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Date : 20000809

Dossier : T-1283-99

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                                                          YVON GIROUX,

                                                                                                                             demandeur,

                                                                    - et -

                                  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                              défendeur.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT

[1]         Le demandeur n'a pas obtenu un des postes de Gestionnaire de dossiers importants (AU-4) pour lesquels le ministère du Revenu national avait lancé le concours interne 97-NAR-QC-LAV-CC-18 (A) (B) (C). Un jury de sélection a analysé 115 demandes d'emploi, n'en retenant que 33 aux fins d'une entrevue afin d'évaluer les capacités et qualités personnelles des candidats. Le demandeur a réussi le test écrit mais il n'a pas obtenu la note minimale de passage[1]pour le test d'évaluation de son niveau de capacité.

[2]         Insatisfait de la décision du jury de sélection, le demandeur en a appelé devant un comité d'appel constitué en vertu du paragraphe 21(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33, composé du président Gaston Carbonneau. Son appel a cependant été rejeté, d'où la présente demande de contrôle judiciaire aux termes de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, 2e suppl., ch. 10.

[3]         Dans son mémoire fort détaillé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur expose, comme il l'avait fait devant le comité d'appel, plusieurs "situations" où, allègue-t-il, le jury de sélection a mal évalué ses réponses à des questions qu'on avait soumises aux candidats pour évaluer leurs capacités et connaissances personnelles. Dans un cas, soutient-il, le jury de sélection s'est trompé dans l'évaluation de la réponse du demandeur, celle-ci correspondant directement à la réponse attendue; dans d'autres, plaide-t-il, ses réponses aux questions étaient identiques ou similaires à celles d'autres candidats à qui on a accordé des points alors qu'on les lui a refusés. Si ce n'eût été de ces erreurs, le demandeur plaide qu'il aurait pu obtenir un des postes convoités.

[4]         Il importe de préciser immédiatement que dans la décision dont on demande le contrôle judiciaire, après avoir rappelé les arrêts de jurisprudence[2]qui précisent le rôle du jury de sélection et du comité d'appel, celui-ci a analysé chacune des "situations" où, selon le demandeur, le jury de sélection aurait erré. Il a conclu qu'il ne pouvait substituer son opinion à celle du jury de sélection ". . . d'autant plus que l'appelant n'a pu démontrer que le jury de sélection a tiré des conclusions déraisonnables; et encore moins des conclusions que l'on pourrait juger manifestement déraisonnables"[3].

[5]         À cet égard, la Cour estime qu'il n'y a pas matière à intervention. Dans l'arrêt Blagdon de la Cour d'appel fédérale, le juge Pratte a énoncé que le devoir du comité d'appel:

". . . ne consiste pas à évaluer de nouveau les candidats mais à tenir une enquête afin de déterminer si la sélection a été effectuée conformément au principe du mérite; . . . Le simple fait que le comité d'appel, s'il avait siégé à titre de jury de sélection, serait parvenu à une conclusion différente de celle du jury de sélection ne constitue pas un motif suffisant pour accueillir l'appel. Il faut bien comprendre que l'appréciation du mérite de différentes personnes, fonction attribuée au jury de sélection, ne peut être réduite à une fonction mathématique; dans bien des cas, c'est une affaire d'opinion. Il n'y a aucune raison pour préférer l'opinion d'un comité d'appel à celle d'un jury de sélection."

Dans l'arrêt Ratelle, rendu quelques semaines avant l'arrêt Blagdon, le juge Pratte avait tenu le même raisonnement en précisant que:

Dans le cas où un jury de sélection a accompli son travail en se conformant à la Loi et aux règlements et en cherchant honnêtement par les moyens qu'il juge appropriés à choisir le candidat le plus méritant, un Comité d'appel outrepasse ses droits s'il accueille l'appel de la décision du jury pour le motif que le jury n'a pas, dans l'accomplissement de sa tâche, utilisé les moyens que le comité d'appel juge les plus appropriés.

[6]         En l'espèce, le comité d'appel a dûment analysé les "situations" où, selon le demandeur, le jury de sélection avait mal interprété ses réponses, et il a rejeté chacun des griefs formulés par celui-ci.

[7]         Mais avant d'énoncer que les conclusions du jury de sélection n'étaient pas déraisonnables et qu'il ne pouvait lui substituer son opinion, le comité d'appel avait exprimé l'opinion suivante:

                Il me faut souligner en terminant que l'appelant a plaidé sa cause en interprétant à sa façon les notes prises par les membres du jury de sélection. Il faut noter que les conclusions du jury portant sur la valeur de chacune des réponses des candidats ont été tirées dans le contexte d'une entrevue et pas seulement en fonction des notes prises par ses membres. Aussi, faut-il ajouter que c'est peu de temps après la fin de chaque entrevue, alors que les réponses des candidats étaient encore fraîches dans leur esprit, qu'ils en sont arrivés à un consensus. Par contre, l'appelant, au regard des notes d'entrevue qui ont été mises à sa disposition, s'est permis de les interpréter plusieurs mois plus tard dans un contexte tout autre qu'une entrevue.

[8]         C'est de ce paragraphe que le demandeur tire son principal argument: le comité d'appel a décidé cette affaire en tenant pour acquis que le jury de sélection n'avait pas jugé les réponses des candidats en fonction des notes prises par ses membres mais que      " . . . c'est peu de temps après chaque entrevue, alors que les réponses des candidats étaient encore fraîches dans leur esprit, qu'ils en sont arrivés à un consensus."

[9]         Or, soutient le demandeur, il s'agit là d'une erreur importante de fait, comme l'a révélé l'interrogatoire d'un des membres du jury, Yvan Marceau. Interrogé par le demandeur, à savoir quand les réponses des candidats avaient été corrigées, l'échange suivant a eu lieu:

MONSIEUR YVON GIROUX:

-Monsieur, Monsieur Marceau, vous m'avez dit que la plupart des candidats que vous avez rencontrés ont été corrigés à la toute fin.

MONSIEUR YVAN MARCEAU                                                                         MEMBRE DU JURY DE SÉLECTION:

Oui.

. . .

MONSIEUR YVON GIROUX:

- Oui, mais ma question c'est la suivante: Tous les candidats que vous avez rencontrés au début des trois (3) semaines et qui ont été corrigés à la toute fin, vous avez utilisé vos notes d'entrevue pour les corriger?

MONSIEUR YVAN MARCEAU                                                                         MEMBRE DU JURY DE SÉLECTION:

- C'est normal, je pense. Je pense qu'on était trois (3), trois (3) candidats . . . euh, trois (3) membres du jury qui prenaient des notes. Je pense que tout ce qu'on avait à juger c'était pas des, des . . . l'interprétation ou penser qu'est-ce que le candidat avait pu dire autre que qu'est-ce qui était écrit dans nos notes. C'était nos notes. C'est ça qu'on a jugé. Je pense que même si on le corrige trois (3) semaines plus tard, ça change rien par rapport aux notes qu'on a prises.

MONSIEUR YVON GIROUX:

- C'est beau.

MONSIEUR YVAN MARCEAU                                                                         MEMBRE DU JURY DE SÉLECTION:

- Et on a jugé tous les candidats sur la même base, soit les notes qu'on a prises pour chacun des candidats.

[10]       Selon le demandeur, "ce témoignage vient démontrer que le jury de sélection a utilisé exclusivement ses notes d'entrevue aux fins de la correction et qu'il n'avait pas à l'esprit des éléments de réponse non pris en note lorsqu'il a attribué les points."[4] Il ajoute aussi que ce témoignage vient démontrer le caractère erroné de la conclusion générale du comité d'appel.[5]

[11]       La Cour estime que le demandeur donne à ce passage de la décision du comité d'appel et à la réponse du membre du jury Yvan Marceau une interprétation tout à fait restrictive qu'ils n'ont pas. D'abord, le président Carbonneau du comité d'appel note que les réponses des candidats ont été tirées dans le contexte d'une entrevue et pas seulement des notes prises par ses membres: en somme, rien dans cette phrase n'exclut que la valeur des réponses ait été tirée à la fois de l'entrevue du candidat et des notes prises à cette occasion. Quant au témoignage du membre du jury Marceau, son affirmation est à l'effet que la plupart des candidats ont été corrigés à la toute fin et qu'il a alors utilisé ses notes d'entrevue pour les corriger, une situation qu'il a qualifié de normale. Ces réponses du témoin n'excluent pas, comme l'a inféré le comité d'appel, qu'à la fin de chacun entrevue, les membres du jury aient pu en arriver à un consensus, alors que les réponses des candidats étaient encore fraîches dans leur esprit.


[12]       En effet, les extraits de l'interrogatoire d'Yvan Marceau ne révèlent pas combien et qui parmi les candidats soumis à l'entrevue ont été corrigés à la fin de l'ensemble des entrevues. Ils ne précisent non plus si le demandeur faisait partie des candidats dont l'évaluation des réponses avait été faite après l'entrevue ou à la fin de l'examen de tous les candidats. Bref, la preuve présentée par le demandeur ne démontre pas une incompatibilité entre le témoignage du demandeur Yvan Marceau du jury de sélection et l'inférence qu'en a tiré le président du comité d'appel.

[13]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

                                                                                    _________________________

                                                                                                            Juge

Ottawa (Ontario)

le 9 août 2000



     [1]         Le jury de sélection avait fixé la note de passage à 240 points sur 400; le demandeur a d'abord obtenu 222 points, note qui, après révision, fut ramenée à 231 points.

     [2]         Ratelle, 12 N.R. 85; Blagdon c. Le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique [1976] 1 C.F. 615 et Scarrizi c. Marinaki, dossier de la Cour T-403-94 (9 décembre 1994)

     [3]         Dossier du demandeur p. 19.

     [4]         Affidavit complémentaire du demandeur, paragr. 8.

     [5]         Affidavit complémentaire du demandeur, paragr. 9.

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