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Date : 19990428


Dossier : T-757-98


AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

L.R.C (1985), ch. C-29,


ET un appel de la décision

d"un juge de la citoyenneté,


ET

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


appelant,


- et -


TARA GUPTA,


intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SIMPSON

[1]      Il s"agit d"un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (le ministre) par voie de procès de novo conformément au paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), et à l"article 21 de la Loi sur la Cour fédérale , L.R.C. (1985), ch. F-7, de la décision d"un juge de la citoyenneté datée du 20 février 1998 par laquelle l"intimée, Mme Tara Gupta, s"est vu attribuer la citoyenneté canadienne.

LA QUESTION EN LITIGE

[2]      La question en litige est de savoir si le juge de la citoyenneté a appliqué correctement aux faits en l"espèce l"exigence de résidence de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi. L"alinéa 5(1)c ) prévoit :

                 Attribution de la citoyenneté                 
                 5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :                 
                 ...                 
                 c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:                 
                 (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,                 
                 (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; ...                 

LA PROCÉDURE

[3]      L"avocate de l"intimée a d"abord fait savoir que l"intimée ne comparaîtrait pas et que l"on procéderait à l"appel sur la base du dossier écrit. L"avocate du ministre avait terminé ses représentations, et l"avocate de l"intimée avait fait une bonne partie de son plaidoyer quand elle a constaté qu"il manquait dans le dossier des informations qui auraient pu aider la cause de l"intimée. C"est à ce moment que, pour la première fois, l"avocate de l"intimée a informé la Cour du fait que l"intimée se trouvait à l"extérieur de la salle d"audience et qu"elle pourrait témoigner. Cependant, j"ai refusé d"entendre l"intimée parce que sa preuve a été offerte beaucoup trop tard dans la procédure.

[4]      Bien que l"instance se déroule sous la forme d"un procès de novo , l"avocate de l"intimée m"a demandé d"appliquer la décision rendue par mon collègue le juge Teitelbaum dans Re Kerho (1988) F.T.R. 180 (1re inst.), dans laquelle il fait remarquer :

                 Je nuancerais cet énoncé en disant que même si l"appel est effectivement un procès de novo , il appartient à l"appelant de prouver que le juge de la citoyenneté a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné, en comprenant très mal les faits ou pour toute autre raison majeure exigeant mon intervention.                 

[5]      L"avocate soutient que le juge Teitelbaum appliquait là des principes propres au contrôle judiciaire à un procès de novo , et que je devrais en faire autant. Cependant, je ne lis pas le passage cité de la même manière. Le juge laisse place à une catégorie d"appels qui seraient accueillis pour d"autres motifs déterminants qui incluraient, à mon sens, une appréciation complètement différente de la preuve quant à son caractère suffisant et à sa véracité. À vrai dire, dans un procès de novo , la preuve peut être différente de la preuve devant le juge de la citoyenneté.

LES FAITS

[6]      L"intimée, qui est veuve, est arrivée au Canada et est devenue résidente permanente le 19 avril 1994. Elle a fait une demande de citoyenneté canadienne exactement trois ans plus tard, soit le 19 avril 1997.

[7]      Suite à son arrivée, l"intimée a habité chez une cousine pendant environ un mois, jusqu"au 5 mai 1994. Par la suite, elle a habité avec sa fille et son gendre pendant un deuxième mois, du 6 mai au 11 juin 1994, moment où elle a quitté le Canada pour passer des vacances à l"étranger. La fille de l"intimée a parrainé sa mère, et la preuve indique que son mari a accepté d"être responsable financièrement de sa belle-mère. Il n"existe aucune preuve démontrant que l"intimée a apporté ses biens personnels au Canada ou qu"elle s"y en est servie. Cependant, la preuve indique que l"intimée avait une chambre privée chez sa fille.

[8]      L"intimée entretenait aussi des liens étroits avec des membres de sa famille se trouvant en Inde, aux Émirats arabes unis et à Amsterdam, chez qui elle se rendait deux fois l"an.

[9]      Cela veut dire que l"intimée a été physiquement absente du Canada, en raison de ses voyages, 393 jours des 1095 jours pendant lesquels elle devait résider au Canada en vertu de l"alinéa 5(1)c ) de la Loi. Elle a été absente du Canada :

     - du 11 juin 1994 au 12 septembre 1994, pendant 93 jours;

     - du 6 décembre 1994 au 2 janvier 1995, pendant 27 jours;

     - du 29 juin 1995 au 2 septembre 1995, pendant 65 jours;

     - du 23 février 1996 au 27 mars 1996, pendant 33 jours;

     - du 28 juin 1996 au 26 août 1996, pendant 59 jours;

     - du 4 décembre 1996 au 1er avril 1997, pendant 116 jours.

[10]      Le 4 février 1997 (pendant son dernier voyage à l"étranger), sa résidence au Canada a été déménagée chez une troisième personne de sa parenté. L"intimée a habité à cet endroit jusqu"au moment de sa demande de citoyenneté le 19 avril 1997.

[11]      Bien que au milieu de la soixantaine, l"intimée était très agile et en bonne santé durant la période de trois ans comprise entre son arrivée et sa demande de citoyenneté. Cependant, nous n"avons aucune information au dossier relativement à son emploi du temps lorsqu"elle était ici au Canada. Par exemple, nous ne savons pas si elle a participé aux activités d"un groupe social ou religieux. Il n"y a aucune preuve qui démontre qu"elle a fait un effort pour s"intégrer à la société canadienne.

[12]      L"intimée a bien entrepris des démarches administratives qui se rattachent au fait d"être résident. Elle s"est procuré une carte de bibliothèque, une carte d"assurance sociale, une carte d"épicerie et des cartes bancaires. Elle a aussi fait une demande afin d"être protégée par le système de santé. En octobre 1994, après son premier voyage à l"étranger, elle est devenue la patiente d"un médecin canadien. En 1997, elle a produit des déclarations de revenus couvrant les années passées depuis son arrivée au Canada. Le ministre allègue que je ne devrais pas tenir compte de ces déclarations de revenus puisqu"elles ne contiennent aucune information pertinente et parce qu"elles n"ont pas été remplies annuellement comme on pourrait s"y attendre de la part d"un résident. Je suis d"accord avec cet argument.

ANALYSE ET DÉCISION

[13]      Je me dois de faire remarquer qu"établir une résidence n"est pas seulement une question de rassembler les documents habituellement associés à la résidence (carte santé, carte d"assurance sociale, carte bancaire, déclaration de revenus, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). Selon moi, un certain effort pour s"intégrer à la société canadienne est aussi nécessaire. Cela peut se faire dans le milieu de travail, au sein d"un groupe de bénévoles ou d"un groupe social ou religieux, pour ne mentionner que quelques possibilités.

[14]      La question est de savoir si l"intimée a centralisé son mode de vie au Canada. À mon avis, la preuve au dossier n"est pas suffisante pour appuyer la décision prise par le juge de la citoyenneté.

[15]      Le juge de la citoyenneté s"est basé sur l"affaire Papadogiorgakis , [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.). Cependant, à mon avis, cette décision devrait être limitée à ses faits plutôt inhabituels. Dans cette affaire, un étudiant n"ayant pratiquement pas de présence physique au Canada pendant la période pertinente d"évaluation de quatre ans, avait auparavant vécu au Canada pendant quatre ans et y avait centralisé son mode de vie avant d"aller étudier à l"étranger. De plus, pendant son absence, il avait maintenu une résidence au Canada, était revenu souvent et avait passé la majorité de ses vacances au Canada.

[16]      La décision Papadogiorgakis montre que la Cour peut considérer un étudiant comme un résident, malgré des périodes d"absence physique considérables, si cet étudiant a établi sa résidence au Canada et l"y a maintenue en centralisant son mode de vie au Canada, alors qu"il était à l"étranger seulement temporairement en raison de ses études et qu"il revenait souvent au Canada.

[17]      Mais, la décision Papadogiorgakis ne fait pas autorité quant à la proposition qu"une personne qui n"est pas étudiante puisse venir au Canada, ne pas offrir de preuve d"une participation significative à la société canadienne, vivre avec trois groupes de parents habitant dans des endroits différents, faire régulièrement de longs voyages à l"extérieur du Canada, et ensuite s"attendre à satisfaire à l"exigence de résidence relative à l"octroi de la citoyenneté canadienne.

[18]      Je me dois aussi de faire remarquer que l"intimée n"a pas agi de façon à établir clairement sa résidence avant son premier départ du Canada, ce qui aurait pu justifier la conclusion voulant qu"elle ait maintenu implicitement une résidence pendant son premier voyage à l"étranger. L"intimée a été ici pendant moins de deux mois avant de partir, et malgré le fait qu"elle ait obtenu sa carte d"assurance sociale et des cartes de bibliothèque et qu"elle ait demandé sa carte d"assurance santé, elle a vécu dans deux foyers différents pendant un mois chacun, et ces foyers ne se trouvaient même pas dans la même localité.

[19]      À mon avis, l"intimée a présenté les caractéristiques ordinairement possédées par un visiteur de long séjour et pas celles d"un résident. Il n"y a aucune preuve établissant qu"elle a créé des liens avec la communauté malgré ses déménagements successifs chez des parents dans les villes de Brampton, Thornhill et Markham, en Ontario. Il n"y a strictement aucune preuve au sujet de son emploi du temps lorsqu"elle était au Canada.

[20]      Dans ces circonstances, et étant donné que l"intimée a été à l"extérieur du Canada pendant plus d"un an durant la période des trois ans de résidence exigée de 1095 jours, je ne puis arriver à la conclusion que l"intimée ait effectivement centralisé son mode de vie au Canada à un moment ou à un autre. Le peu de preuve à ma disposition m"amène à conclure que pendant les périodes où elle était au Canada, l"intimée a agi comme un visiteur, ne faisant presque uniquement qu"entretenir ses relations avec sa famille.

[21]      Il ne s"agit pas d"une critique. Il apparaît clairement que les membres de sa famille sont très importants pour l"intimée et qu"elle attache une grande valeur au fait de rester en contact avec eux d"une façon significative. Cependant, ses voyages à l"étranger combinés à un manque de preuve au sujet de ses activités au Canada ont fait que sa demande de citoyenneté est prématurée. Pour ces motifs, l"appel du ministre est accueilli.


(Signature) " Sandra J. Simpson "


Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 28 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté,

L.R.C. (1985), ch. C-29,


ET un appel de la décision

d"un juge de la citoyenneté,


ET

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,

                                         appelant,

- et -


TARA GUPTA,

                                         intimée.

No DU GREFFE :              T-757-98

LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 24 mars 1999

MOTIFS DU JUGEMENT :          Le juge SIMPSON

EN DATE DU :                  28 avril 1999

ONT COMPARU :

Mme A. Leena Jaakkimainen                              pour l"appelant

Mme Shoshana Green                                  pour l"intimée

M. Peter K. Large                                  amicus curiae

AVOCATS AU DOSSIER

M. Morris Rosenberg                                  pour l"appelant

Sous-procureur général du Canada

Green and Spiegel                                  pour l"intimée

Toronto (Ontario)

M. Peter K. Large                                  amicus curiae

Toronto (Ontario)

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