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Date : 20041012

Dossier : IMM-2734-04

Référence : 2004 CF 1381

Ottawa (Ontario), le mardi 12 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

MOSTAFA DADAR

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON

[1]                Mostafa Dadar est un ressortissant iranien âgé de 54 ans. Il dit que, en raison de son rôle dans un coup d'État militaire avorté remontant à 1982, il a été emprisonné et torturé par les autorités iraniennes pendant environ quatre ans. Il dit aussi que, en 1986, il s'est échappé de prison en Iran, puis s'est rendu au Pakistan où il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. Accompagné de son épouse à l'époque, M. Dadar est arrivé au Canada en tant que résident permanent le 2 décembre 1988.


[2]                Après son arrivée au Canada, M. Dadar est devenu violent envers son épouse. Le 12 juillet 1995, il a été reconnu coupable d'agression, puis condamné à quatre jours de prison et à une période de probation. En décembre 1995, il a été reconnu coupable d'un vol inférieur à 5 000 $, puis condamné pour ce vol à une amende de 100 $. Le 14 janvier 1997, il a été reconnu coupable de voies de fait graves sur son amie d'alors. Cette agression s'était produite alors que M. Dadar était en probation au titre de sa condamnation de 1995 pour agression. Sa condamnation pour voie de fait graves lui a valu une peine d'emprisonnement de huit ans. Il est demeuré incarcéré jusqu'à la date de sa libération d'office, et c'est alors qu'il a été mis en détention aux fins d'immigration.

[3]                En tant que personne reconnue comme réfugiée au sens de la Convention, M. Dadar serait soustrait à un renvoi vers l'Iran n'eût été le fait que, le 8 mars 2004, une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a exprimé l'avis, conformément à l'alinéa 115(2)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi » ), que M. Dadar constitue un danger pour le public au Canada.

[4]                Les paragraphes 115(1) et (2) de la Loi sont ainsi formulés :



115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

115(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à l'interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu'il constitue pour la sécurité du Canada. [Le souligné est de moi.]

115(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada. [underlining added]


[5]                Par cette demande de contrôle judiciaire, M. Dadar voudrait que soit rendue une ordonnance annulant l'avis de la représentante du ministre selon lequel il constitue un danger pour le public au Canada.

POINTS LITIGIEUX

[6]                Dans ses conclusions écrites, M. Dadar a structuré comme il suit les points à décider :

1.          L'avis du ministre ignore-t-il les droits garantis à M. Dadar par les articles 7, 11 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » )?


2.          L'alinéa 115(2)a) de la Loi contrevient-il aux obligations de non-refoulement imposées au Canada par le droit international?

3.          L'avis du ministre est-il appuyé par l'ensemble de la preuve? La décision du ministre selon laquelle M. Dadar constitue un danger pour le public au Canada était-elle abusive ou arbitraire puisqu'il ne constitue pas un tel danger?

4.          La décision du ministre selon laquelle M. Dadar constitue un danger pour le public au Canada était-elle abusive ou arbitraire étant donné que, s'il est expulsé vers l'Iran, il sera torturé et/ou éliminé par les autorités?

5.          La décision du ministre est-elle un abus de procédure étant donné que, sur une période de quatre ans, c'est la troisième décision du genre rendue sur la même question à l'égard de M. Dadar?


[7]                Dans sa plaidoirie, l'avocat de M. Dadar a confirmé qu'il n'allait pas pousser plus loin son argument fondé sur l'article 11 de la Charte et qu'il ne contestait pas la validité constitutionnelle ni l'applicabilité de l'alinéa 115(2)a) de la Loi. L'avocat de M. Dadar a admis que, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada avait jugé que la disposition antérieure correspondant à l'alinéa 115(2)a) actuel était constitutionnellement valide mais que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire selon cette disposition, le ministre devait se conformer aux principes de justice fondamentale dont parle l'article 7 de la Charte. Quoi qu'il en soit, aucun avis de question constitutionnelle n'a été signifié comme le requiert le paragraphe 57(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de telle sorte que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur la validité constitutionnelle ou l'applicabilité de l'alinéa 115(2)a) de la Loi.

La décision contestée

[8]                Dans sa longue opinion, la représentante du ministre examinait le régime législatif, les faits pertinents, l'argument de M. Dadar relatif au risque auquel il serait exposé s'il était renvoyé en Iran, les renseignements que possédait la représentante du ministre à propos des conditions qui avaient cours dans le pays, les renseignements dont elle disposait à propos du danger que représentait M. Dadar, enfin les considérations humanitaires existantes.

[9]                S'agissant du danger que représentait M. Dadar, la représentante du ministre écrivait ce qui suit :

[traduction]


[...] M. Dadar est une personne qui présente une propension manifeste à des violences extrêmes contre les personnes qui sont proches de lui. Il était en libération conditionnelle après avoir été reconnu coupable de coups et blessures sur son ex-épouse lorsqu'il a agressé son amie d'alors, la laissant dans un état semi-conscient. Les lésions psychologiques, émotives et physiques qu'il a infligées à ces deux femmes (et même à ses enfants) sont bien étayées dans les documents que j'ai devant moi et il ne m'est pas nécessaire de les rappeler ici. Son refus constant d'accepter la responsabilité de ses actes montre, s'il en était besoin, que ces incidents haineux pourraient très bien se reproduire. Les observations des fonctionnaires du SCC, qui révèlent qu'il a participé à divers traitements, mais n'a pas compris les conséquences de ses actes, sont révélatrices. Il n'a pas suivi le programme de haute intensité contre la violence familiale, un programme imposé et nécessaire, qui lui aurait permis de prouver qu'il est résolu à maîtriser ses tendances à la violence. Il ne s'est pas non plus attaqué aux effets dévastateurs de sa consommation d'alcool et de médicaments d'ordonnance. Les nombreux commentaires des représentants du SCC à propos de M. Dadar, commentaires qui ont été rédigés sur plusieurs années, révèlent que son refus d'accepter la responsabilité de ses actes atteste sa dangerosité.

M. Dadar a été reconnu coupable d'une infraction très grave, qui, selon le juge qui a imposé la peine, aurait pu entraîner la mort de sa victime. La longue peine imposée par le tribunal (huit ans d'emprisonnement) donne une idée de la violence employée lorsqu'il a commis ce crime, et de la gravité que la société attribue à ce genre d'agression.

D'après les documents que j'ai devant moi, il est clair que M. Dadar est un homme très dangereux qui, à mon avis, constitue un danger pour toute future conjointe ou partenaire et qu'il est donc un danger pour le public au Canada.

[10]            S'agissant du risque auquel M. Dadar serait exposé s'il était renvoyé en Iran, la représentante du ministre écrivait ce qui suit :

[traduction]

Je sais que M. Mostafa Dadar a été admis au Canada à titre de réfugié - c'est-à-dire en tant que personne à protéger et devant se réinstaller. Il dit qu'il craint pour sa vie ou qu'il risque la torture ou des peines ou traitements cruels et inusités s'il est renvoyé en Iran. (En l'occurrence, je relève que M. Dadar n'a pas apporté la preuve que les activités d'une personne qui a été reconnue coupable d'infractions criminelles présentent un quelconque intérêt pour les autorités iraniennes.) Il a dit que, lorsqu'il a été arrêté en 1982, il était membre d'un groupe d'opposition appelé « ANIM » (Association nationale du mouvement iranien) dont le but était d'instituer une monarchie constitutionnelle comme système de gouvernement en Iran. À la suite de son arrestation, il avait été soumis à la torture et avait réussi à obtenir un sauf-conduit d'une journée afin de recevoir des soins médicaux pour ses blessures. Il s'est enfui au Pakistan avec l'aide de l'organisation royaliste Sepah. [Je relève que le récit de M. Dadar diffère notablement de celui de son ex-épouse. Mme Jafari a dit que M. Dadar avait été condamné à deux ans d'emprisonnement (et non à un emprisonnement à perpétuité) et qu'il ne s'était pas évadé de la prison, mais avait été élargi après avoir purgé sa peine.] Dans une lettre datée du 22 avril 2002, M. Dadar conteste les affirmations de son ex-épouse qui dit craindre pour sa sécurité : « Je n'avais pas été en contact avec elle ni n'avais tenté de quelque façon d'entrer en contact avec elle, il n'existe aucun rapport de police prouvant qu'elle ait été de quelque manière menacée. C'est pure conjecture et c'est une exagération des faits » . Ces propos contredisent l'information figurant dans un document selon laquelle en réalité M. Dadar avait été en contact avec son ex-épouse.


Je ne puis cependant ignorer les conditions qui ont cours actuellement en Iran, lorsqu'il s'agit de savoir si une personne qui a été reconnue comme réfugiée au sens de la Convention peut ou non être « refoulée » . Je ne puis non plus ignorer les documents préparés par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié concernant l'absence de vigueur aujourd'hui du mouvement monarchiste en Iran. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la situation des droits de l'homme en Iran est précaire, mais je suis d'avis que M. Dadar serait d'un intérêt limité pour les autorités iraniennes par suite de son appartenance antérieure à cette organisation; je reconnais cependant qu'il affirme être encore un partisan de ce mouvement. Il a quitté l'Iran il y a environ 17 ans et il a été emprisonné il y a environ 21 ans. Les documents que j'ai devant moi n'indiquent nulle part non plus que M. Dadar serait accusé de nouveau des crimes dont il a été reconnu coupable au Canada. Autrement dit, rien ne prouve qu'il serait accusé selon le droit islamique de deux chefs, à savoir agression contre son ex-épouse et agression contre son ex-amie (ni même qu'il serait accusé de vol). Il ne fait aucun doute qu'il serait soumis à un interrogatoire s'il était renvoyé en Iran - comme le sont toutes les personnes expulsées.

[11]            La représentante concluait que le danger que représentait M. Dadar pour le public au Canada l'emportait sur le risque qu'il courait en cas de renvoi en Iran.

[12]            Subsidiairement, la représentante du ministre a estimé que, si M. Dadar risquait la torture, la mort ou des peines cruelles et inusitées, son cas entrait dans les circonstances exceptionnelles, envisagées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Suresh, où l'expulsion comportant un risque de torture peut se justifier.

ANALYSE

1.          Norme de contrôle


[13]            L'avis de la représentante du ministre portait sur deux points : M. Dadar constituait-il un danger pour le public au Canada? Courait-il un risque élevé de torture ou de mort en cas d'expulsion vers l'Iran? Les parties s'accordent pour dire que la norme de contrôle à appliquer aux deux points est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cette norme commande une retenue élevée et la Cour doit donc s'abstenir d'apprécier de nouveau la preuve. La décision devra être confirmée à moins qu'elle ne soit à première vue déraisonnable, qu'elle ne soit arbitraire ou empreinte de mauvaise foi, qu'elle n'ait été prise au mépris de la preuve ou qu'elle ne soit entachée par la prise en compte de facteurs hors de propos ou l'application de procédures inadéquates.

2.          La conclusion selon laquelle M. Dadar constitue un danger pour le public au Canada

[14]            La représentante du ministre a noté que les voies de fait graves commises par M. Dadar sur son amie ont entraîné pour celle-ci une invalidité permanente. La représentante a passé en revue les divers rapports du Service correctionnel du Canada qu'elle avait devant elle, à savoir : évaluation initiale, résumés de l'évolution du cas, plan correctionnel, rapports sur l'évolution du cas, enquêtes communautaires, rapports présentenciels et évaluations psychologiques. Ces documents font état de l'absence de repentir de M. Dadar, de son manque d'empressement à suivre des programmes de traitement, de ses mauvaises dispositions envers les femmes, de ses attitudes hostiles et belliqueuses envers les figures d'autorité au cours de situations qu'il perçoit comme négatives ou comme opposées à ses vues, enfin de son refus d'accepter la responsabilité de ses agissements criminels. En avril 2002, la Commission nationale des libérations conditionnelles notait ce qui suit :


[traduction]

Vous avez participé à plusieurs programmes destinés à venir à bout des facteurs à l'origine de votre état, notamment un programme de vie sans violence, sans colère et sans émotions, un programme d'aptitudes cognitives et tout récemment un programme d'intensité modérée contre la violence familiale. Les rapports préparés à la suite de ces programmes montrent que, bien que vous soyez réceptif aux divers programmes, vous répugnez toujours à utiliser les compétences apprises, convaincu que vous n'avez aucun problème ou qu'il ne vous est pas nécessaire de changer. De plus, vous semblez n'avoir aucun soutien communautaire, et l'hébergement a été désigné comme source de difficultés.

Durant votre audition aujourd'hui, il est apparu à la Commission que vous avez jusqu'à maintenant peu bénéficié des programmes suivis. Vous persistez à nier totalement votre responsabilité dans l'agression de votre partenaire, et vous avez minimisé les abus commis contre votre ex-épouse. L'impression que vous laissez à la Commission est d'ailleurs que les abus qui marquent vos relations, abus que vous n'avez pas admis, étaient selon vous davantage imputables à vos conjointes qu'à vous-même. La Commission reste avec l'impression très nette que vous n'avez pas progressé durant votre incarcération et qu'en réalité vous semblez avoir régressé, pour ce qui est d'accepter vos responsabilités. La Commission souscrit à l'avis de votre équipe de gestion des cas et à celui de votre psychologue, pour qui vous continuez de présenter un risque significatif de violence envers une femme ou une conjointe et envers des enfants. L'équipe et le psychologue pensent aussi que ce risque augmenterait considérablement si un conflit surgissait dans la relation ou si vous veniez à traverser une période de tension.

En octobre 2003, M. Dadar protestait encore de son innocence à l'encontre de sa condamnation pour voies de fait graves, ainsi que l'atteste sa demande adressée à l'Association de défense des personnes injustement condamnées.

[15]            La représentante du ministre s'est également référée au rapport psychologique présenté au nom de M. Dadar. Le rapport renfermait ce qui suit :

[traduction]

[...] Globalement, en l'absence d'une assistance sociopsychologique à long terme, il présente un risque MODÉRÉ de récidive contre un conjoint. Cependant, le risque qu'il présente dépend du contexte. Si M. Dadar devait entrer dans une relation conjugale conflictuelle, le risque qu'il présenterait serait alors ÉLEVÉ. Cependant, avec une assistance sociopsychologique à long terme propre à venir à bout de sa violence envers un conjoint et de sa toxicomanie, les probabilités d'une récidive de sa part resteraient modérées ou pourraient même devenir faibles.


Par conséquent, globalement, selon l'information actuarielle, M. Dadar constitue à l'heure actuelle un faible risque à l'égard du grand public, et un risque modéré dans le contexte d'une relation entre conjoints.

[16]            Dans sa plaidoirie, l'avocat de M. Dadar a honnêtement admis que, en droit, une personne peut constituer un danger pour le public en constituant un danger pour une ou des personnes qui sont membres du public. Voir par exemple la décision Gillespie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 1850 (1re inst.). Dans cette affaire, la Cour avait jugé qu'il n'est pas acceptable de chercher à minimiser la gravité d'une infraction parce qu'elle n'est dirigée que vers les membres de la famille.

[17]            Je suis d'avis, au vu du dossier dont disposait la représentante du ministre, que sa décision relative au danger que constituait M. Dadar pour le public était autorisée par la preuve, qu'elle a été prise compte tenu des facteurs pertinents et qu'elle n'était ni arbitraire ni empreinte de mauvaise foi.

3.          La conclusion selon laquelle M. Dadar présenterait un intérêt limité pour les autorités iraniennes


[18]            Il incombe à M. Dadar de prouver qu'il existe des motifs substantiels permettant de croire que, s'il était renvoyé en Iran, il risquerait d'être soumis à la torture, à la mort ou à des traitements ou peines cruels et inusités. M. Dadar a admis dans son argumentation que le fait qu'il soit entré au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention ne permet pas d'affirmer qu'il a apporté la preuve requise. Voir par exemple la décision Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 200 F.T.R. 25, au paragraphe 45.

[19]            Les pièces transmises par M. Dadar au soutien de son argument relatif au risque comprennent pour l'essentiel son propre récit et une lettre du secrétariat de Sa Majesté Reza II où l'on peut lire que M. Dadar « a échappé à la colère du régime actuel » et que « son retour en Iran l'exposerait à toutes sortes de châtiments » . M. Dadar a présenté un article de presse rédigé en persan, mais il n'a pas fourni de traduction. M. Dadar n'a pas produit de copies des documents qu'il a remis au Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Pakistan et il n'a pas produit de rapports médicaux confirmant ses dires selon lesquels il a été traité au Canada pour des blessures résultant de tortures subies en Iran.

[20]            S'agissant du propre récit de M. Dadar, ainsi que l'a noté la représentante du ministre, la version de M. Dadar concernant les traitements qu'il aurait subis a été contredite par son ex-épouse. Les propos suivants figuraient dans la demande d'avis ministériel, dont copie a été remise à M. Dadar :

[traduction]


[...] Je n'ai aucune raison de mettre en doute son emprisonnement, mais je me demande vraiment si sa prétendue évasion de la prison a jamais eu lieu, étant donné la présence de renseignements contradictoires sur ce point, renseignements qui viennent de deux autres sources. Plus exactement, dans le document intitulé Enquête communautaire, daté du 1er septembre 1998, l'ex-épouse de l'intéressé a déclaré qu'il avait été condamné à deux ans d'emprisonnement pour ses activités politiques et qu'il avait été libéré à l'intérieur de cette période, moins 22 jours, pour bonne conduite. Elle a déclaré aussi qu'il avait quitté l'Iran illégalement, comme elle, mais qu'il ne s'était pas évadé de la prison. Une autre mention de ces faits figure dans l'évaluation psychologique datée du 15 juin 2000. Plus précisément, on peut lire dans le sommaire d'élargissement de l'intéressé, sommaire préparé par Centracare (un hôpital psychiatrique) et daté du 8 décembre 1988, que « il a été emprisonné en Iran durant 26 mois... Après son élargissement, ils se sont rendus au Pakistan » .

[21]            La demande d'avis ministériel a été communiquée à M. Dadar afin qu'il puisse y répondre, mais M. Dadar n'a fait aucun commentaire sur le doute exprimé à propos de sa prétendue évasion de la prison. L'état de la relation entre M. Dadar et son ex-épouse devrait inciter à la prudence et donner du poids à l'affirmation générale de M. Dadar selon laquelle son ex-épouse n'est pas sincère, mais M. Dadar n'a opposé aucun démenti et n'a pas répondu aux remarques qui lui sont imputées dans la déclaration attestant son congé de l'hôpital en 1988.

[22]            La représentante du ministre a également relevé que M. Dadar avait faussement informé les fonctionnaires du Service correctionnel du Canada que des personnes étaient disposées à l'aider au moment de sa libération, et qu'il avait remis aux fonctionnaires du Service une lettre mensongère dans laquelle on lui offrait de l'héberger et de l'aider lorsqu'il serait libéré. Le Service correctionnel du Canada a dit que cette lettre s'inscrivait dans un plan imaginé par M. Dadar avec un autre détenu. La représentante du ministre a qualifié cette lettre de stratagème dont l'objet était d'amener les fonctionnaires du Service correctionnel du Canada à croire que M. Dadar avait un soutien de la collectivité alors que ce n'était pas le cas.


[23]            D'autres documents du dossier, qui selon la représentante du ministre intéressaient la crédibilité de M. Dadar, mentionnaient que M. Dadar avait inventé une version des faits qui l'innocentait des voies de fait graves. On y trouvait son affirmation selon laquelle il n'avait pas contrevenu aux conditions d'une ordonnance judiciaire qui lui interdisait de communiquer avec son ex-épouse. Cette déclaration était contredite par les dossiers du Service correctionnel du Canada.

[24]            La représentante du ministre avait également devant elle des rapports d'organismes indépendants qui faisaient état de la situation ayant cours en Iran. On peut lire, dans le rapport du Département d'État des États-Unis pour l'année 2002, ce qui suit :

[traduction]

Le bilan du gouvernement en matière de droits de l'homme est resté mauvais, et il s'est détérioré notablement durant l'année, en dépit d'efforts constants déployés au sein de la société pour faire en sorte que le gouvernement réponde de ses politiques en la matière.

[...]

La Constitution interdit le recours à la torture; cependant, de nombreux rapports dignes de foi révèlent que les forces de sécurité et les personnels des prisons ont continué de torturer des détenus et des prisonniers. Certains établissements carcéraux, notamment la prison Evin de Téhéran, se sont distingués par les actes cruels et prolongés de torture infligés aux adversaires politiques du gouvernement.

[25]            Amnesty International écrivait, dans son rapport pour l'année civile 2002 :

[traduction]

La torture et les mauvais traitements, y compris à l'encontre des prisonniers politiques, ont continué d'être employés, en général dans les cas où les fonctionnaires de la justice ou de la sécurité refusaient aux détenus l'accès à des avocats et aux proches parents.

[...]

La peine de mort et les peines cruelles, inhumaines et dégradantes ont été employées à l'encontre de personnes accusées d'avoir voulu exercer leurs droits à la liberté d'expression et d'association.


[26]            Le rapport mondial de Human Rights Watch pour 2003 précisait ce qui suit :

[traduction]

Les progrès des droits de l'homme en Iran ont été pris dans une constante lutte de pouvoir politique entre d'une part les réformateurs élus par la population, qui contrôlaient à la fois la présidence et le Parlement, et d'autre part les conservateurs religieux, qui exerçaient le pouvoir par l'entremise de la charge de chef religieux (occupée par l'Ayatollah Ali Khamenei), du Conseil des gardiens de la révolution, des juges et des forces armées. Malgré des victoires électorales écrasantes remportées dans toutes les grandes élections tenues de 1997 à 2002, les réformateurs ne sont pas parvenus à mettre fin aux politiques répressives favorisées par les chefs religieux, non plus qu'aux limites considérables imposées à la liberté d'expression, à la liberté d'association et à la liberté de participation politique.

Le Conseil des gardiens a constamment bloqué les projets de loi adoptés par le Parlement dans des domaines tels que les droits des femmes, le droit de la famille, la prévention de la torture et la réforme électorale. Le pouvoir judiciaire, l'une des armes les plus puissantes des conservateurs, a sapé davantage le principe de la primauté du droit par la fermeture arbitraire de journaux et par l'emprisonnement d'activistes politiques.

[27]            La Direction générale de la documentation, de l'information et de la recherche, à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a préparé deux documents qui abordent le traitement réservé aux monarchistes, tels que M. Dadar, en Iran. En voici les extraits pertinents :

Article IRN 33937.FE, en date du 3 mars 2000 :

[traduction]... Selon deux spécialistes des études iraniennes, les monarchistes ne sont plus organisés ni actifs en Iran... Depuis longtemps, ils ne représentent plus une menace pour le régime actuel, comme on peut le voir dans le fait qu'au cours des dernières années les monarchistes n'ont pas été l'objet d'arrestations politiques ni de poursuites... Plusieurs personnes affichant des tendances politiques monarchistes ont voulu poser leur candidature lors des élections de février 2000, mais le Conseil des gardiens le leur a interdit. Dans la mesure où ils demeurent discrets, les autorités ne les pourchassent pas...

Article IRN 40084.E, en date du 15 octobre 2002 :

Il n'a pas été possible de trouver, dans les sources consultées par la Direction de la recherche, des renseignements précis sur le statut et le traitement réservés aux monarchistes en Iran entre 1996 et 2001.


En février 2001, la police iranienne aurait eu recours à des gaz lacrymogènes pour disperser une manifestation de monarchistes... Selon certains reportages, des douzaines de manifestants ont été arrêtés et « plusieurs autres ont été blessés » .

[28]            Devant cette preuve, la représentante du ministre a conclu que la situation des droits de l'homme en Iran est précaire et que M. Dadar serait soumis à un interrogatoire après son retour en Iran. Elle a exprimé l'avis que M. Dadar présenterait un intérêt limité pour les autorités iraniennes, parce que son appartenance antérieure à une organisation monarchiste ne constituait plus une menace pour le régime actuel.

[29]            Dans l'arrêt Suresh, précité, au paragraphe 39, la Cour suprême du Canada disait que la question de savoir si un réfugié est exposé à un risque élevé de torture après son expulsion dépend largement des faits. Cette question requiert d'examiner le bilan des droits de l'homme dans l'État d'origine, ainsi que le risque personnel auquel est exposé le revendicateur, et elle peut nécessiter une réévalution de la revendication initiale du réfugié. L'intervention de la Cour n'est justifiée que si la décision n'est pas autorisée par la preuve ou si elle ne tient pas compte des facteurs pertinents.


[30]            À mon avis, la décision de la représentante du ministre était autorisée par la preuve selon laquelle les monarchistes ne constituaient plus une menace pour le régime et n'avaient pas été au cours des années récentes l'objet d'arrestations ou de poursuites motivées politiquement. La décision s'appuyait sur une prise en compte des facteurs pertinents. Elle n'était donc pas manifestement déraisonnable, et l'intervention de la Cour n'est pas justifiée.

4.          L'avis de dangerosité rendu par la représentante du ministre va-t-il à l'encontre des droits reconnus à M. Dadar par les articles 7 et 12 de la Charte?

[31]            La représentante du ministre a estimé que M. Dadar présenterait un intérêt limité pour les autorités iraniennes et que par conséquent il ne serait pas exposé à un risque élevé de torture ou de mort s'il était expulsé. Cette conclusion dispose du redressement que réclame M. Dadar en application de l'article 7 de la Charte, parce qu'il n'a pas apporté la preuve requise pour que s'applique la protection garantie par l'article 7 de la Charte. Voir par exemple l'arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72.


[32]            Dans la mesure où M. Dadar invoque aussi l'article 12 de la Charte, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l'arrêt États-Unis d'Amérique c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, que c'est au regard de l'article 7 de la Charte qu'il convient d'examiner la question de la « responsabilité de l'État » . Compte tenu du degré de proximité causale entre, d'une part, l'arrêté d'extradition pris en vue de permettre la tenue du procès et, d'autre part, l'infliction potentielle de la peine capitale (qui constituait l'une des nombreuses issues possibles des poursuites), il convenait d'examiner le cas au regard de l'article 7 de la Charte plutôt qu'au regard de l'article 12 (et cela parce que les valeurs qui sont à la base de divers articles de la Charte, notamment l'article 12, font partie du processus de pondération fondé sur l'article 7 de la Charte).

[33]            L'arrêt Burns, précité, s'inscrivait dans un contexte d'extradition et non de refoulement, mais je suis d'avis que la même analyse vaut pour le refoulement, de telle sorte que les droits de M. Dadar sont validement déterminés selon l'article 7 de la Charte. Aucune analyse distincte au regard de l'article 12 de la Charte n'est requise.

5.          La décision de la représentante du ministre est-elle un abus de procédure?

[34]            M. Dadar fait remarquer qu'il s'agit là du troisième avis de dangerosité rendu au nom du ministre. Deux décisions antérieures ont été contestées par M. Dadar dans des procédures de contrôle judiciaire. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration avait consenti dans ces cas, pour des raisons de procédure, à ce que les demandes de M. Dadar soient accueillies. M. Dadar n'oppose pas l'irrecevabilité pour question déjà tranchée, ni l'exception de chose jugée, mais il demande à la Cour de garder à l'esprit le risque d'un litige interminable. Il relève que, après l'expiration de sa peine, il est encore en détention par l'effet d'un mandat d'immigration.


[35]            Pour conclure à un abus de procédure, un tribunal doit être d'avis que « le préjudice qui serait causé à l'intérêt public dans l'équité du processus administratif, si les procédures suivaient leur cours, excéderait celui qui serait causé à l'intérêt public dans l'application de la loi, s'il était mis fin à ces procédures » . Voir l'arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, à la page 376.

[36]            Les deux avis antérieurs de dangerosité ont été annulés par consentement, mais chaque fois l'affaire a été renvoyée pour nouvelle décision au fond. Dans le contexte de procédure se rapportant à un avis selon lequel M. Dadar constitue un danger pour le public, il existe un intérêt public impérieux à ce que soit rendue une décision au fond. Je suis donc d'avis que, au vu des circonstances de la présente affaire, l'intérêt public dans l'application de la Loi fait qu'il n'y a aucun abus de procédure justifiant l'annulation d'un avis de dangerosité qui est par ailleurs raisonnable.

6.          Dispositif

[37]            Il résulte de mes conclusions susmentionnées que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Il n'est pas nécessaire d'examiner la conclusion subsidiaire de la représentante du ministre selon laquelle des « circonstances exceptionnelles » sont présentes, selon ce qu'envisageait l'arrêt Suresh.


7.          Désignation du défendeur

[38]            Les parties consentent à ce que le solliciteur général du Canada soit substitué au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration à titre de défendeur, et une ordonnance sera rendue en ce sens.

8.          Question à certifier

[39]            Aucune des parties n'a demandé que soit certifiée une question grave de portée générale. Je suis d'avis que la présente affaire repose sur ses propres circonstances, de telle sorte qu'aucune question ne requiert d'être certifiée.

                                                          ORDONNANCE

[40]            LA COUR ORDONNE :

1.          Le solliciteur général du Canada remplace le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en tant que défendeur dans la présente instance.

2.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                             _ Eleanor R. Dawson _           

                                                                                                                                         Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2734-04

INTITULÉ :                                        MOSTAFA DADAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 14 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 12 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

M. Lee Cohen, c.r.                                                        POUR LE DEMANDEUR

Lori Rasmussen                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Lee Cohen, c.r.

Avocat

Halifax (Nouvelle-Écosse)                                             POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR


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