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     Date : 20000321

     Dossier : IMM-1628-99



ENTRE :


     LUMPINA KILOLA

     demandeur

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION CANADA

     défendeur


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l"article 82.1 de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), à l"encontre d"une décision rendue le 8 mars 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l"affaire pour nouvelle audience devant une formation différente de la commission.

LES FAITS

[3]      Le demandeur, un citoyen de la République populaire du Congo, est né le 13 juillet 1972 à Kinshasa.

[4]      Le demandeur allègue craindre avec raison d"être persécuté en raison de ses opinions politiques et de sa participation à un groupe social donné.

[5]      Entre 1985 et 1993, le demandeur a vécu en Belgique. À son retour au Congo, il a participé aux activités du " Conseil révolutionnaire Lumumbiste " (CRL). Notamment, il a participé à une manifestation contre le gouvernement le 29 juillet 1995. Il a également contribué à amener des gens à cette manifestation.

[6]      Le père du demandeur était fonctionnaire dans le gouvernement Mobutu et secrétaire du CRL. À titre de secrétaire, son père était responsable du recrutement et de la propagande.

[7]      Par l"intermédiaire de son père, le demandeur a été présenté au président du " Parti lumumbiste unifié " (PALU), M. Antoine Gizenga.

[8]      Deux jours après cette rencontre, M. Gizenga a communiqué avec les membres du CRL pour les inviter à participer à la manifestation prévue pour le 29 juillet 1995.

[9]      Le demandeur dit que, s"étant rendu à la manifestation à cette date, il a entendu des coups de feu et a immédiatement fui l"endroit, ayant décidé de ne plus y participer ce jour-là.

[10]      Tôt le matin du 30 juillet 1995, des soldats sont entrés chez le demandeur et ont pris de nombreux documents compromettants, appartenant à son père et à lui-même, concernant le CRL.

[11]      Le demandeur allègue avoir alors été arrêté, amené auprès de la " Force d"intervention rapide " (FIRA) et interrogé au sujet des activités politiques de son père au sein du CRL.

[12]      Trois semaines plus tard, le demandeur a été transféré à la prison centrale de Makala, où il a été détenu quatre mois.

[13]      Le demandeur s"est évadé le 15 janvier 1996.

[14]      Avec l"aide de son oncle, le demandeur s"est rendu à Matadi, où il a vécu deux mois. Il est alors traversé en Angola, où un groupe de jeunes Zaïrois organisaient des voyages et l"ont aidé à se rendre au Canada.


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2


"Convention refugee" "réfugié au sens de la Convention"

"Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


"réfugié au sens de la Convention" "Convention refugee"

"réfugié au sens de la Convention" Toute personne_:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques_:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.


Exception

(3) A person does not cease to be a Convention refugee by virtue of paragraph (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution.

Exception

(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.


Federal Court Act, R.S.C. 1985, c. F-7.

Section 18.1

Grounds of review

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.


Article 18.1

Motifs

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l"office fédéral, selon le cas_:

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l"exercer;

b) n"a pas observé un principe de justice naturelle ou d"équité procédurale ou toute autre procédure qu"il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d"une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d"agir en raison d"une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[15]      L"essentiel de la décision de la commission se trouve à la page 2 de ses motifs :

         Le demandeur ne s"est pas déchargé de son fardeau d"établir qu"il a une crainte bien fondée de persécution, en raison de ses opinions politiques ou de tout autre motif de la Convention.
         Le revendicateur a manqué de clarté lorsqu"invité à préciser certains points dont son implication et celle de son père au sein du CRL, et il n"a pas pu répondre avec satisfaction aux invraisemblances soulevées affectant ainsi grandement sa crédibilité.
         Alors qu"à la question 23 il indique avoir étudié en Belgique de 1991 à 1993, il indiquera que c"est une erreur car à cette époque, il attendait que son frère termine son secondaire. Invité à expliquer ses propres occupations, il dira qu"il lisait en attendant la fin des études de son petit frère. Après son retour au Zaïre en mars 1993 et jusqu"à son départ en mars 1996, le revendicateur n"aurait ni travaillé ni étudié.
         Invité à préciser le nombre de membres qui auraient assisté aux réunions se tenant à son domicile, il répondra " cinq personnes se réunissaient au salon " en nommant deux collaborateurs de son père dont il ne connaît cependant ni le rôle ni la fonction au sein du parti. Il témoigne que ces réunions étaient des soirées entre adultes de type familial où il était question de politique. Il sera incapable de déterminer la fréquence des réunions expliquant que deux, trois personnes venaient à la maison chaque jour. Invité à préciser comment il savait qu"ils étaient des membres, il répond qu"il les entendait parler de revendications, sans être en mesure de préciser davantage. Bien qu"il aurait eu la responsabilité de contacter ses compagnons pour les inviter à participer à la marche, il ne connaît pas le nombre de ceux qui y auraient participé et aucun endroit de rencontre précédant la marche n"aurait été convenu pour se réunir. Toutes ces généralités ne permettent pas d"établir les véritables implications du revendicateur et de son père au sein du CRL. Même en admettant que son père , qui occupait un poste aux Douanes et Accises sous le gouvernement Mobutu, aurait été membre de ce parti tout comme Kabila dans les années 1970, selon le témoignage du revendicateur, aucune information faisant état de ce parti n"a pu être retracée dans toutes les sources consultées dont le Political Handbook of the World où il n"est nullement nommé.
         Le revendicateur fut invité à énumérer les buts de la marche du 29 juillet 1995. De nouveau, il donnera des généralités tels : les gens ne voulaient plus de Mobutu; il ne mentionnera pas l"un des objectifs principaux qui était de protester contre la promulgation de la période de transition démocratique.
         Le revendicateur témoigne que son père aurait quitté vers 10 h 00 le matin du 29 pour se rendre à la marche et qu"il n"en serait pas revenu; le revendicateur aurait déduit, des militaires venus chez lui dans la nuit, qu"il avait été arrêté quand ces derniers ont dit: " ton père déjà parti ". Selon son témoignage, les membres de sa famille n"auraient fait aucune démarche pour tenter de le retracer ni auprès du parti PALU, ni auprès des autorités carcérales ni auprès de toute autre organisation. Cette passivité est un comportement qui apparaît tout à fait incompatible avec la situation d"arrestation, décrite par le revendicateur, concernant son père et amène le Tribunal à sérieusement douter de cette arrestation.
         Le revendicateur a déposé un manifeste sur le parti, qu"il aurait obtenu a Montréal après son arrivée au Canada. Il témoigne ne l"avoir jamais vu auparavant dans son pays, ce qui est fort curieux considérant que son père aurait été secrétaire du parti depuis 1985 et un membre depuis 1966, soit depuis près de trente ans et que le revendicateur aurait été lui-même responsable de propagande et de recrutement.
         Bien que les frères du revendicateur auraient participé aux mêmes réunions que lui, à la maison familiale, il explique qu"ils n"ont connu aucun ennui car eux n"auraient pas parlé aux rencontres: ses deux frères sont toujours au pays ainsi que sa mère.
         Le Tribunal considère tout à fait invraisemblable que le revendicateur, emprisonné avec huit autres détenus dans une minuscule cellule, au-delà de quatre mois, n"aurait, au cours de tous ces mois, eu aucun échange verbal avec cinq d"entre eux. Invité à commenter ce fait, il répond que la paranoïa s"était installée et qu"il ne faisait confiance à personne. Cependant, il aurait fait confiance à un geôlier vu pour une première fois, le jour de Noël, pour lui demander de l"aide en vue de fuir; invraisemblance qu"il n"a pas pu expliquer a la satisfaction du Tribunal.
         La preuve n"a pas permis d"établir que le revendicateur serait recherché pour son implication et/ou sa participation au sein du parti CRL et le Tribunal n"accorde pas foi aux propos du revendicateur, considérant qu"il a inventé une histoire au soutien de sa revendication.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]      La présente demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement trois questions :

         (1)      La commission a-t-elle commis une erreur de droit en appliquant les critères énoncés au paragraphe 2(2) de la Loi?
         (2)      La commission a-t-elle commis une erreur dans l"évaluation du témoignage du demandeur ou dans sa conclusion que le demandeur n"était pas crédible?
         (2)      La commission a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit justifiant l"annulation de sa décision en ne tenant pas compte d"éléments de preuve pertinents ou en interprétant de façon erronée la preuve dont elle était saisie?

LES ARGUMENTS DES PARTIES

Les arguments du demandeur

Le critère applicable aux fins du paragraphe 2(2) de la Loi

[17]      Le demandeur soutient que la commission a commis une erreur en appliquant de façon erronée les critères énoncés au paragraphe 2(2) de la Loi relativement à l"évaluation du statut de réfugié au sens de la Convention. Plus précisément, la commission a ajouté à la définition de réfugiée deux éléments nouveaux et extrinsèques qui ne se trouvaient pas dans la Loi elle-même.

[18]      Le demandeur soutient que l"exigence qu"il démontre qu"il serait " victime de persécution " s"il retournait dans son pays n"existe pas dans la définition et dans la jurisprudence canadiennes.

[19]      Le demandeur prétend qu"un revendicateur n"est pas tenu de démontrer qu"il serait victime de quoi que ce soit, mais de démontrer simplement qu"il craint avec raison d"être persécuté pour un motif prévu par la Loi.

[20]      Il soutient que l"introduction par la Commission de l"exigence d"être une victime lui impose un fardeau beaucoup plus onéreux que ce qui est requis par la Loi.

[21]      Le demandeur prétend que l"autre élément extrinsèque ajouté à la définition par la commission est l"exigence qu"un revendicateur démontre de façon crédible qu"il serait persécuté s"il retournait dans son pays d"origine.

[22]      Le demandeur soutient qu"il doit seulement démontrer qu"il a des motifs raisonnables de craindre d"être persécuté pour l"un des motifs énoncés dans la Loi.





La crédibilité

[23]      Le demandeur prétend en outre que la commission a fait une déclaration très large, qui équivalait à une conclusion défavorable, sur sa crédibilité, mais qu"elle n"a donné aucun motif à l"appui de cette conclusion.

[24]      Le demandeur soutient que la commission n"a donné aucun exemple d"un manque de clarté de sa part lors de son témoignage, mais qu"elle a néanmoins fait la déclaration générale qu"il n"avait pas été crédible dans ses explications relatives à ses activités et à celles de son père au sein du CRL.

[25]      Le demandeur soutient qu"après avoir tiré cette conclusion défavorable quant à la crédibilité, la commission n"a donné aucun exemple des parties de son témoignage qui n"étaient pas claires et qu"il n"y a aucune autre mention de son manque de clarté dans les motifs de cette dernière.

[26]      De plus, la commission n"a appuyé cette conclusion défavorable quant à la crédibilité par aucun exemple tiré de la preuve dont elle était saisie, de sorte qu"elle a contrevenu à son obligation de fournir des motifs lorsqu"elle met en doute la crédibilité du revendicateur.

[27]      Enfin, le demandeur renvoit la Cour à la transcription de l"audience, qui révèle qu"il a fourni des réponses détaillées et complètes aux questions portant sur les activités de son père et sur les siennes au sein du CRL.

Les arguments du défendeur

Le critère applicable aux fins du paragraphe 2(2) de la Loi

[28]      Le défendeur soutient que le demandeur déduit à tort des motifs de la commission qu"il lui incombait de démontrer qu"il serait victime de persécution s"il retournait dans son pays.

[29]      Le défendeur soutient au contraire que la commission a exigé que le demandeur démontre l"existence d"une possibilité sérieuse de persécution s"il retournait dans son pays. C"est le critère formulé dans Adjei c. Canada (M.E.I.) [1989] 2 C.F. 680.

[30]      Le défendeur prétend que la commission n"a pas ajouté d"éléments nouveaux ou extrinsèques à la définition de réfugié énoncée au paragraphe 2(2) de la Loi. La commission a simplement exigé que le demandeur démontre de façon crédible qu"il existait une possibilité sérieuse qu"il soit persécuté s"il retournait au Congo.

[31]      Enfin, le défendeur soutient que la commission n"a commis aucune erreur de droit lorsqu"elle a appliqué les critères énoncés au paragraphe 2(2) de la Loi pour évaluer la revendication du statut de réfugié du demandeur.

La crédibilité

[32]      Le défendeur soutient que la commission a examiné attentivement la preuve dont elle était saisie de même que le témoignage du demandeur avant de conclure qu"il y avait des incohérences et des questions sans réponse, ce qui l"a amené à conclure que le demandeur n"était pas crédible.

[33]      Le défendeur prétend notamment que le demandeur n"a fourni aucune explication pour le curieux manque d"efforts de la part de sa famille pour retracer son père après sa disparition. Il prétend également que le demandeur a été incapable de fournir à la commission une description détaillée de ses activités et de celles de son père au sein du CRL.

[34]      Le défendeur prétend qu"il était raisonnable pour la commission de conclure qu"une personne responsable du recrutement et de la propagande d"un parti d"opposition serait capable de fournir des explications détaillées sur la conduite des rencontres auxquelles il a participé, sur l"objectif de ces rencontres ainsi que sur les autres participants.




ANALYSE     

Le critère applicable aux fins du paragraphe 2(2) de la Loi

[35]      Le critère à appliquer pour déterminer si le revendicateur a démontré qu"il craignait avec raison d"être persécuté a été formulé par la Cour dans Adjei :

         Il n"est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu"à exiger qu"il y ait probabilité de persécution. En d"autres termes, bien que le requérant soit tenu d"établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n"a tout de même pas à prouver qu"il serait plus probable qu"il soit persécuté que le contraire. En effet, dans l"arrêt Arduengo c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.), à la page 437, le juge Heald, de la Section d"appel, a dit ce qui suit :
             Par conséquent, j"estime que la Commission a commis une erreur en exigeant que le requérant et son épouse démontrent qu"ils seraient persécutés alors que la définition légale précitée exige seulement qu"ils établissent qu"ils " craignent avec raison d"être persécutés ". Le critère imposé par la Commission est plus rigoureux que celui qu"impose la loi.
         Les parties ont convenu que l"on peut correctement décrire le critère applicable en parlant de [traduction ] " possibilité raisonnable " : existe-t-il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s"il retournait dans son pays d"origine?
         Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle
         utilisée par le juge Pratte, de la Section d"appel, dans Seifu c. Commission
         d"appel de l"immigration (A-277-82, en date du 12 janvier 1983, non publié) :
         ... que pour appuyer la conclusion qu"un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n"est pas nécessaire de prouver qu"il " avait été ou serait l"objet de mesures de persécution; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d"être persécuté pour l"une des raisons énoncées dans la Loi.
         Les expressions telles que " [craint] avec raison " et " possibilité raisonnable " signifient d"une part qu"il n"y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c.-à-d., une probabilité), et d"autre part, qu"il doit exister davantage qu"une possibilité minime. Nous croyons qu"on pourrait aussi parler de possibilité " raisonnable " ou même de " possibilité sérieuse ", par opposition à une simple possibilité.

[36]      Appliquant ce critère en l"espèce, la commission a conclu que le demandeur n"avait pas relevé son fardeau de preuve au motif qu"il n"avait pas démontré, de façon raisonnable et crédible, qu"il existait une possibilité sérieuse qu"il soit victime de persécution s"il devait retourner dans son pays.

[37]      Le demandeur prétend que l"expression " victime de persécution " lui impose un fardeau plus onéreux que ce qui est requis par le paragraphe 2(2) de la Loi, ce qui constitue donc une erreur de droit.

[38]      Dans l"arrêt Lai c. Canada (M.E.I.) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.), la Cour d"appel fédérale s"est exprimée ainsi au sujet des critères devant être appliqués par la commission :

         La question à deux volets présentée à la Commission était de savoir si le requérant avait une crainte réelle de retourner dans son pays, et si cette crainte était raisonnable, c"est-à-dire fondée sur des motifs valables. Pour répondre à cette question, la Commission devait examiner l"ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Cette manière de procéder est particulièrement importante en l"espèce, le requérant ayant réussi à établir qu"il a été victime de persécution depuis longtemps et de façon continuelle, et la véritable question qui reste à trancher est de savoir s"il y a des raisons de croire que cette situation pourrait toujours exister.

[39]      Cette question a également été abordée dans l"arrêt Ponniah c. Canada (M.E.I.) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 241 (C.A.F.). Madame le juge Desjardins, de la Section d"appel, s"est exprimée ainsi :

         Aux termes de la décision Adjei, un demandeur n"a pas à prouver qu"il serait plus probable qu"il soit persécuté que le contraire. Il doit établir qu"il craint " avec raison " d"être persécuté ou qu"il existe une " possibilité raisonnable " de persécution.
         Il ressort de la définition des expressions " avec raison " et " possibilité
         raisonnable " donnée dans la décision Adjei que celles-ci visent toute la zone
         contenue entre les limites supérieures et inférieures. L"exigence est moindre
         qu"une possibilité à 50 % (c.-à-d. une probabilité), mais supérieure à
         une possibilité minimale ou à une simple possibilité. Il n"y a pas d"exigence
         intermédiaire : entre ces deux limites, le demandeur craint " avec raison ".

[40]      Avec égards pour le demandeur, je ne vois pas comment les termes utilisés par la commission dans sa décision indiquent que le paragraphe 2(2) a été mal appliqué ou qu"un fardeau de preuve plus onéreux a été imposé.

[41]      Dans Lacassi c. Canada (M.E.I.), [1996] A.C.F. No. 1156, le juge Richard (maintenant Juge en chef) a énoncé ainsi le critère applicable en vertu du paragraphe 2(2) :

         L"avocat de la requérante a soutenu que la Commission avait imposé à la requérante une norme de preuve trop élevée à respecter pour établir qu"elle était réfugiée au sens de la Convention. Dans sa décision, la Commission a mentionné que la requérante devait prouver l"existence d"une possibilité sérieuse qu"elle soit persécutée si elle retourne en Uruguay. L"avocat a fait valoir que la requérante devait établir non pas une possibilité sérieuse, mais une simple possibilité. Il a cité différentes définitions des mots " serious " (" sérieuse ") et " mere " (" simple "). Cependant, dans l"arrêt Adjei, le juge MacGuigan a indiqué clairement qu"il doit s"agir d"une possibilité raisonnable ou même sérieuse et non d"une simple possibilité. Dans l"arrêt Chan, le juge Major, qui s"exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême, a également décidé que le critère en est un de possibilité sérieuse. En conséquence, la Commission n"a pas commis d"erreur de droit lorsqu"elle a adopté le critère d"une possibilité sérieuse.

[42]      J"estime que la commission s"est correctement demandé si le demandeur avait prouvé selon la prépondérance des probabilités qu"il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution dans son pays. Cela était le critère approprié, comme l"ont établi les arrêts susmentionnés.

[43]      Le demandeur a également prétendu que la commission avait ajouté à la définition de réfugié au sens de la Convention figurant au paragraphe 2(2) de la Loi deux critères nouveaux et extrinsèques, à savoir, premièrement, qu"il devait être " victime de persécution " et, deuxièmement, qu"il devait démontrer le bien-fondé de sa revendication de façon crédible.

[44]      Ayant déjà conclu que la commission a correctement appliqué le critère relatif au paragraphe 2(2) de la Loi, j"estime qu"il n"est pas nécessaire que j"examine cet argument plus à fond.

La crédibilité

[45]      En l"espèce, la conclusion que le demandeur n"était pas crédible et que son témoignage contenait de nombreuses incohérences et invraisemblances constituait le fondement de la décision de la commission.

[46]      Il est bien établi en droit que la crédibilité est une question de fait et que la commission a le pouvoir discrétionnaire d"évaluer la crédibilité. Ceci étant dit, la jurisprudence a également établi que les conclusions défavorables quant à la crédibilité devaient être justifiées par des contradictions, des incohérences et des absurdités : Giron c. Canada (M.E.I.) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).

[47]      Dans l"arrêt Rezaei c. Canada (M.E.I.) (A-255-90, 30 avril 1992), la Cour d"appel fédérale a conclu qu"une conclusion défavorable quant à la crédibilité pouvait être annulée si, en arrivant à cette conclusion, la commission avait mal interprété la preuve ou n"avait pas tenu compte d"éléments de preuve dont elle était saisie.

[48]      J"ai examiné l"ensemble de la preuve présentée par les parties et j"estime que, sur les questions importantes liées à la crédibilité, rien n"indique que la commission ait mal interprété la preuve ou qu"elle n"ait pas tenu compte d"éléments de preuve.

[49]      Dans les arrêts ultérieurs de la Cour d"appel fédérale dans Amoah c. Canada (M.E.I.) (C.A.F.) (A-206-92, 9 février 1995) et Luckner c. Canada (M.E.I.) (C.A.F.) (A-255-90, 21 avril 1998), la Cour a affirmé que même dans les cas où la commission commettait une erreur de droit, elle n"interviendrait pas s"il restait des éléments de preuve appuyant une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[50]      La question des conclusions défavorables quant à la crédibilité a de nouveau été soulevée dans Bennasir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration)(C.F. 1re inst.) (Imm-852-97, 27 avril 1998), où le juge Cullen a dit :

La Cour ne va normalement pas intervenir lorsque la Commission se prononce sur une question de crédibilité, puisque celle-ci a l"occasion d"observer en direct le témoignage du demandeur. La Commission est donc mieux placée pour jauger la crédibilité des témoins que ne l"est une cour de justice appelée à se prononcer sur une décision de la Commission : Rajaratnam c. M.E.I. (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.); Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Bar c. M.E.I. (1993), 152 N.R. 157 (C.A.F.). Cela dit, dans le cadre de sa décision, la Commission ne peut pas retenir des inférences défavorables fondées sur des conclusions de fait manifestement erronées : Gracielome c. M.E.I. (1989), 9 Imm.L.R. (2d) 237 (C.A.F.). De plus, la Commission est tenue d"exprimer en des termes clairs et non équivoques toute conclusion défavorable touchant la crédibilité d"un témoin : Hilo c. M.E.I. (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

[51]      En l"espèce, la commission mentionne des motifs précis à l"appui de sa conclusion que le demandeur n"est pas crédible. Premièrement, celui-ci est incapable de fournir des explications détaillées sur ses activités et sur celles de son père au sein du parti CRL, répondant plutôt par de vagues généralités.

[52]      Deuxièmement, le demandeur est incapable d"expliquer pourquoi le parti CRL n"est pas mentionné dans la preuve documentaire ou dans les sources consultées par la commission. La commission a fait une erreur dans ce cas, puisque le parti CRL était mentionné, mais de façon très mineure.

[53]      Troisièmement, lorsque la commission lui a demandé d"expliquer pourquoi ni lui ni les membres de sa famille n"avaient tenté de savoir ce qui était arrivé à son père, le demandeur a été incapable de fournir une quelconque explication suffisante.

[54]      Ce manque d"efforts sérieux de la part du demandeur et des membres de sa famille pour retrouver leur père était totalement incompatible avec les circonstances entourant son arrestation, ce qui a amené la commission à douter de la véracité du témoignage du demandeur sur cette question.

[55]      Quatrièmement, la commission a jugé invraisemblable le fait que le demandeur aurait été incarcéré dans une cellule minuscule pendant quatre mois et qu"il n"aurait eu aucune conversation de quelque nature que ce soit avec cinq des sept autres personnes détenues dans sa cellule. La commission était d"avis qu"il était encore plus improbable, dans ces circonstances, que le demandeur se confie à un gardien qu"il venait de rencontrer et qu"il lui demande de l"aider à s"évader.

[56]      Enfin, la commission a conclu que le demandeur n"avait pas démontré qu"en raison de ses activités politiques au sein du parti CRL, il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution s"il retournait dans son pays.

[57]      J"estime que la décision de la commission établit que le demandeur n"est pas crédible pour les nombreux motifs mentionnés, comme l"exige la jurisprudence. Rien ne justifie donc l"intervention de la Cour.

[58]      Je suis d"avis que la commission n"a commis aucune erreur de fait ou de droit justifiant l"intervention de la Cour.

[59]      Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.



[60]      La certification d"une question n"a pas été demandée.


    

                            

                    
                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 21 mars 2000





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