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Date : 20040831

Dossier : IMM-8065-03

Référence : 2004 CF 1195

Toronto (Ontario), le 31 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

LAKSHMI SHRIYANTHI LEWIS,

SANDESH DANIEL LEWIS,

SHEVON JAKE LEWIS et

JOHN FITZGERALD LEWIS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La demande d'asile de la famille Lewis a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. En effet, la Commission n'a pu conclure à l'existence d'un fondement objectif au soutien de la prétendue crainte de persécution des demandeurs aux mains du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP - Front populaire de libération). La Commission a également conclu que de toute manière, la famille aurait pu obtenir la protection de l'État au Sri Lanka, si elle avait cherché à l'obtenir.

Les allégations des demandeurs

[2]                Lakshmi Shriyanthi Lewis et son mari John Fitzgerald Lewis sont les parents de Sandesh Daniel Lewis et de Shevon Jake Lewis. Ils sont tous citoyens du Sri Lanka. Les demandes des membres de la famille sont fondées sur les opinions politiques qu'on leur impute et sur leur appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire la famille de Mme Lewis.

[3]                Mme Lewis allègue que lorsqu'elle fréquentait l'Open University à Nawala, elle s'est jointe à un comité d'étudiants. C'est seulement après avoir assisté à environ 10 réunions du comité que Mme Lewis a réalisé que le groupe s'intéressait davantage aux activités politiques qu'au côté scolaire. En fait, le groupe était une cellule du JVP. À l'époque, le JVP était un mouvement révolutionnaire socialiste.

[4]                Une fois au courant de la vraie nature de l'organisation, Mme Lewis a censément cessé d'assister aux réunions. Des membres du groupe lui ont demandé pourquoi elle ne se présentait plus aux réunions. Effrayée par les autres membres du groupe, Mme Lewis a dit qu'elle n'a pas révélé les raisons de son départ. Néanmoins, les autres membres se sont censément fâchés contre elle parce qu'elle « savait tout » , et elle a commencé à recevoir des appels téléphoniques de menace.

[5]                Mme Lewis a quitté le Sri Lanka à destination du Japon en 1989, et y est demeurée pendant plusieurs mois. À son retour au Sri Lanka, elle a recommencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants ainsi que des lettres. Mme Lewis est retournée travailler au Japon en décembre 1990, et elle est rentrée brièvement au Sri Lanka pour se marier. Après le mariage, Mme Lewis est retournée au Japon à nouveau, et elle y est demeurée pendant plusieurs années.

[6]                Mme Lewis est rentrée au Sri Lanka au plus tard en 1995. Pendant plusieurs années, elle a vécu au Sri Lanka sans problèmes. Toutefois, après avoir rencontré un ancien collègue du JVP en 1998, Mme Lewis dit qu'elle a commencé à nouveau à recevoir des appels de menace. Par conséquent, elle a décidé de retourner au Japon avec ses enfants, et elle y est demeurée jusqu'en juillet 2000, alors qu'elle s'est rendue au Canada avec ses enfants pour assister aux funérailles de sa mère. Trois mois plus tard, soit le 17 octobre 2000, ils ont présenté une demande d'asile.

[7]                M. Lewis allègue qu'après le départ pour le Japon de Mme Lewis en juillet 2000, il a commencé à avoir des problèmes avec le JVP. En particulier, il dit que des gens sont venus à la maison demandant à voir Mme Lewis. M. Lewis est venu au Canada en mars 2003.

La décision de la Commission


[8]                La Commission a conclu que les questions relatives aux agents de persécution et à la protection de l'État étaient déterminantes dans la présente affaire. Le président du tribunal avait un certain nombre de préoccupations en ce qui concerne le témoignage de Mme Lewis. Par exemple, le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Lewis dit que le but des appels téléphoniques était de la forcer à assister à des rencontres. Toutefois, dans son témoignage oral, elle a dit que la personne qui faisait les appels téléphoniques avait menacé de la tuer. De la même façon, Mme Lewis prétend dans son FRP que sa mère a reçu des appels téléphoniques de menaces l'avertissant qu'elle-même ainsi que d'autres membres de sa famille seraient tués; or, dans son témoignage oral, Mme Lewis a dit que la personne qui avait appelé sa mère avait demandé à lui parler, et que sa mère n'avait aucunement été menacée. Le témoignage de Mme Lewis comportait également des contradictions relativement au moment des menaces et au moment où le téléphone de la famille a été débranché. De la même façon, Mme Lewis a fourni des estimations divergentes relativement au montant de temps qu'elle avait passé dans la clandestinité après le début des menaces en 1989. Elle a été incapable d'expliquer ces divergences.

[9]                Mme Lewis a dit que ni les appels téléphoniques menaçants ni les menaces proférées par les gens qui se sont présentés chez elle pour la voir n'avaient été rapportés à la police. Mme Lewis a dit que la police était impliquée dans le JVP et qu'elle ne pouvait donc pas lui faire confiance. Le président du tribunal a souligné que le père de Mme Lewis avait été inspecteur de police pendant plusieurs années, et qu'il avait été responsable de l'élimination du JVP en 1989-1990. (Il apparaît que l'organisation a été remise sur pied en 1994 en tant que parti politique légitime.) Vu les liens de son père avec la police, la Commission a rejeté les raisons offertes par Mme Lewis pour expliquer pourquoi elle n'avait pas cherché à obtenir la protection de l'État et a conclu qu'elles n'étaient ni raisonnables ni plausibles.

[10]            Mme Lewis a également dit qu'elle n'avait pas rapporté à la police les menaces faites par téléphone lorsque les appels ont recommencé en 1998, parce qu'elle avait entendu des choses terribles concernant le comportement de la police envers les jeunes femmes. Toutefois, la Commission a noté que le mari de Mme Lewis aurait pu l'accompagner au poste de police, afin de la protéger et de l'aider à déposer un rapport. Mme Lewis a également dit qu'elle avait lu que des policiers étaient impliqués dans le JVP. Cependant, la Commission a également rejeté cette explication, ayant constaté que dès 1994, le JVP avait acquis une légitimité politique.

[11]            Étant donné qu'il s'était écoulé 12 ans entre la première expérience de Mme Lewis avec le JVP et les incidents décrits par M. Lewis, et vu le fait que le JVP était depuis lors devenu un parti politique légitime au Sri Lanka, la Commission a choisi d'attribuer peu de poids à la prétention de M. Lewis selon laquelle le JVP s'était rendu à la résidence familiale en juillet 2000 à la recherche de Mme Lewis. De la même façon, la Commission a attribué peu de poids à la prétention de M. Lewis selon laquelle il avait été menacé, agressé et incité à se joindre au JVP. La Commission a également rejeté les raisons offertes par M. Lewis pour expliquer pourquoi il n'avait pas cherché à obtenir la protection de l'État.

[12]            Enfin, la Commission a dit que si des membres du JVP avaient vraiment été intéressés à faire du mal soit à M. ou Mme Lewis, ils auraient eu plusieurs possibilités de le faire lorsque la famille vivait au Sri Lanka, mais qu'il ne leur était rien arrivé.

[13]            Par conséquent, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils s'exposeraient à une possibilité sérieuse de persécution s'ils rentraient au Sri Lanka. Le JVP étant maintenant un parti politique légitime au Sri Lanka, avec des députés élus, il n'avait aucune raison de continuer à s'intéresser à l'un ou l'autre des demandeurs. De plus, la Commission était convaincue que même si les demandeurs devaient être confrontés à des problèmes, ils pourraient obtenir la protection de l'État.

Questions en litige

[14]            Les demandeurs relèvent deux questions dans la présente demande :

1.          La Commission a-t-elle ignoré des éléments de preuve concernant le fondement de la crainte des demandeurs face au JVP; et

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l'État?

La Commission a-t-elle ignoré des éléments de preuve concernant le fondement de la crainte des demandeurs face au JVP?


[15]            Les demandeurs allèguent que lorsqu'elle a conclu que la version actuelle du JVP n'avait aucune raison de continuer à s'intéresser à leur famille, la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait relativement au rôle que le père de Mme Lewis, en tant que policier, avait joué dans la lutte contre le JVP. Les Lewis reconnaissent que la Commission a en effet renvoyé à la position du père de Mme Lewis dans ses motifs, mais seulement lorsqu'il s'agissait de soutenir sa conclusion que la famille Lewis aurait pu obtenir la protection de l'État. La Commission a omis de tenir compte de la possibilité que des membres du JVP auraient pu être intéressés à chercher à se venger contre la famille pour les actions du père.

[16]            Contrairement aux observations des demandeurs, un examen des motifs de la Commission révèle qu'elle était consciente du rôle que le père de Mme Lewis avait joué dans la lutte contre le mouvement JVP à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Néanmoins, une fois toutes les circonstances prises en compte y compris le passage du temps, le fait que des membres du JVP avaient amplement eu la possibilité de se venger mais ne l'avaient jamais fait, et le changement dans la nature de l'organisation du JVP, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas réussi à démontrer qu'ils s'exposaient à un risque sérieux de persécution. Ils n'avaient pas non plus démontré qu'ils s'exposaient à un risque de torture, ou à un risque de traitement cruel ou inusité. À mon avis, cette conclusion était tout à fait raisonnable, et ne devrait pas être modifiée.         

La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l'État?

[17]            Les demandeurs avancent qu'en rejetant les motifs qu'ils ont fournis pour expliquer pourquoi ils n'avaient pas cherché à obtenir la protection de l'État, la Commission a omis de tenir compte des motifs offerts par Mme Lewis pour expliquer pourquoi la police aurait refusé d'aider la famille d'un agent de police. Selon l'affidavit de Mme Lewis, [traduction] « la raison majeure » était que son père avait été parti à un litige contre les forces policières.

[18]            La Commission avait effectivement à sa disposition des articles de journaux et un affidavit du père de Mme Lewis qui montraient que le père avait été parti à un litige avec la police sri-lankaise dans les années 1970. Le litige portait sur la tentative du père de faire porter des accusations contre un autre agent qui l'avait censément agressé. Les articles montrent que la requête du père pour obtention d'un bref de mandamus a été retirée lorsque des accusations ont été portées contre l'autre agent.

[19]            Un tribunal est présumé avoir soupesé et tenu compte de tous les éléments de preuve dont il dispose et le fait que certains éléments de preuve ne sont pas mentionnés de façon précise dans les motifs de la Commission ne signifie pas que ces éléments de preuve ont été ignorés : Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.). Toutefois, il s'agit là d'une présomption réfutable. Lorsque les éléments de preuve sont importants relativement à la question centrale, la Cour sera davantage portée à conclure que les éléments de preuve n'ont pas été pris en compte si la Commission est silencieuse à leur égard : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.).


[20]            Vu la déclaration faite sous serment de Mme Lewis selon la quelle « la raison majeure » pour laquelle la police sri-lankaise aurait refusé de protéger son père était qu'il avait été parti à un litige contre le corps de police, il semblerait défendable, à première vue, que l'omission par la Commission de mentionner cet élément de preuve constitue une erreur susceptible de contrôle. Toutefois, l'argument des demandeurs est fatalement miné par le fait suivant : même si lors de l'audition de sa demande d'asile Mme Lewis a longuement témoigné à l'égard des faits qui ont étayé les prétentions de la famille, elle n'a jamais mentionné dans son témoignage la poursuite en justice de son père qui remontait à plus de 20 ans comme raison pour laquelle ils n'auraient pas pu bénéficier de la protection de l'État. Dans les circonstances, les demandeurs n'ont pas réussi à réfuter la présomption de l'arrêt Florea, et cet argument ne peut non plus réussir.

Certification

[21]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question pour certification, et aucune question ne ressort du présent dossier.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                              « Anne Mactavish »          

                                                                                                                                                     Juge                      

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-8065-03

INTITULÉ :                                       LAKSHMI SHRIYANTHI LEWIS,

SANDESH DANIEL LEWIS, SHEVON JAKE LEWIS

et JOHN FITZGERALD LEWIS

c.

LE MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 30 AOÛT 2004       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                     LE 31 AOÛT 2004

COMPARUTION :                          

Hart A. Kaminker                                                                      POUR LES DEMANDEURS

Stephen H. Gold                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                              

Kranc & Associés                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                                      Date : 20040831

                  Dossier : IMM-8065-03

ENTRE :

LAKSHMI SHRIYANTHI LEWIS,

SANDESH DANIEL LEWIS,

SHEVON JAKE LEWIS et

JOHN FITZGERALD LEWIS

                                                                demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                    


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