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Date : 20000811


Dossier : IMM-5925-99

Ottawa (Ontario), le vendredi 11 août 2000


EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson


ENTRE :




PUSHPAKANTHAN SELLATHURAI




demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION



défendeur



JUGEMENT


     LA COUR STATUE QUE :


     La demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la décision rendue le 9 novembre 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est annulée.

     L'affaire est renvoyée pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.



« Eleanor R. Dawson »


Juge


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.




Date : 20000811


Dossier : IMM-5925-99


ENTRE :


PUSHPAKANTHAN SELLATHURAI


demandeur


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DAWSON

[1]      Pushpakanthan Sellathurai est un Tamoul de sexe masculin âgé de 46 ans, et il vient de la péninsule de Jaffna, au Sri Lanka. Il revendique le statut de réfugié au sens de la Convention au motif de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques présumées. Monsieur Sellathurai craint d'être persécuté par les Tigres libérateurs de l'Eelam Tamoul (TLET) et par l'armée sri-lankaise.

[2]      Dans une décision rendue le 9 novembre 1999, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR) a conclu que M. Sellathurai n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[3]      Dans la présente instance, M. Sellathurai sollicite une ordonnance annulant cette décision et renvoyant l'affaire pour un nouvel examen par un tribunal de la SSR différemment constitué.

[4]      Monsieur Sellathurai a témoigné qu'il avait vécu sur la péninsule de Jaffna jusqu'en 1995 et qu'il y avait occupé un emploi de soudeur. Il a dit qu'entre 1990 et 1995, il a été forcé de faire des travaux de soudure sur les véhicules des TLET. Il a dit à la SSR qu'en raison de l'avance de l'armée sri-lankaise vers Jaffna en 1995, lui et sa famille ont quitté la péninsule de Jaffna pour se rendre à Kilinochchi.

[5]      Monsieur Sellathurai a aussi dit qu'il avait été arrêté par les TLET le 26 février 1996, qu'il avait été détenu dans leurs camps et qu'il avait encore dû exécuter des travaux de soudure pour eux. Monsieur Sellathurai a indiqué qu'au mois d'août 1997, par suite d'un bombardement, il avait pu s'échapper du camp des TLET où il était détenu. Il a dit qu'après s'être échappé, il s'était rendu chez un oncle à Vavuniya.

LA DÉCISION

[6]      La SSR a statué que M. Sellathurai n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'elle est arrivée à des conclusions défavorables quant à sa crédibilité. Pour arriver à ces conclusions, la SSR a évalué le caractère raisonnable de la demande de M. Sellathurai au regard de la preuve documentaire déposée.

[7]      Les passages clés de la décision de la SSR sont les suivants :
     [traduction]
         D'abord, une preuve documentaire digne de foi démontre que ce sont les jeunes Tamouls du Nord et de l'Est qui courent le plus de risques au Sri Lanka. Les intérêts des TLET font en sorte que l'organisation ne permet pas aux personnes d'un certain groupe d'âge de quitter les régions qui sont sous son contrôle1; les groupes en question sont les femmes de 10 à 23 ans et les hommes de 10 à 25 ans. Les intérêts des forces de sécurité font en sorte que des opérations spéciales de sélection ont lieu et que des restrictions sont imposées aux personnes de 14 à 25 ans qui demandent la permission de quitter la région de Jaffna2. Le revendicateur, âgé de 46 ans et marié, ne fait vraiment pas partie du profil de ceux qui risquent le plus d'être recrutés par les TLET ou soupçonnés d'en faire partie par les forces de sécurité. Deuxièmement, le tribunal constate qu'après que Jaffna fut tombée sous le contrôle de l'armée, le revendicateur a choisi d'aller à Kilinochchi, une autre région contrôlée par les TLET. Le tribunal ne considère pas crédible le témoignage du revendicateur selon lequel il était forcé de travailler pour les TLET.

     [...]

         Étant donné la preuve documentaire examinée par le tribunal, nous concluons en vertu de la prépondérance des probabilités que le revendicateur n'était pas forcé de travailler pour les TLET et qu'il n'était pas détenu dans leur camp de jungle à Kilinochchi. Nous ne croyons pas non plus son témoignage relativement à son évasion du camp des TLET par suite d'un bombardement. Il ne fait pas partie du groupe d'âge qui intéresse le plus les TLET. [citations omises]

LA QUESTION EN LITIGE

[8]      La question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la SSR a commis une erreur en considérant que le témoignage de M. Sellathurai n'était pas crédible. N'ayant pas cru le témoignage de M. Sellathurai, la SSR a ensuite conclu que rien ne s'opposait sérieusement à ce qu'il retourne à Jaffna car il n'y avait pas de possibilité sérieuse qu'il y soit persécuté par l'armée sri-lankaise ou les TLET.

ANALYSE

[9]      La SSR a bien noté, en rappelant les éléments du témoignage de M. Sellathurai, que ce dernier était soudeur et qu'il prétendait avoir été forcé par les TLET à faire des travaux de soudure sur leurs véhicules. Toutefois, en concluant qu'il était peu vraisemblable que les TLET s'intéressent à M. Sellathurai, en raison de son âge, la SSR ne semble pas avoir tenu compte du fait que les TLET pourraient bien s'intéresser à une personne pour d'autres motifs que son âge et son aptitude au combat. Rien dans la preuve présentée à la SSR ne donnait à penser qu'il était peu vraisemblable que les TLET pourraient s'intéresser à M. Sellathurai en raison de ses compétence en soudure.

[10]      À l'égard de la conclusion de la SSR selon laquelle il était peu vraisemblable que M. Sellathurai, s'il craignait les TLET, soit allé dans une autre région qu'ils contrôlaient après que Jaffna fut tombée sous le contrôle de l'armée en 1995, la SSR a omis de tenir compte de l'explication de M. Sellathurai quant aux raisons qui l'ont amené à aller à Kilinochchi. Dans son formulaire de renseignements personnels, M. Sellathurai avait affirmé que lui et sa famille étaient allés dans la région de Kilinochchi en tant que réfugiés.

[11]      Un rapport d'Amnistie Internationale, sur lequel s'est fondé le tribunal à d'autres égards, relatait que lors de l'offensive de 1995, les TLET avaient ordonné aux civils de quitter Jaffna et que ceux qui ne voulaient pas s'en aller avaient été contraints de le faire en raison de l'intimidation, des menaces, de la manipulation et de l'utilisation de la force dont ils avaient fait l'objet. Dans ce contexte, on a dit que les TLET avaient « encouragé les gens » à se rendre à Kilinochchi, où l'organisation avait déménagé la plupart de ses bureaux après avoir quitté la ville de Jaffna.

[12]      À mon avis, cette preuve n'étaye pas l'inférence selon laquelle le seul fait que M. Sellathurai se soit rendu à Kilinochchi en tant que réfugié démontrait qu'il ne craignait pas les TLET.

[13]      La SSR n'a donné aucun motif pour justifier sa conclusion selon laquelle le récit de l'évasion de M. Sellathurai du camp des TLET par suite d'un bombardement n'était pas vraisemblable.

[14]      La SSR a droit à la retenue judiciaire à l'égard de ses conclusions relatives à la crédibilité et à la vraisemblance, à moins que ses conclusions soient déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour.

[15]      À mon avis, la SSR a conclu qu'elle ne croyait pas que M. Sellathurai avait été forcé de travailler pour les TLET sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. J'arrive à cette conclusion parce que l'analyse de la SSR ne tient pas compte du témoignage non contredit du demandeur selon lequel, indépendamment de son âge, c'était sa compétence en tant que soudeur qui intéressait les TLET. Aussi, je conclus que l'inférence, selon laquelle M. Sellathurai ne craignait pas les TLET, ne tenait pas compte de la preuve contenue dans le rapport d'Amnistie Internationale selon lequel les TLET, par l'utilisation de la menace et de la force, avaient influencé les gens à se rendre à Kilinochchi.

[16]      La SSR a aussi commis une erreur en ne donnant pas de motifs pour étayer sa conclusion selon laquelle le récit fait par M. Sellathurai de son évasion du camp des TLET n'était pas vraisemblable.

[17]      Ces erreurs sont susceptibles de révision.

[18]      Je ne suis pas convaincue que sans commettre ces erreurs, la SSR aurait conclu qu'il n'y avait pas d'obstacle sérieux à ce que M. Sellathurai retourne à Jaffna et que dans cette éventualité, il n'y avait pas de possibilité sérieuse que les TLET lui fassent du mal.

[19]      Par conséquent, malgré les observations très valables de l'avocate du ministre, j'ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et que l'affaire devait être renvoyée devant un tribunal de la SSR différemment constitué pour un nouvel examen.

[20]      Les avocats n'ont soumis aucune question pour certification.


« Eleanor R. Dawson »


Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 août 2000


Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  IMM-5925-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Pushpakanthan Sellathurai c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 7 juillet 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE DAWSON


EN DATE DU :                  11 août 2000



ONT COMPARU


M. Ronald P. Poulton                      pour le demandeur
Mme Susan Nucci                      pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Waldman & Associés                      pour le demandeur

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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