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     T-2676-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 JUIN 1997

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

     SHERWIN-WILLIAMS DIVERSIFIED BRANDS INC.,

     demanderesse,

     - et -

     HARRY I. KUPERSCHMIDT, THE KUPERSCHMIDT GROUP INC.

     et GROW CONSUMER PRODUCTS INC.,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

         La requête est rejetée. Les dépens sont adjugés aux défendeurs indépendamment de l'issue de la cause.

     " P. ROULEAU "

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme :

                 C. Bélanger, LL.L.

     T-2676-96

ENTRE :

     SHERWIN-WILLIAMS DIVERSIFIED BRANDS INC.,

     demanderesse,

     - et -

     HARRY I. KUPERSCHMIDT, THE KUPERSCHMIDT GROUP INC.

     et GROW CONSUMER PRODUCTS INC.,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

         Il s'agit d'une requête présentée par la demanderesse en vue d'obtenir une injonction interlocutoire interdisant aux défendeurs d'utiliser les marques de commerce " FAMILY CHOICE " et " GROW CONSUMER PRODUCTS ", qui usurpent censément les marques de commerce déposées de la demanderesse.

         La demanderesse, une société américaine, vend des nettoyants, des détergents et de la peinture. Le défendeur, Harry I. Kuperschmidt, est le président des deux sociétés défenderesses, The Kuperschmidt Group Inc. et Grow Consumer Products Inc.

         Le 29 février 1996, Sherwin-Williams a acquis les éléments d'actif de Grow Consumer Products Inc. et de sa filiale, Cello Corporation. Price Costco était l'un des plus gros clients canadiens de Grow Consumer Products Inc. et de Cello Corporation. Les éléments d'actif acquis par la demanderesse incluaient les quatre marques de commerce suivantes enregistrées au Canada en vue de leur utilisation avec du détergent à lessive :

         FAMILY TREE, nE TMA 420,861, enregistrée le 10 décembre 1993;                 
         FAMILY SELECT, nE TMA 433,463, enregistrée le 16 septembre 1994;                 
         FAMILY SUPREME et UN DESSIN, nE TMA 433,111, enregistrée le 9 septembre 1994;         
         FAMILY SUPREME, nE TMA 432, 412, enregistrée le 26 août 1994.         

         Avant que la demanderesse acquière Grow Consumer Products, M. Kuperschmidt était vice-président, ventes et marketing, de la division des produits de consommation de Cello Corporation. Il était chargé d'entretenir les relations entre Cello Corp. et ses clients les plus importants, Sam's Club, Dollar General et Price Costco. M. Kuperschmidt supervisait une quinzaine de personnes et il était chargé de l'ensemble des efforts de marketing de la division des produits de consommation de Cello Corp.

         Toutefois, après que Sherwin-Williams eut acquis Consumer Grow, M. Kuperschmidt a été rétrogradé de son poste de vice-président, et ses fonctions ont été réduites à celles d'un directeur de produit. La tournure des événements a mené M. Kuperschmidt à croire que les projets de la demanderesse ne prévoyaient vraisemblablement aucun rôle important pour lui et il a commencé à envisager la possibilité de devenir travailleur autonome. En conséquence, le 19 avril 1996, il a déposé une demande auprès du Bureau canadien des marques de commerce en vue d'enregistrer, sous le nom de The Kuperschmidt Group Inc., la marque de commerce FAMILY CLASSIC en vue de son utilisation en liaison avec des détergents à lessive liquides et en poudre.

         Le 7 mai 1996, M. Kuperschmidt a avisé la demanderesse qu'il démissionnait à compter du 20 mai 1996. Il a ensuite commencé à exploiter The Kuperschmidt Group Inc. Le 11 juillet 1996, la défenderesse Grow Consumer Products Inc. a déposé une demande d'enregistrement de la marque de commerce GROW CONSUMER PRODUCTS. À titre de président de The Kuperschmidt Group Inc., M. Kuperschmidt a cédé la demande de marque de commerce FAMILY CLASSIC à Grow Consumer Products Inc.

         En juin 1996, la demanderesse a appris que Price Costco n'était pas satisfaite de la qualité de son produit et que le contrat allait faire l'objet d'un appel d'offres en vue de trouver un nouveau fournisseur. Pendant l'été, les défendeurs ont obtenu la clientèle de Price Costco et en septembre 1996, celle-ci a octroyé le contrat à The Kuperschmidt Group Inc. Par la suite, au début de 1997, la défenderesse a commencé à approvisionner Price Costco en détergent à lessive.

         Après avoir appris qu'elle avait perdu le contrat d'approvisionnement, la demanderesse a demandé à Price Costco d'autres renseignements pour voir si la situation pouvait être corrigée et si elle pouvait la compter de nouveau parmi ses clients. Toutefois, le 28 octobre 1996, Sherwin-Williams a été avisée que Price Costco ne reviendrait pas sur sa décision.

         Le lendemain, la demanderesse a engagé une instance devant la Cour de district des États-Unis pour obtenir une ordonnance d'interdiction temporaire contre les défendeurs. La requête de la demanderesse a initialement été accueillie étant donné qu'elle a été présentée sans avis aux défendeurs. Une ordonnance d'interdiction temporaire et une ordonnance de se justifier ont été rendues par la Cour de district des États-Unis pour le district du Maryland, le 29 octobre 1996. L'ordonnance de se justifier exigeait des défendeurs M. Kuperschmidt et The Kuperschmidt Group Inc. qu'ils comparaissent le 8 novembre 1996 pour expliquer pourquoi une injonction ne devrait pas être prononcée.

         À l'audience tenue le 8 novembre, la demanderesse n'a pas persuadé la Cour de district qu'elle avait une cause valable à première vue, que la prépondérance des inconvénients était en sa faveur ou qu'elle pouvait prouver les chances de succès sur le fond de sa demande. En conséquence, la Cour a refusé de renouveler l'ordonnance d'interdiction temporaire. La demanderesse a poursuivi ses efforts pour obtenir une injonction mais après une audience complète tenue le 13 novembre 1996, la Cour de district des États-Unis a conclu comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Je ne suis pas convaincu qu'il n'existe aucune raison de présumer que la demanderesse ne peut rivaliser pour obtenir la clientèle de Price Costco et réussir à l'obtenir. À ce stade-ci, très peu d'éléments de preuve permettent de déterminer quelle est la situation véritable. Rien de ce qui m'a été soumis indique que cette possibilité est exclue.                 
         Et, en ce qui concerne ce que M. Kuperschmidt aurait précisément fait au sujet de l'appropriation frauduleuse d'un secret industriel, il s'agit, selon moi, d'après les éléments de preuve versés au dossier, d'une conjecture. Au mieux, d'une affirmation douteuse. En examinant les normes tirées de Blackelder, il me semble que la question du préjudice irréparable est celle qui préoccupe davantage M. Kuperschmidt. Je crois qu'il a raison d'être ainsi préoccupé. Il me semble que l'argument selon lequel il est complètement empêché d'exercer ses activités " non qu'il n'ait pas le talent pour faire quelque chose d'autre " est bien fondé.                 
         Ce qu'il a fait pendant de très nombreuses années semblerait être perdu. Il ne me semble pas que le préjudice qui serait causé à la demanderesse, bien que peut-être irréparable ainsi qu'il a été prétendu, soit aussi dommageable qu'il pourrait l'être pour le défendeur dans cette situation. Au-delà de la probabilité des chances de succès sur le fond, il faudrait que je conclue à une forte probabilité de succès. Les éléments de preuve qui ont été présentés ne m'ont simplement pas convaincu qu'il existe une telle probabilité de succès.                 

         Le 6 décembre 1996, la demanderesse a déposé une déclaration devant la présente Cour alléguant que les défendeurs ont appelé l'attention du public sur leurs marchandises, services ou activités ou qu'ils ont menacé de le faire de manière à créer, ou à risquer de créer, de la confusion au Canada. En outre, la demanderesse prétend que les défendeurs ont fait passer leurs marchandises, services et activités pour ceux de la demanderesse ou menacent de le faire. Enfin, la demanderesse fait valoir que les défendeurs ont utilisé ou menacé d'utiliser des marques de commerce qui créent de la confusion avec les marques de commerce déposées FAMILY de la demanderesse, de manière à déprécier la valeur de l'achalandage lié à ces marques.

         Dans la présente requête en injonction interlocutoire qu'elle a déposée le 10 février 1997, la demanderesse sollicite les mesures de redressement suivantes :

         1. une injonction interlocutoire interdisant à chacun des défendeurs :                 
         a. de porter atteinte aux droits exclusifs de la demanderesse sur les marques de commerce déposées FAMILY TREE, FAMILY SUPREME, FAMILY SUPREME et un dessin et FAMILY SELECT;                 
         b. de fabriquer, de vendre, de distribuer ou autrement faire le commerce du détergent à lessive et d'autres produits nettoyants portant les marques de commerce qui créent de la confusion avec les marques de commerce FAMILY de la demanderesse;                 
         c. d'utiliser les marques de commerce FAMILY CLASSIC et GROW CONSUMER PRODUCTS;                 
         d. d'appeler l'attention du public sur leurs marchandises de manière à créer, ou à risquer de créer de la confusion au Canada entre les marchandises de la demanderesse et celles des défendeurs;                 
         e. de faire passer leurs marchandises pour celles de la demanderesse en utilisant une marque de commerce qui est similaire au point de créer de la confusion avec les marques de commerce FAMILY de la demanderesse;                 
         f. d'exercer leurs activités sous le nom de Grow Consumer Products Inc.                 

         Je rejette la demande de la demanderesse pour les motifs suivants.

         Premièrement, d'après les éléments de preuve, je ne suis pas convaincu qu'il existe une question sérieuse à instruire. Le principal argument de la demanderesse est que les marques de commerce FAMILY CLASSIC et GROW CONSUMER PRODUCTS des défendeurs créent de la confusion avec ses propres marques. Toutefois, la marque de commerce GROW CONSUMER PRODUCT n'a été employée par aucun des défendeurs en liaison avec des marchandises vendues au Canada. En outre, l'accord de licence intervenu entre la demanderesse et Grow Group, Inc. et par lequel la demanderesse a acquis le droit d'utiliser le mot GROW est maintenant expiré.

         Pour ce qui est du mot FAMILY, la demanderesse a encore omis de présenter des éléments de preuve à l'appui de son allégation de confusion. Le mot " family " est le seul point de similitude entre les marques de commerce concurrentes. Toutefois, l'emploi du mot " family " conjointement avec un autre mot est relativement commun, particulièrement pour des biens de consommation. Aucun sens additionnel ne peut être lié à ce mot par suite de l'utilisation ou de la promotion des marchandises par la demanderesse, et la demanderesse n'a présenté aucun élément de preuve de signification précise ou secondaire rattachée au mot autre que son acception courante. Les marques de Sherwin-Williams sont caractérisées par un mot ordinaire auquel une description méliorative est attachée. Elles ne sont pas distinctives et elles ne sont pas employées.

         Toutefois, les différences évidentes entre les marques qui ressortent de la preuve matérielle sont plus importantes. Sur l'étiquette des défendeurs le mot prédominant est FAMILY et il est clairement indiqué que The Kuperschmidt Group Inc. est la source du produit. Au contraire, l'étiquette de la demanderesse ne porte pas du tout le mot FAMILY non plus qu'elle n'indique que la demanderesse est la source du produit. De plus, le graphisme ainsi que les couleurs diffèrent.

         Enfin, le fait pour la demanderesse de se fonder sur l'achalandage résiduel relève de la pure conjecture. La demanderesse n'a aucunement tenté de prouver qu'elle s'était efforcée d'employer ses marques FAMILY SELECT ou FAMILY SUPREME avec un autre détaillant que Price Costco. Tout argument selon lequel les marques de commerce des défendeurs ont créé de la confusion auprès de Price Costco est tout simplement dénué de fondement.

         Dans l'ensemble, la preuve ne révèle aucune possibilité de confusion découlant des marques de commerce des défendeurs. Rien ne laisse croire que de la confusion a été créée auprès des clients de Price Costco et aucun autre élément de preuve de confusion n'a été présenté parce qu'aucune autre activité n'est exercée. Il n'y a pas non plus de preuve d'une tentative d'utiliser le soi-disant achalandage résiduel.

         Deuxièmement, étant donné que l'injonction est un recours extraordinaire et discrétionnaire, la demanderesse doit démontrer clairement qu'en l'absence de ce recours, elle subira un préjudice irréparable. Or, rien n'indique que tel sera le cas en l'espèce. À ce jour, la seule perte qu'a subie la demanderesse est la clientèle de Price Costco. À l'évidence, cette perte pourrait être quantifiée en argent.

         Enfin, il ne fait aucun doute que la prépondérance des inconvénients favorise les défendeurs. Les défendeurs utilisent la marque FAMILY CLASSIC, tandis qu'aucune des marques de la demanderesse n'est employée. Une injonction interdisant l'emploi de la marque FAMILY CLASSIC exigerait des défendeurs qu'ils nomment, dessinent et présentent de nouveau le produit, ce qui n'aiderait en rien la demanderesse, qui n'a pris aucune mesure pour commercialiser ses produits.

         À mon avis, l'action de la demanderesse a peu de rapport, si elle en a, avec les marques de commerce. Sherwin-Williams est simplement mécontente du fait que Price Costco n'était pas satisfaite de son produit et a plutôt décidé de faire affaires avec les défendeurs. Toutefois, il est indubitable que le 13 juin 1996, la demanderesse a été informée que Price Costco n'était pas satisfaite de son produit. En fait, une période de deux mois a été accordée à la demanderesse avant que Price Costco accepte des soumissions et qu'une nouvelle formule soit proposée avant que le contrat soit octroyé aux défendeurs.

         Il n'y a pas davantage de mérite à l'argument de la demanderesse selon lequel M. Kuperschmidt a profité du fait qu'il était un ancien employé de la demanderesse et qu'il a violé l'une de ses obligations à ce titre. Les seuls éléments de preuve à cet égard sont les déclarations intéressées des employés de la demanderesse qui ne renferment aucune preuve précise mais sont fondées sur de simples soupçons ou insinuations.

         Par ces motifs, la demande est rejetée. Les dépens sont adjugés aux défendeurs indépendamment de l'issue de la cause.

    

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

24 juin 1997

Traduction certifiée conforme :

                 C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-2676-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Sherwin-Williams Diversified Brands Inc. c. Harrry I. Kuperschmidt et al
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :          12 mai 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS

                     PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              24 juin 1997

ONT COMPARU :

Me Graham McClenahan              POUR LA DEMANDERESSE
Me Barry Landy                  POUR LES DÉFENDEURS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson          POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Spiegel Sohmer                  POUR LES DÉFENDEURS

Montréal (Québec)


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