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     Date : 19980126

     Dossier : IMM-833-97

Entre :

     SHYAMA USHANDHINI MAHALINGAM,

     requérante,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la section du statut a déterminé que la requérante n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition qui est donné de ce terme au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la section du statut est datée du 6 février 1997.

[2]      La requérante est une Tamoule du Sri Lanka. Elle est née en juin 1961 à Colombo et, avant de venir au Canada, elle y habitait. Elle semble fonder sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur une crainte qu'elle dit fondée d'être persécutée si elle est tenue de retourner au Sri Lanka, en raison de son appartenance ethnique et de ses opinions politiques.

[3]      Les faits sur lesquels s'appuie la revendication de la requérante ne sont pas contestés pour l'essentiel. Après ses études, elle a travaillé comme agent de bord pour Air Lanka pendant treize ans. Elle a été soupçonnée d'être impliquée dans un vol de biens appartenant à un client de la compagnie aérienne. Elle a été suspendue pendant l'enquête sur cet incident. Elle a été totalement exonérée et réintégrée avec plein salaire pour sa période de suspension. La requérante croit qu'elle a été victime de discrimination parce qu'elle est Tamoule et elle a décidé de ne pas reprendre son emploi.

[4]      Peu de temps après, elle prenait place dans un autobus qui a été arrêté pour une inspection de routine. L'autobus a par la suite été arrêté une deuxième fois, on l'a fait descendre et on l'a emmenée en détention au motif qu'elle était soupçonnée de faire partie des militants tamouls. Pendant sa détention de moins de 24 heures, elle a fait l'objet d'outrages inexcusables. Elle a déposé une plainte devant la Cour suprême du Sri Lanka alléguant qu'on avait enfreint ses droits fondamentaux.

[5]      La requérante est arrivée au Canada le 5 juin 1995, munie d'un visa de visiteur de six mois. En novembre de la même année, pendant qu'elle se trouvait toujours au Canada, elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Sa revendication est appuyée par une lettre de son frère du Sri Lanka lui conseillant de ne pas rentrer dans son pays.

[6]      En juillet 1996, la réclamation déposée par la requérante devant la Cour suprême du Sri Lanka a été réglée en sa faveur. Les conditions du règlement exigeaient de l'agent responsable de l'installation où la requérante a été détenue de s'excuser par écrit et de verser une somme, équivalant à environ 500 $ canadiens, au fonds de défense nationale. Malgré tout, la requérante a maintenu sa revendication de statut de réfugié.

[7]      Dans les motifs de sa décision, après avoir énoncé les faits, la section du statut écrit ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Malgré ce règlement satisfaisant de la plainte, la requérante prétend qu'elle craint toujours de retourner au Sri Lanka. Elle a peur de ce que la police pourrait lui faire étant donné que les agents sont sans aucun doute mécontents du résultat de la plainte. La formation ne partage pas cette opinion. Nous croyons que la police sera très prudente dans ses rapports avec la requérante. Si les agents se comportent d'une manière non recommandable, ils courent le risque d'être pénalisés pour leur conduite en raison de l'ordonnance que la Cour a rendue en faveur de la requérante. Nous croyons qu'en tant que femme tamoule elle ne sera pas, sans impunité, harcelée ou indûment interrogée ou détenue sans motif par la police dont la conduite passée a été blâmée. Il serait hautement spéculatif de conclure que, malgré la protection que lui offre la Cour, la police continuerait de l'humilier et de la harceler.                 
         Lorsqu'un requérant réclame une protection contre des actes ou une conduite sur lesquels repose une crainte subjective d'être persécuté et qu'il a obtenu cette protection, il ne peut plus ensuite craindre avec raison d'être persécuté. Les faits qui sous-tendent cette réclamation indiquent que la requérante avait une crainte subjective d'être persécutée. Elle a demandé réparation à l'État qui lui a donné raison. Sa crainte n'a plus de fondement objectif.          [non souligné dans l'original]                 

[8]      Après avoir cité un extrait de Canada (Procureur général) c. Ward2 à l'appui de l'opinion selon laquelle l'incapacité de l'État d'assurer la protection est un des éléments cruciaux de l'analyse d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, la section du statut poursuit dans ces mots :

         [TRADUCTION]                 
         Pour les motifs précités, la section du statut conclut que la requérante, qui avait une crainte subjective d'être persécutée, a demandé et obtenu la protection de l'État et que sa crainte n'est plus fondée.                 

                         [non souligné dans l'original]

[9]      La section du statut a jugé que la crainte de la requérante selon laquelle la police pourrait encore "l'humilier et la harceler" était "hautement spéculative". Cette crainte était appuyée par la lettre de son frère et, dans une certaine mesure, par la preuve documentaire dont était saisie la formation3. La section du statut a choisi de rejeter la "spéculation" de la requérante et d'y substituer ce qui peut être décrit comme sa propre "spéculation" ou son propre "sentiment" selon lequel, puisque la requérante a obtenu gain de cause dans sa réclamation concernant ses droits fondamentaux, la police ne se risquerait plus à l'humilier ou à la harceler. Cependant, la section du statut n'a cité aucune preuve à l'appui de sa propre spéculation ou de son propre sentiment.

[10]      Dans l'arrêt Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Robert Satiacum4, le juge MacGuigan écrit ceci :

         La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l'arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.) :                 
             [TRADUCTION]      Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J'estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.                         
         Dans R. v. Fuller (1971), 1 N.R. 112, à la p. 114, le juge Hall a conclu, au nom de la Cour d'appel du Manitoba, que [TRADUCTION] "[l]e tribunal des faits ne peut faire appel à des conclusions toutes théoriques et conjecturales." La Cour suprême a ensuite confirmé ces motifs à l'unanimité : [1975] 2 R.C.S. 121, à la p. 123, 1 N.R. 110, à la p. 112.                 

[11]      En l'absence d'éléments de preuve, cités par la section du statut et évalués au regard de la preuve contraire pour appuyer ce "sentiment", je conclus que la section du statut en est arrivée à une conclusion toute théorique et conjecturale qui était manifestement essentielle à sa décision. En agissant ainsi, elle a commis une erreur susceptible de contrôle. Cela ne veut pas dire que la décision de la section du statut ayant trait à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention de la requérante ne pouvait pas raisonnablement être prise. Évidemment, je ne peux tirer aucune conclusion à cet égard. Cependant, la section ne pouvait manifestement pas prendre sa décision en s'appuyant sur l'analyse très limitée qu'elle a fournie.

[12]      Par les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucun des avocats n'a demandé la certification d'une question, et aucune ne sera donc certifiée.

                         FREDERICK E. GIBSON

                                      Juge

Ottawa (Ontario)

le 30 janvier 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  IMM-833-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Shyama Ushandhini Mahalingam c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 23 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      le juge Gibson

DATE :                      le 30 janvier 1998

ONT COMPARU :

Toni Schweitzer                      pour la requérante

Godwin Friday                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates

Toronto (Ontario)                      pour la requérante

George Thomson

Sous-procureur général du Canada              pour l'intimé

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      [1993] 2 R.C.S. 689, p. 722

     3      Voir p. 116 du dossier de la requérante et p. 636 du dossier du tribunal.

     4      (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.)

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