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Date : 20051124

Dossier : IMM-3411-05

Référence : 2005 CF 1589

Ottawa (Ontario), le 24 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

GUY DEFFO

(ALIAS FRANKLIN TUEKAM)

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi) porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 18 mai 2005. Dans cette décision, le tribunal a accueilli la demande d'asile du défendeur et a conclu qu'il satisfaisait à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Le tribunal a-t-il erré en droit en ne convoquant pas le demandeur aux audiences du 19 novembre 2004 et du 16 mars 2005 malgré le fait que le demandeurait transmis au tribunal des avis d'intention d'intervenir au sens du paragraphe 25(1) des Règles de la section de la protection des réfugiés DORS 2002-228 (les Règles) et de l'alinéa 170e) de la Loi?

[3]                Le tribunal a-t-il erré en fait et en droit en concluant que la preuve déposée établissait l'identité du demandeur?

[4]                Pour les motifs qui suivent, la Cour répond à la première question de façon affirmative. Il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

CONTEXTE FACTUEL

[5]                Le défendeur est un citoyen du Cameroun. Il aurait été membre de l'Union des Forces pour la Démocratisation du Cameroun, un parti d'opposition.

[6]                Ses activités politiques lui auraient valu d'être victime, à partir de décembre 2002, de harcèlement et de pressions exercés par la police camerounaise et des intégristes musulmans.

[7]                Le défendeur serait arrivé au Canada le 1er octobre 2003 avec un faux passeport français qui n'était pas à son nom, et il l'aurait retourné en France à une adresse inconnue après son arrivée.

[8]                Il aurait revendiqué le statut de réfugié le 17 octobre 2003 à Montréal sous le nom de Guy Deffo, alléguant avoir grandi dans un orphelinat et n'avoir jamais connu ses parents.

[9]                Le demandeur a déposé au dossier des pièces visant à démontrer que le défendeur serait plutôt arrivé le 21 octobre 2002 avec un visa d'études sous le nom de Franklin Tuekam. Les documents indiquent que Franklin Tuekam est né le même jour que le défendeur, et que la photo et la signature sont identiques. Sur les deux photographies, le sujet porte le même vêtement rayé.

[10]            Le demandeur allègue que l'identité réelle du défendeur est Franklin Tuekam et non Guy Deffo, et que la carte d'identité au nom de Guy Deffo présentée par le défendeur est une contrefaçon. En outre, le demandeur allègue que le père de Franklin Tuekam s'appelle Charles Deffo, et que ce dernier se serait engagé financièrement en faveur de son fils pour des études au collège Marsan au Québec. Franklin Tuekam a fourni au collège Marsan copie de sa carte nationale et sous la photo on peut y voir une signature semblable à celle de Guy Deffo figurant à son Formulaire de Renseignements Personnel (FRP).

[11]            Le défendeur affirme qu'il n'est pas Franklin Tuekam, qu'il ne connaît pas Franklin Tuekam, et qu'il est bien Guy Deffo.

[12]            Le 15 avril 2004, Me Jean-Denis Saint-Pierre, représentant du ministre (RDM), a transmis au tribunal un avis d'intervention conformément à la règle 25(1) des Règles.

[13]            Le RDM a reçu un avis de convocation pour la première audience, qui fut d'abord fixée au 20 avril 2004 puis déplacée au 27 octobre 2004.

[14]            La superviseure du RDM présenta une demande de remise au tribunal le 25 octobre 2004, en raison du fait que le RDM devait se rendre à Ottawa pour des raisons opérationnelles le 27 octobre 2004.

[15]            Le tribunal rejeta cette demande de remise et l'audition du défendeur débuta le 27 octobre 2004.

[16]            Deux autres journées audiences eurent lieu le 19 novembre 2004 et le 16 mars 2005. Le demandeur allègue n'avoir reçu aucun avis de convocation pour ces deux audiences. Cependant, un courriel a été envoyé à une agente du ministère le 28 octobre 2004, l'informant qu'une audience était fixée pour le 19 novembre 2004 et la priant de produire les originaux de certains documents saisis par les agents d'immigration.

[17]            Le RDM allègue ne pas avoir eu connaissance de la reprise de l'audience du défendeur le 19 novembre 2004.

[18]            Il appert que seul le défendeur et son conseil, Me Louski ont reçu un avis de convocation pour l'audience du 16 mars 2005.

[19]            Le 18 avril 2005, le tribunal a accueilli la demande d'asile du défendeur. Dans ses motifs écrits datés du 18 mai 2005, le commissaire José wa Tshisungu Tshisungu écrit qu'après avoir considéré la preuve soumise par le demandeur, il en est néanmoins venu à la conclusion que le défendeur était bien Guy Deffo et non Franklin Tuekam.

ANALYSE

1.          Le tribunal a-t-il erré en droit en ne convoquant pas le demandeur aux audiences du 19 novembre 2004 et du 16 mars 2005 malgré le fait que le demandeur ait transmis au tribunal des avis d'intention d'intervenir au sens du paragraphe 25(1) des Règles de la section de la protection des réfugiés et de l'article 170e) de la Loi?

[20]            L'alinéa 170e) de la Loi dispose comme suit :

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés : [...]

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d'interroger des témoins et de présenter des observations;

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it, [...]

(e) must give the person and the Minister a reasonable opportunity to present evidence, question witnesses and make representations;

[21]            L'article 22 des Règles dispose comme suit :

22. La Section avise les parties par écrit des date, heure et lieu d'une procédure.

22. The Division must notify a party in writing of the date, time and location of a proceeding.

[22]            Le paragraphe 25(1) des Règles dispose comme suit:

25. (1) Pour intervenir dans une demande d'asile, le ministre transmet :

a) au demandeur d'asile, une copie de l'avis d'intention d'intervenir;

b) à la Section, l'original de cet avis ainsi qu'une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon une copie de l'avis a été transmise au demandeur d'asile.

25. (1) To intervene in a claim, the Minister must provide

(a) to the claimant, a copy of a written notice of the Minister's intention to intervene; and

(b) to the Division, the original of that notice and a written statement of how and when a copy was provided to the claimant.

[23]            Le demandeur soutient que le défaut du tribunal de convoquer le RDM aux audiences du 19 novembre 2004 et du 16 mars 2005 l'a privé de son droit d'interroger le défendeur et de présenter des observations que lui confère l'alinéa 170e) de la Loi.

[24]            En outre, le demandeur allègue que ce défaut constitue une erreur de droit, et que la norme de contrôle applicable en révision judiciaire est celle de la décision correcte.

[25]            Le défendeur réplique que le fait que le RDM n'ait pas été convoqué aux deux dernières audiences relève de la procédure interne du tribunal, sur laquelle le demandeur n'a aucun contrôle.

[26]            Après avoir considéré les dispositions législatives et réglementaires pertinentes, j'en conclus que le tribunal avait l'obligation de convoquer formellement le RDM aux audiences du 19 novembre 2004 et du 16 mars 2005, et qu'il ne disposait d'aucun pouvoir discrétionnaire lui permettant de dispenser de cette obligation. La version anglaise de l'alinéa 170e) de la Loi et l'article 22 des Règles contient le terme « must » , ce qui indique une obligation, par opposition aux termes « may » ou « can » , qui seraient indicatifs de l'existence d'un pouvoir discrétionnaire.

[27]            En omettant de convoquer le demandeur après qu'il ait déposé un avis d'intervention conformément au paragraphe 25(1) des Règles, le tribunal a commis une erreur de droit ayant trait à l'application de la Loi et des Règles.

[28]            La jurisprudence prévoit que les erreurs de droit sont sujettes à révision judiciaire selon la norme de la décision correcte ce qui implique moinsde retenue à l'égard de la décision du tribunal. Dans Pushpanathan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, le juge Bastarache écrit au paragraphe 28 :

Bien que la terminologie et la méthode de la question « préalable » , « accessoire » ou « de compétence » aient été remplacées par cette analyse pragmatique et fonctionnelle, l'accent est tout de même mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal. Certaines dispositions d'une même loi peuvent exiger plus de retenue que d'autres, selon les facteurs qui seront exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des « questions de compétence » que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu'une question qui « touche la compétence » s'entend simplement d'une disposition à l'égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une « erreur de compétence » est simplement une erreur portant sur une question à l'égard de laquelle, selon le résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l'égard de laquelle il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue.

[29]            Ainsi, en ne se conformant pas à l'obligation que lui imposent la Loi et les Règles, le tribunal a commis une erreur de droit nécessitant l'intervention de la Cour.

2.          Le tribunal a-t-il erré en fait et en droit en concluant que la preuve déposée établissait l'identité du demandeur?

[30]            Compte tenu de la réponse à la question précédente, il n'est pas nécessaire de répondre à cette question. Cependant, je remarque une erreur de la part du tribunal au quatrième paragraphe de la page 1 :

[...] Le porteur de ce nom est né la même date que le demandeur, que la photo et la signature sont identiques, que le père du demandeur qui s'appelle Charles Deffo existe bel et bien. [je souligne]

[31]            En réalité le défendeur (demandeur devant le tribunal) prétend qu'il a été élevé dans un orphelinat et qu'il ne connaît pas ses parents.

[32]            Le procureur du défendeur a suggéré à la Cour que si ce dossier devait être retourné pour une nouvelle adjudication, il devait l'être devant le même commissaire. La Cour partage l'opinion du demandeur à l'effet que ce dossier soit examiné par un commissaire différent étant donné que celui qui a rendu la décision s'est déjà prononcé sur la question d'identité.

[33]            Dans l'intérêt de la justice et des parties, le dossier devra être réexaminé par un tribunal différemment constitué.

[34]            Les parties n'ont pas soumis de questions à certifier et ce dossier n'en soulève aucune.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la requête de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné pour détermination par un tribunal nouvellement constitué. Aucune question n'est certifiée.

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3411-05

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                            c. GUY DEFFO (ALIAS FRANKLIN TUEKAM)

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 10 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                         LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       le 24 novembre 2005

COMPARUTIONS:

Daniel Latulippe                                                             POUR LE DEMANDEUR

James Louski                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

James Louski                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

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