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Date : 20060210

Dossier : IMM-1473-05

Référence : 2006 CF 178

Ottawa (Ontario), le 10 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

ENTRE :

JAMES ALFRED OBITA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par James Obita (demandeur) de la décision de l'agente des visas de rejeter la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. L'agente a fondé sa décision sur sa conclusion selon laquelle le demandeur était interdit de territoire parce que visé par les exclusions prévues à l'alinéa 35(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27. Le demandeur sollicite l'annulation de la décision afin que sa demande de résidence soit examinée de nouveau sur le fond.

Le contexte

[2]                Le demandeur est un citoyen de l'Ouganda. En 2002, alors qu'il se trouvait à Londres, en Angleterre, il a demandé un visa de résident permanent. Sa demande est parrainée par sa conjointe de fait, Joyce Odongo.

[3]                Le demandeur et Mme Odongo ont quatre enfants, tous nés au Kenya entre 1990 et 1998. Mme Odongo et les quatre enfants sont citoyens canadiens et aujourd'hui, ils résident au Canada.

[4]                Le demandeur avait quitté le Kenya en 1999 pour se rendre en Angleterre où il a demandé l'asile. Apparemment, la demande d'asile présentée en Angleterre est toujours en instance. Le demandeur prétend qu'il s'est enfui du Kenya principalement parce qu'il était possible qu'il soit forcé de retourner en Ouganda pour répondre de sa participation, entre 1996 et 1998, à une organisation appelée le Mouvement de résistance du Seigneur (MRS). Cependant, dans sa demande d'admission au Canada, le demandeur ne sollicite pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger mais, tel que susmentionné, il s'agit d'une demande parrainée.

[5]                Le MRS était la soi-disant branche politique de l'Armée de résistance du Seigneur (ARS). L'ARS combat les forces militaires de l'Ouganda depuis 1987, surtout dans le Nord du pays. Les affrontements se produisent encore aujourd'hui malgré quelques tentatives sporadiques pour mettre fin aux hostilités.

[6]                Le demandeur n'a jamais nié sa participation au MRS. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et lors d'une entrevue subséquente avec l'agente des visas, il a reconnu, d'emblée, qu'il avait joué un rôle de premier plan au sein de l'organisation. Le dossier contient des notes détaillées concernant cette entrevue. Le demandeur a également soumis à l'examen de l'agente des visas une preuve documentaire confirmant son statut au sein du MRS, y compris un long discours qu'il avait prononcé lors d'une conférence tenue à Londres, en Angleterre, en 1997.

[7]                Le dossier contient une recherche abondante provenant de sources ouvertes qui portent sur l'insurrection dans le Nord de l'Ouganda et décrivant de façon assez détaillée les activités de l'ARS et des forces qui se battent pour le compte du gouvernement ougandais. Rien ne permet de penser, à la lecture du dossier, que le demandeur ait participé activement aux opérations de combat de l'ARS et, pendant l'époque en cause, il aurait résidé au Kenya.

[8]                Dans une lettre datée du 15 décembre 2004, l'agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur. La lettre est au coeur de l'argumentation du demandeur en l'espèce et elle est donc reproduite en entier ci-dessous :

[TRADUCTION]

M. Obita,

                Après avoir soigneusement examiné tous les aspects de votre demande ainsi que les documents à l'appui qui ont été fournis, j'ai conclu que vous ne satisfaisiez pas aux exigences permettant d'obtenir un visa de résident permanent.

Il existe des motifs raisonnables de croire que vous êtes membre de la catégorie de personnes interdites de territoire au sens de l'alinéa 35(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés qui prévoit que, pour le résident permanent ou l'étranger, emporte interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux le fait de commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.

Les articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre prévoient, notamment :

« crime contre l'humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait - acte ou omission - inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

« crime de guerre » Fait - acte ou omission - commis au cours d'un conflit armé et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un crime de guerre selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel applicables à ces conflits, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

« génocide » Fait - acte ou omission - commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe identifiable de personnes et constituant, au moment et au lieu de la perpétration, un génocide selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

                Plus précisément, il y a des motifs raisonnables de croire que pendant les années 90, alors que vous étiez membre et représentant actif de l'Armée de résistance du Seigneur, vous avez été complice de crimes contre l'humanité. Certes, vous avez déclaré, pendant l'entrevue, que vous n'approuviez pas l'enlèvement d'enfants et l'utilisation de mines terrestres par l'ARS, mais en affirmant que vous avez appuyé la campagne militaire de l'ARS, qui visait la population civile plutôt que le gouvernement, vous avez donc néanmoins été d'accord avec les autres atrocités qui ont été commises (viols, torture, mutilations, etc.). Ces actes visaient la population civile ougandaise. J'ai tiré cette conclusion en me fondant sur les renseignements obtenus lors de l'entrevue, sur les renseignements de sources ouvertes ainsi que sur les documents que vous m'avez récemment soumis, le 4 novembre 2004.

                Par conséquent, vous êtes interdit de territoire au Canada, en conformité avec l'article 35 de la Loi. Votre demande est donc rejetée.

                Je fais donc parvenir une lettre à la personne qui a parrainé votre demande pour l'aviser des dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés en matière d'appel. La lettre sera envoyée à la dernière adresse connue de votre répondante :

Joyce Reachel Odongo

645, avenue Lansdowne, 1er étage

Toronto (Ontario) M6H 3Y2

CANADA

                Si l'adresse est inexacte, veuillez nous transmettre immédiatement la nouvelle adresse de votre répondante pour que la lettre puisse lui être envoyée de nouveau à sa nouvelle adresse.

Je sais que vous serez très déçu du rejet de votre demande, mais pour les motifs susmentionnés, il ne saurait en être autrement.

                                                                                Jillan Sadek

                                                                                Agente d'immigration

[9]                C'est la décision que le demandeur conteste en l'espèce.

La question en litige

La décision de l'agente des visas était-elle déraisonnable compte tenu plus particulièrement de sa conclusion selon laquelle le demandeur était un membre et un représentant de l'ARS et de son analyse de la preuve disculpatoire produite par le demandeur?

Analyse

[10]            L'avocate du demandeur fait valoir, au nom de son client, que l'agente des visas a écarté une preuve importante et qu'elle n'a donc pas correctement distingué entre le rôle qu'il a reconnu jouer au sein du MRS et sa faible participation, si participation il y a eue, à l'ARS. Il est allégué que l'agente des visas a confondu les deux organisations et qu'elle a commis une erreur en qualifiant le demandeur de [traduction] « membre et représentant actif de l'Armée de résistance du Seigneur » . Le demandeur prétend qu'il n'y a rien au dossier qui permette de conclure, pour des motifs raisonnables, qu'il était membre de l'ARS et, par conséquent, complice des agissements de l'organisation.

[11]            Le demandeur n'a pas tenté de « mettre en sourdine » ni de passer sous silence les atrocités commises par l'ARS, mais il affirme toutefois que le rôle qu'il a joué pour le compte du MRS visait essentiellement à trouver une solution pacifique au conflit armé dans le Nord de l'Ouganda et à mettre fin aux atrocités perpétrées par les factions belligérantes. Il prétend donc, à titre subsidiaire, que l'agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte de cette preuve disculpatoire.

[12]            Pour évaluer le poids des arguments du demandeur, il faut d'abord examiner le régime légal applicable à la décision de l'agente des visas ainsi que la preuve dont elle disposait et qui était susceptible de justifier sa décision.

Le régime légal

[13]            Le demandeur avait besoin d'un visa pour venir au Canada en tant que résident permanent; cependant, pour obtenir tel visa, il devait, en conformité avec le paragraphe 11(1) de la LIPR, convaincre l'agente des visas notamment qu'il n'était pas interdit de territoire. Les motifs d'interdiction qu'a examinés en l'espèce l'agente des visas sont prévus à l'alinéa 35(1)a) de la LIPR, qui est ainsi libellé :

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre;

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

[14]            La disposition applicable de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, 2000, ch. 24, est le paragraphe 4(3) qui définit en ces termes la notion de « crime contre l'humanité » :

« crime contre l'humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait - acte ou omission - inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations, qu'il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

[15]            Le critère applicable pour déterminer si une personne est interdite de territoire en vertu de l'article 35 est décrit à l'article 33 de la LIPR. Selon cette disposition, l'agent des visas doit apprécier les faits sur la base des motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir. Les tribunaux ont dit que la norme exigeait plus qu'un simple soupçon, mais qu'elle était moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. La Cour suprême a été très claire sur ce point dans l'arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.S. no 39 (CSC) (QL), dans lequel la juge en chef McLauchlin a dit, aux paragraphes 114 et 115 :

114      La première question que soulève l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l'existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu'une personne a commis un crime contre l'humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu'un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), page 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), paragraphe 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

115      En prévoyant l'application de cette norme à l'égard du crime de guerre et du crime contre l'humanité dans la Loi sur l'immigration, le législateur a clairement indiqué que ces crimes classés parmi les plus graves justifient une sanction extraordinaire. Ainsi, une personne ne sera pas admissible au Canada s'il existe des motifs raisonnables de penser qu'elle a commis un crime contre l'humanité, même si ce crime n'est pas établi selon une norme de preuve plus stricte.

[16]            Dans Mugesera, la Cour suprême a ajouté que la norme de preuve relativement à l'existence de « motifs raisonnables de penser » ne s'applique qu'aux questions de fait. Lorsqu'il s'agit de décider si ces faits satisfont aux exigences d'un crime contre l'humanité, la question devient une question de droit. Une question de droit doit faire l'objet d'une décision correcte de sorte que les faits établis conformément à la norme moins stricte doivent révéler que la conduite en cause constitue, en droit, un crime contre l'humanité.

[17]            L'arrêt Mugesera précise également les éléments d'un crime contre l'humanité. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada devait appliquer les dispositions du Code criminel qui ont été abrogées et remplacées depuis par la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, mais elle a dit que les quelques différences entre les textes n'étaient pas pertinentes. La Cour suprême a conclu qu'un acte criminel constituait un crime contre l'humanité lorsque quatre conditions étaient remplies (au paragraphe 119) :

1. Un acte prohibé énuméré a été commis (ce qui exige de démontrer que l'accusé a commis l'acte criminel et qu'il avait l'intention criminelle requise);

2. L'acte a été commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique;

3. L'attaque était dirigée contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes;

4. L'auteur de l'acte prohibé était au courant de l'attaque et savait que son acte s'inscrirait dans le cadre de cette attaque ou a couru le risque qu'il s'y inscrive.

[18]            Tel que susmentionné, les actes prohibés énumérés incluent le meurtre, la torture, la violence sexuelle ou tout autre fait inhumain; cependant, pour qu'il s'agisse d'un crime contre l'humanité, il doit être démontré que les actes ont eu lieu dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.

[19]            Dans Mugesera, la Cour suprême a décidé que le caractère généralisé d'une attaque résulte du fait que l'acte présente un caractère massif, fréquent, et que, mené collectivement, il revêt une gravité considérable et est dirigé contre une multiplicité de victimes; il n'est pas nécessaire que l'attaque s'inscrive dans une stratégie, une politique ou un plan particulier.

[20]            La Cour suprême a dit qu'une attaque systématique était soigneusement organisée selon un modèle régulier en exécution d'une politique concertée mettant en oeuvre des moyens considérables, conformément à une politique ou à un plan, mais qu'il n'était pas nécessaire que la politique s'inscrive dans une politique « officielle » . C'est le caractère répétitif, plutôt qu'aléatoire, des comportements criminels, qui révèle l'expression concertée d'une attaque systématique.

[21]            Sous le régime de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre susmentionnée, il suffit d'établir qu'une attaque est « généralisée » ou « systématique » . On déterminera qu'une l'attaque est généralisée ou systématique à la lumière des moyens, des méthodes et des ressources mis en oeuvre, ainsi que de ses conséquences pour la population civile. L'auteur des actes de violence n'a pas besoin d'avoir participé à tous les actes criminels. Le fait d'avoir participé à un seul acte isolé perpétré dans le cadre d'actes criminels répétés suffit.

[22]            Dans Mugesera, la Cour suprême a ensuite défini l'élément moral d'un crime contre l'humanité aux paragraphes 174 et 175 :

174      Il suffit que l'auteur de l'acte soit conscient du lien entre son ou ses actes et l'attaque. Il n'est pas nécessaire qu'il ait eu l'intention de s'en prendre à la population cible. Ses motifs importent peu, une fois démontré qu'il connaissait l'existence de l'attaque et qu'il savait que son acte en faisait partie ou qu'il lui était indifférent que son acte se rattache à l'attaque : Kunarac, Chambre d'appel, paragraphe 103. Même si la personne a agi pour des raisons purement personnelles, l'acte peut constituer un crime contre l'humanité s'il est prouvé qu'elle possédait la connaissance requise.

175      La connaissance peut s'inférer des circonstances : Tadic, Chambre de première instance, paragraphe 657. Pour déterminer si l'accusé possédait la connaissance requise, le tribunal peut prendre en considération le rang de l'accusé dans la hiérarchie militaire ou gouvernementale, la notoriété publique de l'attaque, l'ampleur de la violence et le contexte historique et politique général dans lequel sont survenus les actes : voir p. ex. Blaskic, paragraphe 259. Nul besoin que l'accusé connaisse le détail de l'attaque : Kunarac, Chambre d'appel, paragraphe 102.

La complicité

[23]            L'agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au Canada parce qu'elle a jugé qu'il avait été complice de crimes contre l'humanité. Pour que j'évalue la décision contestée, je dois donc nécessairement comprendre aussi ce que qu'on entend par le terme « complicité » . Je devrai ensuite évaluer la conclusion tirée par l'agente des visas en matière de complicité à la lumière de la preuve relative à la participation du demandeur au MRS et à l'ARS.

[24]            La complicité n'est pas un crime; elle n'est qu'une modalité de la perpétration d'un crime : voir Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2005 CAF 303 (C.A.).

[25]            L'un des arrêts canadiens de principe sur la complicité, dans un contexte semblable, est l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.). M. Ramirez avait été membre de l'armée salvadorienne. Il s'était enrôlé dans l'armée alors qu'il était très jeune pour venger le meurtre d'une de ses soeurs et le viol d'une autre par les guérilleros. M. Ramirez avait participé à de longs et difficiles combats et, de son propre aveu, il était à tout le moins présent pendant la perpétration d'atrocités, notamment la torture et le meurtre. Peu à peu, sa conscience avait été la plus forte et il avait déserté. Il avait ensuite revendiqué le statut de réfugié au Canada. Dans le passage suivant (les paragraphes 38 et 39) de Ramirez, le juge MacGuigan résume la preuve de la participation de M. Ramirez :

Compte tenu du critère des « raisons sérieuses de penser . . . [q]u'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité » , le cas de l'appelant ne peut même pas être qualifié de cas limite. Pendant ses vingt mois de service actif, il était conscient du très grand nombre d'interrogatoires menés par l'armée, peut-être aussi souvent que deux fois par semaine (après 130 à 160 engagements militaires). Il ne pourrait jamais entrer dans la catégorie des simples spectateurs. Il était chaque fois un membre actif et conscient d'une force armée dont l'un des objectifs communs était la torture de prisonniers pour en obtenir des renseignements. De son propre aveu, c'était l'une des activités auxquelles son armée se livrait régulièrement et de façon répétée. Il faisait partie de l'opération même si, personnellement, il n'applaudissait pas les actions accomplies. Autrement dit, sa présence pendant les incidents de persécution, jointe au fait qu'il partageait l'objectif commun des forces militaires, constitue clairement une forme de complicité. Il n'est pas nécessaire, pour les fins de la présente espèce, de déterminer à quel moment cette complicité a pu être établie, car cette affaire n'est pas du tout un cas limite. L'appelant n'était pas un spectateur innocent. Il faisait partie intégrante, même si c'était à son corps défendant, de l'entreprise militaire responsable de ces terribles moments d'inhumanité collective délibérée.

Pour reconnaître l'appelant criminellement responsable des actions qu'il a accomplies, il faudrait, bien sûr, appliquer une norme de preuve tout à fait différente. Mais étant donné que les nations du monde et le Canada ont adopté, en regard de l'admission des réfugiés lorsqu'il est question de crimes internationaux, une norme de preuve inférieure à celle du droit civil, il ne fait pas de doute qu'aucun tribunal correctement instruit ne pourrait conclure à autre chose qu'à la participation personnelle et consciente de l'appelant aux actes de persécution.

[26]            L'arrêt Ramirez est important en ce qu'il confirme qu'une personne n'est pas complice de la perpétration d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité du seul fait qu'elle est membre d'une organisation responsable de ces actes, sauf, bien entendu, si l'organisation vise principalement des fins limitées et brutales. Dans le même ordre d'idées, le simple spectateur d'un acte criminel n'est pas, de ce seul fait, complice. Pour qu'il y ait complicité, il faut une preuve établissant « l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » . La Cour d'appel fédérale a analysé cette question et elle a conclu, au paragraphe 22 de l'arrêt, avec cette mise en garde :

22       Il faut prendre particulièrement soin de ne pas condamner automatiquement quiconque est mêlé à un conflit en situation de guerre. Dans la plupart des guerres de l'histoire de l'humanité, la plupart des combattants ont probablement vu leur propre armée se livrer à des actes qu'ils auraient normalement trouvés répréhensibles mais qu'ils se sont sentis absolument incapables d'arrêter, du moins sans courir de risques graves. Bien que la loi puisse obliger ceux qui reçoivent l'ordre de commettre des crimes internationaux à faire un choix, elle ne requiert pas des gens se trouvant sur les lieux d'un tel crime qu'ils se portent immédiatement au secours des victimes à leurs propres risques. La loi n'a pas habituellement pour effet d'ériger l'héroïsme en norme.

[27]            Plusieurs arrêts ont également porté sur la question de la complicité dans ce contexte, notamment Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); cependant, le juge Edmond Blanchard a très bien résumé les décisions rendues après Ramirez dans Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 192 :

[29]      Toujours dans l'arrêt Ramirez, supra, la Cour d'appel fédérale a énoncé les principes devant être suivis lorsque le ministre cherche à exclure l'intéressé de la protection de la Convention, suite à l'application de l'alinéa Fa) de l'article premier de celle-ci. Les principes suivants sont applicables en l'espèce :

a)             le ministre a toujours la charge d'établir sur le plan juridique que le revendicateur est complice des crimes internationaux;

b)             le fardeau de la preuve est moindre que la prépondérance des probabilités;

c)              en règle générale, la « simple appartenance » à une organisation mêlée à la perpétration de crimes internationaux n'est pas suffisante pour exclure l'intéressé; (sauf là où il est établi que l'existence même de l'organisation en cause vise principalement des fins limitées et brutales).

d)             la complicité exige la « participation personnelle et consciente » du revendicateur à la perpétration des crimes internationaux; et

e)              la complicité se fonde sur l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

30.      La règle générale reconnue par la jurisprudence de cette Cour (Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) est que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d'invoquer la disposition d'exclusion. La règle générale connaît cependant une exception lorsque l'existence même de l'organisation en cause vise principalement des fins limitées et brutales. Il y a alors une présomption réfutable de complicité (Saridag c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 307 (1ère inst.)). C'est pourquoi, dans de telles circonstances, il est important, avant de donner lieu à cette présomption de complicité, de caractériser l'organisation avec une preuve indéniable.

31.      La question de complicité a aussi été considérée par le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.). Suite à une analyse des arrêts Ramirez, supra, Moreno, supra, et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Reed a conclu ainsi aux pages 84 et 85 :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

32.           Également, dans Sivakumar, supra, la Cour d'appel, s'appuyant sur Ramirez, supra, a précisé qu'une personne peut être considérée « complice par association » et a énoncé les principes suivants :

-                La complicité par association s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres et ce, en raison de son association étroite avec les auteurs principaux.

-                En outre la complicité d'un individu dans des crimes internationaux est d'autant plus probable lorsqu'il occupe des fonctions importantes dans l'organisation qui les a commis. Plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il était au courant du crime et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de celui-ci.

-                Dans ces conditions, un facteur important à prendre en considération est la preuve que l'individu s'est opposé au crime ou a essayé d'en prévenir la perpétration ou de se retirer de l'organisation.

-                L'association avec une organisation responsable de la perpétration de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement participé à ces crimes ou les a sciemment tolérés.

[28]            En fin de compte, ce n'est pas l'appartenance à un groupe qui importe. C'est plutôt la nature et la portée des activités de la personne au soutien d'une organisation qui a un comportement criminel qui permet de dire jusqu'à quel point elle a été complice. Le juge Blanchard a présenté ce même point de vue dans Sungu, précité, au paragraphe 33 :

Par ailleurs, dans l'arrêt Barzargan c. Canada (M.E.I.) (1996), 205 N.R. 282, la Cour d'appel a établi qu'une « participation personnelle et consciente » peut être directe ou indirecte et ne requiert pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais qu'il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

La décision de l'agente des visas

[29]            Il n'y a pas consensus sur la norme de contrôle qui doit s'appliquer à une décision comme celle qui a été rendue par l'agente des visas, mais j'appliquerai comme norme la décision raisonnable simpliciter relativement aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit. Bien entendu, c'est la décision correcte qui s'applique comme norme aux questions de droit.

[30]            L'analyse probante effectuée par le juge Nadon dans une décision semblable, Au c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 243, m'a convaincu qu'il est opportun d'appliquer la décision raisonnable simpliciter, si l'on tient compte qu'elle doit s'appliquer à la norme de preuve prévue à l'article 33 de la LIPR ( « motifs raisonnables de croire » ). Sur ce point, je ne saurais mieux expliquer que le juge Nadon comment la norme de contrôle judiciaire s'applique à la norme de preuve que devait appliquer l'agente des visas pour prendre une décision :

[40]    À mon avis, la conclusion que l'agent Schultz a tirée, à savoir que le demandeur ne pouvait pas être admis au Canada en vertu de l'alinéa 19(1)c.2) de la Loi, n'était pas déraisonnable. L'alinéa 19(1)c.2) n'exige pas que l'agent des visas soit convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était ou est membre d'une organisation criminelle; il exige uniquement qu'il y ait des « motifs raisonnables de croire » que le demandeur est membre d'une organisation criminelle.

[41]      Dans la décision Chan c. Canada (MEI), (1996), 34 Imm.L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), il avait été conclu que la demanderesse ne pouvait pas être admise au Canada conformément à l'alinéa 19(1)c.2) de la Loi. La demanderesse avait entre autres affirmé que l'agent des visas n'avait pas de « motifs raisonnables » de croire qu'elle était membre d'une triade. En réponse à son argument, Monsieur le juge Cullen a dit ce qui suit, à la page 273 :

Bien que la preuve à laquelle la requérante m'a renvoyé tende à appuyer ses prétentions, l'agent des visas n'a pas à être convaincu [TRADUCTION] « au-delà de tout doute raisonnable » que la requérante est membre d'une triade. Il doit être démontré qu'il avait des motifs raisonnables de croire que la requérante est ou a été membre d'une organisation dont il a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre à des activités criminelles. Cela ne signifie pas qu'il doit y avoir des preuves que l'organisation est criminelle ni que la requérante est ou a été réellement membre d'une telle organisation; il suffit qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle est ou a été membre d'une organisation de ce genre. À mon avis le critère applicable est celui qui est exposé à l'arrêt Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.), dans lequel la Cour d'appel fédérale, en se demandant si un visiteur potentiel était membre d'une organisation subversive, a déclaré ce qui suit aux pages 225 et 226 :

Toutefois, lorsque la preuve a pour but d'établir s'il y a raisonnablement lieu de croire que le fait existe et non d'établir l'existence du fait lui-même, il me semble qu'exiger la preuve du fait lui-même et en arriver à déterminer s'il a été établi, revient à demander la preuve d'un fait différent de celui qu'il faut établir. Il me semble aussi que l'emploi dans la loi de l'expression « il y a raisonnablement lieu de croire » implique que le fait lui-même n'a pas besoin d'être établi et que la preuve qui ne parvient pas à établir le caractère subversif de l'organisation sera suffisante si elle démontre qu'il y a raisonnablement lieu de croire que cette organisation préconise le renversement par la force, etc.

[31]            À la lecture de la lettre de refus envoyée par l'agente des visas, il est clair que cette dernière a examiné les dispositions pertinentes de la Loi et qu'elle a choisi la norme appropriée, à savoir les « motifs raisonnables de croire » , comme preuve des faits sur lesquels elle pouvait fonder sa décision. La lettre qui renferme la décision est assez succincte, mais l'agente a tiré plusieurs conclusions de fait qu'il vaut la peine de répéter :

·         pendant les années 90, le demandeur était membre et représentant de l'ARS;

·         alors que le demandeur réprouvait l'enlèvement d'enfants et l'utilisation de mines terrestres, il a néanmoins appuyé la campagne militaire de l'ARS qui visait la population civile;

·         le demandeur appuyait l'ARS et ses objectifs militaires. Il appuyait donc les atrocités perpétrées par l'ARS, notamment le viol, la torture et la mutilation.

[32]            L'agente des visas a ensuite conclu, en se fondant sur les faits susmentionnés, que le demandeur avait été complice de crimes contre l'humanité perpétrés par l'ARS.

[33]            L'avocate du demandeur a fait valoir avec vigueur que l'agente des visas avait commis une erreur en concluant que le demandeur était un [traduction] « membre et représentant actif de l'Armée de résistance du Seigneur » . Le demandeur reconnaît avoir été un membre actif du MRS, mais il dit qu'il n'a jamais été membre de l'ARS et qu'il a toujours pris soin de différencier les deux groupes.

[34]            Dans ses observations, le demandeur n'a pas tenté de minimiser la gravité des actes de l'ARS, ce qui n'est pas particulièrement étonnant puisque l'agente disposait d'une preuve abondante qui lui permettait de croire, pour des motifs raisonnables, que l'ARS et ses chefs avaient commis des crimes contre l'humanité. Dans les documents dont disposait l'agente, on trouve les renseignements suivants :

·         L'ARS, le plus ancien et le mieux connu des groupes rebelles de l'Ouganda, est active le long de la frontière du Soudan et elle lance la plupart de ses attaques dans le Nord-Est du pays (Afrique de l'Est).

La guerre, qui a été marquée par la mutilation de civils et l'enlèvement de milliers d'enfants qui ont été intégrés dans les rangs de l'ARS, a causé des dizaines de milliers de morts et l'abandon par quelque 1,2 million de personnes de leur domicile.

Après quelques années de calme relatif, le conflit s'est enflammé de nouveau depuis 2002 (source : ReliefWeb par l'Agence France-Presse).

·         Le Mouvement de résistance du Seigneur (MRS), l'organe politique de l'Armée de résistance du Seigneur (ARS), un groupe rebelle, prétend que le MRS/ARS est un mouvement de résistance armé, à caractère non religieux et non tribal. Lundi, l'ARS a fait parvenir une déclaration au Réseau d'information régional intégré, pour protester contre les opérations de sécurité appelées « Panda Gari » ( « montez dans le camion » ) dans la ville de Gulu et l'organisation tente ainsi de présenter un programme politique pour le mouvement, depuis longtemps déclaré hors-la-loi en matière de droits de la personne. Selon la déclaration, le terme « Seigneur » fait référence aux prières faites par la population rurale pour empêcher les « pogroms et les massacres » .

[...]

      L'ARS, dont on sait qu'elle s'adonne à l'enlèvement d'enfants, proteste maintenant les « rapts » perpétrés par le gouvernement lors du ratissage de sécurité effectué à Gulu (source : Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, les 5, 6 et 7 décembre 1998).

·         Depuis 1986, dans les districts du Nord de l'Ouganda, Gulu et Kitgum, l'Armée de résistance du Seigneur (ARS), également connue sous le nom de Mouvement de résistance du Seigneur, et d'autres groupes d'insurgés auraient systématiquement attaqué la population civile et enlevé des milliers d'enfants pour les recruter de force dans ses rangs armés.

Pendant toute l'année 1997 et au début de 1998, les attaques se seraient intensifiées, tuant des centaines de civils et obligeant nombre d'autres personnes à fuir leur domicile. Des milliers de ces personnes déplacées ont été amenées, par le gouvernement ougandais, dans des « villages protégés » qui ne possédaient pas les ressources suffisantes pour fournir même l'essentiel à ces personnes, notamment le gîte, les aliments, l'hygiène, l'eau potable et pour assurer leur sécurité et respecter leurs droits.

Selon Amnisty International, la sécurité alimentaire est très peu assurée dans les camps et les populations locales se plaignent constamment que l'armée ougandaise, les Forces de défense populaires ougandaises (UPDF), ne les protège pas contre les actes de violence perpétrés par l'ARS visant l'enlèvement d'enfants et le vol de vivres. Il est allégué que les soldats de l'UPDF ont eux-mêmes été directement responsables de violations des droits de la personne dans les camps (source : Amnesty International : « Breaking the Circle : protecting human rights in the northern war zone » , mars 1999 dans FAS Intelligence Resource Program, « Lord's Resistance Army » ).

·         Il y aurait eu des incidents au cours desquels des civils non armés capturés dans la campagne par les soldats de l'UPDF ont été sommairement exécutés, battus ou violés. Ibidem.

L'International Save the Children Alliance a signalé que des enfants qui se sont échappés ou qui ont été sauvés sont envoyés dans deux centres de rééducation à Gulu. Selon les statistiques fournies par ces centres, au premier trimestre de 1999, 5 837 enfants avaient été réintégrés dans leurs collectivités depuis le début du conflit après avoir reçu des soins médicaux, du counselling et une formation scolaire. On estime qu'entre 2 000 et 5 000 enfants disparus auraient été amenés dans le camp de base de l'ARS, dans le Sud du Soudan. Un grand nombre de ces enfants auraient été tués soit par leurs ravisseurs soit par suite des conflits auxquels ils avaient été forcés de participer. L'exploitation sexuelle de plusieurs fillettes enlevées aurait entraîné quelque 2 000 naissances (source : Conseil économique et social des Nations Unies, le 27 décembre 1999).

·         L'année dernière, Amnesty International a visité Gulu à deux reprises et a publié un rapport sur les violations des droits de la personne par l'ARS. En réalité, l'ARS est en train de détruire toute une génération d'enfants acholis en les enlevant, en les traumatisant, en les transformant en tueurs et en les envoyant au champ de bataille. L'ARS a perpétré des actes extrêmement violents sur les villageois, elle a tué et violé des milliers de personnes, elle a détruit le système d'éducation et les services de santé et perturbé l'économie. Quelle que soit la raison pour laquelle elle a pris les armes, l'ARS viole les principes des droits de la personne que l'ensemble des pays ont adoptés, en droit international. Amnesty International a visité Gulu de nouveau au mois de mai de cette année pour faire un suivi au sujet de la responsabilité des soldats de l'UPDF relativement à des mauvais traitements, dans le cadre de la préparation en cours d'un rapport sur cette question. L'extrême violence dont fait preuve l'ARS a éclipsé plusieurs problèmes complexes liés au gouvernement ougandais. Les soldats de l'UPDF ont également tué et violé des villageois quoique moins que l'ARS. Des civils ont été battus pendant des contrôles ponctuels ou après leur arrestation. Des civils soupçonnés de collaborer avec l'ARS ont été arrêtés alors que la preuve était insuffisante (source : Respecting Human Rights : A Path towards Peace - Amnesty International, 1998).

[35]            Bien entendu, cette preuve était suffisante pour que l'agente des visas croie, pour des motifs raisonnables, que l'ARS avait perpétré des crimes contre l'humanité, notamment des attaques généralisées comportant le meurtre, le viol, l'enlèvement et l'esclavage sexuel de milliers de citoyens ougandais, et la conclusion de l'agente, à cet égard, est sans faille.

Le rôle du demandeur au sein du MRS et de l'ARS

[36]            Il va sans dire que le demandeur veut maintenant prendre ses distances de l'ARS et il prétend que l'agente des visas a mal compris le rôle qu'il avait joué. Il se fonde en grande partie sur la décision rendue par le juge en chef adjoint Jerome dans Cardenas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 139. Il invoque également la preuve communiquée au préalable par l'agente des visas qui, selon lui, établissait une distinction claire entre le MRS et l'ARS semblable à la distinction qui avait été établie dans Cardenas.

[37]            Dans Cardenas, précité, il s'agissait d'un individu qui était membre d'un groupe ou d'une faction politique au Chili et, selon la preuve, l'individu n'avait aucun lien avec la faction militaire dissidente. Les deux organisations avaient été décrites comme étant distinctes. Le groupe politique s'opposait au recours à la force. Le juge en chef adjoint Jerome avait conclu que la Commission avait commis une erreur en amalgamant les deux groupes. Son analyse de la question révèle qu'elle se distingue des faits en cause en l'espèce :

16       La Commission a inféré que le requérant connaissait par avance les activités de la faction militaire, se fondant pour cela sur le fait qu'il occupait un poste de confiance et de responsabilité au sein de l'organisation.

17       Cette inférence d'une connaissance par avance aurait pu être considérée comme raisonnable en l'absence de cette distinction très nette qui existait entre la faction politique et la faction militaire. Or, il ressort clairement du dossier que le requérant a adhéré à la faction politique et n'a oeuvré que dans les domaines de l'information et du recrutement. Le poste de responsabilité qu'il occupait était au sein de la faction politique et non pas au sein de la faction militaire.

[38]            La preuve communiquée au préalable au demandeur sur laquelle il se fonde n'est pas aussi utile en l'espèce que le prétend son avocate. Malgré la nature quelque peu biaisée de l'interrogatoire, l'agente des visas n'a pas reconnu que les deux organisations étaient nettement distinctes comme dans Cardenas. Elle a dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q.                 Bien, d'accord. Maintenant, votre conclusion - la - votre conclusion, si je comprends bien vos notes, c'est que - laissez-moi voir si votre affidavit me permet de la trouver directement. Au paragraphe 12 de l'affidavit, vous avez conclu qu'il y avait un lien entre les deux groupes?

R.                                 Oui, c'est cela.

Q.                 Cependant, il y a deux organisations distinctes qui étaient liées. Est-ce ainsi que vous l'avez compris?

R.                                 Oui.

Q.                 Bien. Et c'est ainsi que M. Obita vous a présenté cela, n'est-ce pas?

R.                 Bien. J'ai pensé qu'il était - que son rôle au sein du Mouvement de résistance du Seigneur était de représenter l'armée en dehors de l'Ouganda.

Q.                 D'accord.

R.                 L'opinion était donc fondée sur ma recherche et sur les liens qui sont apparus par suite de la recherche et sur ce qu'il me disait concernant sa participation à l'ARS et le rôle de l'ARS.

Q.                 Bien, d'accord. Mais il ne vous a jamais dit qu'il était membre de l'ARS.

R.                                 Non.

Q.                 Il a toujours - bien, d'accord.

R.                 Mais il a bien dit qu'il agissait pour le compte de l'ARS.

Q.                 D'accord.

R.                                 Et qu'il soutenait l'ARS.

Q.                 D'accord. De sorte que quand vous lisez le dernier paragraphe de la première page où elle ---

R.                                 De quelle page s'agit-il?

Q.                 De la lettre de refus.

R.                                 La lettre de refus.

Q.                 Mme Sadek dit qu'il était membre de l'Armée de résistance du Seigneur mais ce n'est pas compatible avec la façon dont il a ---

R.                 Et un représentant de l'Armée de résistance du Seigneur---

Q.                 Bien ---

R.                 Je suis certainement d'accord qu'il était un représentant de l'Armée de résistance ---

Q.                 Très bien. Mais il y a une différence entre représentant et membre.

R.                 Mais en même temps, elle dispose de renseignements qu'il lui a transmis pendant son entrevue. J'ai vu les deux lettres. Et il a écrit une lettre.

Q.                 Oui, et ces lettres sont dans le dossier et la cour - vous parlez de la lettre qui se trouve à la page 11, n'est-ce pas? Oui, c'est celle qu'il a présentée le jour du ---

R.                 Oui. Et si vous examinez l'en-tête qui se trouve au haut de la page, il est inscrit Mouvement/Armée de résistance du Seigneur.

Q.                 Oui. Bien, c'est le nom qu'on lui a toujours donné, je crois, dans la plupart des documents. Ainsi vous êtes d'avis qu'il était un représentant, mais vous - du moins en vous fondant sur ce qu'il vous a dit et sur ce que vous avez compris quand vous êtes partie, il n'a jamais dit qu'il était membre. Il s'agissait donc d'une conclusion qu'aurait tirée Mme Sadek en se fondant sur d'autres documents qu'elle a vus. Est-ce bien cela?

R.                 Oui, d'accord.

[39]            Les notes de l'agente des visas concernant sa rencontre avec le demandeur indiquent très clairement qu'elle a compris la distinction entre l'ARS et le MRS. Ces notes disent :

[TRADUCTION]

Le demandeur n'a pas caché sa participation au Mouvement révolutionnaire du Seigneur. Il exerçait des fonctions très importantes et il était très influent au sein du Mouvement. Il est clair que ce Mouvement a des liens avec l'Armée révolutionnaire du Seigneur. Le Mouvement a tiré les deux derniers mots de son nom de l'ARS. Il y a eu des rencontres entre le Mouvement et l'armée, à la base militaire de l'armée, au Soudan. Le Mouvement était le porte-parole de l'armée. Les atrocités perpétrées par l'ARS sont un fait bien établi et comprennent des crimes épouvantables, notamment les enlèvements d'enfants et la mutilation de civils.

Le demandeur prétend que même s'il appuyait la campagne militaire de l'ARS, il était opposé à l'enlèvement d'enfants et à l'utilisation de mines terrestres. Il dit qu'il a dénoncé l'utilisation de mines terrestres par l'ARS dans une émission de radio. Il a mentionné un incident où des jeunes filles avaient été enlevées d'un collège. Il a dit avoir tenté sans succès d'obtenir leur libération.

[40]            Il n'est pas du tout étonnant que l'agente ait choisi de décrire le demandeur comme étant un membre et un représentant de l'ARS parce que, dans les documents dont elle disposait, il était mentionné plusieurs fois que l'ARS et le MRS formaient essentiellement un seul et même groupe. D'ailleurs, le demandeur a lui-même fourni un grand nombre de ces documents. En décrivant l'ARS et le MRS, le demandeur a souvent dit qu'il s'agissait d'une organisation qui avait intégré leurs objectifs communs.

[41]            Le discours prononcé par le demandeur à Londres, en Angleterre, au début du mois d'avril 1997, au cours de la soi-disant conférence Kacoke Madit, en est le meilleur exemple. Dans une communication qui a été présentée à la conférence de Londres et publiée par la suite, les organisateurs ont dit que l'ARS avait [traduction] « envoyé son secrétaire des Affaires extérieures et de la Mobilisation, M. James Obita, ainsi que deux membres du haut commandement de l'ARS/MRS » .

[42]            C'est le demandeur qui a fourni la communication présentée à la conférence à l'agente de visas, pour examen. Ses motifs pour ce faire ne sont pas du tout clairs puisque ce document est la preuve la plus convaincante qui soit des liens très étroits qu'il entretenait avec l'ARS et de son engagement à ses objectifs. Il s'agit essentiellement d'un document de propagande de l'ARS et le demandeur y donne l'impression d'être un ardent défenseur et apologiste du Mouvement.

[43]            Le demandeur y est présenté comme l'auteur du discours et il se qualifie lui-même de « Secrétaire des Affaires extérieures et de la Mobilisation de l'ARS/MRS, chef de la délégation MRS/ARS au KM97 » .

[44]            Le discours commence par la phrase suivante : [traduction] « J'ai le plaisir de vous transmettre les salutations très sincères et chaleureuses de la part de l'Armée et du Mouvement de résistance du Seigneur » , puis il incite l'auditoire à [traduction] « oublier pour l'instant les opinions que vous avez concernant le MRS/ARS, lesquelles opinions vous ont été transmises par la propagande du président Museveni et par ses collaborateurs de différents pays, notamment les médias de l'Ouest » .

[45]            Le discours mentionne plusieurs fois le rôle du demandeur pour le compte de l'ARS. Non seulement le demandeur s'exprime au nom de l'ARS mais il affirme faire partie de ce groupe. Par exemple, il a dit :

[TRADUCTION]

L'ARS est un petit groupe qui est toutefois très bien organisé et très motivé. Nous ne sommes pas suffisamment armés, mais nous avons été capables de nous défendre et de faire reculer l'Armée nationale de résistance (NRA) chaque fois que nous nous sommes affrontés au cours des huit dernières années. La NRA nous a pourchassés avec un armement de pointe, y compris des hélicoptères de combat, des chars d'assaut, des véhicules blindés de transport de troupes, de l'artillerie lourde et toute une batterie d'armes meurtrières qu'aucun gouvernement sain d'esprit n'utiliserait contre ses propres citoyens. Mais nous avons été en mesure de survivre.

[Non souligné dans l'original.]

[46]            Dans d'autres passages, le demandeur dit que l'ARS et le MRS ne forment qu'une seule entité. Dans une déclaration étonnante, il défend le MRS/ARS en contestant la preuve des atrocités commises par le groupe et en laissant entendre que la discipline est quelquefois assurée par des pelotons d'exécution :

[TRADUCTION]

Le MRS/ARS a fait de son mieux pour enquêter au sujet des allégations concernant ses guerriers qui auraient agi contrairement à la politique officielle et qui auraient enlevé des gens contre leur gré ou commis des atrocités et pour y remédier. Certains combattants de l'ARS qui ont violemment agressé des civils ont fait l'objet de mesures disciplinaires, notamment par peloton d'exécution, dans nos camps. À l'heure actuelle, le MRS/ARS fait enquête sur diverses allégations d'enlèvements et lors de la préparation de la présente communication, les résultats de l'enquête n'étaient pas encore disponibles.

[47]            Dans un autre passage, le demandeur tente de réfuter les allégations de mutilations commises par l'ARS en précisant uniquement qu'il n'y avait pas de politique officielle en ce sens :

[TRADUCTION]

L'ARS a été qualifiée en bloc et injustement d'organisation brutale qui mutile les oreilles, les lèvres et les membres de prétendus informateurs gouvernementaux. Nous voulons insister une fois de plus et dire que l'ARS n'a aucune politique officielle concernant des actes aussi atroces. Tous les soldats et informateurs de la NRA qui ont été capturés ont été soit réformés et intégrés dans l'ARS soit libérés sans avoir été victimes d'actes d'une telle brutalité.

[48]            Dans d'autres passages, le demandeur encense l'ARS et ses chefs et dénigre le gouvernement ougandais et ses forces armées. Par exemple, il qualifie le chef de l'ARS, Joseph Kony, de [traduction] « organisateur et leader efficace » mais il accuse les forces gouvernementales de mettre en oeuvre [traduction] « un programme d'extermination odieux » .

[49]            Le discours du demandeur se termine par l'énumération des trois exigences de l'ARS qui comprennent la démission du général Museveni, le démantèlement de sa soi-disant armée personnelle et la formation d'un nouveau gouvernement de réconciliation.

[50]            Il n'y a réellement aucun doute, à la lecture de ce discours, que le demandeur s'exprimait au nom de l'ARS ou que l'ARS et le MRS étaient, en fait, deux branches d'une seule organisation qui avaient les mêmes objectifs. Cette conclusion est renforcée par une lettre écrite par le demandeur, au président Museveni, le 6 novembre 1997. Le demandeur a fourni une copie de la lettre à l'agente des visas pour examen. La lettre proposait la négociation d'un accord de paix. L'en-tête est celui du « Mouvement/Armée de résistance du Seigneur » et porte le titre « Bureau du secrétaire des Affaires extérieures » . Le paragraphe introductif dit clairement que le demandeur écrivait [traduction] « au nom du haut commandement militaire de l'Armée de résistance du Seigneur (ARS) et de son organe politique, le Mouvement de résistance du Seigneur (MRS) » . Plus loin, dans la lettre, le demandeur mentionne le discours qu'il a prononcé lors de la conférence de Londres : [traduction] « En avril 1997 au Kacoke Madit (KM), à Londres, Royaume-Uni, l'intention déclarée du MRS/ARS de trouver un règlement pacifique au conflit dans le Nord a été inscrit dans les résolutions de la conférence. »

[51]            Outre tout ce qui a été mentionné, l'agente des visas a demandé et obtenu l'opinion d'un analyste du service canadien des crimes de guerres contemporains, à Ottawa, concernant l'ARS et le MRS. Elle a reçu l'avis suivant par courriel daté du 18 février 2004 :

[TRADUCTION]

Les déclarations de M. Obita lui-même confirment les accusations portées contre lui puisqu'il a dit qu'il appuyait la campagne militaire de l'ARS. Vos notes du STIDI révèlent qu'il s'est opposé à l'enlèvement d'enfants et à l'utilisation de mines terrestres par l'ARS. Il n'a peut-être pas approuvé ces actions, mais en appuyant la campagne militaire de l'ARS, qui visait la population civile plutôt que le gouvernement, il s'est néanmoins trouvé à dire qu'il appuyait les autres atrocités perpétrées (viols, torture, mutilations, etc.).

Certes, dans sa demande, il a tenté de prendre ses distances de l'ARS, mais il est demeuré membre du MRS et les renseignements provenant de sources ouvertes (en réalité, le demandeur lui-même était l'auteur d'un de ces articles) révèlent qu'il était, en fait, un représentant de l'ARS plutôt que du MRS dans les efforts de paix et qu'il a souvent agi comme porte-parole de l'ARS concernant le conflit en Ouganda. Il est également difficile de distinguer l'ARS du MRS. Le plus souvent, on les cite comme s'il s'agissait d'une seule organisation (elles ont le même chef, Joseph Kony). Le demandeur occupait un poste très élevé et c'est Kony lui-même qui le tenait au courant.

Il était au courant des crimes perpétrés par l'organisation, il était d'accord avec ses activités, il exerçait de l'influence au sein de l'organisation, il poursuivait le même objectif que l'ARS, il était associé au MRS/ARS et était lui-même un membre haut placé du groupe et il n'est parti que lorsqu'il a cru que sa propre vie était menacée.

RZTW est d'accord avec votre conclusion selon laquelle M. Obita est interdit de territoire, en conformité avec l'alinéa 35(1)a) de la LIPR, pour avoir participé à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre perpétrés par l'ARS.

[52]            L'agente des visas n'a commis aucune erreur quand elle a dit que le demandeur était un membre et un représentant de l'ARS parce que c'est ainsi qu'il s'est décrit lui-même. Et même si elle avait commis une erreur, la preuve de la complicité du demandeur dans l'avancement de la cause de l'ARS lui est fatale. Ce n'est pas l'étiquette que le demandeur se donne aujourd'hui qui importe. C'est sa participation personnelle et éclairée aux affaires de l'ARS qui témoigne de sa complicité.

[53]            Contrairement à l'article 37 de la LIPR, l'alinéa 35(1)a) n'exige pas d'établir la participation à une organisation comme condition d'interdiction de territoire. Il s'agit tout simplement de savoir s'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne en cause a commis une infraction. Le fait que l'agente des visas ait qualifié le demandeur de membre et représentant de l'ARS n'est donc pas pertinent dans sa prise de décision. Ce qui était pertinent, c'était sa participation active à l'ARS et l'importance de son appui aux causes défendues par l'organisation. La décision de l'agente porte bien sur ce point.

[54]            Le demandeur occupait un rang très élevé au sein du MRS et, à ce titre, il communiquait avec les chefs de l'ARS. Il était au courrant des atrocités commises par l'ARS et plutôt que de les réprouver, il a défendu avec vigueur la cause de l'ARS. D'ailleurs, il a tenté d'atténuer, sinon de blanchir, les crimes de l'ARS en usant de fausses déclarations et de propagande. Le MRS et l'ARS ont un objectif commun : renverser le gouvernement ougandais par la force. L'ARS a poursuivi en grande partie cet objectif en enlevant des enfants et en les enrôlant de force.

[55]            Il ressort clairement de la preuve documentaire qu'il était de notoriété que l'ARS était responsable d'actes de violence et qu'elle s'y était adonnée pendant plusieurs années. Le discours prononcé à Londres par le demandeur révèle qu'il connaissait très bien les activités de l'ARS et qu'il était au courant de ses actes de violence. Ces affirmations sont corroborées par l'affidavit que le demandeur a déposé au soutien de sa demande.

[56]            Le demandeur a appuyé activement l'ARS et, puisqu'il était au courant de ses activités, il a été complice de ses crimes.

[57]            Le demandeur prétend qu'il n'est en rien responsable de tous ces actes de violence odieux parce qu'il n'a été membre que de l'organe politique de l'ARS, mais ses propres aveux le contredisent. Si une personne choisit d'être membre d'une organisation telles que celles-ci, même sur le plan politique, elle ne peut revendiquer l'immunité en mentionnant qu'elle a quelquefois critiqué l'organisation ou à l'occasion manifesté son désaccord. Il est peut-être vrai que le demandeur a tenté de trouver une solution pacifique au conflit, mais le dossier révèle qu'il s'agissait d'une paix selon les conditions formulées par l'ARS. Même si le demandeur a peut-être voulu freiner certains comportements criminels de l'ARS, il a néanmoins affirmé publiquement qu'il excusait ou atténuait ces mêmes crimes et il a fait abstraction d'autres actes de même nature. L'agente des visas a eu raison dans son analyse de la soi-disant preuve disculpatoire.

Conclusion

[58]            La participation active du demandeur à l'ARS et les liens très étroits entre le MRS et l'ARS confirment à eux seuls la conclusion tirée par l'agente de visas selon laquelle le demandeur était un membre et représentant de l'ARS. L'agente disposait également de suffisamment de preuves pour conclure que l'ARS avait perpétré des crimes contre l'humanité et que le demandeur avait été complice de ces crimes entre 1996 et 1998.

[59]            Je conclus également que la lettre de refus de l'agente des visas comprenait suffisamment d'information pour que le demandeur n'ait aucune difficulté à comprendre comment l'agente était arrivée à sa décision concernant son interdiction. La lettre mentionne clairement les dispositions légales que l'agente a appliquées pour décider que le demandeur est interdit de territoire. La lettre avise le demandeur qu'il ne peut être admis au Canada parce qu'il a été complice de crimes contre l'humanité perpétrés par l'ARS au cours des années 90. La décision mentionne l'entrevue avec le demandeur, les documents qu'il a fournis à l'agente des visas, notamment le discours prononcé à Londres, et la recherche qu'elle a elle-même effectuée. La décision mentionne qu'il a reconnu avoir soutenu la campagne militaire de l'ARS qui visait principalement la population civile. Enfin, la décision attire l'attention sur certaines atrocités précises perpétrées par l'ARS, y compris le viol, la torture et la mutilation, actes qui ont été tolérés par le demandeur qui était d'accord avec l'ARS et ses objectifs. Très certainement, la lettre de l'agente des visas respectait le critère de transparence dont il est fait mention dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[60]            Même si j'avais tort de conclure que la décision de l'agente des visas était raisonnable et suffisante, je n'ordonnerais pas que l'affaire soit renvoyée pour nouvel examen. Selon moi, les faits en l'espèce sont tellement convaincants que l'agente ne pouvait raisonnablement que conclure que le demandeur était interdit de territoire au Canada : voir Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), précité.

[61]            Aucune partie n'a demandé qu'une question soit certifiée et aucune question ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                   aucune question n'est certifiée.

« R. L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-1473-05

INTITULÉ :                                                                JAMES ALFRED OBITA

                                                                                    c.

                                                                                    MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 24 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :                                               LE 10 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                             POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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