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Date : 20050105

Dossier : IMM-260-04

Référence : 2005 CF 3

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                              SATHEESKUMAR NAVARATNAM

                                                    SHANTHY SATHEESKUMAR

                                                 ABBIMANUE SATHEESKUMAR

                                                    INTHIRA SATHEESKUMAR

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                M. Satheeskumar Navaratnam est venu au Canada en 1998, en provenance du Sri Lanka. Son épouse, Shanthy, et leurs enfants, Abbimanue et Inthira, l'accompagnaient. M. Navaratnam a sollicité l'asile pour lui-même et pour sa famille, mais leurs demandes d'asile ont été rejetées en 1999 par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Par la suite, une agente d'immigration a effectué une évaluation des risques avant renvoi (ERAR) et elle a conclu qu'il existait moins qu'une simple possibilité que les demandeurs risquent la persécution ou d'autres mauvais traitements graves s'ils retournaient au Sri Lanka.

[2]                M. Navaratnam fait valoir que l'agente a commis un certain nombre d'erreurs dans son analyse et il me demande d'ordonner qu'un autre agent procède à un nouvel examen de la situation de la famille. Toutefois, je ne vois aucun motif d'infirmer la décision de l'agente et je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

I. Les questions en litige

1.          L'agente d'ERAR a-t-elle tiré une conclusion incorrecte selon laquelle les demandeurs pourraient trouver un refuge sûr au Sri Lanka?

2.          L'agente a-t-elle omis de prendre en compte les risques auxquels les demandeurs feraient face à leur retour au Sri Lanka?

3.          L'agente a-t-elle traité les demandeurs de manière inéquitable en omettant de leur fournir son projet de motifs et de leur donner la possibilité d'y répondre?


II. Analyse

1. L'agente d'ERAR a-t-elle tiré une conclusion incorrecte selon laquelle les demandeurs pourraient trouver un refuge sûr au Sri Lanka?

[3]                Les demandeurs ont maintenu que, en tant que membres de la minorité tamoule, ils étaient exposés au risque d'être soumis à de mauvais traitements de la part des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). Toutefois, l'agente d'ERAR a conclu que [traduction] « les Tamouls fuyant la persécution de la part des TLET peuvent, en général, trouver un refuge sûr dans les zones contrôlées par le gouvernement » et elle a mentionné Colombo, le district de Puttalam, Matale ainsi que les hautes terres centrales comme exemples de zones sûres. Les demandeurs ont affirmé qu'ils craignaient également l'armée sri-lankaise, de sorte que vivre dans les zones contrôlées par le gouvernement n'était pas une solution. Pourtant, l'agente a conclu que les risques pour les Tamouls vivant en ce moment dans ces zones étaient très faibles du fait qu'ils ont accès à la protection de l'État.


[4]                M. Navaratnam fait valoir que l'agente a en effet conclu que la famille avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Sri Lanka mais qu'elle n'a pas suivi la jurisprudence pertinente sur cette question. En particulier, il fait valoir que l'agente a omis de déterminer un endroit précis où sa famille serait en sécurité ou d'examiner la question de savoir s'il était raisonnable de s'attendre à ce qu'ils y déménagent, comme l'exigent les décisions Rabbani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 47 (1re inst.) (QL); Arunasalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 885, [2003] A.C.F. no 1132 (1re inst.) (QL), et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), [1993] A.C.F. no 1172 (QL).

[5]                Le défendeur répond aux arguments de M. Navaratnam en faisant remarquer que la conclusion générale de l'agente était que les demandeurs n'étaient pas personnellement exposés à des risques où que ce soit au Sri Lanka. Les commentaires de l'agente au sujet de la question de vivre en sûreté dans les zones contrôlées par le gouvernement doivent être lus dans le contexte global de ses motifs. Elle laissait tout simplement entendre que les demandeurs seraient peut-être mieux dans certaines zones que dans d'autres.


[6]                Je suis d'accord avec M. Navaratnam lorsqu'il affirme que l'agente ne s'est pas conformé à la jurisprudence relative aux PRI. Toutefois, ses motifs mentionnent qu'elle a conclu que les demandeurs n'étaient tout simplement pas exposés à des risques au Sri Lanka. Il est vrai qu'elle a mentionné que les TLET étaient toujours responsables de violations des droits de l'homme dans certaines zones et que, par conséquent, elle a déclaré qu'il [traduction] « n'est peut-être pas judicieux de la part des demandeurs de se réinstaller dans le Nord ou dans l'Est » . Mais sa conclusion principale était que, dans la situation actuelle, les demandeurs ne seraient pas exposés à des risques de persécution. Ils ne seraient pas non plus exposés à des traitements cruels et inusités, à la torture ou à une menace à leur vie.

[7]                À mon avis, considérant les motifs de l'agente dans leur ensemble, ainsi que la nature générale des allégations des demandeurs, elle n'était pas tenue d'arriver à des conclusions définitives au sujet des endroits où les demandeurs pourraient être en sécurité ou du caractère raisonnable de leur réinstallation là-bas. Elle faisait tout simplement remarquer que certaines zones pourraient être plus sûres que d'autres. Je ne puis déceler aucune erreur de sa part.

2. L'agente a-t-elle omis de prendre en compte les risques auxquels les demandeurs feraient face à leur retour au Sri Lanka?

[8]                M. Navaratnam a fait valoir que l'agente n'avait pas accordé suffisamment d'importance aux risques auxquels les demandeurs feraient face à leur retour au Sri Lanka, lesquels découlent du fait qu'ils avaient quitté le pays illégalement à l'aide de faux passeports. La Immigrants and Emigrants Act, no 20 de 1948, du Sri-Lanka impose des peines d'emprisonnement obligatoires à ceux qui quittent le pays sans passeports valides. M. Navaratnam invoque la jurisprudence dans laquelle la Cour a reconnu que cette loi était appliquée de façon discriminatoire à l'encontre des Tamouls : Balasubramaniyam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 952, [2001] A.C.F. no 1318 (1re inst.) (QL); Raveendran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 49, [2003] A.C.F. no 116 (1re inst.) (QL).


[9]                Toutefois, en l'espèce, l'agente a examiné des rapports documentaires récents donnant à penser que les exigences de l'Immigrants and Emigrants Act avaient été assouplies. Les demandeurs d'asile qui retournent n'ont pas, en général, de difficultés ou de risques de persécution à moins qu'ils tentent de rentrer au Sri Lanka avec de faux documents. À mon avis, la conclusion de l'agente selon laquelle la famille ne serait probablement pas exposée à des risques était raisonnablement fondée sur les éléments de preuve dont elle disposait.

[10]            M. Navaratnam a soumis un argument connexe selon lequel l'agente avait effectué une analyse erronée des questions découlant de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (voir l'annexe). En particulier, il laisse entendre que l'agente n'a pas effectué une analyse distincte et objective relativement à la probabilité que les demandeurs soient exposés au risque d'être soumis à la torture ou à des traitements cruels et inusités ou qu'ils soient exposés à une menace à leur vie. À mon avis, l'agente a effectué une analyse adéquate de la situation au Sri Lanka et elle a fait expressément référence à chacun des motifs de l'article 97. Selon moi, il n'y a aucun fondement à la doléance de M. Navaratnam ni aucun manquement de la part de l'agente en ce qui a trait à l'approche énoncée par le juge Edmond Blanchard dans la décision Baouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211, [2003] A.C.F. no 1540 (1re inst.) (QL) :


Une revendication fondée sur l'article 97 doit être appréciée en tenant compte de toutes les considérations pertinentes ainsi que du comportement en matière de droits de la personne du pays concerné. Bien que la Commission doive évaluer objectivement la revendication du demandeur, il lui faut individualiser son analyse. [...] Les éléments requis pour établir le bien-fondé d'une revendication aux termes de l'article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l'article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d'elles soit considérée distincte. Une revendication fondée sur l'article 97 appelle l'application par la Commission d'un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l'exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. (Au paragraphe 41.)

3. L'agente a-t-elle traité les demandeurs de manière inéquitable en omettant de leur fournir son projet de motifs et de leur donner la possibilité d'y répondre?

[11]            M. Navaratnam laisse entendre que l'agente était tenue de lui fournir un projet de ses motifs et de lui donner une chance d'y répondre. Il invoque l'affaire Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 818, [2001] A.C.F. no 1207 (1re inst.) (QL). Dans cette décision, le juge François Lemieux a reconnu l'existence d'une telle obligation.

[12]            Toutefois, la jurisprudence plus récente donne à penser qu'un agent d'ERAR n'est pas obligé de fournir un projet de motifs aux demandeurs : Majerbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 878, [2002] A.C.F. no 1145 (1re inst.) (QL); Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1274, [2003] A.C.F. no 1596 (1re inst.) (QL). M. Navaratnam reconnaît que ces décisions récentes font autorité mais il laisse néanmoins entendre que l'omission de fournir un projet de motifs est inéquitable parce que :

·            la décision de l'agente peut exposer les demandeurs d'ERAR à un risque de préjudice;


·            la décision de l'agente peut être incompatible avec l'obligation du Canada de ne pas expulser les personnes qui sont exposées à des risques.

[13]            En plus, M. Navaratnam fait valoir que la communication de projets de motifs aurait des avantages sur le plan administratif. Les demandeurs seraient moins enclins à solliciter le sursis à l'exécution des mesures de renvoi ou le contrôle judiciaire des décisions des agents.

[14]            À mon avis, les préoccupations exprimées par M. Navaratnam au sujet de l'équité peuvent être prises en compte au moyen des recours dont les demandeurs disposent actuellement : le sursis à l'exécution du renvoi et le contrôle judiciaire. Même si ces recours ne sont pas, comme le laisse entendre M. Navaratnam, les plus efficaces dans les circonstances, il ne s'agit pas, en soi, d'un fondement permettant d'imposer une nouvelle obligation aux décideurs administratifs.

[15]            M. Navaratnam m'a demandé de certifier une question de portée générale sur ce point. Toutefois, étant donné que le droit est maintenant établi, je refuse de le faire.


                                                                   JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR EST le suivant :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _                

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                                        Annexe


Loi sur l'Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-260-04

STYLE OF CAUSE:                                       SATHEESKUMAR NAVARATNAM ET AL

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 3 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                               LE 5 JANVIER 2005

COMPARUTION :

Kumar S. Sriskanda                                                      POUR LES DEMANDEURS

Allison Phillips                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KUMAR S. SRISKANDA                                           POUR LES DEMANDEURS

Scarborough (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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