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Date : 20000728

Dossiers : T-2706-87

                                                                                                                               T-2707-87

ENTRE :

                                                 1056 ENTERPRISES LTD.

                                                                                                                        demanderesse

                                                                       et

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                          défenderesse

                                                                                                               Dossier : T-2709-87

ET ENTRE :

                                                          JOHN PANKIW

                                                                                                                              demandeur

                                                                       et

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                          défenderesse

                                                 MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HANSEN

[1]         La présente affaire implique trois actions engagées par les demandeurs John Pankiw et 1056 Enterprises Ltd (1056) en vertu du paragraphe 172(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). Les trois actions sont fondées sur les mêmes faits.


[2]         Comme la décision de la Cour dans l'action dans laquelle John Pankiw est le demandeur est déterminante quant au sort des deux autres affaires qui lui sont liées, je traiterai de celle-ci en premier.

[3]         John Pankiw demande à la Cour d'annuler l'avis de nouvelle cotisation qu'il a reçu pour l'année d'imposition 1984 et selon lequel l'impôt établi pour cette année était de 15 926,34$ et de 807 377,09$ à titre d'avantages en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi.

Les faits à l'origine du litige

[4]         Les faits à l'origine du présent litige entre les demandeurs et le ministre du Revenu national (Ministre) proviennent d'un désaccord de longue date entre John Pankiw et son frère William Pankiw au sujet de leurs intérêts respectifs dans 1056, société précédemment connue sous la dénomination Cantex Engineering & Construction Co. Ltd. (Cantex).

[5]         Le litige implique également une propriété achetée en 1973 par William Pankiw et connue comme étant la propriété Wiltse. Les titres de cette propriété étaient au nom de Ellis Creek Holdings Ltd. (Ellis Creek), société qui appartient à William Pankiw.


[6]         En 1970, John Pankiw, qui travaillait comme ingénieur en Colombie-Britannique, et William Pankiw ont discuté de la création d'une nouvelle société pour lancer une entreprise de location d'équipement lourd et ils ont planifié le projet. Les frères ont convenu que John Pankiw serait responsable de l'exploitation de l'entreprise et que William Pankiw y apporterait une mise de fond de 20 000$ ainsi que l'équipement nécessaire au démarrage de la société. De plus, en contrepartie de sa mise de fond et de l'apport en équipement, William recevrait 50% des gains de la nouvelle société. En réalité, la mise de fond a été payée et l'équipement a été fourni par Northland Drilling and Construction Co. Ltd. (Northland), une société qui appartient à William Pankiw.

[7]         Il était également convenu que William Pankiw recevrait 51% des actions émises de la nouvelle société et que John Pankiw en recevrait 49%. Sur remboursement de la mise de fond à William Pankiw et paiement du coût de l'équipement à Northland, il était convenu que la participation dans le capital-actions de la société serait modifiée pour que John Pankiw obtienne 51% des actions et William Pankiw 49%.

[8]         Au début de 1971, la nouvelle société a été incorporée sous le nom de Cantex. John Pankiw a reçu 99 actions et son épouse en a reçu une. Bien qu'il y ait eu plusieurs tentatives pour modifier la participation afin qu'elle reflète l'accord initial, celle-ci est demeurée la même tout au cours du litige. Les détails entourant ces diverses tentatives ne sont pas pertinents quant à la présente instance. William Pankiw a constamment refusé toute action de Cantex de crainte que sa société Northland et Cantex soient considérées comme des sociétés associées.


[9]         Au fil du temps, Cantex a pris de l'expansion pour inclure dans ses activités la construction de route, la vente de tuyaux pour ponceaux et la consultation en ingénierie. Pour les travaux de construction de routes, Cantex avait besoin d'un approvisionnement en gravier, d'où l'achat de la propriété Wiltse. À nouveau, les détails entourant l'achat de la propriété Wiltse ne sont pas pertinents quant à la présente instance. Toutefois, la propriété a été achetée par William Pankiw pour 52 500$ et les titres de propriété ont été enregistrés au nom de Ellis Creek, société appartenant à William Pankiw. Apparemment, ce dernier tenait à cet arrangement afin de garantir ses droits à 50% des gains de Cantex. Cantex devait payer des redevances à Ellis Creek pour tout gravier pris sur la propriété. On ne conteste toutefois pas que John Pankiw était le propriétaire véritable de 50% de la propriété Wiltse.

[10]       Bien que la mise de fond de 20 000$ et le coût de l'équipement initial aient été remboursés par Cantex, aucune redevance sur le gravier n'a jamais été payée à Ellis Creek ni aucun gain versé à William Pankiw.


[11]       Au fil des ans, il y a eu plusieurs tentatives pour donner un caractère définitif à l'entente initiale intervenue entre les frères. Aucune d'elles n'a eu de succès. En août 1981, après d'intenses négociations, les frères ont convenu se soumettre leur litige à l'arbitrage. En juillet 1983, suivant le prononcé de la décision arbitrale, les tentatives de Cantex et John Pankiw d'exercer leurs droits en vertu de la décision ont été rejetées par William Pankiw. Par conséquent, une demande a été déposée en Cour suprême de la Colombie-Britannique pour exécuter la décision. La demande a été entendue le 16 janvier 1984 et le même jour une ordonnance a été rendue, rendant exécutoire la décision arbitrale. Conformément à cette ordonnance, Cantex a, le 26 janvier 1984, payé aux avocats de Willliam Pankiw et d'Ellis Creek la somme de 834 175,69$.

[12]       Cantex a considéré le paiement de 834 175,69$ comme représentant 15 926,34$ en intérêts sur la décision arbitrale, 663 125$ pour le coût de la propriété Wiltse et 155 124,35$ à titre de dommages-intérêts eu égard aux réclamations de William Pankiw et Ellis Creek contre Cantex.

[13]       Sur appel de l'ordonnance du 16 janvier 1984, une ordonnance modifiée a été prononcée enjoignant à Cantex de payer à William Pankiw 52 500$ en remboursement du prix d'achat de la propriété Wiltse et 55 500$ en intérêts pour un total de 108 000$. Conformément à l'ordonnance modifiée, Cantex a payé à William Pannkiw 129 534,52$, montant qui comprenait les intérêts courus depuis la date de l'ordonnance initiale. Cantex a capitalisé 52 500$ de ce dernier montant comme étant le coût de la propriété Wiltse.


[14]       En 1986, le Ministre a établi à l'égard de Cantex une nouvelle cotisation pour les années d'imposition de 1978 à 1983 au motif qu'elle était associée à Northland et Paradise Industries Ltd en vertu de l'article 256 de la Loi. Cantex a reconnu qu'elle était, suivant les dispositions de la Loi, associée à Paradise Industries Ltd., mais elle a maintenu qu'elle ne l'a jamais été à Northland.

[15]       Cantex, maintenant connue comme étant 1056 par suite d'une modification de sa dénomination, en a appelé des nouvelles cotisations dans ce qui est maintenant connu comme « l'affaire des sociétés associées » . Dans 1056 Entreprises Ltd c. La Reine, le juge Muldoon a décidé que 1056 et Northland n'étaient pas des sociétés associées.

[16]       Par suite des paiements effectués par Cantex à William Pankiw et à Ellis Creek, le Ministre a, en 1987, établi une nouvelle cotisation à l'égard de John Pankiw pour l'année d'imposition 1984 en ajoutant à son impôt 15 926,34$ et 807 377,09$ à titre d'avantages selon le paragraphe 15(1) de la Loi.

Analyse


[17]       L'avocat du Ministre soutient que William Pankiw avait un « intérêt indéfini » dans 1056. Il a été, toutefois, incapable de préciser la nature de cet intérêt et maintient cette position même si, dans l'affaire des sociétés associées, le juge Muldoon a décidé que William Pankiw n'a jamais été propriétaire de 1056 ni n'a exercé de contrôle sur ses actions. Il a reconnu que le seul élément au soutien de sa position provient du libellé de l'accord d'arbitrage et de la décision arbitrale. Dans les faits, comme seul John Pankiw et non 1056 avait le droit d'acquérir les intérêts de William Pankiw en vertu de la décision arbitrale, le paiement effectué par 1056 devrait être considéré comme un avantage conféré à un actionnaire selon le paragraphe 15(1) de la Loi.

[18]       Le texte pertinent de l'accord d'arbitrage sur lequel se fonde le Ministre se lit comme suit :

[TRADUCTION]

               (a)           Les parties conviennent :

(i)            Que William Pankiw et John Pankiw détiennent chacun 50% de Cantex Engineering & Construction Co. Lt. (ci-après Cantex)...

(g)           ... De plus, dès réception de la décision sur la valeur des intérêts de chacun, John Pankiw aura en premier le droit d'acquérir à cette valeur tous les intérêts de William Pankiw, conformément aux modalités déterminées [par l'arbitre]

[19]       Les extraits pertinents de la décision arbitrale se lisent comme suit :

Paragraphe 2 :

[TRADUCTION] Les frères ont convenu (Pièce A) que peu importe les droits de propriété créés par les événements passés, le résultat final devrait être que chacun est propriétaire à 50% de Cantex et de la propriété Wiltse, moyennant remboursement du prix initial d'achat de Bill de 52 000$ plus les intérêts, le cas échéant, selon ce que je jugerai approprié.

Paragraphe 4 :

[TRADUCTION] Bill et John ne peuvent exiger que Cantex paie leurs frais juridiques liés à la présente affaire. Je considère qu'il s'agit d'un litige entre individus et portant sur leurs droits respectifs de propriété, ce qui ne concerne nullement Cantex.

Paragraphe 13 :


[TRADUCTION] Bien qu'il soit maintenant convenu que le résultat final doit confirmer le statut de Bill comme actionnaire à 50% de Cantex, il ne s'ensuit pas qu'il était dans cette position depuis le début, et les dividendes versés à John l'ont été conformément au registre et à ce qui a été déclaré au ministère du Revenu national, c'est-à-dire que John (et son épouse) était le seul actionnaire de Cantex au moment du versement des dividendes. Je crois qu'il y va du meilleur intérêt de chacun de ne rien changer à la question des dividendes; il s'agit là d'une question d'équité fondamentale parce qu'il n'est pas déraisonnable de considérer les dividendes comme étant essentiellement une rémunération supplémentaire, que je rejette, tel que mentionné précédemment, l'autre demande de John.

[20]       En ce qui concerne l'arbitrage, le témoignage non contredit de John Pankiw est que les termes de l'accord d'arbitrage ont été finalement établis à la suite de longues et difficiles négociations. Le terme « intérêt » a été utilisé dans tout le document parce que, comme il l'a dit : [TRADUCTION] « Bien, William ne détenait aucune action dans Cantex, et William avait droit à 50% des gains de Cantex. Et c'est ainsi qu'on l'a décrit » .

[21]       De plus, la preuve établit clairement qu'on ne voulait pas que l'arbitre définisse les intérêts de chacune des parties. À la place, l'arbitre devait décider sur la base de prémisses posées par les parties indépendamment des intérêts véritables. Le but de l'arbitrage était d'établir une valeur pour les actifs en question et de fournir un mécanisme pour résoudre un litige de longue date.

[22]       L'arbitre a, pour les fins du règlement du litige, reçu instruction de traiter les frères comme s'ils détenaient chacun 50% des intérêts de 1056. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'ils détenaient dans les faits chacun 50% des intérêts de la société. La Cour doit établir la nature véritable de la transaction. Comme l'a dit le juge Christie dans l'affaire Rowland J. Purdy c. M.N.R., 85 DTC 254, à la page 256 :

N'oublions pas que, lorsqu'il s'agit de statuer sur des questions relatives à l'assujettissement à l'impôt sur le revenu, la qualification des opérations donnée par les parties n'est pas nécessairement le critère à retenir. Il faut plutôt déterminer d'après la preuve quelle est la substance ou le caractère véritable de l'opération et se prononcer en conséquence. Dans M.N.R. v. Saskatchewan Co-operative Wheat Producers Ltd. (1930), 1 DTC 186, le juge Lamont, au nom de la Cour suprême du Canada, dit, à la page 189:


[TRADUCTION] Lorsqu'il est question de revenu, un principe bien établi veut qu'il « faille tenir compte de la substance des opérations faisant l'objet de l'imposition et ne pas s'arrêter à la forme » . Pollock, M.R., dans la décision Inland Revenue Commissioners v. Eccentric Club, Ltd. [1924] 1 K.B. 390, à la page 414.

[23]       Les faits non contestés établissent que William Pankiw a fourni à 1056 la mise de fond et que la société Northland lui a fourni l'équipement. En contrepartie, William Pankiw devait recevoir 50% des gains de la société. Par conséquent, c'est à 1056 et non pas à John Pankiw qu'incombait l'obligation de rembourser à William Pankiw sa mise de fond, de payer à Nothland le coût de l'équipement et de verser à William Pankiw 50% des gains. Dans les faits, 1056 a bel et bien payé William Pankiw et Northland mais a fait défaut de verser 50% des gains. À mon avis, il ne peut s'agir, dans cette entente initiale, que des prêts de William Pankiw et Northland à 1056. Le paiement effectué par 1056, qui a entraîné l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard de John Pankiw pour son année d'imposition 1984, était en fait un paiement relatif à son obligation initiale envers William Pankiw.

[24]       L'accord d'arbitrage, et la décision arbitrale qui en a résulté, n'était qu'un mécanisme pour résoudre le litige entre les deux frères et n'a rien changé à la nature des obligations résultant de l'entente initiale qui était en substance un prêt.

[25]       Pour ces motifs, l'avis de nouvelle cotisation en date du 29 avril 1987 est annulé.


[26]       À la fin de l'instruction, l'avocat du Ministre a dit que si la Cour concluait que les paiements effectués par 1056 ne conféraient pas d'avantages à John Pankiw, il ne contesterait pas les déductions faites par 1056 en vertu du sous-alinéa 20(1)e)(ii) de la Loi. Par conséquent, la Cour n'a pas à traiter des demandes de redressement de 1056. De même, il n'est pas nécessaire de décider des autres demandes de redressement de 1056, car si je comprends bien, ces questions ont été réglées avant l'instruction.

[27]       Les dépens sont adjugés aux demandeurs.

[28]       Il est demandé à l'avocat des demandeurs de préparer pour signature, en application de la règle 394(1), un projet d'ordonnance donnant effet à la décision de la Cour, dont la forme et le fond ont été approuvés par l'avocat de la défenderesse.

                                                                         « Dolores M. Hansen »          

                                                                                                   J.C.F.                     

Traduction certifiée conforme

Daniel Dupras, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-2706-87 et T-2707-87

INTITULÉ DE LA CAUSE : 1056 ENTREPRISES LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

DOSSIER :                                          T-2709-87

INTITULÉ DE LA CAUSE : JOHN PANKIW c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE ;                   16 et 17 février 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE HANSEN

EN DATE DU :                                    28 juillet 2000

ONT COMPARU :

Craig Sturrock

Thomas Bauer                           POUR LES DEMANDEURS

Paul Plourde                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons

Vancouver (Colombie-Britannique)        POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                   POUR LA DÉFENDERESSE

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