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                                                                                                                   T-1728-96

 

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 12 FÉVRIER 1997

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.-E. DUBÉ

 

 

E n t r e :

 

                         KAHNAWAKE SHAKOTIIA_ TAKEHNHAS

                                          COMMUNITY SERVICES,

 

                                                                                                                  requérante,

 

 

                                                              - et -

 

 

                                          SANDRA JEAN MILLER,

 

                                                                                                                       intimée.

 

 

 

                                                   ORDONNANCE

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                    

                                                                                                                             Juge

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                    

 

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                   T-1728-96

 

 

E n t r e :

 

 

                         KAHNAWAKE SHAKOTIIA_ TAKEHNHAS

                                          COMMUNITY SERVICES,

 

                                                                                                                  requérante,

 

 

                                                              - et -

 

 

                                          SANDRA JEAN MILLER,

 

                                                                                                                       intimée.

 

 

 

 

                                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE DUBÉ

 

            Par la présente demande de contrôle judiciaire, la requérante attaque la décision rendue le 14 juin 1996 par Me Denis G. Simard en sa qualité d'arbitre (l'arbitre) désigné en vertu du Code canadien du travail (le Code). L'arbitre a déclaré bien fondée la plainte de congédiement injuste de l'intimée, a ordonné qu'elle soit réintégrée dans son emploi rétroactivement au 21 avril 1995 et a conservé sa compétene pour fixer le montant des dommages-intérêts pour le cas où les parties ne réussiraient pas à s'entendre sur cette question. Au soutien de sa demande, la requérante affirme que l'arbitre a outrepassé sa compétence et qu'il a rendu une sentence arbitrale qui était manifestement déraisonnable.

 


1-  Les faits

 

            La mission de la requérante consiste essentiellement à fournir des services de santé et des services sociaux à la collectivité mohawk de Kahnawake. L'intimée a été engagée en septembre 1992 comme « travailleuse sociale » au salaire initial de 26 000 $. C'est le salaire qui lui a été versé au cours des six mois de sa période d'essai. Il n'y avait pas de contrat de travail écrit. L'intimée croyait qu'elle recevrait un salaire concurrentiel et qu'une fois l'étude de parité salariale entreprise par la requérante terminée, son salaire serait rétroactif à la date de son entrée en fonction.

 

            Au terme de sa période d'essai, l'intimée a obtenu le statut d'employée permanente et s'est vu accorder un salaire annuel de 35 549 $, le tout en conformité avec une classification de SWI-VII. En octobre 1995, la requérante s'est aperçue qu'elle avait fait une erreur et que l'intimée n'avait pas droit à une classification de SWI-VII, parce qu'elle n'était pas titulaire d'un baccalauréat en travail social et qu'elle ne remplissait donc pas les conditions requises pour être membre de la Corporation professionnelle des travailleurs sociaux du Québec. La requérante a découvert que la classification exacte de l'intimée aurait dû être celle de WP2-VIII.

 

            L'intimée n'a pas accepté cette reclassification et elle s'est prévalue de la procédure de révision interne pour interjeter appel devant un comité spécial du conseil d'administration de la requérante. Par lettre en date du 12 janvier 1996, le comité spécial a confirmé la décision de la requérante de reclassifier l'intimée et de rejeter sa demande de salaire rétroactif.

 

            L'intimée a refusé de se plier à cette décision, a retenu les services d'un conseiller juridique et a déposé en vertu des disposition du Code (division XIV, articles 240 et suivants) une plainte qui a donné lieu à la décision de l'arbitre qui est maintenant contestée dans le cadre de la présente instance en contrôle judiciaire.

 

2-  La décision de l'arbitre

 

            Les deux parties étaient représentées par un avocat devant l'arbitre. L'audition a duré six jours. L'arbitre devait d'abord décider si l'intimé avait démissioné ou si elle avait été congédiée par la requérante. Il a appliqué sept critères tirés de la jurisprudence sur la question et en est arrivé à la conclusion que l'intimée avait été victime d'un congédiement déguisé. Voici ce qu'il a déclaré, à la page 17 de sa décision :

 

Dans le cas d'espèce qui nous occupe, la preuve a révélé que le départ de Dame Sandra Jean Miller ne répond pas aux sept (7) éléments constitutifs d'une démission tel que développé par l'abondante jurisprudence arbitrale.

 

De plus, le comportement de l'employeur a établi un bris unilatéral du contrat individuel de travail de Dame Sandra Jean Miller.

 

L'arbitre considère donc qu'il est en présence d'un congédiement déguisé et qu'il a compétence pour statuer sur le cas d'espèce.

 

 

 

 

            L'arbitre a ensuite conclu que l'intimée était victime d'un congédiement injuste. La ratio decidendi de cette décision se trouve à la page 18 :

Dame Sandra Jean Miller a été congédiée sur la base d'un conflit sur le mode de rémunération globable assortie d'un quiproquo indescriptible sur la classification des postes au sein de K.C.S.S.   Dès son embauche et jusqu'à son congédiement, des modifications substantielles et successives des conditions de travail de Dame Sandra Jean Miller se sont produites.  L'employeur a admis avoir commis des erreurs.  Des négociations infructueuses sur la validité des promesses à tenir et à l'échec des parties à bien assimiler les classifications de postes au sein de K.C.S.S. ont bousculé les relations de travail au point de dégénérescence qui a mené à l'émergence de conflits de personnalité et finalement au congédiement de la plaignante.

 

Dame Sandra Jean Miller a été victime d'une fausse conception systémique des relations de travail.

 

L'employeur est donc responsable de la rupture du contrat individuel de travail.

 

La preuve a démontré que la plaignante est réhabilitable et qu'en aucun moment durant l'enquête et l'audition, la compétence de Dame Sandra Jean Miller n'a été attaquée par l'employeur.  La gravité du comportement de Dame Sandra Jean Miller ne peut être mesurée, vu l'absence d'une preuve convaincante à cet égard.  Comme c'est le cas dans la plupart des contrats individuels de travail, il n'est pas nécessaire qu'il soit écrit pour être valide.  En pratique, la grande majorité des contrats individuels de travail ne se retrouvent pas sous la forme écrite.  En conséquence, il est quelque fois fort difficile de déterminer le contenu d'un contrat individuel de travail.

 

J'en viens donc à la conclusion que Dame Sandra Jean Miller a été congédiée injustement.

 

 

 

            Il vaut également la peine de noter que l'arbitre a accordé une grande importance à la lettre du 20 avril 1995 que la requérante a envoyée à l'avocat de l'intimée. Les deux premiers paragraphes de la lettre portent :

[TRADUCTION]

 

Nous avons bien reçu votre lettre du 13 avril 1995 nous informant que Mme Miller refuse d'accepter le point de vue de notre cliente suivant lequel la classification d'emploi exacte est celle de « animatrice sociale ». En conséquence, ainsi que nous vous en avons informé dans notre lettre du 5 onerahtokha (avril) 1995, notre cliente considère ce refus comme une démission de la part de Mme Miller. Le conseil d'administration accepte cette démission, qui prend effet le 12 onerahtokha(avril) 1995 à 16 h 30.

 

À titre subsidiaire, compte tenu du fait que le conseil d'administration et Mme Miller sont en désaccord sur cet aspect fondamental du statut d'emploi de Mme Miller, il est impossible de maintenir les liens et l'emploi de Mme Miller prendra fin le 21 onerahtokha(avril) 1995 à 16 h 30.

 

(Passage non souligné dans l'original.)

 

 

 

3-  La loi et la jurisprudence

 

            L'article 243 du Code renferme une disposition privative dont voici le libellé :

 

243.(1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non suspectibles de recours judiciaires.

 

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire — notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto — visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

 

 

 

            Il est de jurisprudence constante que la présence d'une disposition privative révèle l'intention du législateur de restreindre le contrôle judiciaire d'un tribunal administratif[1]. La disposition privative ne constitue cependant pas un bouclier à toute épreuve qui protégerait le tribunal administratif de toutes les attaques portées contre ses décisions. De toute évidence, un tribunal administratif ne doit pas sortir de sa compétence et ne peut, dans les limites de sa compétence, prononcer de décisions qui sont manifestement déraisonnables. Aux termes de l'article 240 du Code, une personne peut porter plainte si elle a été congédiée et qu'elle considère qu'elle a été congédiée injustement. Cette personne ne peut pas invoquer l'article 240 si elle n'a pas été congédiée par son employeur mais a démissioné de son propre chef.

 

            J'accepte l'assertion de la requérante suivant laquelle la norme qui a été élaborée dans la jurisprudence en ce qui concerne le contrôle de la décision par laquelle un tribunal admnistratif se déclare compétent est que la décision en question doit être « bien fondée ». Le critère du « caractère manifestement déraisonnable », qui s'applique aux conclusions de fait du tribunal, n'entre en jeu qu'une fois qu'on a conclu que le tribunal était effectivement compétent[2].

 

            Le Code ne définit pas ce qui peut constituer un congédiement, mais, en règle générale, suivant la jurisprudence, on entend par congédiement : « un geste ou une décision d'un employeur ayant pour effet de mettre fin à un contrat de travail »[3]. Essentiellement, le tribunal administratif doit apprécier les faits et déterminer si l'employeur a mis fin au contrat de travail ou si l'employé a démissionné.

 

4-  Analyse

 

            Il ressort de la preuve soumise à l'arbitre qu'après s'être aperçue de l'erreur qu'elle avait elle-même commise, la requérante a modifié unilatéralement les conditions de travail de l'intimée et que, bien que l'intimée ait essayé d'entamer des négociations et de régler la question avec son employeur, ce dernier lui a lancé un ultimatum en lui disant qu'elle devait accepter les nouvelles conditions de travail, à défaut de quoi elle serait mise à la porte.

 

            Les relations entre l'employeur et son employée se sont détériorées au point où l'employeur a écrit la lettre susmentionnée du 20 avril 1995, dans laquelle il précisait que, comme la requérante et l'intimée étaient en désaccord [TRADUCTION] « sur cet aspect fondamental du statut d'emploi de Mme Miller, il est impossible de maintenir les liens et l'emploi de Mme Miller prendra fin le 21 onerahtokha(avril) 1995 à 16 h 30 ».

 

            Il m'est impossible de conclure que le tribunal a commis une erreur en interprétant les faits et en concluant que le congédiement en question relevait de sa compétence.

 

            Il m'est également impossible de conclure que la conclusion de l'arbitre suivant laquelle l'intimée a été congédiée injustement est manifestement déraisonnable. Il est acquis aux débats que l'intimée était compétente. La seule raison pour laquelle elle a été congédiée était qu'elle refusait d'accepter la modification de classification qui lui était imposée par son employeur.

 

            Elle avait le droit, en vertu de l'article 240 du Code, de déposer une plainte si elle estimait que son congédiement était injuste. Cet article vise également les cas de congédiements déguisés[4]. Il y a congédiement désuisé lorsqu'un employeur modifie unilatéralement les conditions de travail d'un employé ou recourt à un autre moyen pour forcer un employé à démissionner.

 

            Il ressort de la preuve présentée par l'intimée qu'au moment où elle a été engagée, on lui a promis un salaire initial qui devait être concurrentiel, mais qu'en fait, son salaire était d'environ 9 000 $ inférieur au salaire concurrentiel dans son domaine. À compter de la date de son entrée en fonction, le 16 septembre 1992, jusqu'au 5 avril 1995, elle n'a jamais reçu d'augmentation de salaire. Ce jour-là, la requérante a décidé de reclassifier l'intimée et l'a informée que ses fonctions demeureraient essentiellement les mêmes. Alors qu'elle tentait de négocier la question par l'entremise de ses avocats, elle a reçu la lettre du 20 avril 1995 susmentionnée.

 

            La conclusion de l'arbitre suivant laquelle l'intimée a été congédiée injustement n'était pas manifestement déraisonnable.

 

            L'arbitre a également enjoint à la requérante de verser un salaire rétroactif à l'intimée. La requérante affirme qu'elle n'aurait pas dû être condamnée à payer un salaire rétroactif à l'intimée, étant donné que celle-ci n'a rien fait pour atténuer les dommages. Il ressort toutefois de la preuve présentée devant l'arbitre que, à compter du jour même de son congédiement jusqu'à la date de l'audience, l'intimée a effectué sans succès d'importantes recherches d'emploi. Qui plus est, si l'intimée était demeurée au service de la requérante, elle aurait été irrecevable à déposer une plainte en vertu de l'article 243 du Code : elle aurait en effet été réputée avoir accepté la reclassification qui lui était imposée et n'aurait pas pu affirmer qu'elle avait été congédiée injustement. En tout état de cause, l'obligation d'atténuer les dommages est une question qui ne ne pose que dans le cadre de l'audience portant sur la fixation du montant des dommages-intérêts.

 

            L'arbitre a également ordonné à la requérante de réintégrer l'intimée dans ses fonctions. La requérante soutient que cette ordonnance est manifestement déraisonnable, étant donné que l'arbitre n'a pas conclu que le poste en question existait toujours, et que l'ordonnance était libellée en des termes vagues qui n'en permettaient pas l'exécution forcée.

 

            Il ressort toutefois de la transcription des témoignages entendus par l'arbitre que le poste existe toujours. La seule ambiguïté que l'on peut déceler dans l'ordonnance est que l'arbitre n'a pas précisé le salaire qui devait être versé à l'intimée. Mais l'arbitre a déclaré qu'il demeurait compétent pour trancher la question et, le 21 janvier 1997, il a rendu une décision au sujet du montant des dommages-intérêts et du salaire payable à l'intimée. La requérante prétend que la décision de l'arbitre de conserver sa compétence pour trancher la question du montant des dommages-intérêts était manifestement déraisonnable. À mon avis, l'arbitre avait le droit de reporter à plus tard sa décision sur le montant des dommages-intérêts.

 

            En présence de la disposition privative de l'article 243, il n'appartient pas à la Cour de décider si elle en serait arrivée à une conclusion différente ou d'imposer sa propre décision. Comme l'arbitre a respecté les limites de la compétence que lui confère le Code et qu'il n'a pas rendu de décision manifestement déraisonnable en exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour ne peut intervenir.

 

            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

O T T A W A

12 février 1997

                                                                                                                                                                                     

                                                                                                                             Juge

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                    

 

François Blais, LL.L.


                                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

               AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :T-1728-96

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Kahnawake Shakotiia'takehnhs Community Services c. Sandra Jean Miller

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :5 février 1997

 

 

 

MOTIFS DE l'ORDONNANCE prononcés par le juge Dubé le 12 février 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Me Stephen Ashkenazypour la requérante

 

 

Me Chantal Poirierpour l'intimée

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

Maohawk Council of Kahnawakepour la requérante

Services juridiques

Kahnawake (Québec)

 

 

Brodeur Matteau Poirierpour l'intimée

Montréal (Québec)



[1]Voir l'arrêt Ross c. School District no. 15, [1996] 1 R.C.S. 825, à la page 848.

[2]Syndicat des employés de production du Québec c. CCRL, [1984] 2 R.C.S. 412; Sedpex Inc. c. Browne et Devereaux (1988), 25 F.T.R. 3; Eskasoni School Board et autre c. MacIsaac et autres. (1986), 69 N.R. 315 (C.A.F) et Beothuk Data Systems Ltd., Seawatch Division c. Dean et al. (1995), 102 F.T.R. 214.

[3]Eskasoni School Board, supra, no 2.

[4]Srougi c. Lufthansa German Airlines (1988), 93 N.R. 244.

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