Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990208

     Dossier : IMM-4514-97

OTTAWA (Ontario), le 8 février 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

     ROGELIO R. DE GUZMAN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     LA COUR, STATUANT SUR la demande présentée par le demandeur en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente des visas à l'ambassade du Canada à Manille a conclu que le demandeur n'était pas admissible comme immigrant dans la catégorie des parents aidés/immigrants indépendants, décision qui est exposée dans une lettre en date du 17 septembre 1997, et en vue de l'obtention d'une ordonnance annulant cette décision, après audition des parties à Winnipeg le 19 janvier 1999, après avoir mis l'affaire en délibéré et après avoir examiné les arguments invoqués par les parties :

     ORDONNANCE

1.      Fait droit à la demande.
2.      Annule la décision contestée de l'agente des visas et renvoie la demande de résidence permanente que le demandeur a produite en preuve en l'espèce pour nouvel examen en conformité avec la loi par un autre agent des visas.
3.      Adjuge les dépens au demandeur, au montant convenu par les parties ou, à défaut d'entente, calculé en conformité avec la colonne III du tarif B des Règles de la Cour.

                                 W. Andrew MacKay

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 1990208

     Dossier : IMM-4514-97

ENTRE :

     ROGELIO R. DE GUZMAN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Par requête introductive d'instance, le demandeur cherche à obtenir une ordonnance de certiorari annulant la décision par laquelle l'agente des visas à l'ambassade du Canada à Manille a conclu au rejet de sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des parents aidés/immigrants indépendants.

[2]      Le demandeur est un ressortissant des Philippines. Il a demandé la résidence permanente en avril 1997 en précisant que son emploi envisagé au Canada était [traduction] " CCDP-5133-126, représentant de commerce en matériel et fournitures pour le commerce et l'industrie ". Il s'agit d'un emploi décrit dans la Classification canadienne descriptive des professions, qui s'appliquait à ce moment-là.

[3]      Le demandeur a terminé ses études secondaires et suivi un programme collégial comportant deux ans d'études en technologie. Par la suite, d'octobre 1991 à avril 1992, il a fait un stage comme représentant de commerce au sein de la firme Qualitek Industrial & Engineering Supplies Inc. (Qualitek), aux Philippines. Il a ensuite travaillé comme représentant de commerce pour Qualitek jusqu'en août 1995. En septembre 1995, il est venu au Canada pour étudier et pour rendre visite à deux soeurs qui ont la citoyenneté canadienne. Il a vécu au Canada de septembre 1995 à juin 1997. Pendant cette période, il a suivi des cours d'informatique chaque automne, il a voyagé en compagnie de ses soeurs et il a pris soin de l'un de leurs enfants.

[4]      Le demandeur a joint à sa demande une lettre en date du 1er septembre 1995 de son ancien employeur, Qualitek, dans laquelle il est mentionné que la firme est un grossiste et un distributeur d'un large éventail d'articles électriques et de matériel informatique pour usage industriel et commercial. L'employeur y décrit les responsabilités du demandeur et ses relations avec les clients, qui comprenaient plusieurs entreprises multinationales, et confirme que le demandeur lui donnait entière satisfaction et avait maintenu un excellent rendement au chapitre des ventes et entretenu de bons rapports avec les clients.

[5]      Une agente des visas a rencontré le demandeur à Manille le 10 juillet 1997. Pendant l'entrevue, le demandeur lui a mentionné qu'il avait repris, la semaine précédente, ses fonctions de vendeur chez Qualitek, où il avait travaillé avant de venir au Canada. Par lettre en date du 17 septembre 1997, le demandeur a été avisé du rejet de sa demande de résidence permanente. Dans cette lettre, l'agente des visas l'informait qu'elle l'avait apprécié en fonction de son emploi envisagé et que :

     [traduction] Votre demande a été rejetée parce que vous n'avez pas démontré que vous possédez les compétences voulues pour occuper votre emploi envisagé au Canada, tel qu'on le définit dans la CCDP. Par conséquent, aucun point ne peut vous être attribué pour l'expérience puisque vous n'avez pas rempli la condition voulant que vous ayez acquis au moins une année d'expérience dans la profession que vous envisagez d'exercer au Canada et que vous n'avez pas obtenu le minimum de 70 points.         

[6]      Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste deux aspects de l'appréciation faite par l'agente des visas. Il soutient que l'agente des visas a commis une erreur en ne lui attribuant pas de point pour l'expérience et en lui attribuant un seul point pour la personnalité. Le nombre maximal de points que le Règlement, tel qu'il s'appliquait à l'époque, permettait d'attribuer à ces deux facteurs était de 8 et 10 respectivement. L'expérience consiste en l'expérience acquise dans la profession que le demandeur envisage d'exercer au Canada, en l'espèce celle de représentant de commerce en matériel et fournitures pour le commerce et l'industrie (CCDP-5133-126). Le demandeur affirme que l'agente des visas n'a tenu aucun compte de la lettre de l'employeur, Qualitek, et que, de toute façon, l'expérience acquise dans cette profession avait été mal appréciée.

[7]      L'affidavit que le demandeur a présenté au soutien de sa demande de contrôle judiciaire fait référence à la lettre de l'employeur qui était jointe à sa demande de résidence permanente. Le demandeur fait valoir que l'agente des visas n'a tenu aucun compte de cette lettre ou des renseignements pertinents qu'elle contenait. Dans son affidavit de réponse, l'agente des visas ne mentionne pas cette lettre, encore qu'elle fasse état de la demande de résidence permanente du demandeur et d'une lettre explicative de consultants en immigration jointe à la demande reçue par l'ambassade à Manille. Cette lettre explicative fait brièvement état de l'expérience du demandeur comme représentant des ventes chez Qualitek, mais pas de façon aussi détaillée que dans la lettre de l'employeur. Les notes STIDI que l'agente des visas a prises pendant l'entrevue ne font pas état de la lettre de l'employeur. Elles font toutefois référence au fait que le demandeur avait repris son emploi chez Qualitek, et l'agente des visas y mentionne notamment comme motif de refus :

     [traduction] Bien que l'immigrant éventuel possède trois années d'expérience dans la vente d'outils industriels, il a eu de la difficulté à préciser les types d'équipements vendus et il ne connaissait pas les tendances/modèles les plus récents de la nouvelle technologie sur le marché des outils industriels, de sorte qu'aucun point ne lui a été attribué pour l'expérience.         

[8]      C'est uniquement après le dépôt du dossier du tribunal auprès de la Cour, lequel ne contenait aucune copie de la demande du demandeur ou de la lettre de l'employeur, et après la présentation de demandes de renseignements par l'avocat du demandeur qu'on s'est aperçu que ni l'agente des visas ni le Ministère n'avaient une référence récente à l'original de la demande litigieuse en l'espèce. L'avocat du demandeur a été avisé par lettre que la demande à laquelle l'agente des visas faisait référence dans l'affidavit qu'elle a produit en réponse au nom du ministre était la copie jointe à l'affidavit que le demandeur avait fourni à l'appui de sa requête introductive d'instance. De plus, le Ministère n'avait plus en sa possession le dossier complet de la demande puisque ce dossier avait été épuré avant le dépôt de la demande de contrôle judiciaire le 27 octobre 1997. Je remarque que la tenue du dossier complet semble avoir été abandonnée après que l'agente des visas eut procédé à l'examen de la demande en juillet 1997, vraisemblablement après l'entrevue que le demandeur a subie le 10 juillet. La décision de l'agente des visas lui a été communiquée par lettre seulement. Cette lettre est datée du 17 septembre 1997 et le demandeur l'a reçue le 26 septembre. Par conséquent, avant le dépôt de l'avis de requête introductive d'instance le 27 octobre 1997, soit trente et un jours après que le demandeur eut été avisé du rejet de sa demande, son dossier avait été épuré.

[9]      Aucune autre explication n'a été fournie au nom du ministre et, selon moi, l'absence apparente de toute trace, dans le dossier du Ministère, de la lettre de l'employeur du demandeur n'est tout simplement pas expliquée. Aucune preuve n'a été produite sur la question de savoir si l'agente des visas avait tenu compte de cette lettre. Les renvois à l'ancien employeur qu'elle fait dans ses notes STIDI pourraient être fondées sur la lettre explicative qui accompagnait la demande ou sur les renseignements recueillis à l'entrevue. Puisqu'il en est ainsi, en l'absence d'une preuve indiquant que l'agente des visas a examiné la lettre de l'employeur, je ne suis pas disposé à présumer qu'elle en a tenu compte. Sans cette preuve, rien ne permet de conclure que la preuve écrite la plus importante concernant l'expérience acquise par le demandeur dans le secteur d'emploi qu'il avait choisi a été prise en considération par l'agente des visas.

[10]      Par ailleurs, en ce qui concerne l'appréciation de l'expérience du demandeur en fonction de la preuve, quelle qu'elle fût, soumise à l'agente des visas, je suis persuadé que l'agente des visas a commis une erreur en appréciant l'expérience principalement ou exclusivement en fonction des derniers mots de la description des fonctions des travailleurs classés dans le groupe 5133, voyageurs de commerce, qui est applicable en l'espèce vu l'emploi envisagé (CCDP-5133-126) du demandeur. Le groupe 5133 est décrit en ces termes :

     Les travailleurs classés dans ce groupe de base vendent, en gros, des biens de consommation à des grossistes, des détaillants, des établissements industriels, spécialisés ou autres, dans une région déterminée. Leur travail consiste à solliciter des commandes auprès de leurs clients habituels et à essayer d'augmenter leur clientèle; ils présentent aux acheteurs éventuels des échantillons ou des catalogues illustrés de leurs produits, et en vantent les mérites; ils indiquent les prix, et les possibilités de crédit ou de remise; fixent les dates de livraison; transmettent les commandes au bureau ou à l'entrepôt; satisfont aux réclamations des clients; et se tiennent au courant des dernières tendances du marché, des produits nouveaux et des changements de prix.         

[11]      Il ressort clairement des notes STIDI de l'agente des visas et de son affidavit qu'aucun point n'a été attribué au demandeur pour l'expérience à cause des derniers mots de cette description, soit " se tiennent au courant des dernières tendances du marché, des produits nouveaux et des changements de prix ". Dans son affidavit, l'agente des visas affirme que le demandeur a eu de la difficulté à donner [traduction ] " des précisions sur les différents types d'outils industriels qu'il vendait à ses clients " et [traduction ] " a été incapable de me parler des équipements et des technologies les plus récents sur le marché dans le domaine des outils industriels ". L'agente des visas a commis une erreur en appréciant l'expérience du demandeur uniquement en fonction du marché actuel.

[12]      Pour ces motifs, je conclus que l'agente des visas a commis une erreur en procédant comme elle l'a fait pour apprécier l'expérience, ce qui l'a amenée à n'attribuer aucun point à ce facteur.

[13]      En soi, cette erreur ne justifierait pas l'intervention de la Cour puisque même si le demandeur avait obtenu le nombre maximal de points pour l'expérience, soit 8 points à ce moment-là, il n'aurait quand même pas eu assez de points pour être admissible au Canada. Le demandeur a obtenu 58 points alors qu'il lui en fallait 70.

[14]      À mon avis, l'agente des visas a commis une autre erreur. Elle n'a attribué qu'un point d'appréciation pour la personnalité sur un total de dix points. Cette appréciation vise à " déterminer si [le demandeur] [...] [est] en mesure de réussir [son] installation au Canada, d'après [s]a faculté d'adaptation [...] sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables ". (Voir le Règlement sur l'immigration, annexe I, facteur 9, tel qu'il s'appliquait alors.) Dans son affidavit, l'agente des visas fait remarquer que, pendant l'entrevue, le demandeur a mentionné qu'il avait passé la majeure partie de son temps au Canada à voyager un peu partout en Ontario et, dans ses notes STIDI, [traduction ] " qu'il avait passé la majeure partie de ses temps libres à garder son neveu chez lui ". Dans son affidavit, le demandeur affirme que la remarque qu'il a faite au sujet de ses déplacements se rapportait aux six derniers mois de son séjour au Canada. Bien qu'il soit effectivement mentionné dans les notes STIDI de l'agente des visas que le demandeur a consacré la majeure partie de ses temps libres à son neveu qu'il a gardé chez lui, cette remarque se rapporte à la période au cours de laquelle il était titulaire d'un visa de visiteur, soit de janvier à juin 1997, et qu'il a consacrée à cette activité. L'agente des visas déclare ensuite dans ses notes que [traduction ] " c'était peut-être le but véritable de son voyage au Canada puisqu'il a probablement pris soin de l'enfant pendant son séjour au Canada ". Bien que l'agente des visas n'ait pas été frappée par le défaut apparent du demandeur de chercher des possibilités d'emploi pendant son séjour au Canada, il semble qu'un facteur important dans son appréciation est l'impression que le demandeur était peut-être venu au Canada pour fournir des services de gardiennage à son neveu. Je conviens avec l'avocat du demandeur que, dans les circonstances de l'espèce, le défaut de l'agente des visas d'exprimer ses doutes à ce sujet constitue un manquement à l'obligation que lui imposait l'équité.

Conclusion

[15]      À mon avis, l'agente des visas a commis une erreur en appréciant l'expérience du demandeur sans tenir compte du principal document s'y rapportant, soit la lettre de l'employeur, et en s'appuyant sur l'entrevue subie par le demandeur, surtout vu sa connaissance démontrée des outils et de l'équipement sur le marché. Qui plus est, en semblant considérer que le premier voyage au Canada du demandeur avait un but qu'aucune preuve directe n'appuyait et qui n'a pas été porté à la connaissance du demandeur pour commentaires, l'agente des visas a commis une erreur puisqu'elle n'a pas respecté son obligation d'apprécier la demande de façon équitable.

[16]      Par conséquent, la demande est accueillie, par ordonnance. L'affaire est renvoyée au ministre intimé en vue d'un nouvel examen de la demande de résidence permanente par un autre agent des visas. Le demandeur a demandé que les dépens lui soient adjugés. Dans les circonstances de l'espèce, ils lui sont adjugés sur la base normale des frais entres parties.

                                 W. Andrew MacKay

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 8 février 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-4514-97

INTITULÉ :                          ROGELIO R. DE GUZMAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 19 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE MACKAY

EN DATE DU :                      8 février 1999

COMPARUTIONS :

Mira Thow                              POUR LE DEMANDEUR

Tracey Harwood-Jones                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zaifman Associates                          POUR LE DEMANDEUR

Winnipeg (Manitoba)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.