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Date : 19980713


Dossier : T-646-98

ENTRE

     DANIEL P. CREIGHTON,

     demandeur,

     et

     STEFAN FRANKO, DAVID & SUSAN GRANT, CANADIAN

     IMPERIAL BANK OF COMMERCE, MARY, FREDERICK ET

     KATHLEEN BOYCHUCK, CAMBRIDGE WESTERN LEASEHOLDS

     LIMITED, EDMUND ET SYLVIA MOROSHKYN,

     intimés.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE

JOHN A. HARGRAVE

[1]      Par voie d"ordonnance rendue le 26 juin 1998, j"ai radié cet acte de procédure déplorable et abusif au motif de défaut de compétence. À l"audition, ont été abordés les arguments des intimés au sujet du principe de la chose jugée et de la préclusion (incluant la préclusion réelle) de même que le principe selon lequel la Cour fédérale ne peut remettre en cause, à l"occasion d"une contestation parallèle, les ordonnances des cours supérieures de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, lorsqu"elles agissent dans l"exercice de leur compétence. J"ai mentionné que les motifs seraient prononcés ultérieurement.

LE CONTEXTE

[2]      Par l"intermédiaire de sa compagnie, Creighton Holdings Ltd. (aussi appelée la compagnie), M. Creighton était propriétaire de terrains en Saskatchewan et en Colombie-Britannique de 1974 à 1989 environ. Les terrains étaient hypothéqués pour garantir un prêt d"un montant considérable consenti par la Saskatoon Credit Union (aussi appelé la Credit Union).

[3]      M. Creighton et la compagnie ont éprouvé des difficultés financières en 1983, ce qui a donné lieu à un jugement rendu au début de 1984 par la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui concluait au manquement à leurs obligations contractuelles. En conséquence, la Credit Union a nommé un séquestre en mars 1984, mais après avoir découvert que, contrairement à l"engagement de M. Creighton, les biens de la compagnie étaient loués à un prix dérisoire, elle a fait nommer par la cour un séquestre officiel en Saskatchewan en avril 1984 et, s"appuyant sur le motif de la dilapidation probable, elle a aussi fait nommer un séquestre officiel en Colombie-Britannique.

[4]      Au cours des années suivantes, il y a eu une prolifération de procédures judiciaires entre, d"une part, la Credit Union et, d"autre part, M. et Mme Creighton et la compagnie. Parmi les procédures intentées se trouvent des actions déposées auprès de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan et de la Cour d"appel de la Saskatchewan ainsi qu"une affaire de cession frauduleuse entendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique et portée partiellement en appel auprès de la Cour d"appel de cette province. Le résultat de tout cela est que la Credit Union est devenue propriétaire des bien situés en Saskatchewan par suite d"une vente en justice, et que les biens situés en Colombie-Britannique ont été vendus en vertu d"une ordonnance de la Cour suprême de cette province; en majeure partie à deux compagnies numériques et, quant au reste, à M. et Mme Langdale. Ces différentes ventes ont eu lieu en 1989. À l"occasion des procédures, M. Creighton a fait l"objet, en qualité de plaideur téméraire, d"ordonnances rendues par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, par la Cour d"appel de la cette province et par la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan.

[5]      Pour terminer l"énumération des opérations relatives aux terrains, il faut préciser que les défendeurs ont acquis les terrains directement de la Credit Union ou, dans le cas de M. et Mme Moroshkyn, des Langdale tandis que la Banque canadienne impériale de commerce (aussi appelée la CIBC) et Cambridge Western Leaseholds Limited (aussi appelée Cambridge Western) sont créanciers hypothécaires des terrains en question.

[6]      Après avoir porté de nombreuses accusations criminelles contre l"avocat de la Credit Union, lesquelles ont toutes été suspendues par le procureur général de la Saskatchewan, M. Creighton a, le 11 juin 1991, produit au greffe de la Cour à Ottawa sa première action (sous le numéro T-1665-91), par laquelle il demandait une ordonnance enjoignant aux registrateurs des titres de Saskatoon (Saskatchewan) et Kamloops (Colombie-Britannique) d"inscrire la compagnie comme propriétaire de différents terrains et immeubles. Un mois plus tard, M. Creighton s"est désisté de cette action mais, en même temps, il a déposé une action similaire dans le dossier T-1898-91. Plusieurs défendeurs ont demandé le rejet de cette dernière pour défaut de compétence. M. Creighton a produit des arguments écrits dans lesquels il invoquait notamment l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale , qui établit la compétence de la Section de première instance dans tous les cas - opposant notamment des administrés - où aucun autre tribunal constitué en vertu des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 n"a compétence. En octobre 1991, le juge Dubé a rejeté la seconde action pour défaut de compétence. Ne se laissant pas démonter par le rejet de son action, M. Creighton a fait une demande de jugement par défaut, que la Cour a refusé d"examiner.

[7]      En 1993, M. Creighton a tenté en vain de faire annuler le rejet de sa seconde action par voie de procédures ex parte, et il a déposé une troisième action en octobre 1993 dans le dossier T-2392-93. Dans une requête ex parte, il a soutenu que la défenderesse Credit Union n"avait pas l"intérêt nécessaire pour faire valoir ses prétentions auprès de la Cour. Cette demande a été rejetée par le juge en chef adjoint, qui a néanmoins rendu une ordonnance autorisant le demandeur à déposer son action et à la faire signifier à toutes les parties visées dans un délai de soixante jours. M. Creighton a interjeté appel de cette ordonnance, ce qui a entraîné la prorogation du délai.

[8]      M. Creighton a de nouveau tenté de faire renaître sa seconde action en essayant d"obtenir un jugement par défaut : en mai 1994, le juge Rouleau a ordonné que le dossier T-1898-91 [TRADUCTION] " soit fermé définitivement car la Cour a jugé ne pas avoir compétence ". Vers la fin de 1994, M. Creighton a déposé un avis de désistement de l"appel qu"il avait interjeté à l"encontre de l"ordonnance du juge en chef adjoint dans la troisième action ainsi qu"un avis de désistement de l"action elle-même.

[9]      En mars dernier, M. Creighton a écrit à la Cour pour demander la fixation d"une date et d"une heure d"audition dans le dossier T-2392-93, soit celui contenant la troisième action, dont il s"était désisté. Cela nous amène à la présente instance que M. Creighton, se représentant lui-même, a instituée le 9 avril 1998.

[10]      Dans cette quatrième action, M. Creighton demande, par avis de requête introductive d"instance, une ordonnance de la Cour enjoignant aux registrateurs des bureaux du cadastre de Saskatoon et de Kamloops d"annuler les certificats de titre relativement aux parties de terrains qui sont en litige depuis environ 14 ans et de délivrer de nouveaux certificats de titre, libres de toute hypothèque consentie par les propriétaires actuels, au nom de la compagnie Creighton Holdings Ltd. M. Creighton désire également qu"un blâme soit porté à l"endroit de la Saskatoon Credit Union Ltd. pour ce qu"il prétend être des contraventions à la Loi sur l"examen de l"endettement agricole et à la Loi de l"impôt sur le revenu et pour truquage des offres au sens de la Loi sur la concurrence. Or, la Credit Union n"est pas partie aux présentes procédures.

[11]      M. Creighton a d"abord tenté de faire en sorte que son avis de requête introductive d"instance soit entendue au fond lors de l"audition fixée le 11 mai 1998 et d"une durée prévue d"une demi-heure. J"ai ordonné que l"audition ne porte que sur la demande des parties désireuses de reporter l"affaire à une séance extraordinaire. À l"audition de la requête le 11 mai, M. Creighton croyait toujours que sa demande visant les terrains devait être tranchée sur-le-champ dans le laps de temps alloué. Les avocats des défendeurs ont signalé que l"affaire pourrait, au mieux, durer un certain nombre de jours, mais que des questions relatives à la compétence et à la chose jugée pouvaient être examinées dans l"espace d"une journée et vraisemblablement régler le litige. Une requête en radiation de l"avis de requête introductive d"instance soulevant ces questions était présentable le 26 juin 1998.

LA PRÉSENTE REQUÊTE

[12]      Les dossiers de la requête, dont les moyens et les autres documents à l"appui, qui ont été déposés au nom de la Banque canadienne impériale de commerce et de Cambridge Western Leaseholds Limited, démontrent un haut niveau de professionnalisme quant à la façon de présenter une requête en radiation fondée sur le défaut de compétence et le principe de la chose jugée. Les affidavits produits au soutien de la requête sont exhaustifs tandis que la recherche de jurisprudence et de documentation pertinente est impressionnante.

[13]      À l"opposé, M. Creighton a décidé de ne produire aucun document. Il a prétendu qu"étant donné que les défendeurs non institutionnels, qui possèdent actuellement les terrains en question, n"ont pas déposé d"affidavits quant au fond et que cela le privait de son droit de les interroger sur affidavit, il a décidé de ne rien produire. Cela est exposé partiellement dans la lettre reçue par le greffe de Vancouver le soir du 25 juin 1998, soit la veille du début de la séance extraordinaire.

[14]      Dans cette lettre, dont la Cour a eu connaissance le matin du 26 juin, M.Creighton mentionnait qu"il ne serait pas présent à l"audition de la requête en radiation mais qu"il désirait participer par téléphone : une demande faite dans un délai si court sans motif sérieux serait normalement inacceptable mais, vu la présence d"un certain nombre d"avocats et de parties, j"ai ordonné que l"on procède à la requête.

[15]      Par téléphone, M. Creighton a déclaré qu"il ne produisait pas ses observations écrites car M. Franko, les Grant, les Boychuck et les Moroshkyn ne lui avaient signifié aucun document. M. Creighton n"a pas semblé comprendre qu"à cette étape, ces derniers n"avaient pas l"obligation de défendre leurs intérêts à l"égard des terrains ou d"aborder le fond de sa demande en déposant de la documentation, mais qu"il s"agissait plutôt d"une requête portant sur des questions de procédure, soit son droit d"instituer la présente instance.

[16]      M. Creighton a demandé une remise, ce que je lui ai refusé. Il a mentionné qu"il n"écouterait pas un commentaire de plus et que, de toutes façons, il interjetterait appel. Il a dit qu"il ne participerait pas à l"audition et a raccroché.

[17]      Si on en juge par ses requêtes ex parte à répétition, par sa tentative de faire trancher une demande importante au fond en trente minutes et par son attitude quant aux questions de procédure légitimement soulevées, il est clair que M. Creighton ne saisit pas le principe que, bien qu"un demandeur ait le droit de s"adresser aux tribunaux pour obtenir réparation, il doit aussi faire face non seulement aux moyens de défense au fond, mais également à toute question de procédure raisonnable soulevée par les défendeurs. De toutes manières, bien que prévenu qu"il nuirait à ses chances s"il refusait de participer à l"audition de la présente requête, M. Creighton a néanmoins choisi cette voie et décidé de compter sur un appel qui, vu ce refus, pourrait fort bien n"être qu"illusoire.

ANALYSE

[18]      Je me penche d"abord sur la possibilité pour la Cour de radier un avis de requête introductive d"instance. En général, la procédure appropriée consiste à contester l"affaire à l"audition ultérieure, sauf en présence de circonstances exceptionnelles.

[19]      Cette question a été examinée par la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. (1995) 176 N.R. 48, qui n"a toutefois pas décidé si un avis de requête introductive d"instance pouvait être radié en vertu de la règle des lacunes et des nouvelles règles 4 et 221, cette dernière autorisant la radiation des actes de procédures. La Cour d"appel était d"avis qu"il n"y avait pas nécessairement de lacune dans les Règles de la Cour fédérale, car " ... le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d"instance qu"elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l"audition de la requête même " (p. 52). Le juge Strayer a poursuivi en laissant la possibilité de radier un avis de requête introductive d"instance dans le cas exceptionnel où il est manifestement irrégulier au point de n"avoir aucune chance d"être accueilli:

     Nous n"affirmons pas que la Cour n"a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit pas analogie avec d"autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n"avoir aucune chance d"être accueilli (par exemple, Cynamid Agricultural de Puerto Rico Inc. c. Commissaire des brevets et autre (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); et l"analyse figurant dans la décision Vancouver Island Peace Society et al. c. Canada (Ministre de la Défense nationale) et al. , [1994] 1 C.F. 102; 64 F.T.R. 127, aux pages 120 et 121, C.F. (1re inst.)). Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l"avis de requête.         

[20]      Par la suite, dans Canadian Pasta Manufacturers' Association c. Aurora Importing & Distributing Ltd., une décision non publiée du 23 avril 1997 dans le dossier A-252-97, la Cour d"appel fédérale a radié une demande de contrôle judiciaire au motif que celle-ci n"avait aucune chance d"être accueillie. J"arrive à une conclusion similaire : il s"agit d"un cas exceptionnel, la demande de M. Creighton étant manifestement irrégulière au point de n"avoir aucune chance d"être accueillie. J"aborde maintenant certains des différents moyens de procédure soulevés par les défendeurs.

[21]      Bien que les défendeurs puissent soulever divers moyens de procédure, la demande souffre de deux erreurs de principe qui risquent d"être fatales. Elles ont toutes deux trait à la compétence, mais d"un angle différent. Il s"agit également d"arguments de préclusion bien fondés.

[22]      Poursuivant un peu plus loin, se pose d"abord la question de savoir si la Cour fédérale a compétence ratione materiae, étant donné qu"un simple regard sur l"objet de la demande soulève un doute quant à la compétence de la Cour. Ensuite, dans l"hypothèse où la Cour a bel et bien compétence, il s"agit de savoir si la demande devrait être rejetée au motif que des tribunaux compétents se sont déjà prononcés sur les mêmes questions entre, d"une part, M. Creighton et sa compagnie et, d"autre part, les défendeurs (entre autres). Ces questions ayant déjà été tranchées par la Cour du Banc de la Reine et la Cour d"appel de la Saskatchewan et par les tribunaux de la Colombie-Britannique, la préclusion empêche donc M. Creighton de les soulever de nouveau au moyen de la présente demande. La réparation demandée par M. Creighton dans les présentes procédures constitue une contestation parallèle des ordonnances et des jugements de tribunaux compétents : la Cour fédérale du Canada n"a pas compétence pour déclarer invalide une ordonnance ou un jugement émanant d"une autre cour supérieure agissant dans l"exercice de sa compétence. M. Creighton est empêché par préclusion de reprendre son action relative aux terrains, surtout si l"on tient compte de la nature des jugements antérieurs, qui sont passés en force de chose jugée.

Compétence de la Cour fédérale du Canada

[23]      Les trois conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale sont énoncées dans l"arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766 :

     1.      Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.         
     2.      Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l"attribution légale de compétence.         
     3.      La loi invoquée dans l"affaire doit être " une loi du Canada " au sens où cette expression est employée à l"art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 .         

Pour que la Cour fédérale ait compétence, ces trois conditions doivent toutes être remplies. Dans le cas présent, la demande présentée par M. Creighton ne satisfait manifestement pas aux deux premières conditions énoncées par la Cour suprême dans International Terminal Operators Ltd.

Compétence attribuée par la loi

[24]      La Cour fédérale étant un tribunal créé par la loi et ne jouissant pas de compétence inhérente, elle doit analyser celle qui lui est conférée par le texte même de la législation fédérale. Cette attribution se trouve plus particulièrement aux articles 17 à 28 de la Loi sur la Cour fédérale. En l"espèce, le demandeur s"appuie sur l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale :

     [TRADUCTION]

     La compétence de la Cour fédérale est conférée par l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale . Aucun autre tribunal constitué n"a la compétence extra-provinciale voulue pour rendre une ordonnance ayant force de chose jugée dans deux provinces (paragraphe 10 de l"avis de requête introductive d"instance).         

M. Creighton renvoie également au paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale, mais ce paragraphe n"est pas pertinent aux fins de l"espèce car il traite des brefs d"exécution. Subsidiairement, M. Creighton fait référence à l"omission de la Credit Union de se conformer à la Loi sur l"examen de l"endettement agricole, à la définition de forclusion prévue à l"article 79 de la Loi de l"impôt sur le revenu et au truquage des offres auquel se serait livrée la Credit Union, contrairement à la Loi sur la concurrence. Ces dispositions attributives de compétence ne sont nullement pertinentes pour divers motifs, dont : premièrement, la Credit Union n"était pas partie aux présentes procédures; deuxièmement, il ressort des documents produits par les défendeurs et des décisions provenant des tribunaux de la Saskatchewan que la compagnie de gestion de M. Creighton n"était que cela et non pas une entreprise agricole au sens de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole; troisièmement, il n"y a eu aucune reprise en paiement mais bien des ventes en justice des terrains; et finalement, l"allégation de truquage des offres est imprécise et a été tranchée il y a longtemps par d"autres cours. Ainsi, l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale est le seul article pertinent à examiner dans le cadre de l"attribution législative de compétence à la Cour. L"article 25 prévoit :

     Article 25 Compétence extra-provinciale         
         25.      La Section de première instance a compétence, en première instance, dans tous les cas - opposant notamment des administrés - de demande de réparation ou de recours exercé en vertu du droit canadien ne ressortissant pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d"une des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 .         

[25]      L"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale s"applique lorsqu"aucun autre tribunal constitué en vertu des Lois constitutionnelles n"a compétence relativement à une demande de réparation ou à un recours. Ainsi, lorsque le demandeur a la possibilité de s"adresser à une cour supérieure d"une province, l"article 25 ne confère aucune compétence à la Cour fédérale : Lower Similkameen Indian Band c. Allison [1997] 1 C.F. 475, aux pages 489 et 490 (1re inst.) et Powderface c. Baptiste (1997) 118 F.T.R. 258, aux pages 265 et suivantes, où après s"être penché sur l"action en dommages intentée par une bande indienne contre des particuliers, le juge Heald a conclu que la Cour n"a pas compétence. Cela est exposé clairement dans Winmill c. Winmill [1974] 1 C.F. 539, à la page 543, où le juge Collier souligne que : " ... l"article 25 ne s"applique que lorsqu"une compétence, au sens de compétence rationae materiae (ou parfois, rationae personae) n"a été conférée à aucun " autre tribunal " par la législation, par les pouvoirs inhérents aux tribunaux ou par quelqu"autres moyens reconnus par lesquels les autres tribunaux sont autorisés à connaître habituellement de certains litiges ou de certaines questions. Lorsqu"il y a une telle lacune et lorsque la réclamation ou le redressement recherché relève du droit du Canada, la Division de première instance de cette cour est alors compétente ". La décision du juge Collier a été confirmée par la Cour d"appel [1974] 1 C.F. 686.

[26]      Revenant à la présente affaire, je dois d"abord circonscrire l"objet de la demande de M. Creighton. Ce dernier l"expose succinctement à la première page du mémoire qu"il a déposé le 9 avril 1998 :

     [TRADUCTION]

     La présente demande vise l"obtention d"une ordonnance de la Cour enjoignant aux registrateurs des bureaux du cadastre des provinces de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique de réinscrire au nom de Creighton Holdings Ltd le titre de certaines parties de terrains qui ont été enlevées au moyen de procédures de prise en paiement et de vente par un administrateur-séquestre.         

Ce qui précède n"est pas tout à fait exact car il n"y a pas eu de prise en paiement, les terrains ayant plutôt été transférés au moyen de ventes en justice. Cependant, il ressort clairement que l"objet de la demande de M. Creighton porte sur des terrains en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.

[27]      Il est manifeste qu"en Saskatchewan, la Cour du Banc de la Reine a compétence en matière immobilière aux termes de la loi ou de façon inhérente. Il en est de même pour la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour les immeubles situés dans cette province. En conséquence, l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale ne s"applique pas à l"objet de la demande de M. Creighton : l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale ne peut fonder l"attribution nécessaire de compétence. Je dois maintenant aborder l"affaire Creighton c. Saskatoon Credit Union Ltd. (1994) 72 F.T.R. 78.

[28]      Dans Creighton c. Saskatoon Credit Union Ltd., à la page 80, le juge en chef adjoint Jerome a laissé en suspens la question de savoir si la Cour fédérale a compétence en vertu de l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale , tout en rejetant les recours ex parte intentés par M. Creighton contre les registrateurs de titres en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Le juge en chef adjoint Jerome a ajouté que la question de la compétence devait être tranchée en bonne et due forme. En effet, dans le cadre de l"action antérieure intentée par M. Creighton dans le dossier T-1898-91, le juge Joyal a clairement exprimé ses doutes quant à la compétence de la Cour : voir la première page de ses motifs non publiés du 24 octobre 1991. Pourtant, la question de la compétence avait été tranchée de façon définitive par l"ordonnance du 7 octobre 1991 rendue par le juge Dubé : [TRADUCTION] " LA COUR ORDONNE le rejet de l"action pour défaut de compétence de la Cour fédérale, ... ". En conséquence, l"argument portant sur la compétence ne peut plus être invoqué.

[29]      L"avocat de la CIBC fait également remarquer que le fait que M. Creighton doive tenter d"obtenir réparation auprès de tribunaux de deux provinces n"a aucune importance car le mot " tribunal " doit être interprété, dans le contexte de l"absence d"un autre tribunal compétent, de façon à comprendre le pluriel " tribunaux " : voir le paragraphe 33(2) de la Loi sur l"interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21. Dans la même ligne de pensée, il faudrait, pour que la présente affaire tombe sous l"attribution législative de compétence prévue par l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale , que M. Creighton démontre qu"aucun autre tribunal canadien n"a compétence, ce qu"il est manifestement incapable de faire. En effet, non seulement les tribunaux de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique ont-ils compétence en matière immobilière dans ces provinces, mais ils ont de fait déjà exercé cette compétence en se prononçant sur toutes les questions pertinentes reliées à la propriété et au titre des terrains : cela ressort clairement des jugements et ordonnances produits par les défendeurs dans le cadre de leurs volumineux affidavits et dans leurs cahiers de documents.

[30]      Il est bien entendu que la Cour du Banc de la Reine et la Cour d"appel de la Saskatchewan n"ont pas compétence à l"égard des terrains situés en Colombie-Britannique et qu"inversement, les tribunaux de la Colombie-Britannique n"ont pas compétence à l"égard des terrains situés en Saskatchewan. Bien que la demande de M. Creighton porte sur des terrains dans les deux provinces et qu"un certain lien puisse exister entre les nombreuses procédures intentées auprès des tribunaux de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, je ne vois pas pourquoi la demande de M. Creighton ne pourrait pas être jugée équitablement si elle faisait l"objet de procédures distinctes devant les tribunaux de ces provinces. Il est vrai que M. Creighton, en sa qualité de plaideur téméraire dans les deux provinces, ne peut instituer de nouvelles procédures sans autorisation. Mais la question est de savoir si ces tribunaux ont compétence pour se pencher sur l"objet des demandes et cela est manifestement le cas. Il faut donc conclure de l"examen de cette question qu"aucune disposition législative ne confère de compétence à la Cour fédérale. J"examine maintenant le second élément du critère, visant le cas où la législation constituerait le fondement de la compétence.

Législation fédérale constituant le fondement de la compétence

[31]      Si je devais me tromper et que l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale devait être considéré comme une attribution de compétence par le Parlement à l"égard des demandes de M. Creighton, la seconde condition essentielle énoncée dans International Terminal Operators Ltd. (précité) ne serait toujours pas respectée. Il n"y a aucun " ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige ". M. Creighton doit s"appuyer sur une demande de réparation ou sur un recours existant en vertu d"une loi fédérale du Canada1, ce qu"il est incapable de faire.

[32]      Aux fins de l"existence d"un recours prévu par la législation fédérale, je résume la présente instance en soulignant que le demandeur a tenté de créer artificiellement une demande en vertu de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole, chap. 33 des Lois du Canada de 1986, en alléguant l"omission de la Credit Union de donner un préavis d"intention de réaliser son hypothèque conformément à l"article 22 de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole. L"article 22 prévoit :

     22. (1) Tout créancier garanti d"un agriculteur doit, avant de réaliser sa sûreté, en donner préavis à l"agriculteur, en la forme et avec les renseignements déterminés par le ministre, en y indiquant qu"un agriculteur insolvable peut présenter une demande d"examen en vertu de l"article 20.         
     (2) Le préavis doit être donné à l"agriculteur de la façon prévue par règlement au moins quinze jours ouvrables avant la prise par le créancier de toute mesure visant la réalisation de sa sûreté. (Non souligné dans l"original)         

En vertu de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole, seul un agriculteur, soit une personne exerçant une activité agricole, a droit à un préavis d"intention de réaliser la sûreté, les termes " agriculteur " et " agriculture " étant définis à l"article 2 de la Loi. Ni l"avis de requête introductive d"instance de M. Creighton ni son affidavit du 2 avril 1998 n"allèguent que la compagnie a déjà été un " agriculteur " au sens de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole. D"ailleurs, il existe de la documentation importante à l"effet contraire. Le juge Barclay, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, a conclu que Creighton Holdings Ltd. n"était pas un " agriculteur " mais plutôt une compagnie de gestion et un promoteur immobilier, et qu"à ce titre, elle n"avait droit à aucune réparation en vertu de la Saskatchewan Farm Land Security Act , 1985 Statutes of Saskatchewan, chap. F-8.01 (motifs rédigés à la main de l"ordonnance du 8 juillet 1986 du juge Barclay et ordonnance du 23 juillet 1986 onglets 7 et 8 du cahier de documents de la CIBC).

[33]      La définition des termes " terre agricole ", " agriculteur " et " agriculture " prévue dans la Saskatchewan Farm Land Security Act2 est similaire à celle de " agriculteur " et

" agriculture " qui est prévue par la Loi sur l"examen de l"endettement agricole3. Vu la similarité des définitions et la conclusion selon laquelle Creighton Holdings Ltd. n"était pas un agriculteur, la compagnie n"avait pas droit au préavis prévu par l"article 22 de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole. Il s"agit d"une question fallacieuse par laquelle M. Creighton a tenté d"établir une cause d"action aux termes d"une loi fédérale.

[34]      Le fait que la compagnie puisse avoir été propriétaire envers un agriculteur n"est d"aucune utilité car le propriétaire qui n"est pas agriculteur ne peut invoquer la Loi sur l"examen de l"endettement agricole : voir à titre d"exemple Mayer v. Polsin (1992) 11 O.R. (3d) 216 (Cour divisionnaire de l"Ontario).

[35]      Pour résumer cette analyse de la législation fédérale attributive de compétence, j"estime que M. Creighton n"a présenté aucune demande de réparation et n"a pas exercé de recours au nom de la compagnie contre les défendeurs aux termes de la Loi sur l"examen de l"endettement agricole ou de toute autre loi fédérale. En conséquence, M. Creighton ne peut recourir à la Cour fédérale pour qu"elle tranche le présent litige, aucune loi fédérale ne pouvant fonder une demande de réparation ou un recours de sa part. J"aborde maintenant le principe de la chose jugée.

Le principe de la chose jugée et la préclusion

[36]      Au sens large du terme, le principe de la chose jugée ne se limite pas à sa signification traditionnelle, mais comprend aussi les principes juridiques de la préclusion de question en litige et de cause d"action et de l"interdiction de contestations parallèles des jugements et ordonnances d"une cour supérieure par une autre.

[37]      Tout d"abord, le principe général de la chose jugée, énoncé dans Re Ontario Sugar Co. (1910) 22 O.L.R. 621 at 623 (H.C.J.) (confirmé par 24 O.L.R. 332, autorisation d"interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée (1911), 44 R.C.S. 659), prévoit :

     [TRADUCTION]

     Aucun tribunal ne doit entendre une affaire ou une question en litige dans laquelle l"objet réel du litige a fait l"objet réel du litige dans une affaire antérieure entre les mêmes parties ou entre des parties auxquelles les parties actuelles, ou l"une d"entre elles, prétendent succéder, et qui a déjà été entendue par un tribunal compétent pour entendre l"affaire ultérieure ou l"affaire dans laquelle la question en litige a été soulevée ultérieurement, et a été entendue et tranchée de façon définitive par ce tribunal (Sopinka et Lederman dans The Law of Evidence in Canada , 1992, à la page 989).         

[38]      Le principe de la chose jugée prévient non seulement le réexamen de questions déjà tranchées dans des litiges antérieurs entre les parties, mais empêche aussi une partie de soulever des questions ou des moyens de défense qui auraient dû l"être à cette occasion. Ce principe a été clairement établi par le Vice-Chancellor Wigram dans Henderson v. Henderson (1843) 3 Hare 99, à la page 115; 67 E.R. 313, à la page 319, dans un extrait cité par Sopinka et Lederman (précité) à la page 998 :

     [TRADUCTION]

     Sauf en présence de cas exceptionnels, le principe de la chose jugée s"applique non seulement aux éléments sur lesquels les parties ont demandé au tribunal de se prononcer, mais aussi à chacun des éléments qui faisaient logiquement partie de l"objet du litige et que des parties raisonnablement diligentes auraient pu soulever à l"époque.         

Ce principe a été appliqué par la suite dans Yat Tung Investment Co. Ltd. v. Dao Heng Bank Ltd. [1975] A.C. 581, à la page 590, et dans Borley c. Fraser River Harbour Commission (1995) 92 F.T.R. 275, à la page 279. En pratique, les questions soulevées en l"espèce étaient les mêmes que celles abordées dans le cadre de l"action déposée par la Credit Union auprès de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan et que celles dont étaient saisis les tribunaux de la Colombie-Britannique. Subsidiairement, il incombait à M. Creighton et la à compagnie de soulever chacun des éléments liés au litige quant à leur défense à l"encontre des procédures de vente en justice instituées par la Credit Union, à défaut de quoi ils perdaient à tout jamais la possibilité de le faire.

[39]      Il faut naturellement répondre à la question de savoir si les questions en litige soulevées dans les procédures antérieures en Saskatchewan et en Colombie-Britannique étaient entre les mêmes parties. Deux réponses s"imposent. Premièrement, M. Creighton et la compagnie peuvent, à toutes fins pratiques, être considérées comme une seule partie. En l"espèce, les défendeurs ont un intérêt, en tant que successeurs en titre des terrains en question, dans les procédures de vente en justice déposées par la Saskatoon Credit Union. La décision relative aux questions soulevées ou qui auraient dû l"être dans les procédures de vente en justice est finale et lie non seulement les parties à ces procédures, mais également ceux qui agissent en leur nom, dont M. Creighton et Creighton Holdings Ltd.

[40]      Deuxièmement, les jugements réels, contrairement aux jugements personnels, peuvent être invoqués par toute personne et sont opposables à tous : voir par exemple Bower and Turner on The Doctrine of Res Judicata, Butterworths of London, 1969, à la page 214, paragraphe 247. Que signifie au juste un jugement réel dans le cadre de la présente instance? On trouve de nouveau le principe applicable dans Bower and Turner (précité) à la page 229, paragraphe 273 :

     [TRADUCTION]

     On dit que toute décision judiciaire anglaise qui agit sur une chose (au sens physique) en entraînant son aliénation décide de la qualité de cette dernière, et qu"une décision de cette nature peut alors être rendue à l"instigation ou contre tout justiciable anglais et avoir des effets péremptoires quant à cette chose; tandis que toute décision qui décide, non pas de l"aliénation de la chose, mais uniquement des droits personnels, des dettes, des éléments d"actif et des intérêts des parties entre elles relativement à la chose lient seulement ces parties ou leurs ayants-droit.         

L"avocat de Cambridge Western cite également la décision McGovern v. State of Victoria [1984] V.R. 570 (Cour suprême de Victoria, siégeant au complet). Il s"agissait d"une affaire concernant la reprise en paiement d"un navire par la Couronne dans laquelle le propriétaire a, au cours des procédures judiciaires, effectué la vente de ce dernier à un tiers qui ignorait la situation. Confirmant la décision du juge de première instance, la cour a souligné que l"ordonnance de prise en paiement et ses implications étaient de nature réelle, de sorte que l"ordonnance avait pour effet de créer une préclusion fondée sur le principe de la chose jugée qui empêchait le nouveau propriétaire de remettre en cause le fondement ou les effets de l"ordonnance. Après avoir pertinemment renvoyé à plusieurs décisions de base en matière de droit réel, dont l"affaire The City of Mecca (1881) 6 P.D. 106, la cour a dit :

     [TRADUCTION]

     Nous pensons que le principe à la base de ces décisions ne peut faire l"objet d"une distinction de celui qui doit être jugé applicable en l"espèce. Ce principe est qu"une décision judiciaire qui crée un titre ou qui affecte la propriété d"une chose possessoire est une décision qui décide de la qualité de cette chose et qui, dans cette mesure, a des effets péremptoires quant à cette dernière. Voir Castrique v. Imrie (1870) L.R. 4 H.L. 414, à la page 428, et le commentaire de la Cour d"appel dans Fracis, Times & Co. v. Carr (1900) 82 L.T. 698, à la page 702, selon lequel un jugement doit décider de la qualité ou de l"aliénation de la chose au moyen d"une condamnation, d"une déchéance, d"une déclaration de qualité ou de titre ou d"une ordonnance de vente ou de cession pour avoir des effets quant à la chose faisant l"objet d"un litige. La justesse de cette proposition est demeurée intacte malgré le fait que le jugement a été infirmé, celui-ci l"ayant été pour d"autres motifs sub nom. Carr. v. Fracis, Times & Co. [1902] A.C. 176 (page 576).         

Étant donné que les jugements des cours de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan portaient sur le dessaisissement de terrains, ils sont de nature réelle et donnent lieu à la préclusion tant contre M. Creighton que contre Creighton Holdings Ltd. Cette préclusion réelle s"ajoute à celle existant entre les parties elles-mêmes et leurs ayants-droit. La règle de la préclusion veut aussi que la Cour n"ait pas compétence pour remettre en cause les ordonnances et les jugements d"autres cours supérieures dans le cadre d"une contestation parallèle, point sur lequel je me penche dès à présent.

Contestations parallèles de jugements d"autres cours supérieures

[41]      J"ai lu certaines parties des motifs des jugements rendus par les tribunaux de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan que les défendeurs ont produit comme documents au soutien de la présente requête. Rien n"indique que ces tribunaux ont rendu des décisions erronées ou irrégulières. De toutes manières, même erronée ou irrégulière, l"ordonnance d"une cour supérieure ne peut être remise en question par voie de contestation parallèle dans quelque autre instance que ce soit. Elle doit être considérée comme valide et ayant force de chose jugée sauf si elle est modifiée en appel : voir par exemple Warehouse Security Finance Company Ltd. v. Oscar Niemi Limited (No 2) [1944] 3 W.W.R. 567, à la page 590 (C.A.C.-B.), où le juge d"appel Robertson cite Earl of Bandon v. Becher (1835) 3 Cl. & F. 479; 6 E.R. 1517 :

     [TRADUCTION]

     Les présentes procédures, dans leur ensemble, découleraient d"un jugement de la Cour de l"Échiquier en Irlande et ce jugement, ayant été rendu par un tribunal compétent et visant des parties qui ont à bon droit eu recours à lui, il ne peut maintenant être remis en cause auprès d"un tribunal de compétence parallèle; toute contestation, le cas échéant, doit se dérouler auprès du tribunal où le jugement a été rendu à l"origine. Je suis d"accord en bonne partie avec cette proposition, mais je dois y apporter une réserve, ... (Lord Brougham, aux pages 509, 510 et 1528).         

Lord Brougham a alors abordé les exceptions de fraude, de manipulation et de collusion sous toute forme, qui ne font l"objet d"aucune allégation en l"espèce.

[42]      Le juge Dubé est arrivé à une conclusion similaire dans MacNeil c. Canada (1988) 19 F.T.R. 147, où il a refusé de se prononcer sur la validité d"une ordonnance de la Cour suprême de l"Ontario, précisant que le recours approprié était de la porter en appel. Dans l"affaire MacNeil , après s"être penché sur l"argument de l"avocat, le juge Dubé a écrit :

     Il ne m"appartient pas, en l"espèce, de me prononcer sur le bien-fondé de cet argument. Cette Cour n"a pas compétence pour statuer sur la validité d"une ordonnance ou des ordonnances de la Cour suprême de l"Ontario. La solution appropriée, dans ce cas, eût été d"appeler de ces ordonnances devant ladite Cour (p. 149 - 150).         

[43]      L"application de ce qui précède à la présente instance mène à la conclusion qu"en demandant une ordonnance enjoignant aux registrateurs de titre de Saskatoon et de Kamloops d"annuler les certificats de titre actuels et de rétablir des certificats de titre au nom de Creighton Holdings Ltd., M. Creighton présente une contestation parallèle à l"encontre d"ordonnances et de jugements finals de cours supérieures. La Cour du Banc de la Reine et la Cour d"appel de la Saskatchewan ont notamment décidé que l"hypothèque de la Credit Union était valide, que les terrains devaient être vendus par shérif, que la Credit Union pouvait faire des offres sur ces terrains et que cette dernière était devenue l"acheteur officiel, et elles ont ordonné au registrateur de titre de Saskatoon de délivrer un nouveau certificat de titre au nom de la Credit Union. De même, la vente des terrains situés en Colombie-Britannique a été approuvée par la Cour suprême de cette province : voir l"ordonnance rendue le 26 septembre 1989 par le juge Maczko dans Saskatoon Credit Union Ltd. v. Creighton Holdings Ltd. , no du greffe de Vancouver C873492, et l"ordonnance rendue le 27 septembre 1989 par le juge Hutchinson dans la même instance.

[44]      La Cour fédérale n"a pas compétence pour déclarer invalides les ordonnances et les jugements rendus par la Cour du Banc de la Reine et la Cour d"appel de la Saskatchewan et par la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

CONCLUSION

[45]      Il ressort manifestement que les tribunaux appropriés pour trancher un litige en matière immobilière opposant des administrés en Colombie-Britannique et en Saskatchewan sont les cours supérieures de ces provinces. D"ailleurs, l"affaire a longuement été entendue par les tribunaux de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan, qui étaient dûment compétents et qui ont rendu une décision finale quant au dessaisissement des terrains qui, d"après M. Creighton en l"espèce, devraient être transférés au nom de Creighton Holdings Ltd. Vu les circonstances, la Cour fédérale du Canada n"a pas compétence aux termes de l"article 25 de la Loi sur la Cour fédérale .

[46]      Bien qu"il soit évident que la Cour fédérale n"a pas compétence, la présente affaire soulève néanmoins une question intéressante de préclusion réelle ainsi que le principe selon lequel une cour supérieure ne doit pas se prononcer sur des jugements et des ordonnances (et encore moins les modifier) qu"une autre cour supérieure agissant dans l"exercice de sa compétence a rendus. Ainsi, même si la Cour fédérale avait eu compétence, le recours approprié de M. Creighton était d"interjeter appel des décisions des différents juges de première instance en Colombie-Britannique et en Saskatchewan, ce qu"il a fait en vain.

[47]      Ma première idée était d"accorder des dépens sur une base avocat-client contre M. Creighton car la présente affaire a fait l"objet d"une avalanche de procédures déplorables et abusives. Cependant, les dépens avocat-client ne doivent pas être accordés à la légère, surtout compte tenu de l"absence de M. Creighton, même si celle-ci était volontaire. À bien y penser, il serait inutile d"ordonner la taxation des dépens sur une base avocat-client, d"autant plus que cela pourrait bien donner lieu à une autre série d"appels. En conséquence, les dépens seront taxés conformément à la colonne 5 du tarif B pour préparation et dépôt d"une requête contestée, pour comparution lors d"une requête et pour autres services ordonnés par la Cour, soit en l"espèce, une recherche approfondie des dossiers des tribunaux de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan remontant environ quinze ans auparavant ainsi que le remboursement des frais de déplacement liés à cette recherche.

[48]      Je ne peux accorder de dépens à M. et Mme Moroshkyn, qui étaient présents et qui ont fait part de leurs arguments, car ils se représentaient eux-mêmes. Toutefois, une indemnité pour leurs déboursés s"impose. Les Moroshkyn viennent de Kelowna. Ils ont droit à des déboursés taxables aux fins de déplacement, d"hébergement et de frais de nourriture.

[49]      Je remercie les avocats d"avoir assemblé une quantité impressionnante de documents pertinents et d"avoir fait des représentations exhaustives et pertinentes.

                             " John A. Hargrave "

                                     Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 13 juillet 1998.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

EN DATE DU :              29 juin 1998

NO DU GREFFE :              T-646-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Daniel P. Creighton

                     c.

                     Stefan Franko et autres

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU

PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

datée du 13 juillet 1998

COMPARUTIONS :

     M. Glen Morgan          pour la CIBC

     M. Gordon Phillips          pour Cambridge Western Leaseholds Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     M. Glen Morgan

     Davis & Company

     Vancouver (C.-B.)          pour la CIBC

     M. Gordon Phillips

     Stikeman, Elliott

     Vancouver (C.-B.)          pour Cambridge Western Leaseholds Ltd.


__________________

1 [TRADUCTION] Ce raisonnement fait abstraction du fait que M. Creighton ne semble avoir aucune          cause d"action en son nom propre. D"après les faits allégués, toute cause d"action appartiendrait à          Creighton Holdings Ltd., et il reviendrait à Creighton Holdings Ltd., et non pas à M. Creighton,          d"intenter des procédures pour que les registrateurs des bureaux du cadastre de la Colombie-Britannique          et de la Saskatchewan délivrent des certificats de titre au nom de Creighton Holdings Ltd., ce qui est          la réparation demandée. En l"espèce, je remarque que les défendeurs se réservent le droit de contester          tant la cause d"action de M. Creighton que son intérêt, mais, selon l"approche que j"ai adoptée en          restreignant l"argumentation des défendeurs à des questions de compétence, de préclusion et de chose          jugée, le défaut de cause d"action et le défaut d"intérêt ne sont pas en litige dans le cadre de la présente          requête.

2 Les alinéas 2(d), 2(e) et 2(f) de la Farm Land Security Act définissent " terre agricole ", " agriculteur " et           " agriculture " comme suit :          [TRADUCTION]          2      Dans la présente loi :              (d)      " terre agricole " Terre située en Saskatchewan qui est utilisée à des fins agricoles et qui est grevée d"une hypothèque;              (e)      " agriculteur " Un débiteur hypothécaire ... d"une terre agricole ...;              (f)      " agriculture " Comprend l"élevage du bétail et de la volaille, la production des produits laitiers, la culture du sol, l"élevage des abeilles et des animaux à fourrure de même que toute autre activité visant la production de produits agricoles;

3 " agriculteur " Personne physique ou morale, coopérative ou société de personnes exerçant une activité          agricole.
         " agriculture " S"entend de la production des végétaux de plein champ, cultivés ou non, et des plantes horticoles, de l"élevage du bétail, de la volaille et des animaux à fourrure, de la production des oeufs, du lait, du miel, du sirop d"érable, du tabac, du bois provenant de lots boisés, de la laine, et des plantes textiles et fourragères, de même que tout autre élevage ou de toute autre production précisés par règlement.

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