Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040616

Dossier : IMM-4789-04

Référence : 2004 CF 867

Montréal (Québec), le 16 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                            KANAGAMBIKAI PANCHARATNAM

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Pancharatnam est faible. Elle souffre de nombreuses affections qui nécessitent l'emploi de médicaments variés. Elle est diabétique et doit prendre de l'insuline au moyen d'injections. En raison de sa faible vision, elle n'est pas capable de mesurer les dosages et de vérifier le taux de sucre dans son sang elle-même. Elle vit avec un de ses fils et sa femme. Heureusement, sa bru est infirmière et lui administre son insuline. Après le décès de son mari, elle est venue au Canada en 1999, en provenance du Sri Lanka. Elle a fait une demande d'asile. Sa demande d'asile a été rejetée et sa demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour a également été rejetée.


[2]                Elle a alors demandé la protection au Canada au moyen d'un examen des risques avant renvoi. Cette demande a été rejetée et il a été déterminé que la situation au Sri Lanka était telle qu'elle ne constituerait pas une personne à protéger.

[3]                On lui a ordonné de quitter le Canada. Le paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prévoit ce qui suit :

48(2) L'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

Mme Pancharatnam ne veut pas quitter le pays.

[4]                Elle a récemment demandé au ministre, en vertu de l'article 25 de la Loi, de lui accorder le statut de résidente permanente au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande a été faite en même temps qu'une demande de parrainage de la part de son fils.

[5]                Elle a demandé à l'agent d'exécution de différer son renvoi jusqu'à ce qu'il soit statué de façon définitive sur sa demande de statut pour des raisons d'ordre humanitaire. Outre la question de son état de santé, elle n'a plus de famille au Sri Lanka. À vrai dire, tous ses enfants, sauf un, sont au Canada.

[6]                L'agent d'exécution a rejeté sa demande. Elle s'est donc adressée à la Cour pour obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi.

[7]                L'agent d'exécution, Bob Hickson, a d'abord refusé, le 8 mars 2004, de différer le renvoi. À ce moment-là, il était convaincu, en se fondant sur les renseignements médicaux qu'il avait reçus, que la condition physique de Mme Pancharatnam lui permettait de prendre l'avion pour le Sri Lanka. Quand j'ai été saisi pour la première fois de cette affaire, à Toronto, dans les dossiers portant les numéros IMM-3059-04 et IMM-2871-04, une des questions juridiques examinées était de savoir si la préoccupation de l'agent d'exécution devrait se limiter à la question de savoir si l'état de santé de Mme Pancharatnam était telle qu'elle était en mesure de prendre l'avion pour le Sri Lanka ou s'il devrait également se préoccuper de la façon dont elle s'en sortirait, médicalement parlant, après son retour. L'avocat du défendeur a convenu, sans admettre d'aucune façon que M. Hickson était obligé ou qu'il avait le droit d'avoir de telles préoccupations, de reporter l'étude de cette question afin de permettre aux deux parties de recueillir de plus amples renseignements.


[8]                D'autres renseignements ont en effet été présentés à la Cour. Au moment où la question refaisait surface, le 11 mai 2004, M. Hickson, dans une décision rendue la veille, a encore une fois affirmé qu'il n'y avait pas de motifs suffisants justifiant un report du renvoi. Il s'est en partie fondé sur une évaluation de la situation du Sri Lanka, publiée en avril 2003 par le Home Office Immigration and Nationality Directorate du Royaume-Uni. Toutefois, ses notes mentionnent également qu'il avait consulté le Dr Brian Dobie, des Services médicaux à l'étranger, et qu'il voulait faire un suivi mais que le Dr Dobie n'était pas disponible, puisqu'il ne serait pas de retour au bureau avant le 14 mai. Il a également mentionné qu'il avait sollicité l'avis d'un certain Dr Cianni, un médecin agréé par Immigration Canada, en Asie méridionale, concernant la situation au Sri Lanka mais qu'il n'avait pas encore reçu de réponse.

[9]                Je n'ai vu aucune raison expliquant en quoi l'intérêt du solliciteur général dans l'administration de la loi, lequel est tout à fait légitime, était tel qu'une décision devait être prise avec des renseignements incomplets. J'ai ajourné l'affaire jusqu'à ce que M. Hickson ait reçu des réponses, qu'il les ait examinées et qu'il ait fait circuler ses notes en ce qui a trait aux questions devant faire l'objet d'un suivi auprès des Drs Dobie et Cianni.

[10]            M. Hickson a fait un suivi. En fait, les renseignements qu'il a reçus du Dr Dobie couvraient les points dont il voulait discuter avec le Dr Cianni. Il n'a donc pas fait de suivi avec ce dernier.

[11]            Le 25 mai, il a informé Mme Pancharatnam, par l'entremise de ses avocats, qu'il était toujours d'avis qu'il n'y avait pas de motifs suffisants justifiant un report du renvoi. C'est la décision dont je suis saisi, puisque ses deux précédentes sont maintenant sans objet.

[12]            Les renseignements qu'a reçus M. Hickson, sur lesquels il a fondé sa décision, étaient que Mme Pancharatnam souffre du diabète insulino-dépendant qui ne peut être traité qu'au moyen d'injections et pour lequel il n'existe aucune médication orale. La vue de Mme Pancharatnam est telle qu'elle ne peut faire ses injections elle-même. Des établissements médicaux sont disponibles au Sri Lanka et on y dispense le type de soins dont a besoin Mme Pancharatnam. Elle n'aurait toutefois probablement pas facilement accès au type de soins à domicile qu'elle reçoit de sa bru. La question de la vue de Mme Pancharatnam, laquelle est compromise par son diabète, a fait l'objet d'un débat devant moi. Plus particulièrement, il a été question de savoir si elle avait des cataractes et il y avait un autre dossier qui n'avait pas été consulté. Bien qu'on ait prétendu que M. Hickson était tenu d'assurer un suivi de sa propre initiative, ce n'est pas le cas. C'est sur Mme Pancharatnam que repose le fardeau mais, de toute façon, ce point n'est pas pertinent. Ce qui est pertinent, et M. Hickson l'a reconnu, c'est le fait qu'elle a une très faible vision, quelle qu'en soit la cause.

[13]            En arrivant à la conclusion qu'il existait des établissements médicaux appropriés, M. Hickson a préféré l'avis du Dr Dobie à celui du secrétaire du Canada Hindu Cultural Council, qui n'a pas prétendu être médecin.

SURSIS À L'EXÉCUTION DES MESURES DE RENVOI


[14]       Il est bien établi que le critère applicable a été énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302. Il équivaut à celui qui s'applique aux injonctions provisoires. La demanderesse doit démontrer l'ensemble des trois éléments suivants : (1) qu'il y a une question sérieuse à trancher; (2) qu'elle subirait un préjudice irréparable si le sursis à l'exécution n'était pas accordé; (3) que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

LA QUESTION SÉRIEUSE

[15]       La question sérieuse ressort de la demande sous-jacente dont est saisie la Cour et il s'agit de la décision de M. Hickson, datée du 11 mai 2004, de ne pas différer le renvoi de Mme Pancharatnam du Canada.

[16]            Il existe de la jurisprudence qui prévoit qu'un agent d'exécution possède un certain pouvoir discrétionnaire pour différer un renvoi. Il a aussi été affirmé que ce pouvoir discrétionnaire pouvait, dans certaines circonstances, comprendre un examen de la question de savoir s'il serait raisonnable d'attendre une décision à venir concernant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire (Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 116 F.T.R. 4 (1re inst.) (le juge Simpson)).



[17]            On a fait valoir devant moi, au nom de Mme Pancharatnam, à juste titre selon moi, que même si les questions reliées à sa santé n'ont pas été occultées pendant son examen ERAR, le meilleur forum pour examiner ces questions de manière exhaustive est lors d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. On a laissé entendre, mais je n'ai pas à me prononcer là-dessus à ce moment-ci, que ses demandes relatives aux raisons d'ordre humanitaire et au parrainage seraient au bout du compte accueillies. Je suis préoccupé par le fait que si elle les avait déposées en temps opportun, elles auraient probablement déjà été entendues et les décisions rendues. Mme Pancharatnam blâme son avocat précédent. Elle affirme qu'il ne l'a jamais avisée [traduction] « que je pouvais faire une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ou que mon fils pouvait tenter de me parrainer depuis le Canada » . Toutefois, il a affirmé ces choses mêmes dans une lettre qui fait partie du dossier, quoique ce soit une lettre datée d'environ un mois seulement avant qu'elle dépose ses demandes. De toute façon, la justice ne serait pas administrée convenablement si, pour quelque raison que ce soit, le dépôt d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, et d'une demande de parrainage, pouvait être fait au moment opportun, de manière à gagner plus de temps pour une personne faisant l'objet d'une mesure de renvoi. La question du caractère adéquat de sa représentation ne concerne qu'elle et son avocat précédent (Huynh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 11 (le juge Rothstein, maintenant à la Cour d'appel fédérale)). La jurisprudence a été rassemblée et examinée très judicieusement par le juge Russell dans la décision Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 28 Imm. L.R. (3d) 87, 2003 CFPI 614. Il a fait remarquer que la jurisprudence ne définissait pas clairement le sens de l'expression « dès que les circonstances le permettent » de l'article 48 de la Loi. Il a ajouté qu'aucune liste exhaustive de facteurs n'avait été élaborée et que la position de la Cour n'était pas uniforme quant au rang à attribuer aux facteurs pertinents. On peut affirmer que le pouvoir discrétionnaire de l'agent d'exécution est simplement limité à examiner les circonstances liées aux dispositions en vue du renvoi et qu'il ne devrait pas s'étendre aux questions qui relèvent davantage de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

[18]            Pourtant, il peut y avoir des facteurs qui débordent les limites étroites des arrangements de voyage et qui peuvent être pertinents, notamment le calendrier scolaire des enfants, ou les naissances ou décès imminents (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 C.F. 682, 2001 CFPI 148 (le juge Pelletier, maintenant à la Cour d'appel fédérale)).

[19]            Dans la décision Simoës c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219, le juge Nadon, maintenant à la Cour d'appel fédérale, a mentionné qu'un agent d'exécution peut tenir compte des « demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n'ont pas encore été réglées à cause de l'arriéré auquel le système fait face » . Il a ajouté que l'agent d'exécution n'est pas tenu de permettre « la présentation d'une demande préalable à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas, à mon avis, ce que la loi exige » .

[20]            Le juge Russell a conclu au paragraphe 32 :

[...] D'une part, le simple fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire soit en instance ne justifie pas le report du renvoi et il n'appartient pas à l'agent[...] d'exécution d'évaluer le bien-fondé d'une telle demande. D'autre part, l'agent[...] peut entraver illégalement l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de circonstances impérieuses propres à la personne visée par la mesure de renvoi, par exemple sa sécurité personnelle ou sa santé.

[21]            Je suis convaincu que l'agent d'exécution Hickson a examiné consciencieusement et soigneusement les circonstances propres à la personne visée en l'espèce. Il a conclu, dans les faits, que Mme Pancharatnam aurait accès à un traitement médical approprié au Sri Lanka. Même en appliquant la norme de contrôle judiciaire la plus stricte, celle de la décision correcte, je ne vois aucune erreur susceptible de révision et je dois conclure qu'il n'existe aucun fondement pour prétendre qu'il y a une question sérieuse soulevée par la demande sous-jacente de contrôle judiciaire de la décision de l'agent Hickson de ne pas différer le renvoi de Mme Pancharatnam du Canada vers le Sri Lanka.

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[22]       Puisque la demanderesse se doit de convaincre la Cour concernant les trois branches du critère Toth, il n'est pas nécessaire, à proprement parler, d'examiner ce point. Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice irréparable était très étroitement lié à la question sérieuse. On a fait valoir que le droit de Mme Pancharatnam à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne entrait en jeu et que la décision de l'agent Hickson de la renvoyer mettait sa vie en danger et que cela constituait une violation de l'article 7 de la Charte. Pour les motifs déjà invoqués, je ne peux pas souscrire à cet argument. On a prétendu ce qui suit :

[traduction]

La mesure d'expulsion empêche la demanderesse de faire le choix personnel et fondamental de demeurer en sécurité au Canada où son fils lui apporte le soutien émotionnel, physique et financier qui est essentiel pour sa vie.

[23]            Mme Pancharatnam n'a pas le droit de demeurer au Canada. La loi est tout à fait claire. Son renvoi vers son pays d'origine, un pays que ses enfants ont quitté, occasionnera incontestablement une grande tristesse. Toutefois, comme l'a affirmé le juge Pelletier, maintenant à la Cour d'appel fédérale, dans la décision Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, au paragraphe 21,

[...] pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés. [...]

                                        ORDONNANCE

Pour ces motifs, la demande de sursis à l'exécution de la décision de l'agent d'exécution Hickson, datée du 25 mai 2004, est rejetée. Comme il s'agit d'une ordonnance interlocutoire, aucune question ne peut être certifiée, conformément à l'alinéa 72(2)e) de la Loi.

                   _ Sean Harrington _                   

                              Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4789-04

INTITULÉ :                                                    KANAGAMBIKAI PANCHARATNAM

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AUDIENCE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE :             MONTRÉAL (QUÉBEC) et                                       TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 9 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 16 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Brena Parnes                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Margherita Braccio                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.