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Date : 19990712


Dossier : T-2195-98



OTTAWA (Ontario), le 12 juillet 1999.

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Rouleau


ENTRE :

     LE CHEF ALVIN CARDINAL,

     demandeur,

ET :


     NORMAN CALLIOU, JOHN WILLIER, RODERICK WILLIER,

     RONALD WILLIER ET RUSSELL WILLIER PRÉTENDANT AGIR COMME

     LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SUCKER CREEK NO 150A,

     défendeurs.



     ORDONNANCE


[1] La présente demande est accueillie. La résolution du conseil de bande en date du 11 novembre 1998 est annulée et le demandeur, le chef Alvin Cardinal, est et demeure le chef de la première nation de Sucker Creek depuis son élection le 28 novembre 1997.

     " P. ROULEAU "

     JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.




     Date : 19990712

     Dossier : T-2195-98



ENTRE :

     LE CHEF ALVIN CARDINAL,

     demandeur,

ET :


     NORMAN CALLIOU, JOHN WILLIER, RODERICK WILLIER,

     RONALD WILLIER ET RUSSELL WILLIER PRÉTENDANT AGIR COMME

     LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SUCKER CREEK NO 150A,

     défendeurs.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE ROULEAU


[1]      La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision des défendeurs en date du 11 novembre 1998, ayant adopté la résolution de destituer le demandeur en sa qualité de chef dûment élu de la Bande indienne de Sucker Creek. En outre, le demandeur cherche à obtenir une déclaration statuant qu'il est continuellement demeuré chef de la bande depuis son élection le 28 novembre 1997.

[2]      La première nation de Sucker Creek est régie par le Règlement sur la coutume électorale (Customary Election Regulations) approuvé par arrêté en date du 28 janvier 1997. Le 28 novembre 1997, le demandeur, Alvin Cardinal, a été élu chef pour un mandat de trois ans. Près d'un an plus tard, soit le 23 octobre 1998, l'administrateur de la bande, M. Brian Kelly, a reçu une pétition censément signée par cent dix-neuf membres de la première nation de Sucker Creek, demandant la destitution immédiate du chef Cardinal. À la même date, M. Kelly a reçu une note d'une certaine Margaret Koski demandant que le chef et le conseil rencontrent les membres le lundi 26 octobre 1998, à 13 h 30 au centre de loisir. M. Kelly a alors fait circuler une note de service au chef et au conseil les informant de la demande d'une réunion. Trois des défendeurs, Norman Calliou, Ronald Willier et Russell Willier, ont assisté à la réunion bien qu'aucun autre membre du conseil ni le demandeur n'ait été présent.

[3]      Par la suite, le 29 octobre, le 2 novembre et le 11 novembre 1998, des réunions de la bande ont eu lieu en vue de discuter de la pétition. Bien que les défendeurs aient soutenu que des avis écrits de ces réunions ont été envoyés au chef Cardinal, la Cour ne disposait d'aucune preuve établissant ce fait. La preuve montre que le demandeur a reçu un avis de la réunion du 11 novembre et que le 4 novembre 1998, son avocat a envoyé une lettre au conseil demandant des explications relativement aux accusations qu'on lui reprochait et demandant également un ajournement de la réunion.

[4]      L'ajournement a été refusé et aucun autre renseignement n'a été envoyé au demandeur ou à son avocat en ce qui concerne les allégations exposées dans la pétition. La réunion du 11 novembre 1998 a eu lieu en l'absence du chef Cardinal et, pendant la réunion, le conseil de bande a adopté la résolution contestée destituant le demandeur de la fonction de chef.

[5]      Par suite de la destitution, on a décidé qu'une élection complémentaire serait nécessaire et, par une résolution en date du 16 novembre 1998, Allen Willier a été élu agent d'élection aux fins de l'élection complémentaire. Dans une lettre en date du 20 novembre 1998, M. Willier, en sa qualité d'agent d'élection, a écrit au demandeur pour l'aviser que s'il souhaitait interjeter appel de la décision du 11 novembre 1998, il devait le faire au plus tard le mardi 24 novembre 1998. Le chef Cardinal n'a pas déposé d'avis d'appel conformément au Règlement sur la coutume électorale, mais a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour le 24 novembre 1998.

[6]      Le demandeur cherche à présent à faire annuler la résolution du conseil de bande au motif que la procédure suivie par le conseil ne respectait pas les dispositions du Règlement sur la coutume électorale; qu'en rendant sa décision, le conseil a outrepassé sa compétence en tenant compte de considérations non pertinentes et en ne prenant pas en considération celles qui l'étaient; et, que le conseil n'a pas respecté les principes de justice naturelle en ne fournissant pas au demandeur un avis approprié, une audience et l'occasion de présenter des arguments comme l'exige le Règlement sur la coutume électorale.

[7]      Je suis disposé à accueillir la demande pour les motifs qui suivent.

[8]      Les articles pertinents du Règlement sur la coutume électorale prévoient :

     [TRADUCTION]
     15.2b) Alors qu'ils sont en fonction, ils sont dans un état d'ivresse ou ont une conduite contraire aux bonnes moeurs ou irresponsable aux séances du conseil, aux réunions communautaires ou à d'autres forums ou réunions publics qui perturbe le déroulement des activités ou donne mauvaise réputation à la première nation de Sucker Creek ou au conseil :
     15.2i) Alors qu'ils sont en fonction, ils ne se conforment pas aux règlements et aux politiques établies de la première nation de Sucker Creek.

    

     15.3 Sur réception d'une pétition signée par au moins cinquante pourcent des électeurs plus un (50 % + 1) énonçant au moins un des motifs prévus aux articles 15.1 et 15.2 en vue d'obtenir la destitution d'un certain chef ou conseiller, le conseil convoque une réunion spéciale du conseil afin d'examiner la destitution du chef ou du conseiller.
     15.4 Le chef ou le conseiller qui fait l'objet de la pétition doit être autorisé à présenter une preuve écrite ou orale.
     2k) " Électeur " Personne dont le nom figure sur la liste des membres de la première nation, qui réside sur la réserve, et qui a dix-huit ans (18) révolus au plus tard le jour de l'élection générale ou complémentaire.


[9]      Dans la présente affaire, la pétition présentée aux défendeurs n'était pas conforme à l'article 15.3 du règlement parce qu'elle ne contenait pas 50 % plus 1 des signatures des électeurs. Elle contenait tout au plus cent dix-neuf signatures. Toutefois, en date du 17 octobre 1998, le nombre de personnes ayant le droit de voter était de deux cent cinquante-trois, 50 % de ce nombre représentait donc cent vingt-six, plus un soit cent vingt-sept personnes ayant le droit de voter devaient signer la pétition avant que le conseil n'ait compétence pour agir aux termes du Règlement sur la coutume électorale.

[10]      De plus, la pétition a été présentée par Margaret Koski qui n'avait pas le droit de voter en qualité d'" électeur ", au sens où ce terme est défini par le règlement, et qui n'était donc pas une personne ayant le droit de présenter une telle pétition.

[11]      Je m'intéresse à présent au sujet de la pétition elle-même et aux motifs de destitution qui y sont énoncés. L'article 15.3 du règlement dit clairement qu'il faut que le chef ou le conseiller ait eu une certaine conduite avant d'être destitué; savoir, un état d'ivresse ou une conduite contraire aux bonnes moeurs ou irresponsable à une réunion du conseil ou de la communauté ou dans un forum public et qui a nuit au déroulement des activités, ou une conduite qui porte atteinte à la réputation de la première nation de Sucker Creek ou à son conseil.

[12]      Dans la présente affaire, il n'y a simplement aucune preuve que le demandeur a eu une conduite de cette nature. La véritable plainte du conseil était que le chef Alvin Cardinal avait quitté une réunion de la bande le 17 octobre 1998, en passant certaines remarques qui ont déplu aux membres de la bande. Le conseil était également mécontent de la décision du chef Cardinal en septembre 1998 d'embaucher une personne qui ne faisait pas partie de la bande comme contremaître d'équipement sans avoir avisé le conseil que le poste était ouvert. En outre, le demandeur a, à l'insu du conseil, accordé un contrat à une société connue sous le nom de DDM Oil Fuel Construction. Quelques légitimes que ces griefs puissent sembler être aux défendeurs, ils ne constituent néanmoins pas des motifs de destitution au sens où l'entend l'article 15.2 du Règlement sur la coutume électorale.

[13]      Je ne suis pas convaincu non plus que les défendeurs se soient conformés à l'article 15.4 du règlement qui prévoit qu'un chef ou un conseiller qui fait l'objet d'une pétition pour destitution doit être autorisé à présenter une preuve écrite et orale. Il existe un doute sérieux en l'espèce au fait de savoir si le chef Cardinal a reçu l'avis approprié des réunions de la bande qui ont été tenues relativement à la pétition. La preuve montre qu'il a été avisé de la réunion du 11 novembre 1998, mais que sa demande d'ajournement a été rejetée. En outre, par des lettres en date du 4 novembre 1998 et du 6 novembre 1998, l'avocat du demandeur a demandé des explications relativement aux questions soulevées par les allégations censément mentionnées dans la pétition et la possibilité d'aborder ces questions. Ces demandes sont restées sans réponse. Par conséquent, les défendeurs ont pris leur décision sans pouvoir profiter du fait d'entendre le chef Cardinal et sans lui donner la possibilité de présenter des arguments pour sa défense. Il s'agissait clairement d'une violation du règlement et des principes de justice naturelle que l'article 15.4 du règlement renferme et c'est un motif suffisant, en lui-même, pour annuler la décision du défendeur.

[14]      En fait, la seule vraie défense avancée par les défendeurs dans la présente demande de contrôle judiciaire est que le chef Cardinal disposait d'un autre recours, soit l'appel. Ils se fondent sur l'article 15.5 du Règlement sur la coutume électorale qui prévoit :

     [TRADUCTION]
     15.5 Si une personne souhaite interjeter appel de cette décision, la même procédure que pour un appel en matière d'élection sera suivie.


[15]      L'article 12 prévoit la procédure à suivre pour les appels en matière d'élection :

     [TRADUCTION]
     12.2a) Un appel peut être interjeté par l'envoi d'un avis d'appel écrit à l'agent d'élection aux bureaux du conseil, indiquant les motifs de l'appel.
     b) Le conseil doit recevoir l'avis d'appel dans les quatorze (14) jours suivant le jour de l'élection, ou dans le cas d'une élection par acclamation, dans les quatorze (14) jours suivant la réunion électorale ayant donné lieu à l'appel.
     12.4 a) Le comité d'appel se compose de neuf membres, les volontaires sont sollicités lors de la réunion électorale.
     b) L'agent d'élection doit, si cela s'avère nécessaire, choisir au hasard trois aînés, trois personnes âgées de 31 à 64 ans et trois personnes âgées de 18 à 30 ans.
     c) Pour faire partie du comité d'appel, il ne faut pas appartenir à la famille immédiate du candidat visé ni de la personne qui interjette appel.
     d) S'il n'y a pas suffisamment de volontaires, on demande alors à la commission de police du Lesser Slave Lake de faire partie du comité d'appel.


[16]      Pour déterminer s'il existe un autre recours approprié pour une personne qui est visée par les actions de décideurs, la Cour doit tenir compte d'un certain nombre de facteurs. Dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer a fait le commentaire suivant relativement au principe de l'autre recours approprié aux pp. 31 et 32 :

     [...] je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d'une procédure d'appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent: la commodité de l'autre recours, la nature de l'erreur et la nature de la juridiction d'appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d'offrir un redressement). Je ne crois pas qu'il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.
     En appliquant, en l'espèce, le principe de l'autre recours approprié, nous devons examiner le caractère approprié des procédures de contestation que les bandes ont établies en vertu de la loi, et non pas simplement le caractère approprié des tribunaux d'appel en question. La raison en est que les bandes ont prévu que les décisions de ces tribunaux peuvent être portées en appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Je reconnais que certains facteurs ne seront pertinents que relativement aux tribunaux d'appel (c.-à-d. l'expertise des membres ou les allégations de partialité) ou à l'appel à la Section de première instance de la Cour fédérale (c.-à-d. la question de savoir si les bandes ont compétence pour prévoir un tel appel). Mais l'application du principe de l'autre recours approprié commande la prise en considération de tous ces facteurs afin d'apprécier globalement le régime législatif en question.


[17]      Si j'applique ces principes à la présente affaire, je suis convaincu que les dispositions d'appel du Règlement sur la coutume électorale ne sont pas un recours approprié. Les défendeurs avaient l'intention de prendre une résolution du conseil de bande pour destituer le chef Cardinal le 11 novembre 1998. Le 20 novembre 1998, il n'y avait pas d'agent d'élection en place car la personne qui a plus tard été nommée agent d'élection n'avait pas fait parvenir de résolution de nomination. En outre, il n'y avait pas de comité d'appel en matière d'élection en place, et il ne pouvait pas y en avoir un non plus à cause des dispositions de l'article 12.4 du règlement. La réunion électorale a été fixée au 27 novembre 1998. Par conséquent, aux termes de l'article 12.4, il ne pouvait pas y avoir un comité d'appel en matière d'élection valide avant cette date. Il n'y a pas de preuve non plus qu'une demande de volontaires a été faite à la réunion électorale, si une telle réunion a réellement eu lieu.

[18]      Étant donné que les agents et le comité d'appel exigés pour un appel en vertu du règlement n'existaient pas, et ne pouvaient pas exister, aux dates nécessaires, il s'ensuit qu'un appel présenté aux termes du Règlement sur la coutume électorale ne pouvait pas fournir au demandeur un recours approprié. Par conséquent, le contrôle judiciaire est la méthode appropriée pour contester la décision attaquée.

[19]      Pour ces motifs, la demande est accueillie. La résolution du conseil de bande du 11 novembre 1998 est annulée et le demandeur, le chef Alvin Cardinal, est et demeure le chef de la première nation de Sucker Creek depuis son élection le 28 novembre 1997.


     " P. ROULEAU "

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 12 juillet 1999.




Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DU GREFFE :                  T-2195-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :          Le chef Alvin Cardinal c. Norman Calliou et autres

                            

LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)


DATE DE L'AUDIENCE :          le 15 juin 1999


ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE ROULEAU


EN DATE DU :                  12 juillet 1999



ONT COMPARU :                 

            

Mme Priscilla Kennedy                      pour le demandeur


M. Ronald Johnson                          pour les défendeurs



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Parlee McLaws                              pour le demandeur

Edmonton (Alberta)


Roddick & Johnson                          pour les défendeurs

Edmonton (Alberta)

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