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Date : 20060213

Dossier : IMM-4175-05

Référence : 2006 CF 190

Montréal (Québec), le 13 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

MARY BORTEY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée à l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision rendue le 21 mai 2005 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a annulé sa décision d'accueillir la demande d'asile de la demanderesse, après avoir découvert que cette décision résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

FAITS

[2]         La demanderesse est une Ghanéenne de 36 ans. Au soutien de la demande d'asile qu'elle a présentée le 28 juillet 1999, elle prétendait que le chef de son village lui avait demandé de l'épouser et de devenir sa quatrième épouse. Elle disait qu'elle aurait dû subir une excision si elle avait accepté cette proposition. Elle a refusé la proposition, malgré les pressions de sa famille. Elle alléguait qu'elle avait ensuite été persécutée par sa famille et par des membres du village. Elle aurait quitté le Ghana le 23 juillet 1999 et serait arrivée illégalement au Canada le 26 juillet suivant. Elle affirmait être célibataire et ne posséder aucun titre de voyage. Le 26 septembre 2000, la Commission lui a accordé l'asile, même si elle avait des doutes au sujet de la crédibilité de certains aspects de sa demande.

[3]         Le 28 octobre 2000, la demanderesse a épousé Kwaku Boateng, un citoyen ghanéen, à Montréal. Elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada le 4 novembre 2000 et une photocopie de son certificat de naissance à l'appui. Son mari, Kwaku Boateng, avait demandé l'asile le 29 mai 1998. Dans sa demande, il avait indiqué qu'il était mariée à une certaine Mary Bortey, née le 13 novembre 1962. Dans le FRP qu'il avait déposé à la Commission le 15 juillet 1998, M. Boateng avait indiqué qu'il était mariée avec Mary Bortey depuis 1992 et qu'ils avaient vécu à Tema, au Ghana, avec leurs enfants. La Commission avait rejeté la demande d'asile de M. Boateng le 11 mai 1999.

[4]         Le 5 juin 2000, M. Boateng avait déposé une demande CH, dans laquelle il prétendait avoir divorcé le 15 mars 1999. Il avait produit une déclaration solennelle signée par son beau-père, Joseph Bortey, pour le confirmer. Le 16 décembre 2000, M. Boateng a déposé une demande de résidence permanente dans laquelle il indiquait être maintenant marié avec Mary Bortey, la demanderesse, née le 6 mars 1969 et avoir habité au 3290, rue Goyer, appartement 9, entre juillet 1999 et juillet 2000. Il ajoutait qu'il vivait au 3405, rue Linton, appartement 108, depuis juillet 2000. La demanderesse habitait aussi à cette adresse depuis son arrivée au Canada en août 1999.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[5]         La Commission a annulé, conformément au paragraphe 109(1) de la Loi, la décision du 26 septembre 2000 qui accordait l'asile à la demanderesse parce qu'elle a découvert que cette décision résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

[6]         La Commission a relevé de graves lacunes sur le plan de la cohérence et de la plausibilité des faits, ce qui l'a amenée à conclure que la demanderesse n'était pas crédible.

[7]         Lors de son témoignage, Mme Bortey était incapable de se rappeler comment elle était entrée au Canada, ou si elle avait été arrêtée par un agent d'immigration à la frontière. Elle avait cependant indiqué dans son avis de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention qu'elle était arrivée à la frontière en taxi. Les contradictions contenues dans son témoignage et l'imprécision de celui-ci sur cette question ont jeté des doutes sur sa crédibilité.

[8]         Lorsqu'on lui a demandé comment elle avait fait la rencontre de son mari, qu'elle aurait connu à Montréal, la demanderesse a répondu qu'elle l'avait rencontré lors du Festival de jazz de Montréal. Or, ce festival était déjà terminé depuis quelques semaines lorsqu'elle est arrivée au Canada à la fin du mois de juillet 1999. Le Festival avait eu lieu durant les deux premières semaines de juillet. La demanderesse avait affirmé qu'elle avait fait la connaissance de son mari pendant le Festival de jazz deux semaines après la fin de celui-ci. Confrontée à ce fait, elle a déclaré que la femme qui l'avait emmenée au centre-ville de Montréal pour le concert lui avait dit que celui-ci était présenté dans le cadre du Festival de jazz. La Commission n'a pas cru sa réponse.

[9]         La Commission a aussi demandé à la demanderesse d'expliquer comment elle avait pu signer, avec son mari, un formulaire d'Hydro-Québec daté du 30 juin 1999 étant donné que, d'après ce qu'elle avait dit auparavant, elle était arrivée au Canada le 26 juillet 1999. La Commission a estimé que la demanderesse n'avait pas été en mesure de donner une explication satisfaisante à cet égard. D'ailleurs, la preuve contredisait les renseignements contenus dans le FRP de la demanderesse car elle avait indiqué qu'elle était toujours au Ghana à cette date, qu'elle avait fui sa famille et le chef du village et qu'elle s'était cachée dans une église. La Commission a considéré que cette incohérence était assez grave car elle contredisait l'allégation de persécution de la demanderesse.

[10]       Comme il a été indiqué précédemment, M. Boateng a écrit dans son FRP qu'il était marié à une certaine Mary Bortey, qui était également originaire de Tema, depuis le 19 décembre 1992. La Commission a demandé à la demanderesse d'expliquer cette incohérence. La demanderesse a répondu que Mary Bortey était un nom courant et que son mari avait déjà été marié à une femme portant le même nom qu'elle. Cette explication était peu plausible aux yeux de la Commission. Celle-ci pouvait admettre que le prénom Mary était courant, mais non un nom de famille comme Bortey, sans disposer d'une preuve le confirmant. De plus, le fait que les deux Mary Bortey vivaient dans le même quartier de la même ville et avait épousé le même homme semblait être une trop grande coïncidence. La Commission a conclu en conséquence que le témoignage de la demanderesse et celui de son mari donnaient l'impression d'avoir été inventés. Cela étant dit, la Commission a également pris en compte une photographie que l'on disait être celle de la première épouse de M. Boateng ainsi que deux déclarations solennelles de ses parents et de ceux de l'autre Mary Bortey, mais elle ne leur a attribué aucune valeur parce qu'elle a considéré que ces éléments de preuve n'étaient pas fiables de foi dans les circonstances.

[11]       En conséquence, la Commission a statué que la décision d'accorder l'asile à la demanderesse résultait de présentations erronées sur un fait important et de réticence sur ce fait. Elle a aussi conclu qu'il ne restait pas suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour rendre une décision favorable à la demanderesse.

ANALYSE

[12]       L'article 109 de la Loi prévoit :

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d'asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu'il reste suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

(3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d'asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

[13]       Dans Sethi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 1434 (C.F.) (QL), 2005 CF 1178, la juge Tremblay-Lamer a indiqué aux paragraphes 17-20 que des normes de contrôle différentes s'appliquent aux paragraphes 109(1) et (2) de la Loi :

Si l'on applique les facteurs de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, on constate que les décisions de la SPR ne sont pas protégées par une clause privative forte et que le caractère déterminant ou la pertinence est un concept juridique important à l'égard duquel la SPR ne possède pas une expertise relativement à celle de la Cour. La SPR doit cependant, aux fins du paragraphe 109(1), apprécier la preuve sur laquelle reposait à l'origine la décision de reconnaître le statut de réfugié à la lumière de la preuve présentée relativement à la demande d'annulation - en d'autres termes, les nouveaux éléments de preuve produits par le ministre pour démontrer que des présentations erronées ont été faites et, le cas échéant, le propre témoignage contraire du réfugié. Ainsi, la décision de la SPR visée au paragraphe 109(1) dépend, à tout le moins en partie, de son évaluation directe du réfugié éventuel, de sa franchise, de son attitude générale et de sa crédibilité globale. La Cour a souligné à maintes reprises que la SPR se trouve dans une position privilégiée à cet égard (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL); N'Sungani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 2142 (F.C.) (QL)). Par conséquent, j'estime qu'il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions fondées sur le paragraphe 109(1) et que c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui doit s'appliquer.

La décision accessoire que doit rendre la SPR au regard de la question de savoir s' « il reste suffisamment d'éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l'asile » (paragraphe 109(2) de la Loi) est d'un autre ordre à mon avis : elle n'est pas fondée, même en partie, sur l'appréciation que la SPR a faite du témoignage et de la crédibilité du réfugié au moment de la demande d'annulation. En fait, l'analyse exigée par le paragraphe 109(2) suppose que l'on détermine si des éléments de preuve invoqués au soutien de la décision favorable initiale ne sont pas « viciés » par les présentations erronées sur un fait important qui ont été découvertes depuis (voir Babar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 301 (1re inst.) (QL); Duraisamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1915 (1re inst.) (QL)).

Comme je l'ai souligné précédemment, la position de la SPR lui confère une expertise pour tirer des conclusions concernant la vraisemblance du récit, fait par une personne, de la persécution qu'elle aurait subie (Aguebor, précité) et, du même coup, pour déterminer si des présentations erronées sur un fait pertinent ont été faites en se fondant directement sur la preuve documentaire et les témoignages. Cependant, pour accomplir la tâche qui lui incombe aux termes du paragraphe 109(2), la SPR doit examiner la preuve présentée lors de l'audience initiale sur le statut de réfugié. Comme il a été constaté que de fausses présentations sur un fait important avaient été faites en l'espèce, cette analyse ne dépend aucunement de l'évaluation actuelle du réfugié que la SPR a faite lors de l'audience.

Autrement dit, la SPR n'est pas dans une position privilégiée par rapport à la Cour pour entreprendre cet exercice et pour décider s'il reste suffisamment d'éléments de preuve pour étayer la décision initiale de reconnaître le statut de réfugié. Aussi, c'est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui devrait, à mon avis, s'appliquer aux décisions rendues en application du paragraphe 109(2).

[Non souligné dans l'original.]

[14]       La demanderesse conteste essentiellement la conclusion relative à la crédibilité tirée par la Commission et la manière dont celle-ci a soupesé la preuve pour décider que la décision initiale résultait, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Selon elle, il était déraisonnable pour la Commission de lui reprocher de ne pas pouvoir dire avec précision le moyen de transport qu'elle avait utilisé pour traverser la frontière entre les États-Unis et le Canada. Après tout, les événements en question remontaient à plus de six ans. La demanderesse prétend en outre qu'il était déraisonnable pour la Commission de s'attendre à ce qu'elle connaisse la différence entre les nombreux événements et festivals musicaux qui se tiennent à Montréal alors qu'elle venait à peine d'arriver d'Afrique. Il était concevable que la demanderesse pense que le concert auquel elle avait assisté était présenté dans le cadre du Festival de jazz de Montréal. La demanderesse soutient également que la Commission a eu tort de tirer des conclusions défavorables concernant sa crédibilité au regard de la date du dépôt des formulaires d'Hydro-Québec. Elle soutient de plus que la Commission a eu tort de tirer des conclusions défavorables concernant sa crédibilité en se fondant sur ses propres conclusions concernant la probabilité que deux personnes portent le nom de Mary Bortey et habitent dans le même village. La demanderesse fait valoir qu'un grand nombre de personnes portent le même nom en Afrique.

[15]       À mon avis, les conclusions tirées par la Commission selon lesquelles la demanderesse a obtenu l'asile sur la foi de présentations erronées sur un fait important et de réticence sur ce fait sont basées sur la preuve au dossier et ne sont pas manifestement déraisonnables. En outre, la conclusion générale à laquelle la Commission est arrivée, à savoir qu'il ne restait pas suffisamment d'éléments de preuve pour rendre une décision en faveur de la demanderesse, n'a pas été sérieusement contestée et doit être maintenue, peu importe la norme de contrôle qui est appliquée en l'espèce. Il appartient à la Commission, en tant que juge des faits, d'apprécier la preuve et de lui accorder le poids qu'il convient. La Commission ne peut toutefois conclure au manque de crédibilité si les incohérences sur lesquelles cette conclusion repose ne sont pas étayées par la preuve : voir Ahortor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 705, au paragraphe 41 (C.F. 1re inst.) (QL), 21 Imm. L.R. (2d) 39. En l'espèce, la Commission a clairement exposé dans la décision ses motifs concernant la crédibilité de la demanderesse et les documents produits par celle-ci. Les conclusions relatives à la crédibilité qu'elle a tirées, qui ont été décrites de manière détaillée ci-dessus, reposaient sur des contradictions et des incohérences internes. La demanderesse n'a pas démontré que ces motifs renferment une erreur susceptible de contrôle. Elle a prétendu par ailleurs que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en écartant la preuve documentaire concernant son identité. À mon avis, la présente affaire est différente de Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (C.F. 1re inst.) (QL), 77 A.C.W.S. (3d) 156, d'Osipenkov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 59 (C.F. 1re inst.) (QL), 2003 CFPI 57, et de Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 715 (C.F.), 2004 CF 587, qui ont été invoquées par l'avocat de la demanderesse. Compte tenu de ses conclusions défavorables concernant la crédibilité, la Commission pouvait écarter la preuve documentaire corroborante qui émanait des membres de la famille de la demanderesse et qui n'était pas fiable de toute façon. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question de portée générale n'a été soulevée et aucune n'est certifiée par la Cour.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-4175-05

INTITULÉ :                                                        MARY BORTEY

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 6 FÉVRIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                       LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                      LE 13 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Alexandre Tavadian                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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