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Date : 20041021

Dossier : T-1224-04

Référence : 2004 CF 1455

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                             HARRIET LAVOIE

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Mme Harriet Lavoie a travaillé pour Santé Canada pendant deux ans, à partir d'août 2001, à titre d'employée occasionnelle et d'employée nommée pour une période déterminée. En février 2003, elle a proposé sa candidature à un poste permanent offert par Santé Canada, qui devait être comblé par un concours public. L'entrevue de Mme Lavoie a eu lieu en juin 2003. Un mois plus tard, on l'informait que le processus de dotation était interrompu. Depuis lors, elle attend une décision pour savoir si elle a été choisie. Aucune autre étape n'a été franchie dans le processus de dotation. Elle m'a demandé d'ordonner au sous-ministre de Santé Canada d'intervenir, plus précisément d'établir une liste des candidats qualifiés. Il s'agit d'une « liste d'admissibilité » en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, paragraphe 17(1).


[2]                Bien qu'un important laps de temps se soit écoulé, je ne crois pas que les circonstances justifient que la Cour ordonne au sous-ministre d'établir une liste d'admissibilité. De bons motifs expliquent le délai. Santé Canada était en train d'examiner divers processus de dotation aux bureaux régionaux lorsque Mme Lavoie y travaillait, et la Commission de la fonction publique enquête sur les circonstances entourant le concours. Aussi, je dois rejeter la demande de Mme Lavoie.

I. Question en litige

[3]                Mme Lavoie a-t-elle satisfait au critère permettant d'ordonner au sous-ministre de Santé Canada d'établir une liste d'admissibilité?

II. Analyse

[4]                L'ordonnance souhaitée par Mme Lavoie est souvent appelée « ordonnance de mandamus » . Cette ordonnance spéciale n'est accordée que dans des circonstances très limitées. La Cour a déterminé un certain nombre de conditions préalables qui doivent être réunies pour qu'elle rende une telle ordonnance : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. [1994] 3 R.C.S. 1100.


[5]                Seuls deux éléments du critère utilisé dans Apotex font l'objet d'un différend entre les parties en l'espèce : a) si le sous-ministre de Santé Canada a l'obligation d'intervenir et b) si le délai fixé dans le processus de dotation est déraisonnable dans les circonstances. Le défendeur a également fait valoir que l'ordonnance sollicitée par Mme Lavoie n'aurait aucun effet pratique. Cependant, compte tenu de mes conclusions relativement à d'autres questions, je considère inutile de répondre à cet argument.

a)          L'obligation d'intervenir

[6]                Mme Lavoie soutient que le sous-ministre a l'obligation juridique d'établir une liste d'admissibilité, même si le concours fait l'objet d'une enquête.

[7]                Dans la présente affaire, la Commission de la fonction publique a délégué au sous-ministre le pouvoir qu'elle exerce habituellement pour combler les postes offerts dans la fonction publique. Selon la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, le sous-ministre « sélectionne [les candidats] qui occupent les premiers rangs et les inscrit sur une liste d'admissibilité » (paragraphe 17(1)). Selon Mme Lavoie, cette exigence équivaut à une obligation juridique d'enclencher le processus de dotation après un concours.


[8]                Cependant, la Loi précise que, au moment d'établir la liste d'admissibilité, le sous-ministre doit classer les candidats par ordre du mérite après avoir « effectué toute autre recherche qu'il juge nécessaire » (paragraphe 17(4), non souligné dans le texte original). En clair, l'obligation de créer une liste d'admissibilité ne peut intervenir tant qu'une enquête est en cours. Il en va de même en ce qui a trait à l'obligation de sélectionner des candidats qualifiés après un concours (paragraphe 16(1)).

[9]                En l'espèce, Santé Canada a décidé de procéder à une enquête sur son processus de dotation et de suspendre son concours entre-temps. Par la suite, la Commission de la fonction publique a souhaité examiner le concours et a donc demandé à Santé Canada d'interrompre le processus de dotation jusqu'à ce que son étude soit terminée. Mme Lavoie ne conteste pas ces décisions, mais insiste pour que Santé Canada suive la procédure et établisse une liste d'admissibilité, même si des enquêtes sont en cours. Toutefois, je ne vois pas comment le sous-ministre aurait l'obligation juridique de le faire. La seule question à trancher est donc de déterminer si le délai est déraisonnable.

b)          Délai déraisonnable

[10]            Comme on l'a mentionné, le sous-ministre est justifié d'interrompre la création d'une liste d'admissibilité lorsqu'une enquête est en cours. Cependant, une enquête doit se dérouler dans un délai raisonnable. On risque autrement de se servir des enquêtes pour éviter d'agir indéfiniment. Cela pourrait être une source d'injustice ou porter préjudice aux candidats.

[11]            Pour déterminer si un délai est déraisonnable, je dois évaluer s'il est plus long que ce que la nature du processus en cause exige normalement, et s'il a été justifié de façon satisfaisante : Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.).


[12]            Mme Lavoie soutient que les enquêtes ont duré beaucoup plus longtemps que nécessaire. Elle fait remarquer que les enquêtes sur le harcèlement en milieu de travail sont habituellement terminées en six mois, conformément à la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor. Elle note aussi que la Commission de la fonction publique ne répond aux plaintes que si elles sont déposées dans les trois mois ou, dans des circonstances exceptionnelles, les six mois suivant l'incident (Politique concernant les conditions régissant la décision d'enquêter en vertu de l'article 7.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique). Si elles sont pertinentes, ces politiques n'établissent certes aucune limite juridique quant au délai dans lequel les enquêtes doivent être menées à bien.

[13]            Mme Lavoie attire l'attention sur d'autres facteurs qui, insiste-t-elle, doivent être pris en considération, dont les déclarations de Santé Canada, l'absence d'explications satisfaisantes, l'effet du principe du mérite et le préjudice qu'on lui a causé.

[14]            Mme Lavoie affirme que des représentants de Santé Canada lui ont dit à plusieurs reprises que l'enquête serait terminée « sous peu » . L'enquêteur lui a déclaré qu'elle serait achevée avant janvier 2003. Rien n'est pourtant réglé. Ces déclarations constituent un facteur pertinent à considérer pour déterminer si le processus a été retardé de façon déraisonnable (Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000], A.C.F.. no 1677 (1re inst.) (QL)).


[15]            Dans le même ordre d'idées, l'absence d'une explication appropriée est pertinente (Mohammed, précité; Kalachnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFT 777, [2003] C.F.J. no 1016 (1re inst.)(QL)). En l'espèce, Santé Canada a simplement déclaré que l'enquête était en cours. L'ébauche d'un rapport a été préparée en mars 2004, mais aucune version finale n'a vu le jour. Aucune explication n'a été donnée pour justifier le retard. La Commission de la fonction publique a entrepris son enquête en juillet 2004. Elle s'attend à la terminer d'ici décembre 2004. Bien qu'on ne l'ait pas formulé ainsi, j'ai l'impression que Santé Canada attend que la Commission de la fonction publique ait terminé son étude avant de mettre la dernière main à la sienne.

[16]            Mme Lavoie fait valoir que le principe du mérite exige un déroulement rapide du processus de dotation. Autrement, les candidats non reçus au concours pourraient mettre à jour leurs compétences durant le long laps de temps que dure l'étude et ainsi brouiller leur classement initial. Ce risque est préoccupant (voir Canada (Procureur général) c. MacKintosh, [1991] A.C.F. no 13 (C.A.) (QL)). Toutefois, le principe du mérite peut s'avérer un argument à double tranchant : s'il y a lieu de se préoccuper du bien-fondé du processus de sélection, cela signifie peut-être que les candidats n'ont pas été classés par ordre de mérite. Le principe du mérite exige un examen approfondi de ces préoccupations.


[17]            Mme Lavoie affirme que le délai imposé a été pour elle source de stress, le plan personnel et financier. Elle soutient également que sa position juridique a été touchée du fait que sa capacité à contester le concours, si elle décidait de le faire, est compromise par le retard. De plus, le retard augmente les risques que le concours soit contesté par d'autres candidats. À cet égard, je crois que les enquêtes en cours sont le meilleur - et, en fait, peut-être le seul - moyen de protéger les intérêts des candidats, y compris ceux de Mme Lavoie. Comme ni elle ni aucun autre candidat n'auraient le droit de faire appel des résultats du concours (article 21), les enquêtes cerneront vraisemblablement toute irrégularité survenue dans le processus. Santé Canada ou la Commission de la fonction publique pourrait alors opter pour une mesure de réparation appropriée.

[18]            Compte tenu de toutes ces circonstances, je ne peux conclure que le délai en l'espèce a été déraisonnable. Aussi, je dois rejeter la demande de Mme Lavoie.

III. Dispositif

[19]            La demande de Mme Lavoie en vue d'obtenir une ordonnance obligeant le sous-ministre de Santé Canada à établir une liste d'admissibilité est rejetée. Toutefois, je me permets de noter que rien ne l'empêche de déposer de nouveau sa demande si le délai continue de se prolonger au-delà du calendrier prévu pour la réalisation de l'enquête de la Commission de la fonction publique. De plus, compte tenu du stress et de l'inquiétude dont a manifestement souffert Mme Lavoie, je ne rends pas d'ordonnance quant aux dépens.   


                                                                   JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.          La demande en vue d'obtenir une ordonnance obligeant le sous-ministre de Santé Canada à établir une liste d'admissibilité est rejetée;

2.          Aucune ordonnance n'est prononcée quant aux dépens.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »        

                                                                                                                                                     Juge                  

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                                        Annexe



Loi sur l'Emploi dans la fonction publique, L.R. 1985, ch. P-33

Examen des candidatures

16. (1) La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard. Après avoir pris connaissance des autres documents qu'elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu'elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l'objet du concours.

Établissement des listes d'admissibilité

17. (1) Parmi les candidats qualifiés à un concours, la Commission sélectionne ceux qui occupent les premiers rangs et les inscrit sur une ou plusieurs listes, dites listes d'admissibilité, selon le nombre de vacances auxquelles elle envisage de pourvoir dans l'immédiat ou plus tard.

Concours public

(4) Dans le cas d'un concours public, la Commission, après avoir mis en oeuvre l'article 16 et effectué toute autre recherche qu'elle juge nécessaire, établit la liste d'admissibilité en se fondant sur les principes suivants_:

a) à l'intérieur de chacune des catégories définies au paragraphe 16(4), les candidats qualifiés sont classés selon leur mérite;

b) sont placés en tête de liste les candidats qualifiés visés par l'alinéa 16(4)a), immédiatement suivis de ceux qui sont visés par l'alinéa 16(4)b), eux-mêmes précédant les candidats qualifiés visés par l'alinéa 16(4)c);

c) les candidats qualifiés n'entrant dans aucune des catégories définies au paragraphe 16(4) sont placés par ordre de mérite, après tout candidat relevant de l'une de ces catégories.

Appels

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

                                               

Public Service Employment Act, R.S.C. 1985, c. P-33

Consideration of applications

16. (1) The Commission shall examine and consider all applications received within the time prescribed by it for the receipt of applications and, after considering such further material and conducting such examinations, tests, interviews and investigations as it considers necessary or desirable, shall select the candidates who are qualified for the position or positions in relation to which the competition is conducted.

Establishment of eligibility lists

17. (1) From among the qualified candidates in a competition the Commission shall select and place the highest ranking candidates on one or more lists, to be known as eligibility lists, as the Commission considers necessary to provide for the filling of a vacancy or anticipated vacancies.

Open competition

(4) When establishing an eligibility list in the case of an open competition, the Commission shall, after complying with section 16 and after conducting such further investigations as it considers necessary, proceed in accordance with the following principles:

(a) persons who come within paragraph 16(4)(a) and who are qualified shall be placed, in order of merit, ahead of other successful candidates;

(b) persons who come within paragraph 16(4)(b) and who are qualified shall be placed, in order of merit, on the list immediately following any candidates mentioned in paragraph (a) of this subsection;

(c) persons who come within paragraph 16(4)(c) and who are qualified shall be placed, in order of merit, after any candidates mentioned in either paragraph (a) or (b) of this subsection; and

(d) persons who do not come within paragraph 16(4)(a), (b) or (c) and who are qualified shall be placed, in order of merit, after any candidates who come within those paragraphs.

Appeals


COUR FÉDÉRALE

                                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             T-1224-04

INTITULÉ :                                                            HARRIET LAVOIE c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                       

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 13 octobre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  LE JUGE O'REILLY

EN DATE DU :                                       Le 21 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Lawrence                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O'BRIEN PAYNE LLP

OTTAWA (ONTARIO)                                         POUR LA DEMANDERESSE

MORRIS ROSENBERG

Sous-procureur général du Canada                           POUR LE DÉFENDEUR

OTTAWA (ONTARIO)


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