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Date: 19980731

Dossier: IMM-2559-97

ENTRE :

                                 LUKMAN CETINKAYA,

                                                                                         demandeur,

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                 intimé.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, à la suite de la décision (V95-02234) par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déterminé, le 28 mai 1997, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]    Le demandeur, qui est d'origine kurde, est citoyen en truc. Il fonde sa revendication sur le fait qu'il craint d'être persécuté du fait de son origine ethnique et de ses opinions politiques. Il est né à Chimenlik.


[3]    Dans son formulaire de renseignements personnels, le demandeur énonce le fondement de sa revendication. Tous les membres de sa famille sont des sympathisants du Parti des travailleurs kurdes (le PTK); ils nourrissaient et hébergeaient les membres du PTK lorsque ceux-ci descendaient des montagnes.

[4]    En juillet 1988, pendant que le demandeur était à Chimenlik après être revenu d'Izmir, le demandeur a été détenu par les militaires; il allègue qu'on l'a battu et qu'on lui a posé des questions au sujet de la participation de son oncle aux activités du PTK. À ce moment-là, le demandeur n'avait pas encore adhéré au PTK et son oncle non plus. Le demandeur allègue qu'on l'a amené dans une cellule où il a vu son oncle qui pendait, nu, d'une chaîne fixée au mur. Le demandeur déclare que les militaires lui ont dit qu'il subirait le même sort s'il ne révélait pas ce qu'il savait du PTK. On lui a également demandé de révéler ce qu'il savait de la participation de son oncle aux activités de ce groupe. On a informé le demandeur dans une pièce où on l'a interrogé, battu et torturé. On lui a demandé d'écrire l'histoire de sa vie, ce qu'il a fait. Le lendemain, le demandeur a été mis en liberté. Une semaine plus tard, son oncle a été libéré.


[5]                Quelques mois plus tard, les militaires ont arrêté deux oncles du demandeur parce qu'on les soupçonnait de participer aux activités du PTK. Dix jours plus tard, des soldats turcs sont arrivés dans le village où habitait le demandeur; ils cherchaient des armes afin d'impliquer les habitants du village aux activités du PTK. Le demandeur a été mêlé à une altercation avec un soldat turc et il a été blessé à la main et au bras. Il a dû être hospitalisé pendant trois jours.

[6]                En septembre 1988, le demandeur est retourné à Izmir. Pendant qu'il était là, les militaires turcs ont envoyé un avis d'appel au village du demandeur, pour l'informer qu'il devait se présenter pour accomplir son service militaire. Un cousin a transmis la lettre au demandeur, à Izmir, et celui-ci a reçu la lettre trois mois plus tard. Le demandeur craignait de retourner dans son village car il craignait d'être arrêté par les militaires.

[7]                Environ un an plus tard, les militaires ont commencé à chercher le demandeur à Izmir. Après que les militaires se furent présentés chez lui, le demandeur est resté chez des amis et chez des parents pendant six mois. Au bout de six mois, il a commencé à passer parfois la nuit chez lui. Trois mois plus tard, des agents de la police militaire qui cherchaient le demandeur se sont rendus chez celui-ci. Les militaires ont interrogé la mère du demandeur au sujet de la participation de son fils aux activités du PTK; cette dernière a nié toute participation aux activités du groupe.


[8]                Les membres de la famille du demandeur sont des sympathisants du PTK. La soeur du demandeur dirigeait, à Izmir, la Société des femmes patriotes, une organisation qui appuie le PTK. Cette organisation a été dissoute en 1991 par le gouvernement turc. À l'heure actuelle, la soeur du demandeur habite à Istamboul et continue à appuyer la création d'un État kurde indépendant.

[9]                Deux des oncles du demandeur ont été tués par l'armée turque, l'un en 1990 et l'autre en 1991.

[10]            À l'heure actuelle, le cousin du demandeur est en prison; il attend son procès en tant que présumé membre du PTK. Un autre des cousins du demandeur a été détenu pendant dix ans en attendant de subir son procès pour sa participation aux activités du PTK. Il a été mis en liberté sans subir de procès.

[11]            Environ huit mois avant de quitter son pays pour venir au Canada, le demandeur a aidé le PTK en informant les gens au sujet des activités du PTK et de l'histoire kurde. Il a distribué des feuilles pour le PTK en vue d'inciter les gens à adhérer à l'organisation.

[12]            Pendant ce temps, le demadneur est resté chez des amis qui appuyaient et encourageaient le PTK. Un jour, des agents de police ont fait une descente chez ces amis et ont arrêté tout le groupe en l'absence du demadneur. Un cousin a téléphoné au demandeur pour lui dire de ne pas retourner à la maison.


[13]            C'est alors que le demandeur a décidé de quitter la Turquie. Dans les quinze jours qui ont suivi, il s'est rendu à Istamboul où il s'est caché dans des familles kurdes pendant six mois. Dans l'intervalle, les agents de police ont fait une descente dans le laboratoire dentaire du frère du demandeur et ont arrêté les frères du demadneur. Les frères ont été détenus pendant un ou deux jours; ils ont été interrogés au sujet des allées et venues du demandeur.

[14]            Le 30 juin 1995, le demandeur a quitté la Turquie; il est arrivé au Canada le 2 juillet 1995. Il a revendiqué le statut de réfugié le même jour.

[15]            Le demandeur allègue que s'il retournait en Turquie, il ferait face à la conscription par l'armée turque. Il refuse de participer aux massacres de Kurdes et craint d'être tué par d'autres soldats qui pourraient considérer comme un membre ou comme un sympathisant du PTK.

[16]            En se fondant sur le témoignage oral du demandeur et sur les éléments de preuve présentés dans son formulaire de renseignements personnels, la SSR a conclu que le demandeur n'était pas crédible. À la page 10 du dossier du demandeur, voici ce que la SSR a dit :

[TRADUCTION]

Nous estimons que le demandeur n'est pas un témoin crédible. Son témoignage renferme de nombreuses incohérences, notamment celles qui sont ci-après :


1)      Le demandeur a témoigné qu'avant d'être détenu, en juillet 1988, ni lui ni son oncle Suleiman ne participaient aux activités du PTK. On lui a alors demandé si des membres de sa famille étaient en contact avec le PTK pendant cette période. Le demandeur a répondu n'avoir vu des membres du PTK qu'une fois à Chimenlik, lorsqu'ils étaient descendus des montagnes pour acheter de la nourriture. Il avait alors parlé pendant dix minutes avec ces individus; il avait blagué avec eux pour qu'ils se sentent bien.

Le passage suivant du Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur a été lu au demandeur :

Tous les membres de notre famille étaient des sympathisants du PTK. À ce moment-là, les membres du PTK venaient chez nous au village. Ils descendaient des montagnes; nous leur donnions toujours à manger et nous les logions. Je ne l'ai pas dit aux agents de la police militaire parce qu'on ne m'aurait jamais libéré et qu'on n'aurait jamais libéré mon oncle.

Dans son témoignage oral, le demandeur n'a pas admis avoir participé aux activités du PTK, si ce n'est qu'à un moment donné, il les avait brièvement rencontrés. Il n'a pas non plus présenté de témoignage oral laissant entendre que sa famille participait de quelque façon aux activités du PTK. On a demandé au demandeur d'expliquer cette incohérence et il s'est contenté de répondre que c'était la raison pour laquelle il avait demandé ce qu'on entendait par un contact. Je ne puis retenir l'explication du demandeur. Lorsqu'on lui a demandé si les membres de sa famille avaient des contacts avec le PTK, il n'a jamais remis en question le sens du mot « contact » et sa réponse ne laisse pas entendre qu'il ait mal interprété ce qu'on entendait par là.

2)      Le demandeur a témoigné que pendant sa détention en 1988, on l'avait placé dans une troisième pièce avant de le libérer. Il a en outre témoigné qu'on le gardait simplement dans cette pièce et qu'il ne faisait rien. On a demandé au demandeur des renseignements précis au sujet de ce qu'il faisait pendant qu'il était détenu dans cette pièce. Il a répondu qu'il dormait, qu'il restait assis, et qu'il songeait à ce qui allait lui arriver le lendemain et à la façon dont on le traiterait. Il a ajouté que les murs de cette petite pièce étaient en bois et qu'elle était en mauvaise état.

Le passage suivait du FRP a été lu au demandeur :

Ils m'ont finalement amené dans un autre bureau et un troisième homme m'a demandé d'écrire l'histoire de ma vie, qui j'étais, d'où j'étais et ainsi de suite. Je l'ai fait. Ils m'ont laissé en prison jusqu'au lendemain soir.


Il a été souligné au demandeur que dans son FRP, il avait déclaré qu'il avait été obligé d'écrire l'histoire de sa vie dans cette troisième pièce. Le demandeur s'est contenté de répondre par l'affirmative, qu'on lui avait demandé de le faire. Je ne trouve pas l'explication qu'il a donnée satisfaisante. aucun autre élément de preuve n'a été présenté pour explique cette omission.

3)      On a demandé au demandeur à quel moment après l'événement du mois de juillet 1988 ses deux oncles avaient été arrêtés à la suite du piège qu'on leur avait tendu. Il a répondu que c'était dix ou quinze jours plus tard. On a souligné au demandeur que dans son FRP, il avait déclaré que les militaires s'étaient présentés et avaient amené ses oncles quelques mois après l'événement de juillet 1988. Le demandeur a répondu que, lorsqu'il était venu au Canada, il ne se rappelait pas clairement ce qui s'était passé et qu'en remplissant le FRP, les choses étaient devenues plus claires dans son esprit. En outre, il parle l'anglais depuis deux ans, de sorte qu'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il se rappelle les dates. Enfin, le demandeur a témoigné qu'il n'était pas certain de la date, que cela pouvait être un mois ou deux. Je ne puis retenir ses explications. Dans la réponse qu'il a fait oralement, le demandeur n'a jamais mentionné qu'il ne se rappelait pas exactement ce qui s'était passé ou qu'il n'en était pas certain. En outre, il n'a pas précisé quel genre de problèmes il avait eus au Canada, qui puissent l'amener à oublier le moment où des événements cruciaux s'étaient produits. Enfin, je ne puis retenir la thèse selon laquelle le fait de parler anglais aurait amené le demandeur à oublier le moment où ces événements cruciaux se sont produits. Enfin, je ne puis retenir la thèse selon laquelle le fait de parler anglais amènerait le demandeur à oublier à quel moment les événements se sont produits.

[D'autre part, on songe rarement au calendrier musulman, en anglais, ou l'on en parle rarement]

[...]

6)      Le demandeur a témoigné que vers le mois de juin 1988, il avait quitté Izmir pour se rendre à Chimenlik. On lui a demandé combien de temps il était resté à Chimenlik avant de retourner à Izmir. Il a répondu qu'il y était resté pendant environ six mois, mais qu'il ne se le rappelait pas exactement. On lui a fait remarquer qu'il avait commencé l'école à Izmir en septembre 1988. Le demandeur a alors répondu qu'il se rappelait être resté à Chimenlik pendant plus de trois mois. On a alors souligné qu'en répondant à la question 22 du FRP, il avait déclaré être resté à Chimenlik du mois d'août 1987 au mois de septembre 1988, soit pendant treize mois en tout. On a demandé au demandeur s'il avait manqué une année scolaire à un moment donné. Il a répondu qu'il n'était pas allé à l'école pendant plusieurs mois. À mon avis, la réponse du demandeur ne permet pas d'expliquer les incohérences susmentionnées. Aucune autre explication n'a été donnée.


7)      Le demandeur a témoigné qu'après l'arrestation de ses collègues, à la maison collective, les agents de police et les militaires avaient également arrêté ses deux frères au laboratoire dentaire. Il a en outre témoigné que ses frères avaient été arrêtés parce que les autorités avaient l'intention de les interroger au sujet de ses allées et venues. On a demandé au demandeur à deux reprises pourquoi il avait omis de parler de cet événement dans on FRP. Il a d'abord répondu que s'il voulait donner plus de détails, il en avait beaucoup plus long à dire. Il a ensuite répondu qu'il n'y avait pas de raison particulière et qu'il ne voulait peut-être pas que son exposé, dans le FRP, soit long.

Je trouve la première réponse du demandeur évasive. Étant donné qu'il ne répond pas à la question qui lui a été posée, je ne puis la retenir. Je ne puis non plus retenir l'explication que le demandeur a donnée pour avoir omis de mentionner l'événement susmentionné, à savoir qu'il ne voulait pas que son exposé soit trop long. À la question 37A du FRP, on demande expressément au demandeur d'énoncer « tous les événements importants » qui l'ont amené à chercher refuge en dehors de son pays d'origine et de mentionner toute mesure prise contre les membres de sa famille. L'arrestation, la détention, l'interrogatoire des frères du demandeur et les mauvais traitements qui leur ont été infligés sont certes des mesures prises contre des membres de la famille du demandeur. Et puisque ces mesures ont été prises à cause du demandeur, cet événement est d'autant plus important.

8)      [...]

Compte tenu des incohérences susmentionnées, j'estime que le demandeur n'est pas un témoin crédible et je ne considère pas comme crédibles ou dignes de foi les éléments de preuve qu'il a présentés à l'appui de sa revendication. Le reste de la preuve documentaire ne suffit pas pour étayer l'allégation du demandeur selon laquelle il craint avec raison d'être persécuté pour un motif reconnu par la Convention.

[17]            Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire en invoquant ces motifs. Dans ses plaidoiries orales et écrites, il a soulevé un certain nombre de points :

1.    La SSR a commis une erreur en rejetant toute la preuve documentaire soumise par le demandeur parce qu'elle jugeait que celui-ci n'était pas crédible;

2.    La SSR a commis une erreur en rejetant tout le témoignage oral du demandeur pour le motif qu'elle y avait constaté certaines incohérences. Le demandeur soutient que les fondements objectif et subjectif de la revendication existent malgré tout;

3.    La SSR a manqué à l'obligation d'équité qui lui incombait en omettant d'accélérer le processus après s'être assurée de l'identité et de l'ethnie du demandeur;


4.    La SSR a commis une erreur en rendant une décision défavorable à l'égard de la crédibilité du demandeur alors qu'elle savait, en raison de la déclaration solennelle que celui-ci avait faite, que la qualité de l'interprétation laissait à désirer.

[18]                        Le demandeur soutient principalement que la SSR a commis une erreur en rejetant tous les éléments de preuve qu'il avait soumis parce qu'elle doutait de sa crédibilité. Il soutient essentiellement que la SSR a examiné de trop près son témoignage et a conclu qu'il n'était pas crédible en se fondant sur des points peu importants.

[19]                        Le demandeur cite un certain nombre de décisions à l'appui de cette thèse, dont la plus importante est la décision Attakora v. Minister of Employment and Immigration (1989) 99 N.R. 168 (C.A.F.). Monsieur le juge Hugessen avait infirmé une décision de la SSR à cause du « zèle » dont celle-ci avait fait preuve en concluant que le témoignage du demandeur était incohérent. À la page 169, le juge Hugessen dit ceci :

J'ai parlé du zèle mis par la Commission à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant. Bien que la Commission ait une tâche difficile, elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l'intermédiaire d'un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu'elles ont une réalité objective.


[20]            Dans cette affaire-là, la SSR avait examiné le témoignage que le demandeur avait présenté, à savoir qu'il s'était évadé du lieu où il était détenu par un trou. Le demandeur avait affirmé que le trou était gros comme un ballon de soccer. La SSR s'est fondée sur cette description pour conclure que le demandeur n'aurait pas pu passer par un trou de cette taille. Des doutes similaires ont été soulevés à l'égard du témoignage que le demandeur avait présenté au sujet d'une fracture au genou. Dans ce cas-ci, la SSR n'a pas été à ce point mesquine.

[21]            En l'espèce, de nombreuses conclusions relatives à la crédibilité se rapportent à la question de savoir s'il existe un fondement objectif permettant de conclure que le demandeur fait face à plus qu'une simple possibilité de persécution et que les incohérences ne sont pas du même genre que celles qui existaient dans l'affaire Attakora. Plus précisément, dans sa déclaration, le demandeur dit qu'il avait participé d'une façon continue aux activités du PTK depuis le mois de juillet 1988. Selon le FRP, la famille du demandeur nourrissait et hébergeait les membres du PTK, mais dans son témoignage oral, le demandeur a déclaré qu'il n'avait eu qu'une brève rencontre avec des membres du PTK. La SSR a conclu que le témoignage oral du demandeur contredisait la déclaration écrite qu'il avait faite et a attiré l'attention du demandeur sur la chose.


[22]            De même, le témoignage du demandeur, en ce qui concerne la question de savoir pendant combien de temps il était resté à Chimenlik avant de retourner à Izmir était incohérent puisque dans son témoignage oral, le demandeur affirme y être resté pendant trois mois, alors que dans le FRP, il déclare y être resté pendant 13 mois. Lorsqu'on a signalé la chose, le demandeur n'a pas donné d'explications. Enfin, le demandeur a également omis de mentionner dans le FRP que ses frères avaient été arrêtés et interrogés au sujet de ses allées et venues après qu'il eut quitté la Turquie. Aucune réponse satisfaisante Na été donnée. Dans chacun de ces cas, on ne peut pas dire que la SSR a examiné de trop près le témoignage du demandeur étant donné que chacun de ces cas inclue sur le fondement objectif de la revendication du demandeur. Ces exemples ne sont pas semblables à ce qui s'était produit dans l'affaire Attakora, où la SSR avait examiné de trop près le témoignage du demandeur et avait tiré une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité en se fondant sur des points insignifiants, n'ayant rien à voir avec l'essence de la revendication. La SSR n'a donc pas commis d'erreur en tirant une conclusion défavorable au demandeur au sujet de sa crédibilité.

[23]            Le deuxième point que le demandeur a soulevé est que la SSR disposait de suffisamment d'éléments de preuve permettant d'établir qu'il est un réfugié au sens de la Convention, même en l'absence de son propre témoignage. Le demandeur signale un certain nombre de documents qui ont été remis à la SSR et qui démontrent que plusieurs membres de sa famille participaient aux activités du PTK.

[24]            Le concept de la persécution indirecte a déjà fait l'objet d'une décision de la Cour d'appel fédérale. Dans l'arrêt Pour-Shariati v. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (10 juin 1997) (A-721-94), Monsieur le juge MacGuigan, qui a prononcé les motifs au nom de la Cour, a adopté le raisonnement que Monsieur le juge Rothstein avait fait dans [1995] 1 C.F. 767, aux pages 2 et 3, lorsqu'il a dit ceci :


Après avoir examiné l'ensemble de la jurisprudence citée dans l'affaire Bhatti, ainsi que les dispositions de la Loi sur l'immigration, citées plus haut, je ne vois pas en quoi on pourrait en l'espèce invoquer une persécution indirecte telle que celle qui a été décrite dans l'affaire Bhatti. J'en conclus, par conséquent, qu'en l'occurrence le tribunal n'a pas commis d'erreur en ne se penchant pas sur la question de la persécution indirecte ou en ne l'évoquant pas à l'audience.

Le concept de persécution indirecte reconnu dans l'affaire Bhatti comme principe de notre droit en matière de réfugiés est par conséquent rejeté. Selon le raisonnement du juge Nadon, dans Casetellanos c. Canada (Solliciteur général) (1994), 89 F.T.R. 1, à la page 11, « comme la persécution indirecte ne peut être assimilée à de la persécution selon la définition de réfugié au sens de la Convention, toute demande à laquelle elle sert de fondement devrait être rejetée » .

[25]            Il doit exister un lien entre la situation personnelle du demandeur et la situation générale en Turquie, en ce qui concerne les membres du PTK. Certains membres du PTK peuvent faire face à la persécution, mais il incombe au demandeur de démontrer qu'il appartient à la catégorie des individus qui peuvent faire face à la persécution. Il ne suffit pas d'établir que les membres du PTK sont persécutés sans établir le lien nécessaire entre les activités du demandeur et la persécution qu'il craint. Même en ce qui concerne de présumées opinions politiques, il faut établir un lien entre le demandeur et les opinions politiques qui lui peuvent être attribuées.

[26]            Dans l'arrêt Sheikh v. Canada, [1990] 3 F.C. 238 (C.A.F.), Monsieur le juge MacGuigan a fait les remarques suivantes au sujet de la nécessité d'établir un lien entre le demandeur et l'allégation de persécution, à la page 244 :


Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.

J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

[27]            Étant donné que le demandeur n'a pas démontré l'existence de ce lien et compte tenu de la conclusion défavorable qui a été tirée au sujet de la crédibilité, dont l'absence aurait pu établir ce lien, la SSR n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur ne fait face qu'à une simple possibilité de persécution.

[28]            Le troisième argument du demandeur est que la SSR a manqué à l'obligation d'équité qu'elle a envers lui en omettant d'accélérer le processus après s'être assurée de son identité et de son ethnie.

[29]            Les articles 18 et 19 des Règles de la Section du statut de réfugié (DORS/93-45) prévoient la détermination de la revendication par un processus accéléré. Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :


(3) À la suite de la conférence préliminaire, l'agent d'audience rédige un rapport et :

a) dans le cas où le ministre a, dans les délais visés au paragraphe 8(2), donné avis de son intention de participer à l'audience ou dans l e cas où l'agent d'audience est d'avis que le statut de réfugié au sens de la Convention ne peut être reconnu à l'intéressé sans la tenue d'une audience, avise le greffier afin qu'une date d'audience soit fixée;

b) dans le cas où le ministre n'a pas, dans les délais visés au paragraphe 8(2), donné avis de son intention de participer à l'audience et où l'agent d'audience est d'avis que le statut de réfugié au sens de la Convention pourrait être reconnu à l'intéressé sans la tenue d'une audience, transmet le dossier à un membre afin qu'il détermine, conformément au paragraphe 69.1(7.1) de la Loi et à l'article 19 des présentes règles, si le statut de réfugié au sens de la Convention peut être reconnu à l'intéressé sans qu'il soit nécessaire de tenir une audience.

19. (1) Sur réception du dossier visé à l'alinéa 18(3)b), le membre, avant de déterminer que le statut de réfugié au sens de la Convention peut être reconnu à l'intéressé sans qu'il soit nécessaire de tenir une audience, vérifie que :

a) le ministre n'a pas, dans les délais visés au paragraphe 8(2), donné avis de son intention de participer à l'audience;

b) les renseignements fournis par l'intéressé à l'égard de sa revendication sont suffisants pour qu'il puisse lui reocnnaître le statut de réfugié sans qu'il soit nécessaire de tenir une audience.

(2) Dans le cas où le membre détermine, après avoir fait les vérifications visées au paragraphe (1), que le statut de réfugié au sens de la Convention peut être reconnu à l'intéressé, il rend sa décision sur-le-champ et transmet le dossier au greffier.

(3) Dans le cas où le membre détermine que le statut de réfugié au sens de la Convention ne peut être reconnu à l'intéressé sans la tenue d'une audience, il transmet le dossier au greffier afin qu'une date d'audience soit fixée.

[30]            Comme le montrent les dispositions précitées, la décision de renvoyer l'affaire pour audience est discrétionnaire, et cette cour ne devrait l'annuler que s'il peut être démontré qu'en exerçant son pouvoir discrétionnaire, l'agent d'audience ou le membre du tribunal, selon le cas n'a pas fait preuve de bonne foi ou n'a pas respecté les principes de justice naturelle : Maple Lodge Farms Limited v. Government of Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Or, le demandeur ne l'a pas démontré.


[31]            Le demandeur semble présumer qu'il existe une iniquité ou un désavantage inhérents si son cas n'est pas renvoyé pour audition accélérée. Toutefois, comme le montre le paragraphe 19(3), même si l'agent d'audience recommande que le processus accélère, un membre de la SSR peut infirmer cette décision et exiger la tenue d'une audition complète au fond. Il n'existe donc pas de « garantie » , même s'il est recommandé d'avoir recours au processus accéléré, que le demandeur soit en fait considéré comme un réfugié au sens de la Convention et, par conséquent le processus accéléré ne crée aucun droit fondamental. L'argument du demandeur sur ce point doit donc être rejeté.

[32]            Finalement, le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en prenant une décision défavorable à l'égard de sa crédibilité alors qu'elle savait, compte tenu de la déclaration solennelle qu'il avait faite, que la qualité de l'interprétation laissait à désirer. Cette question n'a été soulevée qu'après l'audience, qui a duré deux jours, on n'a pas expressément dit pourquoi l'interprétation était mauvaise. Il ne suffit pas que le demandeur affirme que la qualité de l'interprétation était mauvaise pour permettre une enquête sur la question. À moins qu'il ne puisse être démontré que l'interprétation a de quelque façon donné lieu aux diverses incohérences qui ont entraîné la conclusion défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur : Banegas c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-2642-96) (30 juin 1997). Le demandeur n'a pas démontré que c'était le cas et son argument doit donc être rejeté.


[33]            Dans ce genre d'instance, le demandeur a la charge de démontrer le bien-fondé de sa plainte.

[34]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Juge

Ottawa (Ontario)

le 31 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date: 19980731

Dossier: IMM-2559-97

Ottawa (Ontario), le 31 juillet 1998

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE :

                           LUKMAN CETINKAYA,

                                                                                                     demandeur,

                                               et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                             intimé.

                                  ORDONNANCE

Le demandeur ayant demandé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SSR (V95-02234) qui a été entendue à Vancouver le 26 janvier 1998 en présence de l'avocat de chaque partie;

La Cour ayant reporté sa décision à plus tard;


CETTE COUR ORDONNE que la demande qui a été présentée en vue de faire annuler et infirmer la décision de la SSR soit rejetée.

Juge

Ottawa (Ontario)

le 31 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :       IMM-2559-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :    LUKMAN CETINKAYA C. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :         VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :        LE 29 JANVIER 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 31 juillet 1998

ONT COMPARU :

Mme CAROLYN McCOOL                POUR LE DEMANDEUR

Mme LARISSA EASSON                    POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme CAROLYN McCOOL                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

LARISSA EASSON

M. Morris Rosenberg                           POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada


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