Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20001013

Dossier : T-1882-99

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 13 OCTOBRE 2000

DEVANT : MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

ALYSON SCADRON-WATTLES

défenderesse

JUGEMENT

IL EST STATUÉ QUE :

L'appel est accueilli. La décision que le juge de la citoyenneté a rendue le 30 août 1999 est annulée.

                « Eleanor R. Dawson »               

        Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


Date: 20001013

Dossier:T-1882-99

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

ALYSON SCADRON-WATTLES

défenderesse

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]         Dans cet appel, il s'agit de savoir si le juge de la citoyenneté a commis une erreur en approuvant la demande que la défenderesse, Mme Scadron-Wattles, avait présentée en vue d'obtenir la citoyenneté, et plus particulièrement s'il a commis une erreur en concluant que Mme Scadron-Wattles remplissait les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa forme modifiée (la Loi).


[2]         Mme Scadron-Wattles n'a pas déposé de dossier de la défenderesse et n'a pas comparu en personne ou par l'entremise d'un avocat à l'audition de cet appel. La preuve de la signification à Mme Scadron-Wattles de l'avis de demande et de l'avis de la date d'audience a été versée dans le dossier de la Cour. L'appel a donc été entendu en l'absence de Mme Scadron-Wattles conformément aux dispositions de la règle 38 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[3]         La norme de contrôle applicable à un appel fondé sur le paragraphe 14(5) de la Loi se rapproche de celle de la décision correcte. Cela veut dire qu'un juge de cette cour doit faire preuve de retenue lorsque, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, le juge de la citoyenneté décide à bon droit que les faits satisfont à sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Voir : Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.).

[4]         Les faits pertinents, tels qu'ils ressortent du dossier du tribunal, sont les suivants :

[5]         Mme Scadron-Wattles est une citoyenne américaine âgée de 25 ans qui est arrivée au Canada le 12 août 1988 avec ses parents et sa soeur. Elle a par la suite obtenu le droit d'établissement au Canada, avec ses parents et sa soeur, le 19 avril 1991.


[6]         Mme Scadron-Wattles a fait des études primaires et secondaires au Canada et elle a ensuite collaboré à diverses productions cinématographiques et télévisées non spécifiées à Toronto; elle a également travaillé pour une troupe de théâtre à Kitchener (Ontario). Dans sa demande, Mme Scadron-Wattles n'a pas indiqué les périodes pendant lesquelles elle avait exercé cet emploi et elle n'a pas non plus indiqué les périodes pendant lesquelles elle avait travaillé à temps partiel dans le secteur de la restauration, emploi qu'elle affirme avoir abandonné en vue de faire des études.

[7]         Mme Scadron-Wattles a demandé la citoyenneté le 1er octobre 1998. Dans les quatre ans, soit 1 461 jours, qui ont précédé la date de sa demande, elle a été absente du Canada pendant 1 352 jours en tout. Les précisions suivantes ont été données au sujet de ces absences :

Du                           Au                           Destination                            Motif                       Nombre de jours d'absence

01/10/94 18/12/94 Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales                 107

04/01/95 16/12/95 Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales                 346

Emploi d'été

07/01/96 17/05/96 Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales                 131

31/05/96 08/06/96 Ithaca, NY (É.-U.) Assister à un mariage           8

07/07/96 17/12/96 Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales                 163

02/01/97 29/05/97 Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales                 147

09/06/97 17/12/97 Elmer, NJ (É.-U.)    Enseignement                        191

Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales

05/01/98 21/09/98 Valencia, CA (É.-U.)              Études collégiales                 259

[8]         Mme Scadron-Wattles a obtenu un baccalauréat en beaux-arts du California Institute of the Arts, à Valencia, le 15 mai 1998.

[9]         Le juge de la citoyenneté a énoncé les motifs suivants :


[TRADUCTION]

Il manque à la demanderesse 987 jours sur les 1 095 jours nécessaires - c'est-à-dire qu'elle est demeurée au Canada pendant 108 jours dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.

La demanderesse a obtenu le droit d'établissement au Canada en 1991, avec ses parents et ses frères et soeurs - mais depuis 1998 [1988?], elle est titulaire d'un visa d'étudiante lui permettant de rester au Canada. Elle a fait six années d'études primaires et secondaires avant d'aller poursuivre ses études en Californie pour une période de quatre ans en 1994. Elle a demandé la citoyenneté au mois d'octobre 1998. Pendant son absence, elle a élu domicile au Canada chez ses parents - pendant son absence, ses livres, ses vêtements et certains meubles étaient restés entreposés au Canada. Pendant son absence, elle a produit des déclarations de revenus; elle avait un permis de conduire canadien, une carte d'assurance sociale, une carte d'assurance-maladie, un compte bancaire. Pendant la période de quatre ans où elle s'est absentée, ses parents et sa soeur sont demeurés au Canada; leurs demandes de citoyenneté ont été approuvées. La demanderesse conservait ses effets au Canada; aux États-Unis, elle logeait dans une résidence d'étudiants; elle revenait régulièrement passer ses vacances au Canada pendant de brèves périodes pour être avec sa famille. Depuis qu'elle a obtenu son diplôme au mois d'octobre 1998, la demanderesse est retournée en Californie pendant environ six semaines pour achever un projet - mais à cette exception près, elle est restée au Canada.

Il importe de noter que, pendant qu'elle étudiait aux États-Unis, la demanderesse a chaque année déclaré son revenu américain et produit sa déclaration de revenus au Canada.

La demande est fort semblable à deux demandes que je n'ai pas approuvées (T-1697-96 et T-1698-96) Daniel Hooft et Emilia Hooft. Ces demandeurs ont interjeté appel et l'appel a été accueilli par le juge Marc Nadon, qui a dit ce qui suit : « À mon avis, le fait que l'appelant étudie à l'étranger [...] ne lui a pas fait perdre sa « résidence » au Canada. Selon moi, il a quitté le Canada « à des fins temporaires » pour poursuivre ses études. » J'approuve donc cette demande. La demanderesse remplit les conditions de résidence conformément à la décision rendue par le juge en chef adjoint Thurlow.


[10]       Il ressort des faits qui ont été ci-dessus exposés que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en disant que, depuis qu'elle avait obtenu son diplôme, Mme Scadron-Wattles était retournée en Californie pendant environ six semaines pour achever un projet, mais qu'à cette exception près, elle était restée au Canada. En fait, Mme Scadron-Wattles a obtenu son diplôme le 15 mai 1998, et elle est par la suite restée en Californie jusqu'au 21 septembre 1998. À mon avis, il s'agit d'une erreur importante parce que cela laisse entendre l'existence d'un lien plus étroit avec le Canada que celui que révèlent les renseignements dont disposait le juge de la citoyenneté. Pendant une période d'un peu plus de quatre mois, après avoir obtenu son diplôme, Mme Scadron-Wattles est restée aux États-Unis pour des raisons qui ne sont pas précisées dans le dossier.

[11]       En outre, le juge de la citoyenneté a dit qu'aux États-Unis, Mme Scadron-Wattles logeait dans une résidence d'étudiants, mais il n'a pas parlé de la période de six mois, en 1997, pendant laquelle Mme Scadron-Wattles n'avait pas fréquenté le collège en Californie, mais avait plutôt enseigné au New Jersey pendant un certain temps.

[12]       Quant à l'examen de la jurisprudence effectué par le juge de la citoyenneté, l'analyse des principes juridiques applicables était limité à deux cas dans lesquels le juge avait rendu des décisions qui avaient été infirmées par le juge Nadon, de cette cour. Le juge de la citoyenneté a brièvement cité le juge Nadon et a dit que le cas de Mme Scadron-Wattles était fort semblable aux affaires dont le juge Nadon avait été saisi. Le juge de la citoyenneté a ensuite conclu que Mme Scadron-Wattles remplissait les conditions de résidence [TRADUCTION] « conformément à la décision rendue par le juge en chef adjoint Thurlow » .

[13]       Dans les deux affaires que le juge de la citoyenneté a citées, le juge Nadon avait examiné la décision rendue par le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans l'affaire Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.); il a cité les remarques suivantes en les approuvant :


Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente. Ainsi que l'a dit le juge Rand dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [TRADUCTION] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

[14]       Selon les exigences énoncées par le juge en chef adjoint Thurlow, il faudrait déterminer si une personne qui est dans la même situation que Mme Scadron-Wattles a centralisé son mode de vie habituel au Canada de façon qu'il soit possible de dire qu'elle s'absentait à des fins temporaires. Ainsi, dans l'affaire Emilie Hooft, [1997] A.C.F. no 812, T-1697-96 (11 juin 1997) (C.F. 1re inst.), le juge Nadon a examiné les liens que la demanderesse avait avec le Canada; il a souligné que la demanderesse avait fort clairement manifesté son intention de revenir au Canada, et il a conclu que, puisqu'elle avait élu domicile au Canada, la demanderesse s'était absentée à des fins temporaires. Dans l'affaire Daniel Hooft, [1997] A.C.F. no 813, T-1698-96 (11 juin 1997) (C.F. 1re inst.), le juge Nadon, après avoir examiné les faits, a affirmé être convaincu que le demandeur avait uniquement quitté le Canada à des fins temporaires. Dans cette affaire-là, le demandeur avait continué à étudier à l'étranger. Contrairement à Mme Scadron-Wattles, le demandeur n'avait pas continué à résider à l'étranger une fois ses études terminées.

[15]       Je retiens la prétention du ministre selon laquelle, en l'espèce, les motifs que le juge de la citoyenneté a prononcés ne montrent pas qu'il a analysé les attaches que Mme Scadron-Wattles avait avec le Canada si ce n'est en ce qui concerne les indices passifs de résidence ou l'examen de la question de savoir si les absences étaient de nature temporaire.


[16]       En l'espèce :

·           Dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, Mme Scadron-Wattles s'est absentée pendant 1 352 jours en tout. Elle s'est absentée pour de longues périodes. Lorsqu'elle faisait un séjour au Canada, c'était en moyenne pour une période de 16 jours.

·           Ces absences étaient principalement attribuables à ses études, mais lorsque Mme Scadron-Wattles a eu la possibilité de travailler aux États-Unis, elle y est restée pendant un certain temps après avoir obtenu son diplôme.

·           Ni le dossier du tribunal ni les motifs du juge de la citoyenneté n'indiquent que la défenderesse ait été membre d'associations canadiennes ou qu'elle ait pris part à des activités communautaires.

·           Rien ne montre que Mme Scadron-Wattles se soit efforcée de poursuivre ses études au Canada ou qu'après avoir terminé ses études supérieures, elle ait cherché un emploi au Canada.


[17]       Le juge de la citoyenneté a tenu compte du fait que Mme Scadron-Wattles avait produit des déclarations de revenus au Canada et qu'elle avait un permis de conduire canadien, une carte d'assurance sociale et une carte d'assurance-maladie ainsi que du fait que la famille de Mme Scadron-Wattles vit au Canada, mais ces indices à eux seuls ont été jugés insuffisants aux fins de la question de savoir si une personne a centralisé son mode de vie habituel au Canada. Voir : Shang, [1998] A.C.F. no 112, T-1186-97 (23 janvier 1998) (C.F. 1re inst.).

[18]       Par conséquent, si j'examine les faits énoncés au paragraphe 16 à la lumière de la déclaration erronée du juge de la citoyenneté selon laquelle Mme Scadron-Wattles est restée au Canada, si ce n'est pour une période de six semaines après avoir obtenu son diplôme, je conclus que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en concluant que Mme Scadron-Wattles remplissait les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[19]       L'appel est accueilli. La décision que le juge de la citoyenneté a rendue le 30 août 1999 est annulée.

                 « Eleanor R. Dawson »                

      Juge

Ottawa (Ontario)

Le 13 octobre 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                        T-1882-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Alyson Scadron-Wattles

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 3 octobre 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON EN DATE DU 13 OCTOBRE 2000.

ONT COMPARU :

A. Leena Jaakimainen                                  POUR LE DEMANDEUR

Personne n'a comparu pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Personne n'a comparu pour la défenderesse


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.