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Date : 20040505

Dossier : IMM-1251-03

Référence : 2004 CF 661

Montréal (Québec), le 5 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

ENTRE :

                                                        PAUL KOJO OWOUSSOU

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Owoussou a-t-il vu des corps rejetés sur le rivage à la suite d'une tuerie survenue au Togo? Si oui, il pourrait bien être un réfugié ou avoir d'une autre façon la qualité de personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Cependant, le tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui a entendu sa demande ne l'a pas cru. Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire de la décision rendue et il requiert que sa demande soit renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'elle soit examinée à nouveau.


[2]                Le 29 juillet 2001, M. Owoussou a prétendu être un réfugié au sens de la Convention. Il était à Montréal à ce moment. Il a affirmé qu'il était arrivé sur un navire, deux jours avant, en tant que passager clandestin. Le fondement de sa demande d'asile est qu'il est citoyen du Togo. Cependant, il a vécu au Ghana à compter de l'âge de quatre ans sans avoir la citoyenneté ghanéenne.

[3]                Durant des vacances scolaires en 2001, il a rendu visite à ses parents au Togo et pendant son séjour il a profité de l'occasion pour rendre visite à une tante au Bénin de l'autre côté de la frontière. Pendant qu'il était sur la route, il a entendu parler de cadavres. Il s'est joint à un groupe, s'est rendu sur la plage et a vu des cadavres qui jonchaient le sol. Des soldats du Bénin sont arrivés et ont dit que les cadavres provenaient du Togo de l'autre côté de la frontière et que cela se produisait tout le temps. Son père lui avait également parlé de cadavres récupérés des eaux à la suite des élections de 1998 au Togo.

[4]                À son retour au Togo, parce qu'il était étudiant au Ghana, il a été accusé d'être un terroriste, un missionnaire ou d'avoir de quelque façon des liens avec Amnesty International. Il a été transféré à la Gendarmerie Nationale puis, un peu plus tard, dans une caserne à Adidogome. Il a réussi à s'enfuir et il s'est rendu à Lome. Là, un oncle l'a aidé à traverser la rivière pour se rendre au Ghana et des dispositions ont été prises pour qu'il s'embarque comme passager clandestin. Il a quitté le Togo à un certain moment en juillet 2001 et il est venu directement à Montréal.


[5]                Le tribunal n'estimait pas que le demandeur était digne de foi. Conscient qu'il est nécessaire d'avoir un motif valable pour mettre en doute la véracité des prétentions d'un demandeur, le tribunal a traité de l'acte de naissance du demandeur qui comportait une divergence dans la date de naissance de ses parents. Il y avait une certaine confusion à l'égard de ses études et des contradictions entre son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) et son témoignage. Il y avait de plus une contradiction à l'égard de la façon selon laquelle il avait été traité à la Gendarmerie Nationale et à la caserne à Adidogome après son arrestation au Togo et, en fait, à l'égard des dates auxquelles il s'y trouvait. Sa réponse a été qu'il n'était pas très doué pour les dates.

[6]                Bien qu'il y ait des éléments de preuve documentaire à l'égard de cadavres qui avaient été rejetés sur le rivage après les élections de 1998 au Togo, il n'y avait pas d'éléments de preuve documentaire à l'égard de la situation qui avait cours en 2001. Il est possible évidemment que le régime ait réussi à faire de la répression quant à la diffusion d'information.


[7]                M. Owoussou a en outre été très vague et incohérent à l'égard de la façon selon laquelle il avait réussi à venir au Canada. Lorsqu'il a quitté le navire à Montréal, il a remarqué que le nom Maersk était inscrit sur le côté du navire. L'agent d'immigration a vérifié auprès du service des douanes du Canada qui a confirmé qu'il y avait un navire portant le nom Maersk Balawan au port le 27 juillet 2001. Cependant, ce navire n'était pas allé au Togo durant les périodes pertinentes. Dans son FRP, le demandeur a déclaré qu'il avait dormi pendant trois jours puis qu'environ deux jours plus tard le navire était arrivé à destination, ce qui démontrait que le voyage avait duré environ cinq jours. Aucun navire ne peut se rendre de l'ouest de l'Afrique à Montréal ou ailleurs dans les environs en cinq jours. Au moment du témoignage lors de son audience, le demandeur a déclaré que le voyage avait duré environ deux ou trois semaines. Suivant une version, il était resté dans une cabine avec l'aide d'un marin complaisant et suivant une autre version il était resté entre des conteneurs dans la cale du navire.

[8]                Compte tenu de tout cela, le tribunal ne l'a pas cru.

[9]                Il est bien établi en droit que les questions de crédibilité sont pour la plupart des conclusions de fait et que la décision de la Section de la protection des réfugiés, un organisme spécialisé, devrait être maintenue à moins que les conclusions soient manifestement déraisonnables (arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (CA)).

[10]            Il est également vrai qu'il existe une présomption initiale selon laquelle un demandeur dit la vérité, une présomption qui est réfutable (arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (CA)).


[11]            La Section de la protection des réfugiés fait parfois l'objet de critiques à l'égard de la question de l'importance complètement disproportionnée qu'elle accorde aux incohérences contenues dans le récit d'un demandeur ou à l'égard du fait qu'elle se concentre sur des incohérences qui sont accessoires à la demande elle-même, comme des renseignements à l'égard du voyage (voir l'arrêt Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 99 N.R. 168 (CA)). L'article 3 de la Loi énonce les objets du Canada à l'égard des réfugiés, des idéaux humanitaires et de la nécessité d'offrir un refuge aux personnes qui craignent avec raison d'être persécutées. Ces objets sont compatibles avec la nécessité de « mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d'une part, de l'intégrité du processus canadien d'asile et, d'autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain » .

[12]            Ce serait une injustice flagrante que d'accorder l'asile en tant que réfugié à une personne en se fiant simplement à ses dires. Souvent, l'essence de la demande ne peut pas être vérifiée, mais d'autres éléments peuvent l'être. C'est pourquoi les règles exigent que le demandeur fournisse des documents acceptables. Tous les renseignements sont fournis sous serment, sous déclaration solennelle ou après qu'a été donné un avis selon lequel la déclaration a la même force et le même effet que si elle était faite sous serment.


[13]            Dans la présente affaire, un seul élément du récit du demandeur pouvait être vérifié au Canada. Cet élément était son voyage effectué directement du Togo à Montréal sur un navire qui avait deux noms dont le premier était « Maersk » . L'agent d'immigration a vérifié auprès du service des douanes et a appris qu'il y avait effectivement au port durant la période pertinente un navire qui portait le nom Maersk Balawan, mais qu'il ne provenait pas du Togo. Les notes de l'agent d'immigration sont recevables en preuve et le demandeur, qui avait le fardeau de la preuve, a eu amplement l'occasion de poursuivre cette piste. Étant donné qu'il a été jugé que le récit du demandeur devait être faux, les autres incohérences et contradictions devaient être jugées sous un autre jour. Dans les cas où la seule preuve liant le demandeur à sa demande est sa propre preuve, une conclusion selon laquelle il n'est pas digne de foi équivaut effectivement à une conclusion selon laquelle il n'existe pas d'éléments de preuve dignes de foi permettant d'accueillir sa demande (arrêt Sheik c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), et arrêt Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.), [2002] 3 C.F. 537).

[14]            Le tribunal a conclu qu'il y avait de nombreuses incohérences qui portaient atteinte à la crédibilité du demandeur. Je ne suis pas d'avis que les conclusions soient manifestement déraisonnables ou que le tribunal cherchait des excuses pour ne pas croire le demandeur.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n'y a pas de question de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-1251-03

INTITULÉ :                                       PAUL KOJO OWOUSSOU

                                                                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 4 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                     LE 5 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Marie-Claude Demers                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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