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Date : 20040921

Dossier : T-1455-04

Référence : 2004 CF 1292

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2004

En présence de Madame la juge Heneghan

ENTRE :

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                            et

                                                   STEPHEN JOHN PATTERSON

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Le procureur général du Canada (le demandeur) réclame une injonction interlocutoire ordonnant à M. Stephen John Patterson (le défendeur) [traduction] « de remettre immédiatement » aux agents de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) un grand polatouche qu'il a importé des États-Unis au Canada le ou vers le 26 juin 2004 en passant par le point d'entrée de Windsor (Ontario).


[2]                Le demandeur fonde sa demande sur la Loi sur l'agence canadienne d'inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6, et ses modifications (la Loi) et les Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/1998-106, et ses modifications (les Règles).

CONTEXTE

[3]                Selon l'affidavit qu'il a déposé dans la présente instance, le défendeur est un conservationniste et un naturaliste qui étudie depuis au moins dix ans les polatouches. Il se décrit lui-même comme un expert dans cette discipline et, il y a quelques années, il a créé un site Web pour fournir de l'information aux personnes qui s'intéressent aux polatouches.

[4]                Le défendeur prétend que les polatouches sont des animaux indigènes au Canada, mais qu'il est interdit de les capturer et de les garder en captivité à quelque fin que ce soit. Au printemps de cette année, il a décidé d'importer légalement un grand polatouche à des fins éducatives, afin de faire des présentations à des groupes d'enfants et d'adultes qui visitent les parcs provinciaux.


[5]                Le défendeur a obtenu une autorisation du ministre des Ressources naturelles de la province de l'Ontario le 8 juin 2004. À ce qu'il semble, cette autorisation a été émise aux termes de la Loi de 1997 sur la protection du poisson et de la faune, L.O. 1997, ch. 41. L'autorisation porte le titre suivant : [traduction] « Autorisation de garder en captivité des animaux sauvages et protégés » et identifie l'espèce dont il est question comme étant un « grand polatouche » . L'autorisation fait référence à un animal et est en vigueur du 8 juin 2004 jusqu'au 31 décembre 2006.

[6]                Le défendeur a obtenu un permis du U.S. Fish and Wildlife Service le 15 juin 2004. Cette autorisation écrite est décrite comme un [traduction] « permis d'import-export » , dont la durée de validité s'étant du 15 juin 2004 au 31 mai 2005.

[7]                Le 25 juin 2004, le défendeur a signé une [traduction] « Déclaration d'importation et d'exportation de poisson ou d'animaux sauvages » auprès du U.S. Fish and Wildlife Service. Ce permis identifie l'espèce d'animal sauvage par son nom officiel, soit le « glaucomys sabrinus » et par son nom commun, le grand polatouche.

[8]                Le 26 juin 2004, le défendeur a acheté le grand polatouche de l'entreprise Ratkateers Rodentry de Marshall, en Indiana. Cette entreprise a remis au défendeur un [traduction] « Registre d'acquisition, de vente ou de transport d'animaux » exigé par l'Animal and Plant Health Inspection Service, du U.S. Department of Agriculture.

[9]                Le même jour, c'est-à-dire le 26 juin 2004, le défendeur est revenu au Canada en voiture en traversant le pont Ambassador à Windsor. Il a remis tous les documents précédemment mentionnés à l'agent de l'Agence des douanes et du revenu du Canada et il a été autorisé à entrer au Canada avec son grand polatouche.


[10]            Le 5 juillet 2004, un représentant de l'ACIA a communiqué avec le défendeur et voulait savoir s'il avait importé un grand polatouche au Canada. Le défendeur a confirmé que c'était effectivement le cas. Il a été informé que cette importation était illégale et qu'il devrait [traduction] « vraisemblablement le retourner » .

[11]            Le lendemain, soit le 6 juillet 2004, le défendeur a reçu une [traduction] « Ordonnance de renvoi » de l'ACIA, lui ordonnant de retourner l'animal aux États-Unis au plus tard le 9 juillet 2004. Le défendeur n'a pas renvoyé le grand polatouche aux termes de l'ordonnance et a offert de mettre le grand polatouche en quarantaine et de payer pour faire les tests permettant de détecter une maladie quelconque. Le demandeur a refusé cette offre.

[12]            Dans son affidavit, le défendeur déclare que, le 16 août 2004, il a amené le polatouche à l'hôpital vétérinaire Britannia à Mississauga, en Ontario, pour un examen. Selon l'affidavit du vétérinaire qui a examiné l'animal, le Dr Jacques, le polatouche ne montrait aucun symptôme de maladie.


[13]            Le ou vers le 8 juillet 2004, le défendeur s'est informé auprès du Centre for Disease Control (CDC) à Atlanta, en Georgie, aux États-Unis. Il dit qu'il a été informé que cet organisme n'avait trouvé aucune association entre la variole du singe et les polatouches. En outre, le défendeur déclare qu'il a été informé par le CDC que ces mêmes renseignements avaient été transmis au Dr Mroz de l'ACIA.

[14]            Le demandeur a déposé l'affidavit du Dr Debbie Barr, vétérinaire principale auprès de l'ACIA. Dans son affidavit, Dr Barr a énuméré les étapes suivies par l'ACIA pour renvoyer le polatouche après avoir été informée de sa présence au Canada. L'ACIA a délivré une ordonnance de renvoi aux termes de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21, et ses modifications, le 6 juillet 2004, et a précisé la date du renvoi comme étant le 9 juillet 2004.

[15]            De même, Dr Barr a discuté du règlement sur l'importation des animaux et du virus de la variole du singe. Elle a décrit ce virus comme étant [traduction] « une maladie virale rare qui se manifeste principalement en Afrique centrale et occidentale » . Elle a dit que des cas de variole du singe ont été signalés aux États-Unis d'Amérique en juin 2003. En réponse à ces manifestations de variole du singe aux États-Unis, le Canada a décidé d'exercer le pouvoir que lui confère la Loi sur la santé des animaux, précitée, afin de refuser l'entrée au Canada [traduction] « d'animaux susceptibles de contracter la maladie » .

[16]            Cela a mené à l'adoption du Règlement interdisant l'importation des chiens de prairie et de certains autres rongeurs, DORS/2003-310 (le Règlement interdisant l'importation) le 10 septembre 2003. Selon ce règlement, l'importation de tout écureuil de la famille des Sciuridae de n'importe quel pays est interdite.


[17]            Le Dr Barr a déclaré dans son témoignage que lorsque le règlement interdisant l'importation est entré en vigueur, le CDC n'avait pas terminé son enquête sur les cas de variole du singe aux États-Unis. L'ACIA considère que le règlement interdisant l'importation fait partie de sa politique permanente visant à empêcher l'introduction au Canada de maladies animales qui pourraient avoir des effets sur la santé humaine ou sur l'industrie canadienne du bétail.

[18]            L'ACIA demande une injonction à la Cour parce que le défendeur ne s'est pas conformé à l'ordonnance de renvoi. Bien que la question du virus de la variole du singe ait été traitée dans l'affidavit du Dr Barr, le demandeur a indiqué clairement au cours de l'audience de la présente demande qu'il ne s'appuyait pas sur cette question pour justifier sa demande d'injonction provisoire.

ANALYSE

[19]            Le demandeur réclame une injonction provisoire aux termes de l'article 18 de la Loi qui stipule ce qui suit :


18. L'Agence peut demander à un juge d'une juridiction compétente une ordonnance provisoire interdisant toute contravention à une loi ou disposition dont elle est chargée d'assurer ou de contrôler l'application aux termes de l'article 11 - que des poursuites aient été engagées ou non sous le régime de celle-ci.

18. The Agency may apply to a judge of a court of competent jurisdiction for an interim injunction enjoining any person from contravening an Act or provision that the Agency enforces or administers by virtue of section 11, whether or not a prosecution has been instituted in respect of that contravention.


[20]            L'article 11 de la Loi autorise l'ACIA à superviser l'application de certaines lois, notamment la Loi sur la santé des animaux, précitée, en vertu de laquelle l'ordonnance de renvoi a été délivrée. Le paragraphe 11(1) est rédigé dans les termes suivants :


11. (1) L'Agence est chargée d'assurer et de contrôler l'application des lois suivantes : la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire, la Loi sur les produits agricoles au Canada, la Loi relative aux aliments du bétail, la Loi sur les engrais, la Loi sur l'inspection du poisson, la Loi sur la santé des animaux, la Loi sur l'inspection des viandes, la Loi sur la protection des obtentions végétales, la Loi sur la protection des végétaux et la Loi sur les semences.

11. (1) The Agency is responsible for the administration and enforcement of the Agriculture and Agri-Food Administrative Monetary Penalties Act, Canada Agricultural Products Act, Feeds Act, Fertilizers Act, Fish Inspection Act, Health of Animals Act, Meat Inspection Act, Plant Breeders' Rights Act, Plant Protection Act and Seeds Act.


[21]            Le demandeur prétend que cette disposition législative est le seul moyen qu'il peut utiliser pour entrer en possession du polatouche afin de le faire sortir du Canada. Le demandeur s'est engagé par écrit à respecter toute ordonnance d'octroi de dommages-intérêts qui pourrait être rendue par la présente Cour.

[22]            Les parties conviennent que le critère applicable pour l'octroi d'une injonction provisoire est celui qui a été énoncé dans l'arrêt RJR Macdonald Inc. c. Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, c'est-à-dire l'existence d'une question sérieuse à juger, un préjudice irréparable si la réparation demandée est refusée et le fait que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la partie requérante. Le demandeur a le fardeau d'établir ces trois facteurs.

[23]            Selon le demandeur, la question sérieuse est liée au fait que le défendeur continue de violer le Règlement interdisant l'importation.


[24]            En l'espèce, le seul fondement justifiant la demande de contrôle judiciaire est la demande d'injonction provisoire pour la remise du polatouche qui se trouve actuellement en possession du défendeur. Le demandeur soutient que c'est la seule façon dont il puisse réclamer cette réparation aux termes de l'article 18 de la Loi. Le défendeur soutient qu'il ne s'agit pas là d'une « question sérieuse » , au sens de l'arrêt RJR-MacDonald, précité, puisque le geste qui fait l'objet de la plainte, c'est-à-dire l'importation de l'écureuil, n'est pas continu, mais qu'il a déjà eu lieu.

[25]            À mon avis, je doute que le demandeur ait démontré qu'il existe une question sérieuse en l'espèce. Il n'est pas nécessaire de se prononcer sur cette question, toutefois, parce que je ne suis pas convaincue que le demandeur a respecté le critère du préjudice irréparable.

[26]            Le demandeur caractérise la désobéissance du défendeur qui a refusé de se soumettre à l'ordonnance de renvoi comme constituant un préjudice irréparable. Je ne suis pas d'accord. Le critère du préjudice irréparable est bien connu. Un demandeur doit produire des éléments de preuve de ce préjudice irréparable, qui soient clairs et non spéculatifs, et cette preuve doit démontrer que le préjudice irréparable se produirait effectivement, et non pas probablement. À cet égard, je renvoie à l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (C.A.F.).


[27]            Le demandeur ne prétend pas que la santé publique soit en cause dans la présente requête, et il ne l'a pas non plus démontré. Simultanément, il soutient que la Loi sur la santé des animaux, précitée, empêche une personne d'être propriétaire d'un animal qui a été importé contrairement à cette loi ou aux règlements adoptés sous son régime.

[28]            Le défendeur n'a pas été accusé d'avoir contrevenu aux règlements applicables ou à une loi. Il n'y a aucune preuve qu'il a agi en contrevenant sciemment à un régime législatif et cette question n'a pas été soumise à la Cour. Il n'est pas nécessaire de traiter de la question de la prépondérance des inconvénients étant donné que le demandeur n'a pas établi qu'il y avait préjudice irréparable.

[29]            Le demandeur recherche une injonction provisoire et il n'a pas respecté le critère juridique pour obtenir cette réparation. Par conséquent, la requête est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur.

                                                                ORDONNANCE

La requête est rejetée et les dépens sont adjugés au défendeur.

                                                                                                                                   _ E. Heneghan _               

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1455-04

INTITULÉ DE LA CAUSE :             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

STEPHEN JOHN PATTERSON

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 13 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                       le 21 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Eric Peterson                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Clayton C. Ruby                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Brian Shiller

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

RUBY & EDWARDH                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

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