Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 19990709


Dossier : T-1434-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     ROEL TSENG,

     intimée.


     J U G E M E N T


         Pour les motifs exposés, la demande et l'appel du ministre en l'instance sont accueillis et la décision du juge de la citoyenneté rendue le 19 mai 1998 est annulée.

    

    

     J U G E


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.





     Date : 19990709

     Dossier : T-1437-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     CHUN-CHING LIN,

     intimé.


     J U G E M E N T


         Pour les motifs exposés, la demande et l'appel du ministre en l'instance sont accueillis et la décision du juge de la citoyenneté rendue le 19 mai 1998 est annulée.

    

    

     J U G E





Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.





Date : 19990709


Dossier : T-1434-98


ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     ROEL TSENG,

     intimée.

ET

     Dossier : T-1437-98

         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     CHUN-CHING LIN,

     intimé.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX :


A.      INTRODUCTION

[1]      Les présents motifs traitent de deux appels du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29. Ces appels portent sur deux décisions du 19 mai 1998, par lesquelles le juge de la citoyenneté Robert Meagher (le juge de la citoyenneté) a accueilli les demandes de citoyenneté de Chun-Ching Lin et Roel Tseng (les intimés). Les intimés sont mari et femme.

[2]      Le juge de la citoyenneté a conclu que les intimés répondaient aux critères de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, nonobstant le fait qu'ils ont été physiquement absents du Canada pendant de longues périodes avant le dépôt de leurs demandes de citoyenneté. Dans le cas de Chun-Ching Lin, il avait été physiquement présent au Canada pendant 625 jours. Il lui manquait donc 470 jours pour répondre aux exigences de la Loi qui prévoit une résidence d'au moins trois ans sur les quatre ans qui ont précédé la date de la demande de citoyenneté. Dans le cas de Roel Tseng, elle avait été physiquement présente au Canada pendant 760 jours. Il lui manquait donc 335 jours.

[3]      Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que les intimés avaient satisfait aux critères de résidence prévus à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[4]      Ces appels sont logés en cette Cour par voie de demande en vertu de l'alinéa 300c) des Règles de la Cour fédérale (1998) et ils sont fondés uniquement sur les dossiers certifiés, aucun affidavit n'ayant été déposé par le ministre ou par les intimés. De plus, les dossiers certifiés ne contiennent pas de transcription de l'audience devant le juge de la citoyenneté. La Loi et le Règlement sur la citoyenneté ne portent pas que ces audiences doivent être transcrites.


B.      LES FAITS

[5]      Les intimés sont des citoyens de Taïwan. Ils sont titulaires de visas de résidence permanente au Canada, les plaçant dans la catégorie des travailleurs indépendants. Ils sont entrés au Canada le 18 juillet 1993. Leurs deux enfants étaient déjà au Canada depuis 1991, où ils faisaient leurs études. Du 24 novembre 1992 au 2 octobre 1993, les enfants des intimés ont habité un appartement loué par leurs parents. Les intimés ont alors acheté une maison à Toronto. Le dossier des intimés démontre, qu'en plus d'être propriétaires de leur maison, ils ont des permis de conduire et des cartes de santé. Leur demande de citoyenneté fait aussi état du fait qu'ils sont détenteurs de cartes d'assurance sociale et de cartes de crédit, et qu'ils ont des comptes en banque.

[6]      Le tableau suivant donne un état des absences des intimés durant la période en cause, ainsi que des raisons données pour ces absences :

(1)      Roel Tseng

Absences du Canada

De (date)          À (date)          Destination      Motif de l'absence

A      M      J      A      M      J

1993      20      20      1993      11      16      Taïwan          Fermer mon entreprise à Taïwan

1994      03      12      1994      03      19      É.-U.          Visite aux É.-U.

1994      04      04      1994      05      17      Taïwan          Prendre mon tour pour le soin de mes grands-parents

1994      09      29      1994      10      27      Taïwan          Prendre soin de mes grands-parents

1994      12      17      1995      01      17      Taïwan          Réunion familiale

1995      02      08      1995      03      10      Taïwan          Intervention chirurgicale majeure (père)

1995      07      21      1995      08      26      Taïwan          Accident cérébro-vasculaire (père)

1995      10      27      1995      12      09      Taïwan          Prendre soin de mon père

1996      01      13      1996      04      17      Taïwan          Promouvoir la vente des vins MAGNOTTA et participation

                                 à un salon des vins

1996      07      21      1996      10      03      Taïwan          Prendre soin de ma mère et promotion des vins MAGNOTTA                                 
1996      10      29      1997      03      06      Taïwan          Réunion familiale et participation à divers salons des vins

(2)      Chun-Ching Lin

Absences du Canada

De (date)          À (date)          Destination      Motif de l'absence

A      M      J      A      M      J

1994      01      13      1994      02      01      Taïwan          Prendre soin de mon grand-père

1994      03      12      1994      03      19      É.-U.          Visite touristique

1994      04      04      1994      05      30      Taïwan          Prendre soin de mes grands-parents

1994      10      20      1995      01      17      Taïwan          Prospecter le marché à Taïwan en vue d'y vendre des produits canadiens

1995      04      04      1995      04      28      Taïwan          Choisir un agent pour Pinyu Trading Inc.

1995      07      11      1995      08      26      Taïwan          Promouvoir la vente de Pinyu Trading Inc.

1995      10      26      1995      12      22      Taïwan          Promouvoir la vente de Pinyu Trading Inc

1996      01      13      1996      04      25      Taïwan          Promouvoir la vente de vins canadiens (MAGNOTTA) et participation à un salon des vins

[7]      Les intimés ont déposé leur demande de citoyenneté canadienne le 22 juillet 1996, soit un peu plus de trois ans après être entrés au Canada.

C.      LA DÉCISION DU JUGE DE LA CITOYENNETÉ

[8]      Le juge de la citoyenneté a motivé brièvement sa décision d'accorder la citoyenneté. Dans le cas de M. Chun-Ching Lin, il dit ceci :

[traduction]
Bien qu'il manque 406 jours de résidence au demandeur, ce dernier a fait une déclaration crédible quant à ses intentions et il a fourni une documentation irréfutable qui le place dans le CADRE THURLOW, puisqu'il a démontré qu'il avait établi et maintenu son mode habituel de vie au Canada. Dans la période qui se situe entre son ENTRÉE au Canada et sa PREMIÈRE ABSENCE, les signes extérieurs habituels de résidence ont été mis en place : domicile, NAS, carte de santé, compte bancaire, réunion de la famille et emploi dans une société canadienne.
Les périodes d'absence sont liées à des responsabilités familiales, ainsi qu'à des efforts de promotion de produits fabriqués au Canada.
Pendant toutes les périodes d'absence, il a maintenu ses liens avec le pied-à-terre au Canada.
Toutes les ressources et propriétés détenues à l'extérieur du Canada ont été liquidées au moment approprié.
Toutes les autres exigences pour obtenir la citoyenneté étant satisfaites, j'approuve par conséquent la demande.

[9]      Les motifs du juge de la citoyenneté dans l'affaire Roel Tseng sont rédigés de façon similaire. Le paragraphe (1) est le même que celui qui vise son mari, sauf que le nombre de jours manquants est de 335. Le paragraphe (2) est légèrement différent, puisqu'il se réfère à [traduction] " visites et soins de parents malades ". Pour le reste, les motifs sont identiques.

D.      LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ

[10]      L'alinéa 5(1)c) de la Loi est rédigé comme suit :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

     . . .
     (c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:
         (i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and
         (ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

     . . .
     c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:
         (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,
         (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[11]      La Loi a été modifiée en 1987, par l'ajout de l'article 1.1 qui est rédigé comme suit :

(1.1) Any day during which an applicant for citizenship resided with the applicant's spouse who at the time was a Canadian citizen and was employed outside of Canada in or with the Canadian armed forces or the public service of Canada or of a province, otherwise than as a locally engaged person, shall be treated as equivalent to one day of residence in Canada for the purposes of paragraph (1)(c) and subsection 11(1).


(1.1) Est assimilé à un jour de résidence au Canada pour l'application de l'alinéa (1)c) et du paragraphe 11(1) tout jour pendant lequel l'auteur d'une demande de citoyenneté a résidé avec son conjoint alors que celui-ci était citoyen et était, sans avoir été engagé sur place, au service, à l'étranger, des forces armées canadiennes ou de l'administration publique fédérale ou de celle d'une province.

E.      ANALYSE

[12]      La norme de contrôle utilisée par la Cour à l'occasion d'un appel prévu par la loi, contre une décision d'un juge de la Cour de la citoyenneté présentée par voie de requête en vertu de la règle 300 et non par voie de procès de novo, a récemment été définie par le juge Lutfy, dans Lam c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, no du greffe T-1310-98, le 26 mars 1999. Ce dernier a conclu que la norme de contrôle était proche de la décision correcte; il faudrait faire montre d'une certaine retenue envers une décision d'un juge de la citoyenneté. Je partage cet avis.

[13]      L'avocate du ministre a déclaré que le juge de la citoyenneté a fondé ses décisions sur le CADRE THURLOW. Le CADRE THURLOW renvoie à une décision du juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans In Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re Inst.). L'avocate du ministre soutient que le juge de la citoyenneté a mal appliqué les principes de cette affaire aux faits qui lui étaient soumis. Elle déclare que si le juge de la citoyenneté avait appliqué les principes de Re Papadogiorgakis de façon correcte, il aurait rejeté les demandes.

[14]      L'avocate du ministre a analysé In Re Papadogiorgakis de la façon suivante. Arrivé au Canada en 1970, M. Papadogiorgakis a étudié pendant quatre ans à l'Université Acadia. Il a été admis comme résident permanent au Canada en 1974. La période pertinente aux fins de l'obtention de la citoyenneté allait du 6 décembre 1973 au 6 décembre 1977. Durant cette période, M. Papadogiorgakis étudiait à Acadia, mais il a poursuivi des études de janvier à juin 1976 et de septembre 1976 à août 1977 à l'Université du Massachusetts.

[15]      L'avocate du ministre soutient que In Re Papadogiorgakis établit les principes juridiques suivants :

     a)      la période de résidence requise pour obtenir la citoyenneté peut comprendre des périodes où une personne n'est pas physiquement présente au Canada;
     b)      toutefois, ceci n'est vrai que si la personne demandant la citoyenneté canadienne a d'abord fait du Canada le centre de son mode habituel de vie. M. Papadogiorgakis résidait au Canada depuis 1970 et, aux fins de la citoyenneté, entre mai 1974 et décembre 1976. Le juge en chef adjoint Thurlow a conclu de façon très claire que M. Papadogiorgakis avait centralisé son mode de vie au Canada en mai 1994. Il s'exprime de la façon suivante, aux pages 214 et 215 :
... je suis d'avis que l'appelant était, pendant toute la période pertinente, de mai 1974 à décembre 1976, un résident dans la demeure de ses amis à Tusket (Nouvelle-Écosse). Il n'était pas propriétaire de la maison, mais il en a fait le centre de son mode habituel de vie en mai 1974. Il y a habité pendant le reste de l'année 1974 et toute l'année 1975. On ne peut pas considérer sa présence en ce lieu comme un " séjour " ou une " visite ", au sens habituel de ces termes. Et, lorsqu'en 1976 il a quitté ce lieu pour aller dans une université, il ne l'a fait que dans le but provisoire de faire des études. Il a quitté sans renoncer à faire de ce lieu le centre de son mode habituel de vie. Il a pris ce qui était nécessaire à son séjour au Massachusetts, mais il a laissé le reste de ses effets personnels dans la maison où il avait habité. Et il y est revenu à intervalles rapprochés pour des fins de semaines et pour les vacances de Noël et d'été. Et il y est revenu à la fin de ses études. Il me paraît avoir fait de cette maison le centre de son mode habituel de vie pendant plus d'un an et demi avant de poursuivre ses études à l'université et il a continué à le faire même alors qu'il était à l'université. À mon avis, sa vie a continué comme auparavant, sous réserve seulement de la nécessité pour lui de s'en absenter dans le but provisoire de faire des études.
     c)      Le principe énoncé par le juge Pratte (tel était alors son titre) dans Blaha c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1971] C.F. 521 (1re Inst.) demeure important. Dans cette affaire, le juge Pratte a déclaré qu'à son avis, " une personne ne réside au Canada, au sens de la Loi sur la citoyenneté canadienne , que si elle se trouve physiquement présente (d'une façon au moins habituelle) sur le territoire canadien ".
     d)      Dans In Re Papadogiorgakis, voici ce que le juge en chef adjoint Thurlow dit du principe énoncé dans Blaha, aux pages 213 et 214 du recueil :
Il me semble que les termes " résidence " et " résident " employés dans l'alinéa 5(1)b ) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l'exigeait l'ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu'elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Cette interprétation n'est peut-être pas très différente de l'exception à laquelle s'est référé le juge Pratte lorsqu'il emploie l'expression " (d'une façon au moins habituelle) ", mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite . [non souligné dans l'original]
     e)      Le juge en chef adjoint Thurlow a dit partager ce que le juge Rand a déclaré dans Thomson c. M.R.N. [1946] R.C.S. 209, à la page 225, dans les termes suivants :

         [traduction]

         Mais dans les différentes situations de prétendues " résidences permanentes ", " résidences temporaires ", " résidences ordinaires ", " résidences principales " et ainsi de suite, les adjectifs n'influent pas sur le fait qu'il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question.

[16]      L'avocate du ministre m'a invité à examiner les réponses données par les intimés dans leur questionnaire de résidence. En réponse à la question : [traduction] " Êtes-vous revenu au Canada à l'occasion? ", M. Chun-Ching Lin a déclaré : [traduction ] " Oui, pour faire rapport au sujet de la vente de notre vin et pour assister aux réunions des actionnaires ". La réponse de Roel Tseng à cette question a été : [traduction ] " Oui. Des réunions d'actionnaires et des rapports de marketing ".

[17]      En réponse à la question : [traduction] " Avez-vous une résidence ou un pied-à-terre au Canada? ", M. Chun-Ching Lin a déclaré : [traduction ] " Oui, mes enfants vont à l'école ici et ils vivent dans la maison que j'ai achetée ". Roel Tseng a répondu de semblable manière.

[18]      En réponse à la question : [traduction] " Au cours de vos absences, étiez-vous accompagné par des membres de votre famille? ", M. Chun-Ching Lin a déclaré : [traduction ] " Oui, j'étais accompagné par ma femme à l'occasion ". Roel Tseng a répondu : [traduction ] " Oui, voyage d'affaires avec mon mari ".

[19]      En réponse à la question : [traduction] " Quelle était votre situation d'emploi? ", Chun-Ching Lin a déclaré qu'il était gérant des ventes de Pinyu Trading Inc. et Roel Tseng a déclaré qu'elle était vice-présidente de Pinyu Trading Inc.

[20]      L'avocat des intimés rétorque que Re Papadogiorgakis a décidé que des absences du Canada peuvent être comptées aux fins de l'établissement de la résidence en vertu de la Loi sur la citoyenneté. Il a soutenu que les intimés satisfont aux critères habituels de la résidence, savoir : maison au Canada, enfants au Canada, visas de retour. Ce sont tous des éléments qui démontrent leur intention. Il a insisté sur le fait que les intimés ont reçu le statut d'immigrants au Canada en tant qu'entrepreneurs, et qu'ils ont rapidement satisfait aux conditions qu'on leur avait imposées à l'entrée. Il a soumis que le juge de la citoyenneté avait considéré les périodes d'absence, concluant que ces périodes étaient acceptables et légitimes. Il a cité plusieurs décisions de la Cour qui ont reconnu comme périodes de résidence des absences à des fins telles que la fermeture d'un commerce, des raisons familiales et la conduite d'affaires canadiennes à l'étranger.

F.      CONCLUSIONS

[20]      À mon avis, les appels du ministre doivent être accueillis au motif que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en n'appliquant pas les principes de résidence appropriés aux faits des deux affaires qui lui étaient soumises. Le juge de la citoyenneté devait d'abord analyser la question de savoir si les intimés avaient fait du Canada le centre de leur mode habituel de vie, avant de s'absenter de façon prolongée pour se rendre à Taïwan, leur pays de citoyenneté.

[22]      La question de savoir ce qui fait du Canada le centre du mode habituel de vie a été analysée dans plusieurs décisions de la Cour. Le juge en chef adjoint Thurlow s'est penché sur la question dans Re Papadogiorgakis. Elle a aussi été analysée de façon approfondie par le juge Reed, dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re Inst.). Dans l'affaire Koo, précitée, le juge Reed a posé six questions qui peuvent aider à trancher la question. Ces questions sont les suivantes :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté;
2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant;
3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?
4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?
5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?
6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[23]      Lorsqu'on fait une analyse globale pour déterminer dans quelles circonstances des absences peuvent être assimilées à des périodes de résidence, il importe de tenir compte de l'intention du Parlement. À mon avis, cette intention est manifeste en ce qu'elle souligne le fait que la présence physique est un élément crucial dans l'évaluation de la résidence aux fins de la citoyenneté. La structure de l'alinéa 5(1)c) mène à cette conclusion. La période témoin porte sur les quatre années précédant la demande de citoyenneté et le critère est qu'il faut avoir accumulé au moins trois ans de résidence pendant cette période, calculée en jours. Ceci veut dire qu'une personne demandant la citoyenneté peut s'absenter physiquement du Canada pendant toute une année durant la période de quatre ans. De plus, la modification de 1987 vient confirmer l'intention du Parlement quant à l'importance de la présence physique au Canada.

[24]      Dans Blaha, précité, et dans Re Papadogiorgakis, précité, on insiste sur la présence physique. Le but de cette présence physique au Canada est exprimé de la façon suivante par le juge Muldoon, dans Re Pourghasemi, 62 F.T.R. 122 :

     Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs.

[25]      Au vu des faits qui me sont présentés, je suis d'avis qu'on ne peut dire que les intimés ont centralisé leur mode de vie au Canada avant de s'absenter pendant de longues périodes. Je suis plutôt d'avis qu'ils ont continué à centraliser leur mode de vie à Taïwan, là où ils avaient leurs racines et où leur famille continuait à vivre, exception faite de leurs enfants.

[26]      L'intimé Chun-Ching Lin n'est resté au Canada que six mois avant de faire quatre voyages de longueur variable à l'étranger en 1994, tous à Taïwan à l'exception d'un court séjour aux États-Unis. Il a fait des voyages semblables en 1995 et en 1996. L'intimée Roel Tseng n'est restée que trois mois au Canada avant de repartir à Taïwan pendant un mois en 1993 et de faire quatre voyages en 1994, tous à Taïwan à l'exception d'un court séjour avec son mari aux États-Unis, pour ensuite faire trois nouveaux voyages en 1995 à Taïwan et encore en 1996.

[27]      Une des caractéristiques qui distinguent clairement cette affaire est le fait que les intimés, mari et femme, se rendaient souvent à Taïwan ensemble, ou que leurs déplacements coïncidaient au moins en partie. Ils étaient souvent ensemble à Taïwan. Leurs enfants restaient au Canada pour y continuer leurs études, situation qui existait avant que les intimés immigrent au Canada.

[28]      Une autre caractéristique de cette affaire est le fait que les demandes de citoyenneté canadienne des intimés sont un peu prématurées. Ils ne se sont pas donnés le temps nécessaire pour répondre aux exigences de résidence de la Loi sur la citoyenneté, puisqu'ils ont fait leur demande peu de temps après l'expiration de la période de trois ans suivant leur entrée au Canada. Ce faisant, ils n'ont pas profité de l'avantage que leur a donné le Parlement, savoir la possibilité d'une année complète à l'extérieur du Canada.

[29]      Pour tous ces motifs, les demandes et appels du ministre dans les deux affaires sont accueillies et les deux décisions du juge de la citoyenneté en date du 19 mai 1998, accordant la citoyenneté aux intimés, sont annulées.

     " François Lemieux "

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 9 JUILLET 1999


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Nos DU GREFFE :          T-1434-98 et T-1437-98

INTITULÉS :          Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Roel Tseng

                 Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Chun-Ching Lin

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 3 juin 1999




MOTIFS DE JUGEMENT M. LE JUGE LEMIEUX


EN DATE DU 9 juillet 1999




ONT COMPARU :

Mme Sally Thomas          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Irvin Sherman          POUR LES INTIMÉS

Don Mills (Ontario)


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Martinello & Associates          POUR LES INTIMÉS

Barristers & Solicitors

Don Mills (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.