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Date : 20051222

Dossier : IMM-2380-05

Référence : 2005 CF 1737

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE W. ANDREW MACKAY

ENTRE :

HUSSEIN EL-HAJJ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par un représentant du ministre défendeur le 31 mars 2005, et une ordonnance annulant cette décision, aux termes de laquelle il a été déterminé que les raisons d'ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier d'exempter le demandeur de l'application du paragraphe 11(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications successives (la LIPR), l'obligeant à présenter sa demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada. Le représentant a également décidé à cette même date que le demandeur n'obtiendrait pas le statut de résident permanent au Canada, à titre de membre de la catégorie des époux et des conjoints de fait au Canada, tel qu'annoncé en février 2005.

Contexte

[2]                Le demandeur est entré au Canada le 8 décembre 2002, muni d'un visa de résident temporaire délivré à Beyrouth (Liban) un mois auparavant. Le 10 janvier 2003, il a revendiqué le statut de réfugié. Cette revendication a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés le 17 novembre 2003. Le 3 avril 2004, la Cour fédérale a refusé sa demande d'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire à l'encontre du rejet de sa revendication.

[3]                Entre-temps, le 1er septembre 2002, le demandeur a rencontré sa future épouse. Ils ont commencé à entretenir une relation qui s'est conclue par leur mariage, célébré par une cérémonie civile, le 29 mai 2004, et une cérémonie traditionnelle, le 6 juin 2004. Leur mariage a été célébré après que la Cour fédérale ait refusé d'autoriser la demande de contrôle judiciaire à l'encontre du rejet de la revendication.

[4]                En août 2004, le demandeur a présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire afin d'être exempté de l'application du paragraphe 11(1) de la LIPR, laquelle oblige les demandeurs à présenter leur demande de résidence permanente au Canada à l'extérieur du pays. Conformément à la politique annoncée en février 2005, l'épouse du demandeur a signé un engagement de parrainage pour la résidence permanente du demandeur. Le 11 mars 2005, un agent d'immigration a réalisé une entrevue avec le demandeur et avec son épouse, séparément. Le 31 mars 2005, cet agent a rendu une décision défavorable, rejetant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ainsi que la demande d'admission présentée à l'intérieur du Canada, avec le parrainage de son épouse. Ces décisions font l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour ayant autorisé le recours du demandeur.

Questions en litige

[5]                Le demandeur soutient que l'agent d'immigration a commis une erreur dans sa décision :

1)                   en s'appuyant sur des faits qu'il a constatés et qui ont pourtant été contredits par la preuve ou qui ne tiennent pas compte des explications du demandeur;

2)                   en manquant à son obligation d'équité car il s'est appuyé sur des renseignements contenus dans le dossier d'une instance précédente et qui ont été maintenus dans le dossier du demandeur, sans que ce dernier n'ait été informé que le représentant fonderait sa décision sur ces faits et sans que le demandeur n'ait eu l'occasion de fournir une explication quant aux contradictions relevées par le décideur sur la foi de ces renseignements.

J'examinerai ces questions à tour de rôle.

Analyse

[6]                Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable à la décision rejetant la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, elles ne s'entendent pas sur la manière dont cette norme doit être appliquée.

[7]                L'agent concerné, dans des notes faisant état des motifs de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire, énonce certains faits relevés lors des entrevues séparées du demandeur et de son épouse et sur lesquels ces derniers ne semblent pas s'entendre. Le demandeur fait valoir que ces motifs ne font aucune mention des questions sur lesquelles les époux sont d'accord. En outre, le demandeur soutient que le dossier maintenu par son conseiller à propos des entrevues démontre que les apparentes contradictions n'existent pas; ce dossier est joint à l'affidavit du demandeur. Je ne suis pas convaincu que la Cour puisse accepter les notes du conseiller à titre de preuve. L'auteur de ces notes n'a pas fourni d'affidavit attestant de leur authenticité ou de leur véracité. Ces notes ne faisaient pas partie du dossier dont disposait le décideur et elles n'ont pas été portées à sa connaissance avant que les décisions ne soient rendues. Les notes du conseiller ne font pas partie du dossier sur la base duquel les décisions doivent être examinées. (Voir Asafov c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. n ° 713 (1re inst.) (QL).)

[8]                Les conclusions de l'agent, quant aux contradictions relevées dans les réponses du demandeur et de son épouse, ne sont pas les seuls facteurs dont il a tenu compte pour déterminer si leur mariage était authentique, aux fins de l'immigration. La date du mariage, peu après le rejet de la demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire à l'encontre du rejet de sa revendication du statut de réfugié, les incohérences apparentes dans la description faite par le demandeur d'une relation antérieure avec une autre femme, avant son mariage, l'absence de liens entre le demandeur et la famille de son épouse, tous ces facteurs indiquaient, aux yeux de l'agent d'immigration, [traduction] « une preuve insuffisante pour démontrer que le mariage n'a pas été conclu dans le seul but d'obtenir le statut d'immigration » et justifiaient le rejet de la demande à titre de membre de la catégorie des époux et des conjoints de fait au Canada.

[9]                L'agent a également énuméré les facteurs dont il a tenu compte et qui appuyaient, ou n'appuyaient pas, la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire; il a conclu que les raisons d'ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier d'exempter le demandeur de l'obligation de présenter sa demande de résidence permanente à l'extérieur du Canada.

[10]            À mon avis, la décision de l'agent était raisonnable, compte tenu de la preuve dont il disposait lorsqu'il a examiné les demandes, à une exception près. Il s'agit de l'évaluation de la crédibilité du demandeur, fondée sur des remarques qu'il a formulées dans le cadre d'une instance précédente à propos de sa relation avec une autre femme, avant qu'il ne rencontre son épouse.

[11]            Dans sa décision, l'agent précise que le manque de crédibilité du demandeur est l'un des facteurs qui a pesé contre la demande fondée sur des raisons d'ordre d'humanitaire :

[Traduction]

En rendant cette décision, je remets en cause la crédibilité du demandeur principal. Lorsqu'il a présenté sa demande de visa à l'étranger, le demandeur principal a déclaré qu'il était fiancé. Lors de l'audition de sa revendication du statut de réfugié en octobre 2003, le demandeur principal a affirmé qu'il était officieusement fiancé à une citoyenne libanaise. Le demandeur principal m'a confié, lors de l'entrevue en mars 2005, qu'il n'avait jamais été fiancé et qu'il n'avait jamais entretenu une relation sérieuse avec une autre femme dans le passé. Ces déclarations sont clairement contradictoires.

[12]            L'agent mentionne la même contradiction parmi les facteurs négatifs justifiant le rejet de la demande à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait, dans sa décision concernant cette demande. L'agent accorde une grande importance à ce facteur, dans les deux décisions, même si ce n'est pas le seul facteur pris en compte. Bien que l'on puisse argumenter sur le poids que l'on doit accorder à ce facteur, l'agent a sans aucun doute fondé sa décision sur la lecture des documents relatifs aux procédures entamées par le demandeur dans le passé, documents qui n'ont pas été préparés par l'agent mais par ses confrères. Le demandeur soutient qu'il n'a pas eu l'occasion d'expliquer que la relation qu'il a mentionnée dans son témoignage à l'époque n'était pas une étape officielle en vue d'un mariage au Liban. L'agent s'est appuyé sur ces notes sans en informer le demandeur et sans lui donner la possibilité d'expliquer ce malentendu sur une question qui a clairement affecté son évaluation du mariage et sa conclusion, quant à savoir si le mariage a été conclu dans le seul but d'obtenir l'immigration.

[13]            Je suis d'accord avec les arguments présentés au soutien de la cause du demandeur, soit qu'en omettant d'aviser le demandeur qu'il comptait s'appuyer sur des renseignements consignés par d'autres agents ayant réalisé des entrevues avec le demandeur dans le passé, sans lui donner l'occasion d'expliquer les contradictions apparentes, l'agent a violé un principe de justice naturelle; or, la seule mesure corrective appropriée en l'espèce consiste à annuler la décision de l'agent et à renvoyer l'affaire au ministre pour qu'une nouvelle décision soit rendue par un autre agent d'immigration.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

[1]                La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[2]                La décision du représentant du ministre est annulée.

[3]                La demande de résidence permanente déposée à l'intérieur du Canada est renvoyée au ministre pour un nouvel examen par un autre agent d'immigration.

« W. Andrew MacKay »

Juge suppléant

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2380-05

INTITULÉ :                                        HUSSEIN EL-HAJJ

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 8 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MACKAY

DATE DES MOTIFS :                       Le 22 décembre 2005

COMPARUTIONS:

KAREN D. SWARTZENBERGER

POUR LE DEMANDEUR

CAMILLE AUDAIN

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McCUAIG DESROCHERS

Edmonton (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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