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Date : 20050928

Dossier : IMM-10492-04

Référence : 2005 CF 1334

Toronto (Ontario), le 28 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

IMMANUEL OLURANTI TUNDE-SOBIYE

(IMMANUEL OLURAN TUNDE-SOBIYE)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise une décision datée du 29 novembre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que M. Immanuel Oluranti Tunde-Sobiye (le demandeur) n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi.

LES FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen nigérien de 39 ans, très instruit. Il fonde sa demande d'asile sur son appartenance à une organisation nigérienne désignée comme étant le Congrès du peuple Oodoua (CPO) auquel il a adhéré en juin 1998.

[3]                Le demandeur affirme dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il a été attaqué à trois reprises par des policiers et par d'autres membres des forces de sécurité en raison de son appartenance au CPO.

[4]                Les trois incidents qui sont mentionnés dans le FRP du demandeur mais qui n'y sont pas décrits sont relatés en détail dans sa déposition. La première agression s'est produite en octobre 1999, lorsque la police s'est mise à arrêter et à frapper des personnes qui assistaient à une réunion du CPO. Le second incident s'est produit une semaine plus tard au moment où trois hommes sont venus perquisitionner la résidence du demandeur et l'ont averti de ne pas participer aux activités du CPO. Le troisième incident s'est produit le 8 novembre 1999, lorsque des policiers ont commencé à tirer dans la foule qui assistait à une assemblée à Shumulu.

[5]                Dans son témoignage, le demandeur fait également référence à deux autres attaques décrites dans son FRP. En août 2000, la police a fait une descente dans la résidence du demandeur pendant qu'il n'était pas là, mais son frère a été gravement battu et est décédé de ses blessures par la suite. Le demandeur prétend qu'en octobre 2000, il a été attaqué par trois hommes « en civil » après avoir fait une allocution au cours d'une réunion du CPO à Abeokuta, dans l'État d'Ogun.

[6]                Le demandeur affirme qu'il a quitté le Nigeria le 28 novembre 2000 pour se rendre au Ghana, où il est resté environ deux mois, jusqu'en février 2001. Il est arrivé au Canada le 10 février 2001 et a présenté une demande d'asile quelque sept jours plus tard.

LA QUESTION EN LITIGE

La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions manifestement déraisonnables en matière de crédibilité ou de vraisemblance?

ANALYSE

[7]                La Commission est en mesure d'observer directement le demandeur en train de témoigner en raison de sa spécialisation dans l'étude des demandes d'asile. C'est pourquoi la Commission est habituellement l'instance la mieux placée pour apprécier la crédibilité du demandeur. C'est la raison pour laquelle il a été décidé que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité était celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 732 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a déclaré au paragraphe 4 :

[...] Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

La Cour a déclaré qu'il était loisible à la Commission de tirer des conclusions raisonnables en matière de crédibilité en se fondant sur les contradictions, le bon sens et la logique (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 415, au paragraphe 2 (C.A.F.). Cela dit, la juge Reed fait référence, dans Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 1144, au paragraphe 11, à une liste de critères qu'il convient d'utiliser pour décider s'il y a lieu d'annuler une conclusion de la Commission en matière de crédibilité. La deuxième partie de cette liste, qui est reproduite ci-dessous, comprend les décisions fondées sur les invraisemblances :

1.               La Commission devait avoir de bonnes raisons de conclure qu'un demandeur manquait de crédibilité;

2.               Les inférences tirées par la Commission sont fondées sur des constats d'invraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

3.               La décision contestée était fondée sur des conclusions qui n'étaient pas étayées par les éléments de preuve;

4.               La décision de la Commission de ne pas croire le demandeur reposait sur une conclusion de fait tirée d'une manière arbitraire ou abusive ou sans égard à la preuve.

[8]                Plus loin dans sa décision, la juge Reed traite précisément des décisions fondées sur des invraisemblances et signale qu'elles sont peut-être moins immunisées que les autres contre le contrôle de la Cour. Elle déclare au paragraphe 11 :

[...] la déclaration y faite selon laquelle une décision fondée sur des invraisemblances est peut-être moins immunisée contre le contrôle que celle dans laquelle la crédibilité est mise en doute en raison du comportement, de la manière évasive ou du témoignage contradictoire. Il en est ainsi parce qu'une cour de révision, selon la nature des invraisemblances alléguées, se trouve dans une position aussi bonne que celle dans laquelle se trouve la Commission pour apprécier la validité des invraisemblances alléguées.

[9]                Le demandeur soutient que la Commission a tiré six conclusions déraisonnables en matière d'invraisemblance qui constituent chacune un motif de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Chacune des conclusions prétendument déraisonnables sera analysée ci-dessous.

[10]            La première conclusion concerne la conclusion de la Commission selon laquelle il était peu probable que les antécédents du demandeur aient fait l'objet d'une vérification pour qu'il puisse devenir membre du CPO. Le demandeur soutient qu'il a effectivement fait l'objet d'une vérification et que la Commission a fondé sa décision sur de simples hypothèses. J'estime toutefois que la décision de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable parce qu'elle justifie clairement les raisons pour lesquelles elle s'est prononcée comme elle l'a fait. Comme cela est mentionné à la page 7 de la décision, les conclusions de la Commission sont fondées sur la preuve documentaire présentée qui indique que le CPO est une organisation illégale composée de bandits sans scrupule.

[11]            La deuxième conclusion concerne la modification que le demandeur a apportée à son FRP. Dans son FRP initial, le demandeur a écrit qu'il craignait les membres du CPO ainsi que ceux des forces de la sécurité et de la police nigériennes. Il a par la suite modifié son FRP pour supprimer le fait qu'il craignait les membres du CPO. Le demandeur soutient que la modification est due à une erreur typographique et qu'il est déraisonnable pour la Commission de ne pas avoir pris cet élément en considération. J'estime toutefois que la Commission a fourni des motifs satisfaisants pour mettre en doute la crédibilité du demandeur en se fondant sur la modification de son FRP. La Commission déclare à la page 8 de sa décision :

Il est toutefois difficile de reconnaître cette erreur, étant donné la façon claire dont l'agent de persécution est expliqué dans le récit, le niveau élevé d'éducation du demandeur, son aisance à s'exprimer en anglais (la langue du FRP) et le fait qu'il a signé son FRP comme étant véridique.

[12]            La troisième conclusion concerne le fait que la Commission a douté que le demandeur ait pu déclarer à trois agents secrets travaillant pour le gouvernement qu'il était membre du CPO. Le demandeur soutient que la Commission a tiré cette conclusion en écartant son témoignage, dans lequel il a déclaré que ce n'est qu'après janvier 2000 que la police a commencé ouvertement à pourchasser les membres du CPO parce que le gouvernement avait émis une directive en ce sens. Le demandeur soutient qu'il était tout à fait crédible qu'il déclare à trois agents secrets qu'il était membre du CPO, compte tenu de la situation qui régnait avant janvier 2000. Je souscris toutefois aux motifs que fournit la Commission à ce sujet à la page 9 :

Voilà qui est très invraisemblable, étant donné que le demandeur savait à ce moment-là que d'autres membres étaient détenus et traités brutalement. Dans son récit, il a allégué s'être abstenu de porter plainte à la police par crainte d'être associé au CPO et, en conséquence, d'être battu et détenu.

[13]            Étant donné que le demandeur connaissait les risques associés au fait d'être membre du CPO, je conclus que la Commission n'a pas tiré de conclusions manifestement déraisonnables lorsqu'elle a mis en doute le fait que le demandeur avait avoué à des membres de la police secrète faire partie de cette organisation.

[14]            La quatrième conclusion concerne l'explication qu'a fournie le demandeur pour justifier que les policiers soient venus le chercher un an après leur première visite à son domicile. Comme cela a été mentionné auparavant, le demandeur allègue que la police n'a commencé à s'intéresser au CPO qu'en janvier 2000, bien après la visite initiale qu'ils ont faite au domicile du demandeur et quelques mois seulement avant de revenir et de tuer son frère. Tel que mentionné précédemment, le demandeur affirme que la police a reçu en janvier 2000 la directive de pourchasser les membres du CPO. Le demandeur soutient que cette directive explique pourquoi la police est venue à son domicile. Dans la transcription, la Commission mentionne cette directive et je suis convaincu qu'elle en a tenu compte lorsqu'elle a pris sa décision. C'est la raison pour laquelle j'estime que la conclusion de la Commission relative à la vraisemblance de ces faits n'était pas manifestement déraisonnable.

[15]            La cinquième conclusion concerne le jugement qu'a porté la Commission sur la crédibilité du demandeur en se fondant sur l'adresse de son frère. La Commission a estimé qu'il était suspect que le certificat de décès déposé pour le frère du demandeur indique qu'il habitait à une adresse autre que celle du demandeur. Le demandeur soutient que la Commission aurait dû se satisfaire de l'explication selon laquelle son frère résidait avec lui à l'époque. Je juge cependant qu'il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de se demander pourquoi le frère se trouvait chez le demandeur si l'adresse consignée sur le certificat de décès indiquait qu'il habitait ailleurs. Après avoir lu la transcription, je constate également que le demandeur n'a pas indiqué clairement où vivaient les autres membres de sa famille. (voir les pages 540 et 574 de la transcription)

[16]            La dernière conclusion que je vais examiner porte sur la différence qui existe entre le FRP du demandeur et son témoignage au sujet du moment et du lieu où les agressions alléguées se sont produites. Le demandeur soutient qu'il n'y a pas de contradiction entre le FRP et sa déposition et que la Commission a commis une erreur en interprétant mal les preuves.

[17]            Sur cette conclusion, je suis d'accord avec le demandeur, tout comme d'ailleurs le défendeur. Dans son FRP, le demandeur mentionne avoir été attaqué à trois reprises. Malheureusement, il ne décrit pas ces attaques en détail , mais décrit plutôt deux attaques ultérieures. La déposition diffère du FRP en ce qu'elle décrit les trois attaques initiales. La première s'est produite le 8 octobre 1999, au cours d'une assemblée durant laquelle le demandeur a réussi à s'enfuir. La deuxième s'est produite le 16 octobre 1999 ou vers cette date, lorsque des membres du gouvernement et du service secret se sont rendus au domicile du demandeur. La troisième s'est produite un mois plus tard au moment où le demandeur assistait à une conférence à Shumulu. Après avoir décrit ces trois premières attaques, le demandeur mentionne ensuite les deux attaques ultérieures qu'il avait décrites dans son FRP.

[18]            La Commission a cru à tort que le témoignage du demandeur différait de son FRP. Elle n'a pas tenu compte du fait qu'il avait mentionné cinq attaques et s'est uniquement appuyée sur le fait que les trois attaques initiales mentionnées dans le FRP ne semblaient pas correspondre avec les trois premières mentionnées dans la déposition du demandeur. J'estime que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité en se fondant sur une prétendue différence entre le FRP et sa déposition.

[19]            Il semble que la Commission ait commis une erreur lorsqu'elle a tiré cette conclusion au sujet de la vraisemblance des déclarations du demandeur, mais cette erreur n'entraîne aucune conséquence, étant donné les autres conclusions défavorables que la Commission a tirées en matière de crédibilité et de vraisemblance. La Commission a en fait énuméré les nombreux éléments de la version des faits du demandeur qu'elle n'a pas crus ou qu'elle a trouvé peu vraisemblables. Un de ces éléments, comme je l'ai déjà mentionné, est le fait que le demandeur ait essayé d'expliquer que ce n'était pas lui mais un imposteur qui avait demandé un VCV en 1999. C'est ce qui explique que la Commission n'ait pas été en mesure de déterminer avec précision la date à laquelle le demandeur est arrivé au Canada.

[20]            Compte tenu de l'ensemble du dossier, les conclusions de la Commission en matière de vraisemblance et de crédibilité étaient justifiées par la preuve et je ne suis donc pas convaincu que le défendeur ait établi un motif de modifier la décision de la Commission.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucun des avocats n'a proposé la certification d'une question.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10492-04

INTITULÉ :                                        IMMANUEL OLURANTI TUNDE-SOBIYE

                                                            (IMMANUEL OLURAN TUNDE-SOBIYE)

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 28 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 28 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                                                        POUR LE DEMANDEUR

                                                                              John Loncar            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                    POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

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