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Date : 20020509

Dossier : IMM-4541-00

Référence neutre : 2002 CFPI 537

OTTAWA (ONTARIO), le jeudi 9 mai 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                           CUNJIE ZHENG

                                                                                                  demandeur

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Cunjie Zheng est un citoyen chinois qui est arrivé aux États-Unis en 1993. Il est demeuré aux États-Unis et, après avoir obtenu des permis de travail de l'INS, à partir du mois d'octobre 1993, il a travaillé comme chef dans des restaurants chinois. M. Zheng n'a pas obtenu le statut d'immigrant longue durée aux États-Unis et il a demandé la résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes en tant que chef, CNP 6241.3.

[2]    La demande de M. Zheng a été rejetée parce qu'il n'a obtenu que 55 points d'appréciation. M. Zheng n'a pas obtenu les 30 points d'évaluation à titre de travailleur autonome parce que l'agente des visas n'a pas été convaincue qu'il exercerait sa profession ou exploiterait son entreprise avec succès au Canada.

[3]    M. Zheng a été interrogé par l'agente des visas le 17 mars 2000 et les notes du système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) indiquent que l'entrevue de M. Zheng a mal commencé parce que l'agente des visas n'a pas cru qu'il se trouvait aux États-Unis depuis 1993. Après avoir exprimé ses réserves à ce sujet, l'agente des visas a écrit ce qui suit :

[Traduction]

A VÉCU ET TRAVAILLÉ À NEW YORK DE JAN. 93 À FÉV. 94.

A TRAVAILLÉ AU « BAO BAO RESTAURANT » À BROOKLYN, NY. AUCUNE ATTESTATION À CE SUJET.

DÉCLARE QUE CELA FAIT TROP LONGTEMPS QU'IL A QUITTÉ CE RESTAURANT.

AFFIRME AVOIR DÉMÉNAGÉ À LINCOLN, CN, EN FÉV. 94. AUCUNE LETTRE DE RÉFÉRENCE. AFFIRME POSSÉDER LE NUMÉRO DE TÉLÉPHONE DE CET ENDROIT. JE LUI AI DEMANDÉ POURQUOI IL N'AVAIT PAS APPELÉ L'EMPLOYEUR POUR LUI DEMANDER UNE RÉFÉRENCE. RÉPOND QU'IL Y A TROP LONGTEMPS QU'IL LEUR A PARLÉ.

LUI AI DEMANDÉ D'AUTRES PREUVES D'EMPLOI COMME LE FORMULAIRE W-2 ET DES DÉCLARATIONS D'IMPÔT SUR LE REVENU. RÉPOND QUE SON EMPLOYEUR LE PAYAIT EN ESPÈCES PARCE QUE L'EMPLOYEUR NE PAYAIT PAS D'IMPÔT LUI-MÊME.

VIT À ROBINSON, ILLINOIS, DEPUIS JUIL. 96.

TRAVAILLE POUR LE RESTAURANT « YEN CHING MANDARIN » À ROBINSON (ILLINOIS) DEPUIS JUIL. 96.


DÉCLARE QUE LORSQUE SON PATRON N'EST PAS LÀ, C'EST LUI QUI S'OCCUPE DU RESTAURANT. SON PATRON SE REND TRÈS SOUVENT À TAÏWAN. IL AFFIRME ÊTRE RESPONSABLE DU PERSONNEL DE LA CUISINE ET DES SERVEURS. IL PASSE DES COMMANDES AUPRÈS DES FOURNISSEURS D'ALIMENTS CHINOIS.

A PRÉSENTÉ DES LETTRES DE RÉFÉRENCE ÉMANANT DU PROPRIÉTAIRE DU « YEN CHING » . EST EN POSSESSION DU MENU DU RESTAURANT.

[4]                 L'entrevue s'est terminée de la façon suivante :

AI INFORMÉ L'INTÉRESSÉ DE MES RÉSERVES :

- JE NE SUIS PAS CONVAINCUE QU'IL SE TROUVE AUX ÉTATS-UNIS DEPUIS JAN. 93. SON PASSEPORT INDIQUE QU'IL A PRÉSENTÉ DES DEMANDES DE VISA EN 1996 ET EN 1997.

INCAPABLE D'EXPLIQUER COMMENT IL A PU DEMANDER UN VCV À BEIJING EN 1996 PUISQUE LE PASSEPORT A ÉTÉ DÉLIVRÉ EN AVRIL 1997. DÉCLARE QU'IL N'EST AU COURANT DE RIEN. SA FEMME LUI A ENVOYÉ CE PASSEPORT.

JE NE PEUX QUE CONCLURE QUE L'INTÉRESSÉ EST ARRIVÉ AUX ÉTATS-UNIS APRÈS AVRIL 1997.

- IL NE PEUT AVOIR PLUS DE TROIS ANS D'EXPÉRIENCE COMME CUISINIER/CHEF AUX ÉTATS-UNIS.

- SES LETTRES DE RÉFÉRENCE SELON LESQUELLES IL TRAVAILLE POUR LE RESTAURANT YEN CHING MANDARIN DEPUIS JUIL. 96 NE SONT PAS DIGNES DE FOI.

- DES AMIS LUI ONT DONNÉ DE L'ARGENT, NE PEUT EXPLIQUER COMMENT IL A ACCUMULÉ DES FONDS AVEC UN SALAIRE MENSUEL DE 4 000 $US.

- ABSENCE D'ÉLÉMENTS INDIQUANT QU'IL N'A PAS EMPRUNTÉ CES FONDS AUPRÈS DE SES AMIS POUR POUVOIR DÉMONTRER QU'IL POSSÈDE CET ARGENT À L'ENTREVUE.

- AUCUN ÉLÉMENT INDIQUANT QU'IL EST EN MESURE DE METTRE SUR PIED UNE ENTREPRISE AU CANADA.

- AUCUN ÉLÉMENT INDIQUANT QU'IL PEUT S'INSTALLER AVEC SES PERSONNES À CHARGE AU CANADA. DÉCLARE POUVOIR FOURNIR DES DOCUMENTS SUPPLÉMENTAIRES DÉMONTRANT QU'IL EST CAPABLE DE S'ÉTABLIR AVEC SUCCÈS AU CANADA COMME CUISINIER INDÉPENDANT.

LUI AI ACCORDÉ 30 JOURS POUR FOURNIR CES DOCUMENTS.

L'AI INFORMÉ QUE SA DEMANDE N'A PAS ÉTÉ APPROUVÉE. JE LUI DONNE LA POSSIBILITÉ DE RÉPONDRE À MES RÉSERVES.


[5]                 Selon la lettre de référence que l'agente des visas n'a pas estimée crédible, M. Zheng travaillait dans ce restaurant en tant que chef cuisinier depuis le 1er juillet 1996 et ses fonctions consistaient à approvisionner le restaurant, planifier le menu, faire la cuisine et surveiller dix personnes. M. Zheng était qualifié de bon travailleur, de personne fiable et dynamique, capable d' « administrer le restaurant en l'absence du propriétaire » . Il était indiqué que le salaire de M. Zheng était de 4 000 $US par mois et que le restaurant pouvait accueillir 100 personnes.

[6]                 Pendant la période de 30 jours accordée par l'agente des visas, M. Zheng a transmis des documents supplémentaires qui répondaient aux réserves de l'agente des visas au sujet de la date à laquelle M. Zheng était arrivé aux États-Unis. Les notes STIDI de l'agente des visas reflètent ce qui suit :

DOSSIER RÉOUVERT ET RÉÉVALUÉ AUJOURD'HUI.

EXAMINÉ LES DOCUMENTS PRÉSENTÉS APRÈS L'ENTREVUE.

SELON LA CORRESPONDANCE, LES ÉTATS DE COMPTE ET LES PERMIS DE TRAVAIL, IL SEMBLE QUE L'INTÉRESSÉ SE TROUVAIT AUX ÉTATS-UNIS EN 1993.

LUI AI DONNÉ TOUS LES POINTS CORRESPONDANT À SON EXPÉRIENCE DE TRAVAIL COMME CUISINIER ET CHEF-CUISINIER. LES ÉLÉMENTS CONCERNANT SON EXPÉRIENCE EN QUALITÉ DE GÉRANT DE RESTAURANT SONT TOUJOURS INSUFFISANTS.

NE M'A PAS CONVAINCUE QU'IL EST EN MESURE DE MONTER UNE ENTREPRISE VIABLE AU CANADA.

ABSENCE D'ÉLÉMENTS DIGNES DE FOI INDIQUANT QUE L'INTÉRESSÉ EST EN MESURE D'ÉTABLIR OU D'ACHETER UNE ENTREPRISE AU CANADA DE FAÇON À CRÉER UN EMPLOI POUR LUI-MÊME ET À CONTRIBUER DE MANIÈRE SIGNIFICATIVE À LA VIE ÉCONOMIQUE, CULTURELLE OU ARTISTIQUE DU CANADA.

DEMANDE REFUSÉE.

[7]                 L'agente des visas a reformulé les conditions fixées par la loi et noté qu'elle n'était pas convaincue que ces conditions étaient remplies. La seule autre raison qu'elle ait fournie pour justifier sa conclusion à partir des éléments dont elle disposait était qu'il manquait encore des éléments de preuve montrant que M. Zheng avait de l'expérience comme gérant de restaurant.


[8]                 C'est bien sûr aux agents des visas et non pas à la Cour d'apprécier les preuves. Les agents des visas sont néanmoins tenus de fonder leurs décisions sur l'ensemble des documents qui leur sont présentés. La lettre émanant de l'employeur de M. Zheng, le restaurant Yen Ching Mandarin, que l'agente des visas avait rejetée au départ parce qu'elle avait pensé à tort que M. Zheng ne se trouvait pas aux États-Unis en 1996, contenait des éléments de preuve indépendants concernant la capacité de M. Zheng à gérer un restaurant. Les notes du STIDI n'indiquent aucunement que, lorsque l'agente des visas a appris que M. Zheng se trouvait effectivement aux États-Unis depuis 1993, elle a pris en considération la lettre de son employeur et les éléments qu'elle contenait concernant son expérience en matière de gérance d'un restaurant.

[9]                 Les questions suivantes qui ont été posées à l'agente des visas au cours du contre-interrogatoire indiquent clairement, d'après moi, que l'agente des visas n'a pas examiné de façon appropriée les éléments concernant l'expérience de M. Zheng :

90.            Q. Vous pouvez demander une pause quand vous le souhaitez. N'hésitez pas à le demander.

R. Merci. Dans mes notes, je vois qu'il a affirmé que, lorsque son patron n'est pas là, c'est lui qui s'occupe du restaurant.

91.            Q. Excusez-moi, c'est à la page 161 de nos notes.

MME JAAKKIMAINEN : La troisième page du STIDI?

LE DÉPOSANT : Je regarde les notes du STIDI sur l'ordinateur et je ne suis pas certain d'avoir - je n'ai pas ce chiffre ici.

M. LEAHY :

92.            Q. C'est à la page 161 de nos notes et à la ligne 28 environ. Excusez-moi, poursuivez.


R. Et je vois ici qu'il affirme être responsable du personnel de cuisine et des serveurs et qu'il commande les aliments. Est-ce que cela répond à votre question?

93.            Q. Bien, ce sont là les seuls éléments qui portent, d'après ce que je peux voir, sur cette discussion et je vous demande quelle a été votre conclusion.

R. Ma conclusion est qu'il affirme que c'est bien ce qu'il fait.

94.            Q. Si un analyste de systèmes informatiques vient passer une entrevue et déclare être capable de faire A et B, êtes-vous en mesure de conclure qu'il a fait A et B ou vous contentez-vous de dire qu'il prétend qu'il a fait ce genre de chose et vous en restez là?

R. Je ne suis pas sûre de bien comprendre votre question, monsieur.

95.            Q. Eh bien, vous avez interrogé M. Zheng dans le but apparent de déterminer s'il possédait les aptitudes nécessaires pour être un chef-cuisinier autonome au Canada. Vous dites qu'il n'a jamais géré de restaurant. Cela est vrai. Je vous ai demandé si vous acceptez le fait qu'il s'est occupé d'une cuisine et vous dites qu'il le prétend, il le prétend, et je vous demande quelle était votre conclusion? Qu'avez-vous décidé après l'avoir interrogé?

R. Comme je l'ai dit, monsieur, d'après notre discussion, il affirme qu'il travaille dans la cuisine, qu'il est responsable du personnel de cuisine et je suis convaincue qu'il travaille à la cuisine mais je ne suis pas convaincue qu'il pourrait être un chef-cuisinier autonome ou propriétaire d'une entreprise.

96.            Q. Excusez-moi de toujours vous poser la même question, mais je n'ai toujours pas obtenu de réponse à cette question. Vous reconnaissez qu'il travaille à la cuisine mais reconnaissez-vous qu'il est responsable de la cuisine?

MME JAAKKIMAINEN : Pouvez-vous reformuler la question? C'est peut-être parce que nous ne comprenons pas ce que vous voulez dire par être responsable de la cuisine.

M. LEAHY :

97.            Q. Très bien. Vous dites qu'il prétend surveiller le personnel. Acceptez-vous le fait qu'il surveille le personnel?

R. J'accepte le fait que M. Zheng travaille à la cuisine comme cuisinier et qu'il travaillait avec d'autres personnes; il prétend également qu'il était responsable du personnel de cuisine et voilà tout.


[10]            M. Zheng a présenté à l'agente des visas des éléments montrant la nature de son expérience. Celle-ci était tenue d'examiner tous ces éléments et de se prononcer sur l'expérience que M. Zheng avait réussi à établir. L'agente des visas pouvait fort bien, en se fondant sur des motifs appropriés, retenir ou écarter ces éléments, mais elle ne pouvait refuser de décider si effectivement M. Zheng surveillait le personnel de cuisine ou non.

[11]            Cette omission, combinée avec l'omission apparente d'avoir correctement pris en compte les éléments concernant l'expérience de gestion fournie par l'employeur lorsque l'agente des visas a constaté qu'elle avait rejeté à tort la lettre de ce dernier, constituent des erreurs susceptibles d'être révisées.

[12]            Il est donc fait droit à la demande de contrôle judiciaire et il n'est pas nécessaire d'examiner les autres questions soulevées par M. Zheng.

[13]            L'avocat n'a pas proposé que soit certifiée une question découlant de l'aspect qui m'a paru déterminant et aucune question n'est donc certifiée.

[14]            M. Zheng demande qu'on lui accorde les dépens de la demande. Je n'ai pas été convaincue que les circonstances exigent que l'on écarte la règle habituelle qui est utilisée pour les demandes de ce genre et selon laquelle les parties assument leurs propres dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.    Il est fait droit à la demande de contrôle judiciaire et la décision de l'agente des visas du 24 juillet 2000 est annulée.

2.    L'affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre agent des visas.

   

                                                                   « Eleanor R. Dawson »            

                                                                                                             Juge                          

    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                  IMM-4541-00

INTITULÉ :                                                 CUNJIE ZHENG

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                       LE 1er MAI 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                               LE 9 MAI 2002

  

COMPARUTIONS :

M. TIMOTHY LEAHYPOUR LE DEMANDEUR

Mme LEENA JAAKIMAINENPOUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. TIMOTHY LEAHYPOUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

  

M. Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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