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Date : 20050907

Dossier : IMM-5782-04

Référence : 2005 CF 1215

ENTRE :

EMRON CONSTANTINE

JANELLA MATHURIN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 18 mai 2004 rendue par un commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention (la décision).

[2]                Les demandeurs sont des citoyens de Sainte-Lucie. Le demandeur, Emron Constantine, est âgé de vingt-quatre ans. Sa femme, Janella Mathurin, est âgée de vingt-trois ans.

[3]                Le 2 août 2002 ou vers cette date, le demandeur se trouvait à une soirée dansante organisée pour recueillir des fonds. Pendant la soirée, il a été témoin d'une altercation entre le portier (le portier) et un chef de gang, altercation au cours de laquelle le chef de gang a été tué à coups de machette. Après l'incident, les membres du gang ont vu le demandeur en train de discuter avec un policier. Ils ont supposé que le demandeur avait transmis des renseignements à la police et que ces renseignements avaient fait en sorte que le portier avait fait l'objet d'une accusation réduite de meurtre au deuxième degré. Toutefois, le demandeur ne faisait que discuter avec son cousin policier qui avait été appelé sur les lieux de l'incident. En fait, le demandeur n'a jamais fait de déclaration officielle à la police puisque de nombreux autres témoins s'étaient présentés.

[4]                Deux jours après l'incident, les demandeurs se trouvaient devant leur domicile quand trois membres du gang sont arrivés et leur ont dit qu'ils savaient que le demandeur avait fait une déclaration à la police et que cette déclaration avait fait en sorte qu'une accusation réduite avait été portée contre le portier. Ils ont menacé le demandeur en lui disant qu'il ne « vivrait pas pour le voir (le portier) sortir de prison » . Les demandeurs ont compris que cela voulait dire que le gang menaçait de tuer le demandeur.

[5]                Trois jours plus tard, les mêmes trois membres du gang sont revenus à la maison pour dire : « On ne t'a pas oublié, on n'oublie pas des choses comme ça. » Une autre fois, plus tard au mois d'août, les membres du gang ont empoigné le demandeur et ils l'ont de nouveau menacé. Ces incidents seront appelés collectivement les « menaces » . C'est alors que le demandeur s'est rendu au poste de police. Les agents n'ont pas dressé de rapport mais ils ont dit qu'ils examineraient sa plainte.

[6]                Le demandeur a alors décidé de venir au Canada et c'est ce qu'il a fait le 18 août 2002. Quelques jours après son départ, la demanderesse a reçu un appel téléphonique d'une personne qui ne s'est pas identifiée et qui a demandé à parler au demandeur. Quand la demanderesse a dit que le demandeur était absent, la personne a raccroché. Cela s'est produit plusieurs fois par la suite. Puis, en octobre, pendant que la demanderesse se trouvait à l'extérieur de chez elle, un membre du gang est passé et lui a dit : « On sait qu'Emron n'est pas là et on peut te tuer ou te violer. » Elle n'a pas signalé cet incident à la police. La demanderesse a ensuite décidé de rejoindre le demandeur au Canada. Elle est arrivée le 11 février 2003.

[7]                Le demandeur a présenté une demande d'asile le 25 février 2003, six mois après son arrivée au Canada. La demanderesse a présenté sa demande le 16 juin 2003, quatre mois après son arrivée.

LA DÉCISION

[8]                La Commission a conclu que, « dans l'ensemble » , les demandeurs étaient des témoins crédibles. Toutefois, la Commission a conclu qu'ils étaient « trop détachés » des événements et qu'ils n'étaient plus exposés à un risque sérieux à Sainte-Lucie. La Commission a mentionné que le demandeur avait quitté Sainte-Lucie depuis deux ans, et la demanderesse, depuis plus d'une année.

[9]                La Commission a également dit que les demandeurs en savaient bien peu sur le déroulement du procès pour meurtre du portier. La Commission a conclu que le manque de curiosité et d'information au sujet du procès nuisait considérablement à la crédibilité des allégations des demandeurs selon lesquelles ils seraient exposés à un risque.

[10]            Pour ce qui concerne la protection de l'État, la Commission a conclu que les demandeurs n'avaient pas établi que quiconque avait refusé de les protéger ou refuserait de le faire si jamais ils en avaient besoin. La Commission a mentionné que la demanderesse n'avait pas signalé les menaces proférées contre elle en octobre même si elle aurait pu identifier l'agresseur.

[11]            La Commission s'est prononcée sur le retard. Le demandeur a dit, dans son témoignage, qu'il avait attendu de voir « ce qui se passerait » puis, qu'il avait attendu que la demanderesse le rejoigne. Il a par la suite manqué d'argent. La Commission a reconnu que la présentation d'une demande d'asile comporte son lot de difficultés mais elle a ajouté que les demandeurs étaient des personnes instruites qui s'exprimaient bien. La Commission a dit que même s'il ne s'agissait pas d'un facteur déterminant en soi, le fait qu'ils aient tardé nuisait à leur demande d'asile.

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

Protection de l'État

[12]            Les demandeurs disent que la Commission n'a pas examiné correctement la question de la protection de l'État et je suis d'accord. À la page 6 de la décision, la Commission reconnaît que la police de Sainte-Lucie n'est guère efficace face aux gangs. Néanmoins, dans la phrase suivante, la Commission affirme que les demandeurs n'ont pas démontré que l'État refuserait de les protéger. Selon toute vraisemblance, il faudrait que cette protection soit adéquate. Cela pose problème parce qu'il est difficile de savoir comment une protection inefficace peut s'avérer adéquate.

[13]            Le défendeur reconnaît que les motifs de la Commission concernant la question de la protection de l'État ne sont pas parfaits, mais il dit que toute lacune existante n'a pas d'importance puisque, lorsque la Commission a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque, la question de la protection de l'État ne se posait plus.

[14]            Je trouve l'argument convaincant. La Commission a bel et bien tiré une conclusion claire sur la question du risque. Elle a dit, à la page 4 de la décision :

Le tribunal conclut que les demandeurs d'asile sont trop détachés des événements et ne croit pas qu'ils soient exposés à une possibilité sérieuse de menace à la vie aujourd'hui à Sainte-Lucie.

[15]            Ayant tiré cette conclusion, la Commission n'était pas tenue d'examiner la question de la protection de l'État. Les erreurs qu'elle a commises relativement à cette question ne sont donc pas pertinentes.

L'évaluation du risque

[16]            La Commission a jugé, notamment que les demandeurs en savaient « bien peu » sur le déroulement du procès pour meutre du portier. Cette conclusion a beaucoup nuit à la crédibilité des demandeurs. À cet égard, la Commission a dit :

Le tribunal conclut à un manque d'information et de curiosité de la part des demandeurs d'asile quant au dénouement du procès pour meurtre qui nuit considérablement à la crédibilité de leurs allégations selon lesquelles ils seraient exposés à un risque parce que le demandeur était présent la nuit du meurtre.

[17]            Les demandeurs allèguent que cette conclusion est manifestement déraisonnable parce que c'est l'accusation portée contre le portier qui est à l'origine des menaces et que le résultat du procès n'aurait aucun effet sur l'accusation portée.

[18]            Les demandeurs ont raison sur ce point, mais cela n'explique pas leur apparent manque d'intérêt relativement au déroulement de la procédure. La plupart des personnes témoins d'un meurtre perpétré à coups de machette sur une piste de danse et qui auraient été menacées par la suite se seraient intéressées au procès même si elles n'étaient pas particulièrement bien informées au sujet des affaires juridiques.

[19]            À mon avis, il était loisible à la Commission de tirer une inférence négative de l'absence de curiosité des demandeurs au sujet des circonstances de l'affaire.

CONCLUSION

[20]            Pour tous ces motifs, la présente demande sera rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  IMM-5782-04

INTITULÉ :                                                 EMRON CONSTANTINE

                                                                     JANELLA MATHURIN

                                                                     c.

                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                           TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 20 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :            LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                LE 7 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Karina A.K.Thompson                                   POUR LES DEMANDEURS

Tamrat Gebeyehu                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert R .Blanshay                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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