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                                                                                                                                      T-2625-96

 

 

 

Entre :

 

 

                                                SKYCHARTER LIMITED ET

                                          MILLARD PROPERTIES LIMITED,

 

                                                                                                                                  requérantes,

 

                                                                        - et -

 

 

                                        LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET

                                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                                          intimés.

 

 

 

 

                                                 MOTIFS ET ORDONNANCE

 

 

LE JUGE WETSTON

 

            Il s'agit d'une demande déposée par les intimés en vue de faire rejeter la demande de contrôle judiciaire des requérantes au motif qu'elle a été présentée après l'expiration du délai de trente jours prévu à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.  Les requérantes ont également déposé une requête incidente en vue de faire proroger le délai à l'intérieur duquel elles pourront déposer leur demande de contrôle judiciaire avec effet rétroactif au 2 décembre 1996.

 

            Les requérantes sont les locataires de certains immeubles de l'État à l'aéroport international Lester B. Pearson.  En février 1996, elles ont appris que certains terrains et locaux à l'aéroport seraient bientôt mis en location.  Elles ont informé presque immédiatement un représentant de Transports Canada qu'elles étaient intéressées à louer l'aérogare située sur les lieux.  Les communications entre les requérantes et Transports Canada ont duré de mars 1996 jusqu'à juin 1996.

 

            En juin 1996, elles ont appris que le ministre avait peut-être conclu un bail avec une autre partie.  Le 6 juin 1996, les avocats des requérantes ont informé Transports Canada que si l'État négociait la location des immeubles avec des parties autres que les requérantes, celles-ci leur avaient donné instruction de prendre des mesures énergiques en [TRADUCTION] «intentant une action à l'encontre de Transports Canada afin d'obtenir des dommages-intérêts et tous autres redressements appropriés».

 

            Le 7 juin 1996, la requérante Skycharter a été informée, par l'entremise de son avocat, que le ministre avait accepté de conclure un bail avec une autre partie.  Le 25 juin 1996, la deuxième requérante, Millard Properties Limited, a également été informée que le ministre avait conclu avec une autre partie un bail à long terme prenant effet le 17 mai 1996.  Les requérantes ont demandé les détails du bail conclu avec l'autre partie, mais l'accès leur en a été refusé.  Elles ont essayé d'obtenir les détails du bail en invoquant la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1, mais à ce jour elles n'ont pas réussi à obtenir copie du bail.  Les requérantes ont présenté devant la Cour cette demande de contrôle judiciaire concernant la décision du ministre le 2 décembre 1996.

 

            Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale dispose qu'une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours qui suivent la première communication de la décision, à moins qu'une autre date ne soit fixée ou accordée par la Cour.  Cet article exige que la partie concernée par la décision en soit avisée et précise que le délai de trente jours commence à courir à la date à laquelle la partie est ainsi informée.  La Cour d'appel fédérale a fait remarquer que la signification exige que le décideur pose un acte positif quelconque pour s'assurer que sa décision est communiquée aux parties concernées : voir Atlantic Coast Fisherman's Association c. Ministre des Pêches (1995), 189 N.R. 220.

 

            Les requérantes prétendent qu'elles n'ont pas été informées de la décision du ministre étant donné que tous les détails du bail n'ont pas été mis à leur disposition.  Le 7 juin et le 25 juin 1996, Transports Canada a informé les requérantes qu'il avait accepté de conclure avec une autre partie un bail prenant effet le 17 mai 1996.  Je ne peux accepter l'argument des requérantes selon lequel cette information ne correspond pas à la signification de la décision du ministre.  À tout le moins, au 25 juin 1996, les parties savaient que le ministre avait conclu un bail avec un tiers et que ce bail prenait effet le 17 mai 1996.  Le dépôt de la demande de contrôle judiciaire six mois après cette information est clairement hors délai.

 

            En réponse à la requête des intimés, les requérantes ont présenté une requête incidente demandant une prorogation du délai à l'intérieur duquel elles peuvent déposer leur demande de contrôle judiciaire.  La décision de proroger est discrétionnaire et les principaux éléments à prendre en compte sont les suivants : l'existence de motifs soutenables d'annulation de la décision du ministre, l'existence d'une explication satisfaisante justifiant le retard des requérantes, notamment la confirmation qu'elles avaient l'intention de déposer leur demande à l'intérieur du délai prescrit et n'ont jamais cessé d'avoir cette intention, et le préjudice que subiraient les intimés si le délai était prorogé : voir Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 262 (C.A.F.).  Le facteur prédominant dans une telle demande consiste à s'assurer que justice est faite entre les parties : Grewal, précité, page 282.

 

            À mon avis, selon l'interprétation donnée dans l'arrêt Grewal, précité, cette demande ne révèle aucun motif soutenable d'annulation.  Pour défendre une demande de contrôle judiciaire, la partie requérante doit satisfaire aux exigences énoncées à l'article 18.1.  Cet article exige que la décision soit prise par un office fédéral et, aux termes de l'article 2, que le décideur soit censé exercer un pouvoir prévu par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale.

 

            Dans l'arrêt Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. et le Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux du Canada et al. (1995), 125 D.L.R. (4th) 559 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale était saisie d'une affaire présentant des faits semblables à ceux de l'espèce.  Dans cette affaire, la partie requérante contestait la décision du ministre des Travaux publics d'accorder un bail dans un cas où le ministre avait, en l'absence d'une obligation légale, établi un processus d'appel d'offres pour l'adjudication du bail.  En l'espèce, il n'y a pas de processus d'appel d'offres.  La Cour a examiné l'article 18.1 de la Loi et conclu que la décision du ministre était susceptible de révision.  Quant à savoir si le ministre avait agi en vertu d'un pouvoir légal, la Cour a indiqué ceci à la page 11 (version française, A‑45‑95) :

J'en arrive ainsi à la conclusion que ce serait aller à l'encontre de la lettre et de l'esprit de l'alinéa 18(1)a) que de dire qu'un ministre expressément habilité par un règlement pris en vertu de l'alinéa 16(2)b) de la Loi sur les immeubles fédéraux à procéder à la location d'un immeuble, n'exerce pas, lorsqu'il procède à un appel d'offres menant à la conclusion d'un bail, un pouvoir «prévu par une loi fédérale».

 

Il semble donc que, dans cette affaire, le ministre agissait en vertu d'un règlement établi aux termes de l'alinéa 16(2)b) de la Loi sur les immeubles fédéraux, L.C. 1991, ch. 50, et, de même, exerçait un pouvoir «prévu par une loi fédérale» et, par conséquent, que sa décision était susceptible d'être révisée par la Cour.

 

            Bien que la question à l'étude puisse faire l'objet d'une révision, cela ne nous amène pas nécessairement à conclure que les requérantes ont une cause défendable.  L'avocat des intimés fait valoir que les redressements recherchés par les requérantes ne peuvent être obtenus en l'espèce parce qu'il n'existe pas d'obligation légale ou réglementaire que l'État aurait pu enfreindre, contrairement à ce que prétendent les requérantes.  Toutefois, les requérantes ont demandé presque tous les redressements possibles dans l'avis introductif d'instance, y compris l'annulation de la décision du ministre.  Que les redressements recherchés leur soient ou non accessibles n'est pas un élément concluant en l'espèce.  La question consiste à savoir s'il y a une possibilité raisonnable, en supposant que le délai soit prorogé, que les requérantes obtiennent gain de cause dans leur demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision du ministre.

 

            Les requérantes font valoir que certains énoncés de politiques lient le ministre et que, en outre, celui-ci n'a pas suivi ces politiques.  Les directives d'orientation ne lient pas une autorité et elles ne peuvent être opposées à la Couronne par les membres du public : voir Dee c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 7 Imm. L.R. (2d) 95 (C.F. 1re inst.); Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 91 N.R. 121 (C.A.F.); Martineau c. Institution de Matsqui n° 1, [1978] 1 R.C.S. 118, le juge Pigeon, aux pages 129 et 130.  En exerçant son pouvoir de conclure un bail, le ministre agit dans les limites d'un large pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 4(1) du Règlement.

 

            À mon avis, les requérantes n'ont aucune chance raisonnable d'avoir gain de cause en l'espèce.  Les erreurs alléguées par les requérantes n'ont trait qu'à l'omission de se conformer à des directives d'orientation qui ne lient pas le ministre et que les requérantes ne peuvent lui opposer.  Ces erreurs présumées ne sont pas de nature à amener la Cour à conclure que l'annulation de la décision du ministre est une possibilité raisonnable.  Les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Gestion, précité, à la page 14 (version française, A-45-95), sont également applicables à l'espèce :

L'attaque, en réalité, porte sur cette catégorie d'activités du Ministre qui est le plus susceptible d'échapper au contrôle judiciaire et les motifs allégués devant nous par l'appelante sont de ceux qui font du contrôle judiciaire un recours presqu'assurément [sic] voué à l'échec dans des circonstances comme celle-ci.

 

            Les requérantes n'ont donc pas réussi à me convaincre que le retard était justifié.  Elles savaient dès le 7 juin 1996 qu'une décision de louer les immeubles avait été prise, et pourtant elles n'ont déposé cette demande que le 2 décembre 1996, soit après un délai de six mois.  Les requérantes prétendent qu'elles n'étaient pas au courant de tous les détails de la décision du ministre et que pendant toute cette période elles ont exercé d'autres recours afin d'obtenir une copie du bail.  Même si je crois sans peine que les requérantes ont essayé d'obtenir le bail de Transports Canada en invoquant la Loi sur l'accès à l'information, je ne suis pas convaincu que ces efforts constituent un motif suffisant pour justifier le retard à intenter la présente procédure.

 

            Finalement, pour ce qui est du préjudice, les intimés n'ont pas fourni suffisamment d'éléments de preuve pour m'amener à conclure qu'ils subiraient un préjudice.  L'avocat des intimés a fait valoir qu'il y aurait préjudice étant donné qu'un bail a été conclu avec un tiers.  Aucun affidavit ou autre élément de preuve n'a été produit à cet égard.  À mon avis, il est insuffisant de prétendre tout simplement qu'il y aura préjudice sans fournir d'élément de preuve pour appuyer ces allégations.

 

            Par conséquent, étant donné qu'il n'y a pas de motifs soutenables d'annulation et comme je ne suis pas convaincu que le retard est justifié, la requête des intimés est accueillie et la requête incidente des requérantes en vue de faire proroger le délai pour déposer la demande de contrôle judiciaire est rejetée.  La demande de contrôle judiciaire en date du 2 décembre 1996 est rejetée.

 

 

                                                                                                Le juge Wetston

                                                                                                                                   

                                                                                                            Juge

 

 

Ottawa (Ontario)

le 31 janvier 1997

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                          

 

François Blais, LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

 

N° DU GREFFE :T-2625-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :SKYCHARTER LIMITED ET

MILLARD PROPERTIES LIMITED,

                                                                                                                                    requérantes,

 

et

 

LE MINISTRE DES TRANSPORTS ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                           intimés.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :le 13 janvier 1997

 

 

MOTIFS ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE WETSTON

 

 

DATE :le 31 janvier 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

M. Charles SkipperPOUR LES REQUÉRANTES

 

M. Peter M. SoutheyPOUR LES INTIMÉS

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Foggler, RubinoffPOUR LES REQUÉRANTES

Toronto (Ontario)

 

George ThomsonPOUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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