Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




     Date : 19991103

     Dossier : T-1054-93



ENTRE :


     REGINALD D. RICHARDSON

     demandeur


     - et -



     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse



     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE EVANS

[1]      Dans sa déclaration de revenus pour les années 1986 et 1987, Reginald D. Richardson a réclamé comme déductions les sommes de 34 249 $ et 36 651 $. Il avait avancé ces sommes en 1985 et 1986 à titre de prêts sans intérêt à Richcrest Holding and Development Ltd., dont il était le seul propriétaire et employé et, avec d'autres membres de sa famille, administrateur.

[2]      Les prêts ont été consentis afin de financer la recherche et le développement entrepris par la compagnie relativement à un procédé de production de pétrole synthétique à partir de pétrole lourd et des sables bitumineux, et de payer les dépenses que la compagnie avait engagées pour demander les brevets relatifs à ce procédé.

[3]      Revenu Canada a refusé les déductions au motif que, puisque les prêts n'étaient pas " un débours ou une dépense " " fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ", ils n'étaient pas déductibles de son revenu en vertu de l'alinéa 18(1)a ) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4]      Revenu Canada a jugé que les prêts constituaient " une dépense ou perte de capital " et a donc refusé la déduction en invoquant l'alinéa 18(1)b ). La raison en était que M. Richardson n'exploitait pas une entreprise de prêt d'argent, et que les prêts n'étaient pas un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial.

[5]      Des observations ont été faites aux fonctionnaires de Revenu Canada au nom de M. Richardson par son avocat ; ces observations faisaient valoir que les prêts devraient être traités comme une perte d'entreprise autre qu'en capital. Les avocats s'appuyaient en particulier sur la décision de la Cour suprême du Canada dans M.R.N. c. Freud, 68 DTC 5279.

[6]      M. Richardson a interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt au sujet des prêts refusés. Il se représentait lui-même devant la Cour de l'impôt, comme il l'a fait devant moi, mais il s'est appuyé sur les observations juridiques qui avaient été préparées en son nom par un avocat quand l'affaire était toujours devant Revenu Canada.

[7]      Dans les motifs de sa décision rendue le 18 janvier 1993, et modifiée le 15 avril 1993, le juge Brulé de la C.C.I. a rejeté l'appel au motif que l'appelant n'avait pas démontré qu'il avait subi une perte par suite du fait qu'il avait consenti les prêts à Richcrest. Abstraction faite de la qualification donnée aux prêts pour les fins fiscales, le juge a conclu que ceux-ci ne pouvaient être déduits du revenu de l'appelant que s'ils pouvaient à juste titre être considérés comme des mauvaises créances, ce qui n'était pas le cas.

[8]      Dans son appel de cette décision devant la présente Cour, M. Richardson s'est appuyé principalement sur les documents écrits dont était saisie la Cour de l'impôt, notamment les observations préparées en son nom par un avocat pour les fins de l'examen interne effectué par Revenu Canada par suite du refus des déductions, et le résumé de sa cause que l'appelant avait fourni au juge Brulé de la C.C.I. après l'audition de son appel.

[9]      Il a également déposé verbalement en son propre nom, et il a expliqué dans son témoignage qu'il avait constitué Richcrest en 1977, après avoir pris une retraite anticipée du poste de premier vice-président de la Générale électrique du Canada. Il avait l'intention de poursuivre une carrière consécutive à sa retraite par l'entremise de la compagnie : consultation dans le domaine des affaires, recherche et développement d'un procédé de fabrication de pétrole synthétique et d'autres projets liés au secteur énergétique, élaboration d'un système informatique pour ses opérations sur options et rédaction d'articles sur des questions économiques.

[10]      M. Richardson a déclaré qu'après l'expiration de ses contrats de consultation et après que son associé dans Richcrest et d'autres entreprises liées eurent décidé de faire cavalier seul, la compagnie ne pouvait assumer que les coûts de la recherche et du développement dans le domaine énergétique, et des demandes connexes de brevet, si M. Richardson payait ses factures en échange de billets à ordre. Néanmoins, il a décidé de maintenir la compagnie, en partie en raison de son système de tenue de livre.

[11]      Outre les prêts qu'il a consentis à Richcrest en 1985 et 1986, et qui font l'objet du présent appel, M. Richardson a avancé d'autres fonds à la compagnie pour la même fin jusqu'en 1990, date à laquelle la dette totale de Richcrest constatée par des billets et des prêts remboursables s'élevait dans les états financiers qui accompagnaient la déclaration d'impôt sur le revenu de la compagnie pour cette année à 177 504,98 $. M. Richardson a déclaré que cela représentait les prêts qu'il avait consentis à la compagnie chaque année depuis 1986. Certains des prêts consentis avant 1987 avaient été remboursés.

[12]      Il a de plus déclaré dans son témoignage que, compte tenu de la récession qui a frappé le milieu des années 1980, la chute du prix du pétrole et le tarissement de ses contrats de consultation, il ne pensait pas en 1986 que Richcrest aurait des sources de revenus suffisantes pour lui permettre de rembourser les prêts qu'il a par conséquent considérés comme non recouvrables. Dans le procès-verbal de la réunion des administrateurs qui s'est tenue le 21 juin 1986, M. Richardson exprime ce point de vue. Toutefois, dans son témoignage, il a également déclaré qu'il avait continué d'espérer que les prix du pétrole augmentent dans une période raisonnable, ce qui aurait permis à Richcrest de vendre ou de céder sous licence le procédé de pétrole synthétique et ainsi de rembourser les prêts.

[13]      La question de savoir si un prêt est une " mauvaise créance " pour les fins de l'alinéa 50(1)a ) de la Loi de l'impôt sur le revenu ou, s'il peut autrement être traité par le contribuable comme une perte qui peut être déduite du revenu, est principalement une question de fait. La jurisprudence indique des facteurs qui peuvent être pris en compte pour en venir à cette détermination de fait. On a signalé à mon attention, plus particulièrement, les décisions Berretti c. M.R.N., 86 DTC 1719 (C.C.I.) ; Hogan c. M.R.N., 56 DTC 183 (C.A.I.) ; NE 409 c. M.R.N., 57 DTC 126 (C.A.I.) ; Guy c. R. [1998] 2 C.T.C. 2755 (C.C.I.).

[14]      Par exemple, il est pertinent de considérer le temps qui s'est écoulé entre l'octroi du prêt et la conclusion du contribuable selon laquelle ce prêt n'est pas recouvrable. En l'espèce, le contribuable a traité les prêts comme des mauvaises créances dans l'année suivant celle au cours de laquelle ils ont été consentis. Il n'y avait pas de preuve que le contribuable avait passé la dette par profits et pertes avant la cession qu'il a voulu faire en 1990. Les dettes ont continué de figurer dans les états financiers de Richcrest jusqu'en 1990.

[15]      En outre, le contribuable a continué d'exploiter la compagnie jusqu'en 1990. Dans son appel à la Cour de l'impôt, M. Richardson avait déclaré que la compagnie était toujours en opération en 1992, bien que j'accepte, ce qu'il a déclaré devant moi, qu'il s'agit là d'une erreur de sa part. En outre, dans les années 1987 à 1989, après qu'il eut décidé que les dettes qui font l'objet du présent appel étaient irrécouvrables, il a prêté à Richcrest une autre somme de 60 000 dollars pour financer ses activités de recherche et de développement.

[16]      Par ailleurs, il est également manifeste que la question pertinente est de savoir si le contribuable, et non un fonctionnaire de Revenu Canada, considérait honnêtement et raisonnablement la dette comme étant irrécouvrable. De plus, il n'est pas nécessaire qu'un prêt soit absolument non recouvrable pour constituer une perte ou une mauvaise créance. Il peut suffire qu'il soit peu vraisemblable qu'il sera remboursé dans l'exercice financier au cours duquel la décision devait être prise. Il n'est pas non plus nécessaire que l'emprunteur soit insolvable.

[17]      À mon avis, le contribuable n'a pas établi d'après la preuve qu'il croyait honnêtement et raisonnablement en 1986 et 1987 que les prêts n'étaient pas recouvrables. Comme le juge Brulé de la C.C.I. l'a fait observer, [TRADUCTION] " les paroles et les gestes [de M. Richardson] contredisent cette affirmation autant dans son témoignage que dans sa plaidoirie écrite ".

[18]      Au bout du compte, M. Richardson a fait valoir que la Cour devrait aller au-delà du paravent de la compagnie et traiter Richcrest et son propriétaire unique comme une seule et même personne. Je ne vois pas de raison d'agir ainsi en l'espèce. Puisqu'il a choisi de poursuivre ses intérêts commerciaux par l'entremise d'une personne morale, et qu'il a profité des avantages de celle-ci quand il tirait un revenu de ses activités de consultation, M. Richardson doit accepter les conséquences de sa décision de continuer à poursuivre par l'entremise de Richcrest, et sans rémunération, les activités de recherche et de développement auxquelles il est encore manifestement passionnément attaché. Il aurait pu être plus sage de poursuivre ses activités en son propre nom, comme il a déclaré le faire depuis 1990, mais le fait est que ce n'est pas ce qu'il a fait.

[19]      Finalement, il convient de traiter de la préoccupation exprimée par M. Richardson à la fin de l'audience. M. Richardson a déclaré qu'en tant que non-avocat se représentant lui-même et n'ayant reçu le dossier de jurisprudence du ministre qu'à l'audience, il n'a pas été en mesure de répondre adéquatement aux observations de l'avocat du ministre.

[20]      Toutefois, à la lumière des observations écrites, y compris du point concernant la " mauvaise créance ", qui ont été présentés antérieurement par un avocat au nom de M. Richardson avant son appel, et à la lumière de la nature factuelle de la question à partir de laquelle j'ai réglé le présent appel, je suis convaincu que M. Richardson a bénéficié de l'audience complète et équitable à laquelle il avait droit au même titre que tout non-avocat qui se représente lui-même devant la présente Cour.

[21]      Pour ces motifs, l'appel est rejeté. Les parties ont 14 jours à compter de la date du présent jugement pour présenter leurs observations écrites sur les dépens.


                         " John M. Evans "

                                     Juge



Toronto (Ontario)

le 3 novembre 1999



Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier


NE DU GREFFE :                      T-1054-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :              REGINALD D. RICHARDSON

                             - et -

                             SA MAJESTÉ LA REINE

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MARDI 2 NOVEMBRE 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT :              LE JUGE EVANS

DATE :                          LE MERCREDI 3 NOVEMBRE 1999

ONT COMPARU :                      Reginald D. Richardson

                                 Pour le demandeur en son nom

                             Francesco Calabrese

                                 Pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :      Reginald D. Richardson

                             57, boulevard Widdicombe Hill

                             Appartement 1504

                             Weston (Ontario)

                             M4R 1Y4

                                 Pour le demandeur en son nom

                             Morris Rosenberg

                             Sous-procureur général du Canada

                                 Pour la défenderesse


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19991103
     Dossier : T-1054-93


Entre :

REGINALD D. RICHARDSON
     demandeur
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
     défenderesse

     MOTIFS DU JUGEMENT
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.