions du législateur telles qu'elles ressortent de la disposition déterminative, il faut entendre dans un sens large le mot « vendu » figurant à la disposition portant remboursement, ou le mot « acheté » figurant à la disposition correspondante du paragraphe 44(2) de la Loi sur la taxe d'accise, de façon à englober toute opération ayant pour effet de transférer le droit de propriété sur les marchandises à l'administration provinciale. Ainsi que l'a dit lord chancelier Hailsham dans Dominion Press, qui citait le juge en chef Duff, il ne s'agit pas de faire la distinction, propre à la common law, entre un contrat de vente et un contrat d'entreprise, mais plutôt de déterminer le sens à donner au mot « acheté » à la lumière de la loi dans son ensemble. En d'autres termes, il faut se demander s'il est raisonnable de conclure qu'en employant le mot « acheté » , le législateur visait toute opération portant transfert de propriété. Il s'ensuit qu'il serait tout à fait illogique d'accorder le remboursement à celui qui fabrique ou produit les marchandises incorporées ou consommées aux fins de travaux exécutés pour le compte d'un gouvernement provincial, mais non à celui qui les a achetées. Dans les deux cas, la taxe de vente a été acquittée pour les marchandises en cause, et les deux opérations donnant droit au remboursement sont identiques. Il est constant qu'en l'espèce, le contrat a opéré transfert de propriété des marchandises à la Couronne provinciale[3].

[35i       La Cour d'appel fédérale a finalement conclu que le gouvernement de la province de Colombie-Britannique avait acheté les marchandises, et ce, même si le contrat à l'étude avait pour objet la construction, la modification et la réparation de gares maritimes. La vraie question, selon la Cour d'appel, était de savoir s'il y avait eu transfert du droit de propriété dans le cadre du contrat. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour d'appel s'est appuyée, en partie, sur la décision rendue par le Conseil privé dans Dominion Press c. Le ministre des Douanes et Accise (1928) C.A. 340, où lord Hailsham a affirmé que la détermination de cette question, savoir s'il y avait eu vente, ne reposait pas sur la distinction, faite en common law, entre un contrat de vente et un contrat d'entreprise.

[36i       La décision qui m'a ensuite été soumise est la décision de cette Cour, Canada c. Tom Baird & Associates Ltd. (1997), 1 C.T.C. 88 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1998) 221 N.R. 201 (C.A.F.). La question y était de savoir si des articles imprimés, qui étaient utilisés uniquement pour la fabrication d'articles de représentation taxables et qui allaient par la suite être vendus par la compagnie à ses clients, étaient exempts de la taxe de vente fédérale. Pour trancher cette question, le juge McKeown a dû se pencher sur le sens à donner au mot « vente » . À la page 6245, il fait les commentaires suivants :


Dans tout autre contexte de la Loi, les mots « vente » et « usage » sont employés dans un but différent et ont un sens différent. C'est donc la « vente » des marchandises par le fabricant ou le producteur qui déclenche l'application de la taxe et c'est l'usage prévu des marchandises qui détermine l'applicabilité de l'exemption de la taxe de vente fédérale. Dans le contexte de la Loi, le mot « vente » signifie le transfert du titre de propriété. Dans son sens plus général, le mot « usage » comprend une vente. Dans le contexte de la Loi cependant, le mot « usage » est employé dans un sens très différent [...].

[37i       Le ministre a porté la décision du juge McKeown en appel, mais celle-ci a été confirmée par la Cour d'appel. Le juge Létourneau, qui a rédigé les motifs de l'arrêt de la Cour d'appel, a déclaré être en grande partie d'accord avec la conclusion du juge McKeown sur la question d'interprétation.

[26]            Les décisions Stevenson et Tom Baird, précitées, combinées à la définition de « vente » figurant au paragraphe 123(1) de la Loi permettent de conclure qu'une « vente » désigne toute transaction ayant pour effet de transférer le droit de propriété. Cette conclusion paraît bien fondée dans le contexte de la Loi sur la taxe d'accise. Aussi, je suis d'avis que la décision majoritaire de la Cour suprême dans Will-Kare, précité, ne s'applique pas en l'espèce. L'interprétation du mot « vente » donnée dans Stevenson et Tom Baird, précités, est conforme à l'opinion dissidente formulée par le juge Binnie dans Will-Kare. Dans cette affaire, le juge Binnie a dit ne pas partager l'opinion du juge Major portant qu'en interprétant le mot « vente » dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, il fallait tenir compte de la common law et des lois relatives à la vente de marchandises. Aux pages 936 et 943 (paragraphes 39 et 56), le juge Binnie a exprimé une partie de sa dissidence en ces termes :


39         LE JUGE BINNIE (dissident) -- La question fondamentale en l'espèce est l'interprétation de termes courants employés par le législateur dans le contexte d'un régime fiscal fondé sur l'autocotisation. En 1997, dernière année pour laquelle nous disposons de statistiques précises, 20 453 540 déclarations de revenu ont été produites auprès de Revenu Canada. La plupart des contribuables ne sont pas des juristes (et n'ont probablement aucun désir de l'être). Confronté, comme en l'espèce, à l'interprétation de l'expression « principalement pour la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer » au par. 127(9) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (la « Loi » ), le contribuable a droit, à mon avis, au bénéfice du sens ordinaire d'un mot aussi courant que « vente » . En l'espèce, le ministre a refusé ce bénéfice à la contribuable. On ne peut demander aux millions de contribuables qui ne sont pas des avocats d'aller consulter l'ouvrage Benjamin's Sale of Goods pour y découvrir la différence entre un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, et d'appliquer ces distinctions pour déterminer leur propre obligation fiscale. Je suis donc d'avis d'accueillir le pourvoi.

[...]

56 À mon avis, est encore moins séduisante la tentative, en l'espèce, de restreindre le sens de « vente ou location » en recourant à des distinctions juridiques techniques entre divers types de contrats d'aliénation, distinctions qui sont totalement étrangères à la Loi et ne sont guère à la portée du contribuable en régime d'autocotisation. Mais outre tout cela, le recours à ces distinctions techniques importées risque d'aller à l'encontre non seulement du sens ordinaire, mais aussi de l'objet législatif de la disposition fiscale. Dans un cas où, comme en l'espèce, le législateur a utilisé des termes qui continuent d'être clairs malgré les « cercles contextuels successifs » , j'estime que le contribuable a droit à l'avantage ainsi consenti. C'est le ministre (ou son collègue, le ministre des Finances) qui a recommandé le libellé particulier au législateur, et c'est le ministre ou son collègue qui peut recommander la modification de la Loi s'il l'estime souhaitable pour restreindre l'avantage fiscal.

[27]            Selon le juge Binnie, il convient d'interpréter le mot « vente » en se fondant sur le sens ordinaire de ce mot et non sur la distinction entre un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux. À son avis, la question consiste à déterminer s'il y a eu transfert du titre ou du droit de propriété.

[28]            Je suis donc d'avis que pour déterminer si les pièces de rechange étaient « destinées à être vendues » , il faut se demander si le droit de propriété des pièces de rechange a été transféré aux clients de la demanderesse.


[29]            D'après la preuve dont je suis saisi, je suis convaincu que le titre de propriété des pièces de rechange a été transféré aux clients de la demanderesse lors des remplacements de pièces effectués dans le cadre des ententes sur l'entretien. Même si la clause 3 de l'entente sur l'entretien ne stipule pas de façon expresse que les pièces de rechange deviendront la propriété des clients, j'ai la conviction que la propriété des pièces de rechange a effectivement été transférée aux clients de la demanderesse. Comment pourrait-il en être autrement? Sans être décisif en soi, le témoignage de Mme Felepchuk allait d'ailleurs en ce sens.

[30]            La clause 3 de l'entente sur l'entretien stipule que les « pièces remplacées » deviennent la propriété de la demanderesse. Cette partie de la clause 3 a probablement été introduite afin d'éviter toute confusion quant à la propriété des pièces défectueuses. En l'absence de cette stipulation, les clients auraient pu raisonnablement prétendre qu'ils demeuraient propriétaires des pièces défectueuses. Par contre, je ne crois pas que la demanderesse aurait raison de prétendre qu'elle conserve la propriété des pièces de rechange une fois que ces pièces ont été installées dans les ordinateurs de ses clients. Par conséquent, j'arrive à la conclusion qu'il y a eu transfert de propriété au moment de l'installation des pièces de rechange dans les ordinateurs des clients de la demanderesse.


[31]            Il ressort clairement de la preuve qu'à la fin du mois de décembre 1991, toutes les pièces de rechange avaient été fournies par la demanderesse à ses clients dans le cadre des ententes sur l'entretien. Selon moi, le fait que certains clients aient payé les frais applicables en vertu des ententes sur l'entretien sans avoir reçu de pièces en échange n'est pas pertinent en l'espèce. Le fait pertinent est que toutes les pièces de rechange ont été fournies dans le cadre des différentes ententes. Autrement dit, les pièces de rechange ont été « vendues » par la demanderesse à ses clients puisque le titre de propriété de ces pièces a été transféré au moment du remplacement. Il apparaît clairement du témoignage de Mme Felepchuk que les frais payés collectivement par les clients de la demanderesses comprenaient le coût des pièces de rechange. Mme Felepchuk a témoigné que la valeur des pièces équivalait à peu près au double de la valeur de la main-d'oeuvre requise pour leur remplacement. Sur la foi des témoignages de MM. Ostrander et Vostarek, tous deux employés de la demanderesse, je suis persuadé que la valeur des pièces est de beaucoup supérieure à la valeur de la main-d'oeuvre nécessaire pour remplacer les pièces défectueuses.

[32]          Je suis donc d'avis que les pièces de rechange de la demanderesse étaient « destinées à être vendues » au sens où ces mots étaient employés dans la loi antérieure à 1993. J'examinerai maintenant les modifications apportées à cette loi en 1993. Comme je l'ai déjà dit, l'article 120 de la Loi a été modifié par l'ajout du mot « séparément » à l'alinéa 120(1)a) après les mots « destinées à être vendues ou louées » , et le paragraphe 120(2.1) a été ajouté pour faire en sorte que la partie des marchandises « consommée ou utilisée par la personne » soit réputée ne pas être destinée à la vente ou à la location.

[33]            M. Ciavaglia, pour la défenderesse, a allégué que même s'il était jugé que les pièces de rechange étaient « destinées à être vendues » , cela ne faisait pas en sorte que ces pièces répondaient aux exigences de la loi puisqu'elles n'étaient pas destinées à être vendues séparément. À l'appui de cette allégation, M. Ciavaglia m'a renvoyé à la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur Light Touch Stenographic Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national (8 mars 1994) AP-91-182 (T.C.C.E).

[46]       Dans l'affaire Light Touch, précitée, la question en litige était semblable à celle dont je suis saisi, ainsi qu'il ressort des motifs donnés par le Tribunal à l'appui de sa décision. Aux pages 3 et 4, le Tribunal dit ce qui suit :


L'avocate de l'intimé a soutenu qu'en utilisant les mots « marchandises [...] destinées à être vendues ou louées » , le législateur voulait distinguer un contrat de vente de marchandises d'un contrat de service. Pour déterminer si un contrat porte sur la vente de marchandises ou sur la prestation de services, il faut répondre à la question suivante : quelle est l'essence du contrat ? Si l'essence est la production d'un article à vendre assortie au transfert à un acheteur de la propriété de cet article, alors le contrat porte sur la vente de marchandises. Par contre, si l'essence du contrat est le savoir-faire et la main-d'oeuvre que le fournisseur fait entrer dans l'exécution d'un travail pour un autre, alors il s'agit d'un contrat de louage d'ouvrage et de main-d'oeuvre, même s'il peut y avoir, à titre accessoire, transfert de propriété de certains matériaux. L'avocate a soutenu que les marchandises de l'inventaire de l'appelant utilisées dans l'exécution des ententes sur l'entretien ne peuvent pas être considérées comme des marchandises destinées à la vente.

Les marchandises en question sont destinées à l'exécution d'une entente sur l'entretien et ne sont pas facturées séparément de l'entente. Elles sont accessoires à la prestation d'un service que l'appelant est tenu de fournir selon les modalités des ententes. Tous les articles visés par ces ententes sont fournis en contrepartie d'un prix fixe (c.-à-d. le prix global de l'entente, qui comprend la main-d'oeuvre et les matériaux). Outre les composants secondaires, évalués à 7 $, qui sont fournis dans le cadre de la remise à neuf annuelle prévue par les ententes sur l'entretien argent et or, d'importantes marchandises à l'inventaire, dont certaines sont coûteuses, sont fournies aux termes de toutes les ententes sur l'entretien à prix fixe en cas de défaillance de certains composants.

À ce jour, le Tribunal a toujours statué qu'une personne a droit au remboursement de la TVF à l'inventaire relativement aux marchandises fournies à un client dans le cadre de la prestation d'un service à ce client [3]. Toutefois, le raisonnement du Tribunal a été modifié par suite des modifications rétroactives apportées aux dispositions de la Loi régissant le remboursement de la TVF à l'inventaire [4]. Plus précisément, la définition de « inventaire » a été modifiée et prévoit maintenant que les marchandises doivent être « destinées à être vendues ou louées séparément pour un prix [...] en argent » . De plus, l'article 120 de la Loi a été modifié par l'ajout du paragraphe 120(2.1) qui prévoit que la partie des marchandises libérées de taxe qui figurent à l'inventaire d'une personne « qui sera vraisemblablement consommée ou utilisée par la personne est réputée ne pas être destinée, à ce moment, à la vente ou à la location » .


Le Tribunal interprète l'exigence selon laquelle les marchandises doivent être « destinées à être vendues [...] séparément pour un prix » de manière à exclure les cas où la propriété des marchandises est cédée à un client pendant la prestation de services à ce client pour un prix fixe. En outre, le Tribunal estime que les marchandises utilisées par l'appelant dans le cadre de ses ententes sur l'entretien sont des marchandises consommées ou utilisées dans l'exécution de ces ententes. À ce titre, le paragraphe 120(2.1) de la Loi prévoit que ces marchandises sont réputées ne pas être destinées à être vendues ou louées.

[Renvois omis.]

[34]              Il ressort clairement des motifs susmentionnés que le Tribunal considérait, jusqu'aux modifications de 1993, qu'une personne comme la demanderesse avait droit au remboursement de la TVF à l'inventaire « relativement aux marchandises fournies à un client dans le cadre de la prestation d'un service à ce client » . En d'autres termes, le Tribunal considérait qu'une vente avait eu lieu nonobstant le fait que les marchandises avaient été fournies dans le cadre d'un contrat de service. C'est la conclusion à laquelle je suis arrivé en ce qui concerne la loi antérieure à 1993.

[35]            Cependant, le Tribunal a conclu que les marchandises faisant l'objet d'une transaction dont l'effet est d'en transférer la propriété à un client pendant la prestation de services à ce client ne correspondent pas à des marchandises « destinées à être vendues [...] séparément pour un prix » . Je suis d'accord.

[36]              Conclure autrement équivaudrait à faire abstraction des mots « séparément pour un prix » ajoutés en 1993. Je suis donc d'opinion que les pièces de rechange n'étaient pas « destinées à être vendues [...] séparément pour un prix » , et qu'elles ont plutôt été fournies à des clients dans le cadre de l'exécution par la défenderesse de ses obligations contractuelles envers ces clients. Ainsi, en concluant que les marchandises utilisées dans le cadre de l'exécution d'une entente sur l'entretien étaient des marchandises « consommées ou utilisées par la personne » , le Tribunal a interprété correctement le paragraphe 120(1), surtout lorsqu'on le rapproche de l'alinéa 120(1)a).


[37]              Je conclus donc que les pièces de rechange n'étaient pas « destinées à être vendues ou louées séparément pour un prix ou un loyer en argent, dans le cours normal d'une activité commerciale de la personne [...] » .

[38]              J'en arrive maintenant aux arguments de la demanderesse fondés sur la Charte. J'ai déjà résumé les positions respectives des parties en ce qui concerne les articles 7 et 8 de la Charte. Je suis d'avis que les arguments de la demanderesse relatifs à la Charte n'ont aucun fondement. La demanderesse, une personne morale, n'a pas qualité pour invoquer l'article 7. Le mot « chacun » ne comprend pas une personne morale. De plus, l'article 7 ne protège pas les droits de propriété ni les intérêts d'ordre purement financier, tant des personnes physiques que des personnes morales.

[39]              Pour ce qui est de l'article 8, je ne crois pas que les modifications de 1993 constituent une « saisie » . Dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, troisième édition 1992, Carswell, Peter W. Hogg affirme, à la page 1054 :

[TRADUCTION] Le mot « saisie » contenu dans l'art. 8 prend tout son sens lorsqu'il est lu en corrélation avec le mot « perquisition » . Une saisie, au sens de l'art. 8, désigne une saisie de biens à des fins d'enquête ou de preuve. L'article 8 n'a pas pour but d'offrir une garantie générale à l'égard des droits de propriété et d'ainsi combler le vide créé par l'absence des droits de propriété à l'art. 7. L'art. 8 ne s'étend pas, par exemple, à l'acquisition de biens par expropriation.

[40]              En conséquence, je conclus que les arguments de la demanderesse fondés sur la Charte ne peuvent être retenus.

[41]              Pour ces motifs, l'appel de la demanderesse à l'encontre de la décision du ministre en date du 11 décembre 1997 est rejeté. La défenderesse a droit aux dépens.

(Signé) "Marc Nadon"

         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 30 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


                                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-403-98

INTITULÉ :                                           IBM Canada Limited c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              2 & 3 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :                      30 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Robert G. Kreklewetz                                                   POUR LA DEMANDERESSE

B. Murray

Michael Ciavaglia                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Marie Crowley

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Millar Wyslobicky Kreklewetz LLP              POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Sous-procureur général du Canada                         POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)



[1]            Avant les modifications adoptées en 1993, la définition d' « inventaire » se lisait, en partie, comme suit :

a)          sont destinées à la fourniture taxable (au sens du paragraphe 123(1)) par vente ou location à d'autres dans le cours normal de l'entreprise de la personne, ou [...]

La définition est maintenant libellée de la façon suivante :

a)          sont destinées à être vendues ou louées séparément pour un prix ou un loyer en argent, dans le cours normal d'une activité commerciale de la personne, ou [...]

[2]            Page 46 de la transcription du 2 avril 2001.

[3]            Le passage auquel réfère le juge Le Dain est tiré des motifs du juge en chef Duff dans R. c. Dominion Bridge Company Limited, [1940] R.C.S. 487, à la page 490.

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