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                                                                                                                         IMM-1507-96

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 mars 1997

 

En présence de Monsieur le juge Campbell

 

 

Entre :

 

                                                     THEVI SABAPATHY,

 

                                                                                                                              requérante,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                                          ORDONNANCE

 

 

 

            La Cour, par les motifs prononcés en l'espèce ce jour, déboute la requérante de sa demande.

 

                                                                                                  Signé : Douglas R. Campbell     

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.           


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                         IMM-1507-96

 

 

Entre :

 

                                                     THEVI SABAPATHY,

 

                                                                                                                              requérante,

 

                                                                    - et -

 

 

                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                  ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                     intimé.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge CAMPBELL

 

 

            Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 25 avril 1996, par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) a conclu que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. Par ce recours, la requérante saisit la Cour de deux questions, savoir :

(1) si, en jugeant que la requérante ne craignait pas d'être persécutée, la Commission a tiré une conclusion sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait;

(2) si, en jugeant que la requérante avait une possibilité de refuge à Colombo, la Commission a tiré une conclusion abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

            La requérante, âgée de 63 ans, est une Tamoule originaire d'Annalativu, qui est une petite île dans le district de Jaffna, au Sri Lanka. Elle dit craindre d'être persécutée par l'organisation LTTE (les Tigres) et par les forces de sécurité gouvernementales, en raison de sa race, de ses opinions politiques et de son appartenance à un certain groupe social.

 

            La requérante est sortie du Sri Lanka pour la première fois en 1987, pour rendre visite à son fils à Londres, où elle a séjourné trois mois. Elle s'est rendue ensuite au Canada où elle a revendiqué le statut de réfugié. Par la suite, elle a retiré sa demande, estimant que la situation s'était améliorée au Sri Lanka, et est retournée dans ce pays.

 

            La requérante fait savoir qu'après juin 1990, la situation s'est rapidement détériorée au Sri Lanka parce que les Tigres ont mis en place leur propre administration dans la péninsule de Jaffna et ont commencé à extorquer de l'argent aux gens afin de financer leur lutte pour le peuple tamoul.

 

            En mars 1991, certains membres des Tigres sont venus chez elle exiger une contribution de 50 000 roupies. De crainte d'être détenue, elle s'est exécutée. En octobre 1991, l'armée reprend le contrôle d'Annalativu, et la requérante s'enfuit en compagnie de sa soeur vers la ville de Jaffna. En janvier 1992, les Tigres viennent chez elle exiger le paiement de 500 000 $. La requérante leur a dit qu'elle n'avait pas d'argent. Les Tigres lui ont dit alors d'aller à Colombo pour prendre les dispositions nécessaires afin de se faire envoyer l'argent par ses enfants qui vivent à l'étranger, et lui ont donné un délai de deux mois. La requérante est donc partie pour Colombo, mais dans l'intention de fuir le Sri Lanka, puisqu'elle savait que ses enfants n'accorderaient pas leur soutien financier aux Tigres.

 

            À Colombo, la requérante s'est vu accorder un visa d'immigrant pour le Royaume-Uni grâce au parrainage de son fils qui y habite. Elle a donc quitté le Sri Lanka le 22 février 1992 pour Londres, où elle a obtenu le statut de résidente permanente et où elle a vécu chez son fils. Cependant, elle a eu une querelle avec celui-ci et sa femme; elle est donc partie pour le Canada avec un visa de visiteur pour retrouver ses autres enfants. Son visa de visiteur est venu à expiration et elle a revendiqué le statut de réfugiée.

 

            Bien que la requérante jouît de la protection de substitution au Royaume-Uni en raison de son statut de résidente permanente, la Commission a jugé qu'elle n'avait plus ce statut en raison de sa longue absence de ce pays.  La Commission en a conclu qu'elle n'était pas exclue de la définition de réfugié au sens de la Convention en raison de la protection accordée par un autre pays.  Elle a cependant jugé que la requérante ne craignait pas d'être persécutée au Sri Lanka.

 

            Étant donné que la requérante avait abandonné la protection dont elle jouissait au Royaume-Uni et qu'elle avait tardé à revendiquer le statut de réfugiée au Canada, la Commission a conclu qu'elle ne craignait pas d'être persécutée.  Subsidiairement, elle a conclu que la requérante n'avait pas de raison de craindre d'être persécutée puisqu'elle avait une possibilité de refuge à Colombo, qui est sous contrôle gouvernemental. La Commission note que ce sont les jeunes Tamouls qui courent le plus grand risque de harcèlement de la part des forces de sécurité gouvernementales, harcèlement qui pourrait être annonciateur de persécution. Elle conclut que la requérante ne présente pas ce profil et que de ce fait, il est peu probable qu'elle risque vraiment d'être persécutée à Colombo.  La Commission juge encore qu'il ne serait pas déraisonnable de la part de la requérante de chercher refuge à Colombo où il y a une importante communauté tamoule dont l'effectif va augmentant. Et que d'après les preuves documentaires, le gouvernement du Sri Lanka est résolu à promouvoir l'état de droit, ce qui s'est traduit par une amélioration qualitative de la situation des droits de la personne.

 

            La Commission a accepté le rapport d'expertise psychiatrique produit par la requérante au sujet de ses troubles mentaux, comme élément de preuve pertinent pour juger s'il serait raisonnable de la part de cette dernière de chercher refuge à Colombo.  La Commission a cependant conclu qu'il ne serait pas déraisonnable d'y chercher refuge puisque que selon les preuves documentaires, le gouvernement sri-lankais assure des services médicaux et sociaux gratuits, et accorde même des secours mensuels aux infirmes, aux malades et aux personnes âgées.

 

            La requérante soutient qu'en concluant qu'elle ne craignait pas d'être persécutée au Sri Lanka parce qu'elle avait volontairement renoncé à la protection du Royaume-Uni, la Commission a ignoré la preuve de ses troubles mentaux et de sa rupture avec son fils qui habite ce dernier pays.  Elle soutient à ce propos que sa maladie mentale affectait la rationalité de sa décision d'abandonner la protection du Royaume-Uni, et que la rupture avec son fils signifiait qu'il ne pourvoirait plus à ses besoins, ce qui l'a forcée à renoncer à la protection du Royaume-Uni.

 

            Je ne peux accepter les arguments de la requérante pour deux raisons. En premier lieu, je ne pense pas que le rapport d'expertise psychiatrique du Dr T. Sooriabalan prouve qu'elle souffrait d'une maladie mentale au moment où elle renonça à la protection dont elle jouissait au Royaume-Uni.  Elle a quitté ce dernier pays en avril 1993, et le rapport du Dr Sooriabalan, qui est daté du 29 juin 1995, est basé sur un entretien qu'il avait eu le 21 juin 1995 avec elle. Ce rapport ne dit pas depuis quand elle souffrait des troubles diagnostiqués.

 

            En second lieu, les conclusions du Dr Sooriabalan sur l'état de santé mentale de la requérante ne corroborent pas à proprement parler l'assertion faite par cette dernière qu'elle aurait tendance à prendre des décisions irrationnelles. Voici ce qu'on peut lire dans ce rapport d'expertise :

 

            [TRADUCTION]

Mme Sabapathy présente certains symptômes physiques comme les étourdissements, les maux de tête, etc. Elle se sent fatiguée tout le temps, n'arrive pas à se concentrer et souffre de mauvaise mémoire à court terme.

 

Dans l'examen de son état mental, j'ai constaté que Mme Sabapathy était convenablement vêtue, qu'elle répondait de façon cohérente aux questions. Elle était très déprimée.  Elle a des sentiments de désespoir, ses sommeils sont troublés, elle n'a pas d'appétit, souffre de cauchemars, perd le goût de vivre, et a très mauvaise concentration et mauvaise mémoire à court terme.

 

À mon avis, cette patiente souffre d'un grave état dépressif et d'une grave névrose post-traumatique.  Vu la gravité de ces troubles, j'ai prescrit pour elle un antidépresseur et j'espère la voir régulièrement pour psychothérapie de soutien et surveillance de son état mental. [pages 33 et 34]

 

            Ce rapport indique certes que la requérante souffre de dépression et de névrose post-traumatique graves, mais ne dit pas que ces troubles mentaux sont cause d'irrationalité. Il s'ensuit que la Commission a eu raison de tirer la conclusion suivante pour décider que ce rapport n'a qu'une valeur limitée :

 

            [TRADUCTION]

Le tribunal reconnaît que la preuve médicale [administrée par le Dr Sooriabalan] contribue à expliquer la confusion qui ressort du témoignage de la demanderesse. Ce rapport a ajouté à l'inquiétude du tribunal au sujet de l'aptitude de la demanderesse à saisir le sens de la procédure. Ce n'est qu'à l'audience de novembre 1995 que son avocat a demandé la désignation d'un représentant, demande à laquelle le tribunal a immédiatement accédé.

 

Le psychiatre réitère en grande partie l'histoire rapportée dans le formulaire de renseignements personnels de la demanderesse, et émet l'avis que les difficultés qu'elle avait éprouvées sont la cause de la dépression et de la névrose post-traumatique graves dont elle souffre. Le tribunal ne doute pas qu'elle souffre de ces troubles ni qu'elle ait du mal à se souvenir clairement de plusieurs événements.

 

               

 

Le rapport médical permet d'expliquer les incohérences et contradictions dans le témoignage de la demanderesse. Le tribunal ne met pas en doute sa crédibilité. Dans ces conditions, la preuve médicale ne présente un intérêt qu'au sujet du caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre région du pays. [Motifs de la décision, pages 21 et 22] [non souligné dans l'original]

 

            La requérante soutient encore qu'en concluant à l'absence de crainte subjective de persécution, la Commission a ignoré l'explication qu'elle a donnée du retard mis à revendiquer le statut de réfugiée.  Voici la conclusion que la Commission a tirée à ce sujet dans les motifs de sa décision :

 

            [TRADUCTION]

Un autre facteur qui s'oppose à la conclusion à la crainte subjective chez la demanderesse est le retard qu'elle a mis à revendiquer le statut de réfugiée après sa visite de 1993 au Canada. Elle ne l'a fait que six mois après son arrivée, en octobre 1993. Le témoin a confirmé que c'était la seconde fois qu'elle revendiquait ce statut au Canada, puisqu'elle avait fait sa première demande en 1988 puis l'avait retirée lorsqu'elle retourna au Sri Lanka en 1989. Son avocat soutient qu'elle n'avait pas besoin de le faire au Canada avant octobre 1993 parce qu'à l'époque, elle était toujours résidente permanente du Royaume-Uni. Le tribunal ne trouve pas cet argument convaincant puisque selon le témoignage de la demanderesse, son intention, au moment où elle se rendait au Canada en avril 1993, était de demeurer dans ce pays. Le retard en soi n'est pas un facteur décisif, mais en l'espèce, il constitue un facteur qui contribue à la conclusion à l'absence de crainte subjective. [Motifs de décision, pages 16 et 17] [non souligné dans l'original]

 

            En particulier, la requérante soutient que la Commission a ignoré son explication du retard par le fait qu'elle était titulaire d'un visa de visiteur valide du Canada, qui ne devait expirer qu'en septembre 1993. Bien que la Commission ait pris acte de l'explication donnée par la requérante qu'elle avait tardé à revendiquer le statut de réfugiée parce que son statut au Royaume-Uni ne devait expirer qu'en octobre 1993, je conviens que le tribunal n'a pas examiné son explication au sujet de son visa de visiteur pour le Canada. Cela dit, je ne pense pas que le retard ait été un facteur déterminant dans la conclusion tirée par la Commission que la requérante ne craignait pas d'être persécutée. Ainsi que l'indique le passage cité ci-dessus, le facteur primordial de cette décision était le fait que la requérante avait renoncé à la protection dont elle jouissait au Royaume-Uni. En conséquence, j'accueille cet argument.

 

            Par ces motifs, je conclus que la Commission n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en jugeant que la requérante ne craignait pas d'être persécutée.

 

            La requérante soutient aussi que la Commission a commis une erreur en concluant qu'elle avait une possibilité de refuge dans une autre région du pays. La règle de droit applicable en la matière est maintenant bien établie. Dans Rasaratnam c. M.E.I., [1992] 1 C.F. 706, la Cour d'appel fédérale a jugé que le concept de possibilité de refuge interne est partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention, et par le passage suivant en page 711, que la conclusion à l'existence d'une possibilité de refuge interne est subordonnée à deux conditions, savoir que cette possibilité existe réellement et que dans les circonstances de la cause, il soit raisonnable de la part du demandeur ou de la demanderesse de s'en prévaloir :

 

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.

 

            Dans Thirunavukkarasu c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a tiré en pages 597 et 598 la conclusion suivante :

 

Ainsi, le demandeur de statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

 

Il s'agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s'attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de réfugié à l'étranger?

 

            Il appert que la Commission a judicieusement appliqué les règles de droit en la matière, compte tenu de toutes les preuves administrées, y compris celles relatives aux circonstances propres de la requérante. Je conclus que la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en jugeant que la requérante n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

 

            En conséquence, la demande est rejetée.

 

                                                                                                  Signé : Douglas R. Campbell     

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                   

 

Vancouver,

le 27 mars 1997

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   IMM-1507-96

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Thevi Sabapathy

 

                                                            c.

 

                                                            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 21 janvier 1997

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

 

 

LE :                                                    27 mars 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Joel A. Bousfield                                       pour la requérante

 

 

Mme Ann Margaret Oberst                              pour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

M. Joel A. Bousfield                                       pour la requérante

Toronto (Ontario)

 

 

M. George Thomson                                       pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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