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     Date : 19971121

     Dossier : T-828-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14

ENTRE :

     SOCIÉTÉ CANADIENNE DES PORTS,

     requérante,

     - et -

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

     ROBERT EASTON (AGENT DES PÊCHES) et

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

    

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre des Pêches et des Océans (le " ministre ") m'a été soumise à Toronto (Ontario), le 15 juillet 1997. À la conclusion des plaidoiries, j'ai ordonné que la demande soit rejetée, et indiqué que des motifs écrits suivraient.

[2]      En novembre 1993, la requérante a demandé au ministre d'autoriser un projet de travaux de quai en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pêches. Avant que le ministre ait rendu une décision, la requérante a procédé à la fin de 1994 aux modifications de quai prévues. Le 2 février 1995, la requérante a été accusée d'avoir enfreint l'article 35 de la Loi sur les pêches en procédant sans autorisation aux modifications et en détruisant censément l'habitat du poisson. Le 23 janvier 1996, le Ministre a refusé d'accorder l'autorisation demandée en novembre 1993.

[3]      Le 16 janvier 1997, la requérante a demandé que le Ministre exerce son pouvoir discrétionnaire afin de déférer la décision datée du 23 janvier 1996 à un organisme ou un comité indépendant pour fins de réexamen. Le Ministre a rejeté cette demande dans une lettre datée du 1er avril 1997.

[4]      En conséquence, la requérante a sollicité un bref de certiorari annulant la décision par laquelle le ministre avait rejeté la demande d'autorisation de la requérante en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, y compris le refus du Ministre d'obtenir un examen indépendant en conformité avec la Politique de gestion de l'habitat du poisson du ministère des Pêches et des Océans (la " Politique "). Subsidiairement, la requérante sollicitait une déclaration portant que la décision du Ministre était nulle et sans effet.

[5]      La requérante a demandé aussi qu'il soit déclaré que le Ministre est tenu de déterminer la demande de la requérante d'une manière qui ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité, et en conformité avec les principes de justice naturelle. Plus particulièrement, la requérante cherche à obtenir une déclaration portant que la requérante s'attend de manière légitime à ce que le Ministre soumette la demande de la requérante à un examen indépendant avant qu'une décision soit prise et qu'il donne suite à cet avis.

[6]      Enfin, la requérante a sollicité une ordonnance interdisant, limitant ou suspendant la poursuite intentée contre la requérante en vertu du paragraphe 35(1) de la Loi sur les pêches en attendant la décision ultime concernant la demande de contrôle judiciaire, ainsi que toute décision finale subséquente de la part du Ministre en exécution du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches.

[7]      Il semble que la mesure de redressement dont peut bénéficier la requérante dépend de la conclusion selon laquelle le Ministre a agi d'une manière manifestement déraisonnable en décidant de ne pas procéder à une évaluation indépendante. Premièrement, la requérante fait valoir que la Politique a créé l'attente légitime qu'une évaluation indépendante aurait lieu. La Cour peut conclure qu'il existe une attente légitime lorsque l'État, par l'entremise de ses fonctionnaires ou de ses politiques, fait la promesse qu'il fournira certaines procédures (par exemple, Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada, [1991] 2 R.C.S. 525). La Politique contient les indications suivantes, à la section 5.2 :

     [TRADUCTION]

     1)      Toute personne qui s'estime lésée par une décision du personnel du Ministère au sujet de l'habitat du poisson peut demander en tout temps que soit examinée la décision des membres des échelons administratifs supérieurs du Ministère, y compris les directeurs généraux régionaux, le sous-ministre ou le ministre des Pêches et des Océans;
     2)      Tout promoteur ou toute partie intéressée qui s'estime lésé par le processus décisionnel peut interjeter appel auprès des membres des échelons administratifs supérieurs du Ministère ou du ministre;
     3)      Lorsqu'un projet d'aménagement d'envergure suscite un différend qui ne peut être réglé, le ministre peut convenir de le soumettre à un organisme ou un comité indépendant pour fins d'étude et de recommandations.

    

[8]      Le mot " peut ", au paragraphe (3), indique clairement que le Ministre a le pouvoir discrétionnaire de soumettre le projet à un examen indépendant. C'est donc dire qu'à moins que le Ministre ait indiqué de quelque façon à la requérante qu'un examen indépendant sera effectué, cette dernière ne peut se plaindre. Aucun des éléments de preuve ne donne à penser que le Ministre a indiqué ou promis de soumettre le projet à un comité d'examen indépendant. Je ne vois donc pas comment la requérante aurait pu s'attendre de manière légitime à ce que le Ministre soumette le projet à un organisme indépendant. Ce motif de contrôle doit être rejeté.

[9]      La requérante a également fait valoir que les circonstances entourant la décision du Ministre de rejeter sa demande soulevaient une crainte raisonnable de partialité. À l'appui de cette prétention, la requérante fait valoir que la décision en question a été influencée par d'autres fonctionnaires chargés de la poursuivre dans le cadre de l'action criminelle. Elle allègue de plus que le Ministre a pris en compte des facteurs non pertinents, c'est-à-dire la poursuite criminelle en cours et la croyance qu'une autorisation ne peut être rétroactive. Les intimés répliquent qu'étant donné que le Ministre est chargé d'autres fonctions prévues par la loi, la requérante devrait être consciente que le Ministre n'est peut-être pas tout à fait indépendant et impartial.

[10]      Je répondrais à la prétention de la requérante en faisant remarquer tout d'abord qu'il incombe au Ministre d'appliquer toutes les dispositions de la Loi sur les pêches. Il était donc raisonnable à ce dernier de prendre en considération la poursuite criminelle au moment de décider s'il ferait droit à la demande de la requérante de soumettre le projet à un examen indépendant. En fait, la contribution limitée du procureur a été nécessaire pour que le Ministre prenne une décision appropriée. Ce dernier devrait être conscient de l'effet qu'une telle décision peut avoir sur une poursuite qu'il engage.

[11]      Quant à la question de l'effet rétroactif d'une autorisation, la réponse réside dans un examen attentif du texte de l'article 35 de la Loi sur les pêches, qui est le suivant :

     35.(1) Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.
     (2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux personnes qui détériorent, détruisent ou perturbent l'habitat du poisson avec des moyens ou dans des circonstances autorisés par le Ministre ou conformes aux règlements pris par le gouverneur en conseil en application de la présente loi.

[12]      Le paragraphe 35(2) montre qu'une personne contrevient au paragraphe (1) en détériorant, détruisant ou perturbant l'habitat du poisson, à moins d'avoir obtenu l'autorisation du Ministre. L'emploi du mot " autorisés " indique que, pour éviter d'enfreindre le paragraphe (1), l'ouvrage ou l'entreprise en question doit avoir été autorisé au moment où il est exécuté. La loi ne dit pas " autoriser " ou " sera autorisé " ou " peut être autorisé ", ce qui pourrait donner à penser qu'une autorisation ultérieure suffirait. Je crois donc que, selon n'importe quelle interprétation raisonnable de la disposition législative, il est nécessaire que l'autorisation ait déjà été donnée pour que l'on puisse se prévaloir de la protection qu'accorde le paragraphe 35(2).

[13]      La requérante a fait valoir aussi que le Ministre ne lui a pas donné la possibilité de répondre à toutes les préoccupations soulevées. Il est clair toutefois que la requérante et le Ministre ont régulièrement correspondu pendant tout le processus. La requérante a certainement eu une possibilité plus que suffisante de faire valoir sa cause durant toute cette période. Si elle a omis de présenter des éléments de preuve importants durant ce temps, il se doit d'accepter l'issue.

[14]      En dernier lieu, je signale que la requérante a soumis sa demande au Ministre le 16 janvier 1997, soit près d'un an après que ce dernier a refusé de donner son autorisation. La requérante n'a pu justifier ce délai de manière raisonnable. Par conséquent, même si les arguments de la requérante étaient fondés, je conclurais quand même qu'il est nettement trop tard pour se plaindre du refus de soumettre le projet à une étude indépendante.

[15]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est refusée. Il s'ensuit que la demande de suspension ou d'interdiction des procédures criminelles en cours est elle aussi rejetée. Aucune ordonnance n'est rendue quant aux dépens.

     " James A. Jerome

                                 J.C.A.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

_______________________________

F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURES INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-828-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Société canadienne des ports

                     c. Le ministre des Pêches et des Océans et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          15 juillet 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME

EN DATE DU :              21 novembre 1997

ONT COMPARU

Me David Estrin

Me Evan Atwood                  POUR LA REQUÉRANTE

Me Jim Leising

Me Cassandra Kirewski              POUR L'INTIMÉ

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Gowling, Strahy & Henderson

Avocats et procureurs              POUR LA REQUÉRANTE

Me George Thomson

Sous-procureur général du Canada          POUR L'INTIMÉ
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