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     Date : 19980302

     Dossier : IMM-3740-96


OTTAWA (ONTARIO), LE 2 MARS 1998


EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE JOYAL



ENTRE

     MEHRDAD DARGAHI, REYHANI GHASABEH, ABDOLREZA DARGAHI,

     et les mineurs HESAMEDDIN DARGAHI et NEZAMEDDIN DARGAHI

     représentés par leur tuteur à l'instance, MEHRDAD DARGAHI,

     requérants,


     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


         intimé.


     ORDONNANCE


         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                                 L.Marcel Joyal

                                         JUGE




Traduction certifiée conforme



Tan, Trinh-viet




     Date : 19980302

     Dossier : IMM-3740-96






ENTRE

     MEHRDAD DARGAHI, REYHANI GHASABEH, ABDOLREZA DARGAHI,

     et les mineurs HESAMEDDIN DARGAHI et NEZAMEDDIN DARGAHI

     représentés par leur tuteur à l'instance, MEHRDAD DARGAHI,

     requérants,


     et


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


         intimé.




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE JOYAL



[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 3 octobre 1996 par laquelle un agent principal (l'AP) a conclu que les revendications du statut de réfugié présentées par les requérants n'étaient pas recevables au Canada, en application des paragraphes 46.4(1) et 46.01(1) de la Loi sur l'immigration. Le paragraphe 46.01(1) dit que la revendication du statut de réfugié présentée par un demandeur n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé s'est déjà vu reconnaître le statut de réfugié par un autre pays dans lequel il peut être renvoyé.

[2]          Les requérants sollicitent une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari qui annulerait la décision de l'AP. Ils concluent également à un jugement déclaratoire portant que les paragraphes 46.4(1) et 46.01(1) de la Loi sont incompatibles avec les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés

(la Charte) et sont donc nuls et de nul effet.

Les faits

[3]          Les requérants sont de nationalité iranienne. Au début de 1995, il a été conclu que leur revendication pouvait être référée à la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). On a par la suite porté à l'attention de l'intimé des éléments de preuve selon lesquels ces décisions de recevabilité ont peut-être été obtenues par des moyens frauduleux ou de fausses indications, savoir que les requérants n'avaient pas avisé l'intimé de leur statut de réfugié au sens de la Convention en Allemagne, et qu'ils avaient fabriqué leur identité.

[4]          L'AP a envoyé aux requérants et à leur avocat une lettre en date du 10 septembre 1996 qui s'intitulait [TRADUCTION] "Avis de comparution pour aborder la question de la possibilité d'une décision fondée sur l'article 46.4 (revendication frauduleuse), des copies des éléments de preuve étayant les allégations y étant jointes.

[5]          Les requérants, leur avocat et un interprète accrédité se sont présentés à une entrevue avec l'AP le 3 octobre 1996. Au cours de l'entrevue, l'AP a fait état de la Loi et du Guide de l'immigration, et il a consulté l'administration centrale de l'intimé. L'AP témoigne qu'elle avait informé l'avocate des requérants qu'une copie des dispositions du Guide de l'immigration pouvait être obtenue d'un membre du personnel de la Commission, mais que l'avocate n'en avait pas demandé une copie au cours d'une pause-repas, qu'elle n'avait pas non plus soulevé la demande lorsque l'entrevue avait repris après le déjeuner. L'avocate des requérants soutient de son côté qu'elle avait, au cours de l'entrevue, demandé à plusieurs reprises les lignes directrices.

[6]          Au cours de l'entrevue, la mère requérante a reconnu que les requérants avaient reçu le statut de réfugié au sens de la Convention en Allemagne, mais qu'ils ne s'y sentaient pas en sécurité. Les motifs de ses craintes comprennent des marches néo-nazie près du complexe où ils vivaient, un manque de protection de la part de la police ou le refus par la police d'assurer la protection, et la discrimination et le harcèlement systémiques. Elle a reconnu en outre qu'elle n'avait pas révélé sa véritable identité lorsqu'un AP a pris la décision de recevabilité initiale concernant les enfants requérants et elle-même. La mère requérante a également expliqué qu'un certain M. Ghobadpour, un expatrié iranien au Canada qui avait auparavant vécu en Allemagne, avait essentiellement pris en charge ses procédures d'immigration au Canada, l'isolant, changeant les noms sur les documents d'identité de la famille, et lui disant ce qu'il fallait faire.

[7]          Le père requérant a également reconnu n'avoir pas révélé sa véritable identité de la même façon. Il était arrivé au Canada ultérieurement au reste de la famille. On ne sait pas pourquoi il était tenu de recourir à M. Ghobadpour pour ses documents de voyage et d'identité.

La décision de l'AP

[8]          L'AP s'est fondée sur l'article 46.4 de la Loi pour conclure que les requérants avaient obtenu que leur revendication fût jugée recevable par des moyens frauduleux ou de fausses indications. L'AP a alors revu la décision de recevabilité, et elle a conclu que, en application du paragraphe 46.01(1) de la Loi, la revendication des requérants n'était pas recevable par la SSR parce qu'ils s'étaient déjà vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention par l'Allemagne, pays dans lequel ils pouvaient être renvoyés. Selon le témoignage de l'AP, elle a pris sa décision après avoir examiné tous les éléments de preuve pertinents, et non seulement le Guide de l'immigration.

[9]          L'avocate du requérant soutient que les dispositions contestées allaient à l'encontre de la Charte. L'AP n'a tiré aucune conclusion à cet égard, puisqu'elle croyait que cela outrepassait sa compétence.

[10]          Au cours d'une seconde entrevue, tenue le même jour que la première, après une pause-repas, l'AP a examiné la preuve des requérants se rapportant à la question de savoir s'ils pouvaient retourner en Allemagne, notamment une lettre du Consulat général de la République fédérale d'Allemagne qui disait que le droit de retour serait perdu si les requérants avaient légalement été au Canada pendant plus de six mois. Bien que les requérants eussent été au Canada pendant plus de six mois, l'AP a conclu que parce qu'ils ne se trouvaient pas [TRADUCTION] légalement au Canada, leur droit de retour n'était pas perdu.

[11]          Les requérants ont également produit une lettre du Federal Office for the Recognition of Foreign Refugees concernant le statut de réfugié d'un citoyen afghan, Ghujan Awas. L'AP a conclu que la lettre n'était pas la preuve de la propre situation des requérants et ne constituait pas la preuve convaincante de l'impossibilité présumée de retourner en Allemagne. L'AP a avisé les requérants que, bien que n'ayant pas de documents de voyage valables, ils pouvaient être renvoyés en Allemagne.

Les points litigieux

[12]          L'AP a-t-elle formulé une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve, en décidant que les requérants pouvaient être renvoyés en Allemagne?

[13]          L'AP doit-elle conclure à l'existence d'une faute ou d'un acte répréhensible pour parvenir à une conclusion de moyens frauduleux et de fausses indications au sens de l'article 46.4? Est-ce une erreur de droit que de ne pas conclure à l'existence d'une faute ou d'un acte répréhensible?

[14]          L'AP a-t-elle fondé sa décision sur des documents dont ne disposaient pas les requérants, de sorte qu'elle a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, manqué à son obligation d'équité ou violé les principes de justice naturelle?

[15]          Les décisions contestées vont-elles à l'encontre de la Charte?


Analyse

1. La possibilité de renvoyer les requérants en Allemagne - conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire?

[16]          L'avocate des requérants soutient que le critère approprié consiste à se demander si le pays en question reprend l'intéressé. Toutefois, l'avocate ne présente aucune preuve pour prouver que l'AP n'a pas appliqué ce critère.

[17]          L'avocate des requérants allègue que l'AP n'a pas tenu compte des deux lettres que ceux-ci avaient produites. Toutefois, selon l'affidavit de l'AP, tel n'est pas le cas. Il semblerait qu'elle ait soupesé et apprécié les éléments de preuve dont elle disposait, et qu'elle n'ait pas méconnu les éléments de preuve pertinents. L'examen de la teneur des lettres m'a conduit à la conclusion qu'il n'y avait rien d'abusif ni d'arbitraire dans la conclusion de fait tirée par l'AP.

2.      Article 46.4 et conclusions quant à l'existence d'une faute ou d'un reproche

[18]          Les requérants ne citent aucune décision en matière d'immigration pour étayer leur argument selon lequel l'AP doit tenir compte de l'acte répréhensible moral des requérants relativement à l'interprétation du concept de fausses indications mentionné à l'article 46.4. Pour ce qui est de l'intention, requise dans une allégation de fraude, il ne fait pas de doute que les requérants voulaient cacher leur statut de réfugié au sens de la Convention en Allemagne, que ce soit pour des raisons valables ou non, aux autorités canadiennes. L'argument des requérants n'est pas juridiquement fondé.

[19]          Les requérants allèguent qu'il y a eu contrainte relativement à l'influence exercée par M. Ghobadpour sur la conduite de leurs revendications du statut de réfugié. Néanmoins, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve pour étayer une telle prétention, et, en fait, il existe certains vides dans la preuve présentée qui mettent en question sa crédibilité. L'argument de contrainte, tel qu'il est, n'est d'aucune utilité pour la cause des requérants à l'égard de l'article 46.4.

3. L'obligation d'équité, le principe de justice naturelle et l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire?

[20]          Les requérants ont eu deux entrevues avec l'AP. Ils ont eu droit à une représentation légale pendant tout le processus, et leur avocat a assisté aux entrevues. La notification de l'allégation a fourni aux requérants les détails des arguments invoqués contre eux, et les entrevues ont donné à eux-mêmes et à leur avocat la possibilité de se faire entendre, de répondre et se défendre pleinement. De même, le délai ou la pause entre la première entrevue et la seconde indique que les requérants ont eu même une meilleure possibilité de préparer et de présenter leurs arguments.

[21]          Le Guide de l'immigration et les lignes directrices sont à la disposition du public. L'AP a ouvertement fait état de la législation et de la politique applicable au cours de l'entrevue. Les requérants ont obtenu le nom d'un membre du personnel de la Commission qui pouvait les aider à obtenir la documentation requise par l'avocat. Tout cela prouve que la justice naturelle est respectée en l'espèce.

[22]          Je me permets de dire que l'avocate des requérants a produit une preuve insuffisante de ce que l'AP a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Conclusion

[23]          Il s'agit, semble-t-il, d'un cas où une famille de nouveaux arrivants au Canada a peut-être demandé et suivi un mauvais conseil. Néanmoins, il est clair que la famille savait parfaitement ce qu'elle faisait. Elle peut trouver ailleurs d'autres sources de réparation, mais je dois conclure que le contrôle judiciaire de la décision de l'AP n'est pas l'une d'entre elles. À tout prendre, leur cause n'est pas fondée. De plus, je ne vois pas où les articles 7 et 15 de la Charte peuvent entrer en jeu.

[24]          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             L-Marcel Joyal

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 2 mars 1998





Traduction certifiée conforme


Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                      IMM-3740-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Mehrdad Dargahi et al c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 5 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL


EN DATE DU                      2 mars 1998


ONT COMPARU :


Marjorie Hiley                          pour le requérant

Cheryl Mitchell                      pour l'intimé


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Flemingdon Community Legal Services      pour le requérant
Don Mills (Ontario)

George Thomson
Sous-procureur général
du Canada                          pour l'intimé
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