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Date : 20040903

Dossier : T-1821-02

Référence : 2004 CF 1215

ENTRE :

                                                          KRAFT CANADA INC.

KRAFT FOODS SCHWEIZ AG et

KRAFT FOODS BELGIUM SA

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                      EURO EXCELLENCE INC.

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

   (Rendus oralement à l'audience et révisés par la suite sur le plan de la syntaxe et de la clarté)

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Euro Excellence vend ou distribue au Canada la gamme de produits de confiserie Toblerone et Côte d'Or. En mai dernier, j'ai conclu que ces activités violaient les droits de Kraft quant à des illustrations protégées par le droit d'auteur, lesquelles figuraient sur les papiers d'emballage de tablette de chocolat, notamment l'ours au sein d'une montagne de Toblerone et l'éléphant de Côte d'Or. J'ai interdit à Euro Excellence de continuer à commercialiser les produits dans leurs emballages originaux, à moins que les papiers d'emballage ne soient modifiés de manière à éviter la contrefaçon.


[2]                Euro Excellence a tenté de rendre les papiers d'emballage libre de contrefaçon en couvrant le produit protégé par un droit d'auteur avec un film plastique autocollant opaque qui cache l'oeuvre artistique.

[3]                En juin, on m'a demandé de donner des directives quant à la méthode préconisée. Kraft craignait que le film plastique puisse être retiré par un détaillant qui désirerait, par exemple, démontrer qu'il vend le produit authentique. Je n'ai pas eu à me casser la tête avec les inquiétudes de Kraft car j'ai été incapable de soulever le film plastique avec mes ongles. J'ai approuvé la tablette Toblerone de 100 g et deux des trois tablettes Côte d'Or que j'ai examinées. La tablette Côte d'Or Intense de 100 g n'a pas passé le test parce que deux des éléphants figurant sur le papier d'emballage étaient encore visibles. L'un était un éléphant brun foncé figurant au sein de l'illustration d'un morceau de la tablette de chocolat. Même si cet éléphant était brun foncé alors que les autres éléphants étaient blancs, l'oeuvre artistique avait la forme d'un éléphant, d'une autre couleur cependant, et j'ai par conséquent déclaré que l'éléphant brun chocolat devrait être recouvert. L'autre problème était que l'un des éléphants blancs était légèrement en relief et que sa forme était toujours visible sous un certain éclairage même s'il avait été recouvert.


[4]                Les parties ont demandé d'autres directives. Je dois décider si Euro Excellence a maintenant réussi à recouvrir l'éléphant brun et la forme de l'éléphant blanc en relief sur la tablette Côte d'Or Intense de 100 g. Je dois également réexaminer la facilité avec laquelle le film plastique peut être retiré des papiers d'emballage en question car Kraft prétend que le film plastique ou la méthode adhésive diffèrent du film plastique ou de la méthode adhésive qui ont été utilisés sur les tablettes que j'ai examinées en juin. En conformité avec mon ordonnance de juin, Euro Excellence a fait parvenir à Kraft des échantillons des produits en litige afin que celle-ci puisse prendre sa propre décision quant à savoir si les papiers d'emballage contrevenaient ou non au droit d'auteur. A. Louise McLean, de Kraft, a effectué un test avec les ongles et a conclu que le film recouvrant la majorité des tablettes pouvaient facilement être retiré, exposant ainsi l'oeuvre artistique. D'autres films pouvaient facilement être retirés, mais pas sans que l'oeuvre artistique ne soit soulevée ou endommagée.

[5]                Euro Excellence prétend qu'elle n'a apporté aucune modification au film plastique ainsi qu'à ses propriétés adhésives. Toutefois, le design du film couvrant la tablette banana snack de 47,5 g ainsi que ses équivalents a été modifié. Elle utilise les services de la même société qui a produit les échantillons que j'ai examinés en juin.

[6]                Premièrement, je vais examiner l'oeuvre artistique qui figure sur la Côte d'Or de 100 g dont les échantillons n'avaient pas été bien couverts en juin. J'ai examiné deux nouvelles tablettes et j'estime que l'éléphant blanc en relief et l'éléphant brun ne sont plus visibles. En effet, Kraft ne prétend pas qu'ils le sont.

[7]                Le problème réside dans la facilité avec laquelle le film plastique peut être retiré. J'ai une fois de plus soumis un certain nombre de tablettes à un test en audience publique hier, le 2 septembre, à Montréal. Les résultats sont annexés aux présentes.

[8]                À la différence des échantillons de juin, dans certains cas, mais pas dans tous, j'ai été capable de retirer le film. Toutefois, les tablettes n'ont pas conservé leur état originel. Les bouts de la tablette Côte d'Or banana snack de 47,5 g étaient presque dans leur état originel. Dans certains cas, j'ai dû exercer une telle pression pour retirer le film que j'ai brisé la tablette de chocolat. Dans un autre cas, mon ongle a traversé le papier d'emballage ainsi que le papier métallique, exposant ainsi le chocolat. J'ai arraché les têtes d'éléphant et j'ai laissé des marques sur les papiers d'emballage.

[9]                M. Renaud, de Kraft, a fait la même chose que moi, tablette par tablette. Il a retiré le film plastique avec plus de facilité et il doit être félicité quant à l'agilité de ses doigts. Toutefois, d'autres personnes peuvent effectuer cet exercice non scientifique de façon très malhabile.

[10]            J'ai cru bon d'examiner à nouveau les tablettes que j'avais inspectées en juin, ce que nous avons fait aujourd'hui à, Ottawa, ce vendredi 3 septembre.


[11]            Même si, en général, j'ai trouvé plus difficile de retirer le film des échantillons de juin, à ma surprise, dans un cas au moins, c'est-à-dire dans le cas de la tablette Intense de 100 g, j'ai pu difficilement retirer le film, et dans le cas du dernier échantillon, j'ai été incapable de retirer le film. Il y a plusieurs éléments qui entrent en ligne de compte, notamment l'âge de la colle, la pression avec laquelle elle est appliquée, la texture du papier d'emballage du dessous. Je ne sais pas.

[12]            La modification concernant la tablette de 47,5 g est que, en juin, les éléphants figurant aux deux extrémités étaient couverts par un film distinct que j'ai pu retirer aujourd'hui mais pas sans endommager le papier d'emballage du dessous. Dans la nouvelle version, il n'y a simplement qu'un film plastique global qui est de forme rectangulaire avec un rabat à chaque extrémité pour couvrir les éléphants figurant sur le bord. J'ai pu retirer ce seul film, mai j'ai grandement endommagé le papier d'emballage originel.

[13]            Je ne doute pas qu'Euro Excellence tente de bonne foi de faire en sorte que ses papiers d'emballage ne contreviennent pas au droit d'auteur. En effet Kraft ne met pas en doute sa bonne foi. Il ne fait aucun doute que le film plastique n'a pas été conçu pour être retiré. Nous ne parlons pas des commentaires sur « Post-it ® » . Il nous importe peu de savoir ce que le consommateur fera en bout de ligne avec le papier d'emballage. Le problème est qu'un commerçant qui le désirerait vraiment, pourrait enlever le film superposé.

[14]            Pourquoi un commerçant ferait-il cela? Il est admis en l'espèce que l'oeuvre artistique en question a une valeur commerciale. On peut facilement imaginer qu'un commerçant pourra enlever le film plastique afin de montrer aux clients qu'il vend le produit authentique.

[15]            Kraft prétend, et je l'accepte, que mes propres tentatives désintéressées d'enlever le film ne se comparent pas aux tentatives d'un marchand intéressé qui, avec de la pratique et de l'expérience, obtiendrait de meilleurs résultats, comme ce fut le cas pour Mme McLean.

[16]            Toutefois, j'estime que Kraft s'inquiète un peu trop lorsque l'on prend en compte le temps, les efforts et la marchandise endommagée. J'ai du mal à penser qu'un consommateur paierait plein prix pour une tablette de chocolat endommagée ou pour une tablette dont le papier d'emballage est endommagé.

[17]            Kraft, et c'est tout à son honneur, a produit un certain nombre d'échantillons qu'elle a achetés dans un point de vente à Ottawa. Ces échantillons spécifiques n'avaient de toute évidence pas été altérés par le commerçant.


[18]            En conclusion, j'estime que les mesures prises par Euro Excellence pour que les papiers d'emballage ne contreviennent pas aux droits d'auteur respectent l'esprit et la lettre des ordonnances que j'ai rendues le 3 mai et le 9 juin 2004. Je ne crois pas que le fait qu'un certain nombre de films plastiques pouvaient être retirés plus facilement hier qu'en juin soit une preuve convaincante de leurre de sa part.

[19]            Euro Excellence sollicite l'adjudication des dépens sur la base avocat-client. Kraft avait à l'origine rejeté les échantillons qui lui avaient été envoyés sur-le-champ en août. Elle a toutefois nuancé sa position un peu plus tard dans l'affidavit de Mme McLean et, comme je l'ai mentionné, elle a produit des échantillons non altérés achetés chez un commerçant. Bien que j'adjuge à Euro Excellence les dépens de la présente requête, je n'adjuge pas de dépens sur une base avocat-client. Bien que Kraft fasse un peu de zèle quant aux efforts qu'elle déploie pour protéger ses intérêts, on ne pas dire que ceux-ci sont abusifs.

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                                   ANNEXE

Tentatives de la part du juge Harrington de retirer le film plastique des papiers d'emballage originels des tablettes Côte d'Or et Toblerone, les 2 et 3 septembre 2004.

1.         Tablette Côte d'Or de 100 g

Deux tablettes ont été analysées le 2 septembre. Le film qui se trouvait sur le dessus a été retiré. L'éléphant figurant sur la bordure du haut au recto était visible, comme d'ailleurs l'éléphant figurant sur la bordure du bas. Toutefois, l'éléphant figurant sur le dessus de la tablette, l'éléphant en relief, lequel était également recouvert d'un quelconque matériel rouge et épais, a été arraché avec le plastique. Le plastique situé au même endroit sur la deuxième tablette a été retiré avec plus ou moins les mêmes résultats, sauf qu'il est resté de la colle.

L'éléphant brun figurant sur la partie inférieure au recto du papier d'emballage originel était recouvert d'un autocollant différent. Malgré certaines difficultés, j'ai été capable de retirer le film, mais dans les deux cas j'ai cassé la tablette en deux et de la colle ainsi que des marques sont demeurées visibles sur le papier d'emballage originel. L'éléphant brun était visible.

Le 3 septembre, j'ai examiné de nouveau la tablette Côte d'Or de 100 g qui avait été produite comme pièce 2 en juin. J'ai tenté de retirer le film plastique à partir du bas au recto de la tablette. J'ai été capable de le retirer avec difficulté et j'ai écorché le papier d'emballage originel. J'ai comparé les résultats avec une partie de la tablette de 100 g qui avait été produite le 2 septembre mais qui était demeurée intacte. Bien que j'aie pu introduire mes ongles en dessous, j'ai été incapable de le retirer. Il était plus résistant que dans le cas de la tablette de juin.

2.         Tablette Côte d'Or de 200 g

Aucune tablette de la sorte n'a été produite en juin, mais une l'a été le 2 septembre. J'ai été incapable de retirer le film plastique. En fait, j'ai déchiré le papier d'emballage et le papier métallique, exposant ainsi la tablette de chocolat. Quant à l'éléphant brun figurant en bas au recto, j'ai été incapable de trouver où le film plastique commençait et où il se terminait.

3.         Mignonnette 10 g

J'ai été capable de retirer le film le 2 septembre mais j'ai fait du dégât car une partie du papier d'emballage est resté après l'autocollant. L'éléphant était visible, mais j'ai arraché sa tête. J'ai soumis à un test d'autres Mignonnettes que Kraft avait achetées sur le marché libre à Ottawa. Malgré certaines difficultés, j'ai pu insérer mes ongles sous le film et j'ai été capable de le retirer. Dans un cas, toutefois, le papier d'emballage originel a subi des marques. Dans un autre cas, il est apparu une déchirure à l'endroit où figuraient les défenses de l'éléphant et dans le troisième cas, j'ai écorché l'étiquette près de la queue de l'éléphant.


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4.         Tablette Côte d'Or banana snack 47,5 g

Dans le cas de l'échantillon de juin, les éléphants figurant à chaque extrémité de la tablette étaient recouverts par des autocollants distincts. J'ai été capable de les retirer le 3 septembre, mais des éraflures sont demeurées sur le papier d'emballage originel. Les éléphants étaient visibles.

Le 2 septembre, j'ai commencé à lever aux deux extrémités de la tablette ce que je croyais être des autocollants distincts. Je n'ai eu aucune difficulté à commencer le retrait mais j'ai arrêté dès que j'ai commencé à voir les éléphants. Encore une fois, j'ai fait des marques d'écorchure sur le papier d'emballage originel.

On a toutefois souligné que, dans le cas des derniers échantillons, la tablette banana de 47,5 g n'est recouverte, pour cacher les éléphants, que d'un seul film plastique de forme rectangulaire avec des rabats aux deux extrémités. Le 3 septembre, j'ai été capable de retirer tout le film plastique mais j'ai grandement endommagé le papier d'emballage originel.

5.         Toblerone

Le 2 septembre, j'ai examiné une tablette de 200 g. J'ai été capable d'arracher le plastique. En dessous du plastique se trouve un morceau de papier, de forme triangulaire, qui masque la montagne et l'ours. Après avoir arraché le film, je pouvais voir la montagne ainsi que l'ours mais j'avais grandement tordu le papier d'emballage originel ce qui l'avait rendu peu attirant.

Le 3 septembre, j'ai examiné de nouveau la tablette de 100 g qui avait été présentée en juin. J'ai été capable de lever un peu le film plastique puis j'ai été incapable de continuer. J'ai utilisé des ciseaux et j'ai commencé à couper le plastique. Toutefois, le morceau de papier triangulaire du dessous a commencé à s'enlever mais il est resté de la colle blanche de telle sorte que j'étais incapable de voir la montagne.

Le 3 septembre, j'ai fait subir un test à une autre tablette de 200 g. J'ai été capable d'arracher le film plastique assez facilement, mais comme dans le cas de la tablette de 100 g, le disque triangulaire était tel qu'une partie a été enlevée avec l'autocollant et une partie est restée sur le papier d'emballage originel de telle sorte que j'étais incapable de voir l'ours figurant au sein de la montagne. J'ai ensuite inséré mon doigt en dessous de la partie restante du morceau triangulaire, je l'ai levée et j'ai vu l'ours figurant au sein de la montagne. On pouvait cependant qualifier ce qui restait de « sacré » gâchis.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-1821-02

INTITULÉ :                                                 KRAFT CANADA INC.

KRAFT FOODS SCHWEIZ AG et

KRAFT FOODS BELGIUM SA

et

EURO EXCELLENCE INC.

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                           MONTRÉAL (QUÉBEC)

et OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                         LES 2 ET 3 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :           LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                LE 3 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Arthur Renaud                                                POUR LA DEMANDERESSE

François Boscher                                            POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & McKay

Toronto (Ontario)                                           POUR LA DEMANDERESSE

François Boscher

Montréal (Québec)                                         POUR LA DÉFENDERESSE


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