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Date: 19980209


Dossier: T-1064-97

Entre :

     GROUPE TREMCA INC.

     et

     JAGNA LIMITED

     Demanderesses

     ET

     TECHNO-BLOC INC.

     Défenderesse

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE


[1]      Il s'agit d'une requête de la défenderesse en vertu des règles 402(4) et 420 des Règles de la Cour fédérale (les règles) afin d'être autorisée à déposer une défense et demande reconventionnelle amendée (la défense).


[2]      Cette autorisation de la Cour est requise vu que les demanderesses s'opposent à ce que trois paragraphes de la défense, soit les paragraphes 18, 20 et 28c), soient inclus à cette défense.


[3]      Dans leur action, les demanderesses accusent la défenderesse de contrevenir à leur brevet 1,182,295 (le brevet en cause). On retiendra au passage que la demande logée pour obtenir ledit brevet portait le numéro 408,914 et que ce brevet a comme équivalent américain le brevet 4,490,075.


[4]      Les paragraphes contestés de la défense ainsi que ceux qui permettent d'en comprendre le sens se lisent comme suit:

                 17.      During the prosecution of U.S. patent no. 4,490,075, which corresponds to Canadian patent no. 1,182,295, German patent no. 2755833 (Famy) was cited by the examiner as relevant prior art. Such patent taught the use of a wedge key being inserted in a channel located on the top surface of a lower block and in a channel on the lower surface of an upper block to join such blocks to one another to erect straight or inclined retaining walls.                 
                 18.      To overcome the Famy citation, the claims of U.S. patent no. 4,490,075 were re-drafted so as to emphasize the structural features which distinguished the invention disclosed in the Risi patent application over such prior art. Subsequent to such amendments, this patent application was allowed and issued on December 25, 1984.                 
                 19.      On or about February 28, 1984, the existence of German patent no. 2755833 (Famy) was voluntarily disclosed by the Risi applicants to the Canadian Patent Office and notwithstanding such disclosure, Canadian Risi patent application No. 408,914 was allowed on May 24, 1984.                 
                 20.      Notwithstanding such allowance, on or about October 11, 1984, the Risi applicants filed a request to amend the wording of the allowed claims of Canadian patent application no. 408,914 so as to make them conform with the wording of the claims of their corresponding allowed U.S. patent application. Such request was approved and patent application no. 408,914 issued on February 12, 1985. The wording of the claims of Canadian patent no. 1,182,295 corresponds to the claims of U.S. patent no. 4,490,075.                 
                 ...                 
                 28.c)      The alleged invention described and claimed in the said patent was made available to the public in Canada more than two years prior to the filing of application no. 408,914, in that the substance of the said invention was disclosed by Angelo Risi, one of the named inventors, to Beamish Construction in mid-July 1980.                 

Analyse

[5]      Les parties s'entendent quant aux principes applicables en matière d'amendements d'actes de procédures. En page 4 de ma décision dans l'affaire Jagna Limited et Groupe Tremca Inc. c. Transpavé Inc., décision non rapportée du 12 septembre 1997, dossier de la Cour T-786-93, j'ai référé à ces principes comme suit:

                      À l'égard des principes applicables en matière d'amendements d'actes de procédures, le passage suivant tiré de l'arrêt Canderel Ltée c. Canada (1993), [1994] 1 C.F. 3 (C.A.), en page 10, reflète bien le libéralisme certain dont la Cour doit faire preuve en la matière:                 
                         ... même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.                         
                                                 
                      L'on peut rajouter à ces propos, en guise de fond de toile, qu'en matière d'amendement, à l'instar d'une demande de radiation d'une procédure, l'on doit permettre l'amendement à moins qu'il soit clair et évident que l'amendement est voué à l'échec (voir Raymond Cardinal et al. c. Her Majesty the Queen, décision non rapportée de la section d'appel de cette Cour en date du 31 janvier 1994, dossier A-294-77, juges Heald, Décary et Linden).                 
                                 

[6]      Dans le cas qui nous occupe, les demanderesses s'opposent à l'inclusion à la défense des paragraphes 18 et 20. Selon elles, il est clair que par ces paragraphes la défenderesse cherche en référant à des amendements apportés à l'étape de l'étude des dossiers de poursuite du brevet en cause et de son pendant américain à accoler une interprétation juridique à l'étendue des revendications du brevet en cause.

[7]      Si tel est le cas, je suis d'avis qu'une telle pratique est clairement prohibée en jurisprudence et que la situation présente n'entrerait pas dans l'une ou l'autre des quelques exceptions où l'on a autorisé une partie à se référer à un dossier de poursuite, entre autres, pour établir quel art antérieur avait été porté au su du Bureau des brevets (voir Samsonite Corp. v. Holiday Luggage (1988), 20 C.P.R. (3d) 291 et Foseco Trading A.G. v. Canadian Ferro Hot Metal Specialties, Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 35) ou pour établir que de fausses représentations avaient été commises (voir Beloit Canada Ltd. v. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289). Dans l'arrêt P.L.G. Research Ltd. v. Jannock Steel Fabricating Co. (1991), 35 C.P.R. (3d) 346, la Cour en est venue à une conclusion qui m'apparaît toujours faire autorité et qui fut exprimée comme suit en pages 349-50:

                 That is, I came to the conclusion in Amfac that the patentee and potential infringers are both bound by the terms of the patent as issued. Just as a patentee could not have his patent broadened by showing his intention to claim a broader invention through evidence of what transpired during the prosecution of his patent application, neither should an alleged infringer be able to resort to such evidence to show it is narrower in scope than the patent states. To do so would be to override the words of the patent as issued which, in my understanding, are to be determinative of the scope of the patent. By the same token, in my view, an alleged infringer cannot excuse acts of infringement of the words of the patent by invoking other words submitted by the patentee in prosecuting his patent application. At law he is not entitled to rely on such "representations" in place of the very words of the patent.                 
                 ...                 
                      Taking the view that I do, that for determining the scope of an invention resort must be had only to the patent together with any expert evidence required to explain it, I am unable to accept that in Canadian law a patentee may be estopped by statements made by him in prosecuting his patent application. Nor do I understand how in law an alleged infringer can be heard to say that he was entitled to rely on representations made prior the issue of the patent in lieu of the words of the patent itself.                 

[8]      Le procureur de la défenderesse n'a pas semblé nier en plaidoirie le fait que les paragraphes 18 et 20 recherchaient une interprétation du brevet en cause et que leur but n'était pas simplement de faire état de l'art antérieur.

[9]      Selon ce dernier, l'inclusion de ces paragraphes devrait toutefois être permise parce que selon lui ces derniers se situent quelque part entre la simple référence à de l'art antérieur - qui elle est permise - et la reprise dans un acte de procédure de déclarations ou de représentations faites dans le cours de la poursuite d'un brevet en vue d'interpréter celui-ci.

[10]      À cet effet, il souligne que les paragraphes 18 et 20 ne font pas état de déclarations ou d'argument tenus par un agent de brevet devant le Bureau afin de faire approuver la demande de brevet. Ces paragraphes se satisfont, indique-t-il, de faire état du fait que de l'art antérieur fut soumis et qu'en conséquence un amendement à la demande fut apporté.

[11]      Je ne pense pas que cette approche de la défenderesse puisse échapper aux enseignements précités de la Cour dans l'affaire P.L.G. Research. Selon moi, il est équivalent dans les circonstances d'alléguer ce qui a été fait par l'agent de brevet face à l'art antérieur que d'alléguer ce qui a pu être dit par cet agent relativement à ces amendements.

[12]      De plus, j'abonde dans le même sens que le procureur des demanderesses à l'effet que la soumission d'un amendement auprès du Bureau des brevets constitue une "représentation" au sens de l'arrêt P.L.G. Research.

[13]      D'autre part, le fait, tel qu'allégué, que les paragraphes 18 et 20 puissent avoir un lien avec un paragraphe non contesté de la défense (paragraphe 27) n'est pas à mon avis un élément pertinent pour sauvegarder des paragraphes qui, par ailleurs, contreviennent clairement à des enseignements jurisprudentiels.

[14]      Partant, il m'apparaît donc clair et évident que la requête de la défenderesse quant aux paragraphes 18 et 20 doit être rejetée.

[15]      Par ailleurs, quant à la contestation à l'égard du paragraphe 28c), les demanderesses soulignent qu'un paragraphe semblable fut introduit contre elles dans un litige passé (T-1005-89) où le brevet en cause se trouvait également visé. Suivant les demanderesses, puisque la Cour n'a pas retenu alors ce motif d'attaque, il incombait à la défenderesse dans le cas présent de respecter les règles de cette Cour en matière de rédaction et d'inclure au paragraphe 28c) suffisamment de détails pour que l'on puisse déterminer que l'inventeur dont il est question audit paragraphe ne se trouve pas sujet à une attaque identique à celle qu'il a repoussée dans le dossier T-1005-89.

[16]      J'avoue que j'ai passablement de difficulté à admettre cet argument.

[17]      Premièrement, dans le dossier T-1005-89, la Cour n'a pas retenu l'équivalent du paragraphe 28c) tout simplement parce que la preuve alors soumise ne l'a pas convaincue et non pas parce qu'il était imprécis au sens des règles. Rien n'indique ici que la preuve ne pourra être meilleure ou que le paragraphe 28c) n'est pas suffisamment précis. Si les demanderesses estiment qu'elles ont droit à des détails plus amples et précis à l'égard de ce paragraphe, c'est à elles à les rechercher par écrit auprès de la défenderesse et, si elles sont toujours insatisfaites des détails obtenus, elles pourront toujours présenter une requête sous la règle 415 à cet effet. À ce stade-ci, il n'y a certainement pas lieu de refuser l'inclusion de ce paragraphe.

[18]      Une ordonnance sera émise en conséquence. Comme le résultat sur la présente requête est partagé, il n'y aura pas de frais d'adjugés à son endroit.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 9 février 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-1064-97

GROUPE TREMCA INC.

-et-

JAGNA LIMITED

     Demanderesses

ET

TECHNO-BLOC INC.

     Défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 2 février 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 9 février 1998

ONT COMPARU:

Me Jacques Léger pour les demanderesses

Me Jean Carrière pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jacques Léger et

Me Bob Sotiriadis pour les demanderesses

Léger Robic Richard

Montréal (Québec)

Me Jean Carrière pour la défenderesse

Mendelsohn Rosentzveig Shacter

Montréal (Québec)

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