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     Date : 19990625

        

     Dossier : T-366-97

                            

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 25 JUIN 1999

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE McGILLIS


ENTRE :



     SCHERING CANADA INC. et

     SCHERING CORPORATION,

     demanderesses,

                                        

     - et -

     APOTEX INC. et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

     défendeurs.


     J U G E M E N T

     La demande est rejetée avec dépens.



     D. McGillis

     Juge

OTTAWA




Traduction certifiée conforme


Richard Jacques, LL. L.




     Date : 19990625

     Dossier : T-366-97


ENTRE :



     SCHERING CANADA INC. et

     SCHERING CORPORATION,

     demanderesses,

     - et -

     APOTEX INC. et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

     défendeurs.


     MOTIFS DU JUGEMENT


Le juge McGILLIS

INTRODUCTION

[1]      Les demanderesses, Schering Canada Inc. et Schering Corporation (Schering), ont présenté une demande en vue d'obtenir une ordonnance aux termes du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement), DORS/93-133, modifié par DORS/98-166, interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (Apotex) pour le médicament appelé loratadine ou les compositions renfermant de la loratadine, et ce, jusqu'à l'expiration des lettres patentes canadiennes no 1,160,230 (le brevet '230). La loratadine est un antihistaminique vendu par Schering sous les marques de commerce CLARITIN, CLARITIN EXTRA et CTP ND. Dans le cadre de la présente demande, la principale question à trancher consiste à savoir si l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex figurant dans son avis d'allégation est justifiée. Toutefois, Schering a aussi soulevé des questions préliminaires concernant le procédé chimique dont Apotex doit se servir, ainsi qu'un abus de procédure censément commis par cette dernière. Ces trois questions sont autonomes et distinctes et comportent chacune un ensemble de faits qui leur sont propres. En conséquence, la présente décision se divise en trois parties distinctes.

PARTIE I " LE PROCÉDÉ DONT APOTEX DOIT SE SERVIR

FAITS

[2]      L'avocat de Schering a soutenu que la preuve versée au dossier ne révèle pas le véritable procédé dont Apotex doit se servir pour fabriquer la loratadine. Les faits se rapportant à la question du procédé en question sont les suivants.

[3]      Le procédé non contrefait mentionné dans l'avis d'allégation d'Apotex daté du 14 janvier 1997 a été décrit dans la pièce 13 jointe au premier affidavit de Keshava Murthy signé le 2 avril 1997. Il s"agit d"un document intitulé [traduction ] " Synthèse de la loratadine ". Murthy est le directeur général de Brantford Chemicals Inc. (Brantford), le fabricant d'Apotex qui utilise ce procédé. Dans la présente instance, la pièce 13 jointe à l'affidavit de Murthy a été identifiée séparément comme pièce 1 parce que les avocats d'Apotex y avaient inscrit des marques explicatives. Dans les présents motifs, ce document sera donc appelé la pièce 1. Dans son affidavit, Murthy a décrit la pièce 1 comme [traduction ] " [...] une copie du diagramme schématique et de la méthode de fabrication qu"utilise Brantford Chemicals Inc. pour fabriquer la loratadine [...] ".

[4]      Le lendemain, le 3 avril 1997, Murthy a signé son deuxième affidavit auquel il a joint à titre de pièce A [traduction] " [...] une copie d'un document intitulé [traduction ] Loratidine [sic] Voie synthétique " Brantford Chemicals Inc. [...] ", de même que la description détaillée du procédé de sa fabrication qui a été déposée avec sa présentation de drogue nouvelle. Dans la présente instance, le document intitulé [traduction ] Loratidine [sic] Voie synthétique " Brantford Chemicals Inc. a été identifié comme pièce 2.

[5]      Dans son deuxième affidavit, Murthy a déclaré que la pièce 2 de la présente instance représentait le procédé de fabrication de la loratadine utilisé par Brantford et que ce procédé était identique au diagramme de fonctionnement inclus dans la présentation de drogue nouvelle d'Apotex pour la loratadine. De plus, ainsi qu"il est mentionné dans son premier affidavit, le procédé de fabrication décrit dans la pièce 2 était identique à celui qui est décrit dans la pièce 1. Toutes les différences entre les procédés décrits dans les pièces 1 et 2 représentaient [traduction ] " [...] l'optimisation du procédé [tel qu'il appert de la pièce 2] ". Enfin, Murthy a dit que [traduction ] " [...] le procédé de fabrication de la loratadine n'a pas changé. Tous les changements apportés ont pour but de maximiser l'efficacité au point de vue de la production commerciale ".

[6]      Après le dépôt par Apotex des deux affidavits de Murthy, Schering a déposé un affidavit de Michael Mitchell, signé le 30 mai 1997 (le second affidavit de Mitchell). Ce dernier est chimiste et Presidential Fellow, développement chimique, de l'Institut de recherche Schering-Plough.

[7]      Dans la partie de son second affidavit intitulée [traduction] " Analyse du procédé d'Apotex ", Mitchell a dit qu'il avait examiné ce procédé, tel que décrit dans la pièce 2, et qu'il l'avait évalué en tant que procédé commercial de production de la loratadine. Mitchell a conclu que ce procédé n'était pas une méthode de production viable. Il a fait état [traduction ] " d'importantes difficultés " que comportait le procédé, dont des techniques qui ne sont pas directement applicables à l'échelle de l"usine, le rendement, des émissions et des solvants dangereux, un risque pour la sécurité, la pureté, des problèmes de mise à l"échelle et la toxicité. Après son examen des [traduction ] " difficultés ", il a dit que [traduction ] " en raison des problèmes susmentionnés liés à la sécurité, à l'environnement, aux opérations et à la qualité, il est évident [...] qu'Apotex ou ses fournisseurs devront modifier sensiblement le procédé afin de pouvoir fabriquer des quantités commerciales de loratadine ". En conséquence, il a conclu que [traduction ] " [...] Apotex n"a pas fourni à Schering un procédé commercial ".

[8]      Dans la section suivante de son second affidavit intitulée [traduction] " Contrefaçon ", Mitchell a fait une comparaison entre les procédés de fabrication de la loratadine d'Apotex et de Schering en mettant l"accent sur la similarité des procédés des trois dernières des neuf étapes en cause. Nulle part dans la section intitulée [traduction ] " Contrefaçon " ni ailleurs Mitchell n'indique que les changements apportés par Apotex dans la version optimisée du procédé décrit dans la pièce 2 ont modifié la chimie du procédé décrit dans la pièce 1. Au moment de signer son affidavit, Mitchell avait à sa disposition les pièces 1 et 2 ainsi que la description détaillée du procédé tirée de la présentation de drogue nouvelle d'Apotex.

[9]      Il y avait deux changements entre le procédé d'Apotex décrit dans la pièce 1 et sa version optimisée décrite dans la pièce 2, l'un à l'étape 1 et l'autre à l'étape 3. Le changement souligné à l'étape 1 ne faisait que révéler le procédé chimique utilisé pour obtenir le premier intermédiaire. Le second changement figure à l'étape 3 et démontrait la méthode de fabrication de l'intermédiaire 8. Ni l'un ni l'autre de ces changements ne figurait dans les trois dernières étapes du procédé sur lesquelles Mitchell a axé son analyse de la contrefaçon. De plus, ce dernier n'a fait aucun commentaire sur l'un ou l'autre de ces changements dans le contexte de la contrefaçon ou dans un autre contexte. Il y avait quelques autres différences entre les deux pièces résultant de la mention dans la pièce 2 de détails de fabrication non reproduits dans la pièce 1. Toutefois, il est possible d"expliquer ces différences en se reportant à la description détaillée du procédé tirée de la présentation de drogue nouvelle qui a été divulguée dans le deuxième affidavit de Murthy.

[10]      En réponse au second affidavit de Mitchell, Apotex a déposé un troisième affidavit de Murthy, signé le 16 juin 1997. Dans son troisième affidavit, Murthy a dit que les seules différences entre les pièces 1 et 2 concernaient [traduction] " l'optimisation du procédé ". Murthy a souligné que les procédés industriels sont constamment optimisés [traduction ] " [...] afin d'augmenter la sécurité en usine, de régler tous les problèmes d'ordre environnemental, d'obtenir de meilleurs rendements et d'améliorer la faisabilité opérationnelle du procédé ". Ces formes d'optimisation s'appliquent habituellement à toutes les étapes d'un procédé [traduction ] " [...] sans amoindrir le produit final ". Murthy a aussi déclaré que le procédé de fabrication de la loratadine d'Apotex [traduction ] " [...] a été assujetti à l'optimisation, mais que la chimie n"a pas changé ". De plus, ce procédé continuera d'être optimisé. Enfin, Murthy a dit que Mitchell [traduction ] " [...] s"est trompé lorsqu'il a conclu [...] qu'Apotex ou ses fournisseurs devront modifier sensiblement le procédé pour fabriquer des quantités commerciales de loratadine. Brantford Chemicals Inc. dispose d'un procédé viable de fabrication de la loratadine qui pourrait être mis à l"échelle afin de produire des quantités commerciales ".

[11]      Au cours de son contre-interrogatoire, Murthy a répété que le procédé décrit dans la pièce 1 et sa version optimisée décrite dans la pièce 2 étaient identiques et qu'il serait établi [traduction] " à la fin " quels changements seraient les plus efficaces. Chaque étape du procédé serait abordée [traduction ] " de façon très responsable " du point de vue de l'environnement et de la sécurité, sans quoi il ne serait pas mis à l"échelle. De plus, les changements apportés en vue de l'optimisation [traduction ] " [...] ne changeraient pas l'essence de la chimie [...] qui constitue le fondement [...] de ce procédé particulier ". Ce procédé serait suivi, mais des changements [traduction ] " opérationnels " seraient apportés [traduction ] " [...] afin de le rendre plus sûr et viable sur le plan environnemental ". À la date de son contre-interrogatoire, l'optimisation du procédé n'avait pas été effectuée.

[12]      Dans le cadre de son contre-interrogatoire, Robert Allan McClelland, le témoin expert d'Apotex, a dit que dans la version optimisée décrite dans la pièce 2, la chimie du procédé de fabrication de la loratadine d'Apotex n'avait pas changé.

QUESTION

[13]      Il s'agit de savoir si Apotex a changé et continue de changer son procédé.

ANALYSE

[14]      L'avocat de Schering a soutenu que l'allégation de non-contrefaçon faite par Apotex dans son avis d'allégation daté du 14 janvier 1997 n'est pas justifiée parce que [traduction] " Apotex a admis qu'elle avait changé et qu'elle continuait de changer son procédé ". Il a ajouté que la présente instance est théorique parce qu'Apotex a [traduction ] " admis " que [traduction ] " son procédé changera ". À mon avis, ces arguments sont fondés sur une appréciation erronée des faits établis par la preuve.

[15]      Les faits applicables dénotent sans équivoque que l'optimisation du procédé d'Apotex, entreprise en vue de rendre sa version de la loratadine viable sur le plan commercial n'a changé d"aucune manière la chimie de son procédé. À cet égard, le témoignage de Murthy était sans équivoque et cohérent et il n'a pas été miné d"aucune façon en contre-interrogatoire. McClelland a aussi témoigné en ce sens au cours de son contre-interrogatoire. Enfin, et il s"agit peut-être là du point le plus important, Mitchell, qui témoignait pour Schering, ne fait pas mention de cette question dans son affidavit et n'a jamais dit que les changements apportés dans la version optimisée avaient touché la chimie du procédé.

[16]      Dans les circonstances, les faits n'appuient pas la prétention de l'avocat de Schering selon laquelle Apotex a changé et continue de changer son procédé. Les faits indiquent plutôt exactement le contraire, c"est-à-dire qu'Apotex n'a pas changé son procédé et qu'elle n'entend pas le faire. En conséquence, les arguments de l'avocat de Schering ne reposent pas sur les faits. De plus, il s'est fondé sur les changements apportés en vue de l'optimisation pour appuyer sa prétention selon laquelle le [traduction ] " procédé " avait changé. Toutefois, la présente Cour a constamment statué que les questions se rapportant à l'optimisation d'un procédé, telles que le rendement, la quantité, la purification, la sécurité et l'efficacité ne sont pas pertinentes pour ce qui est d"évaluer la question de contrefaçon. [Voir, par exemple, Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302, à la page 322 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 62 C.P.R. (3d) 553, aux pages 555 et 556 (C.F. 1re inst.); Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (1993), 48 C.P.R. (3d) 296 aux pages 302 et 303 (C.F. 1re inst.); Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 362 à la page 364 (C.F. 1re inst.).] Dans les circonstances, l'avocat de Schering n'a pas établi que la chimie du procédé avait changé ou qu'elle changera.

[17]      J'ai donc conclu qu"il convient de rejeter la première question préliminaire soulevée par l'avocat de Schering.

PARTIE II " ABUS DE PROCÉDURE

FAITS

[18]      L'avocat de Schering a soutenu que l'avis d'allégation d'Apotex daté du 14 janvier 1997 pour la loratadine constituait un abus de procédure parce qu'il a été déposé dans le but de contourner les ordonnances de la Cour rendues à l'égard de Nu-Pharm Inc. (Nu-Pharm), une société soeur d'Apotex. Les faits se rapportant à l'abus de procédure censément commis sont les suivants.

i) Avis d'allégation de Nu-Pharm et instances judiciaires connexes

[19]      Schering a obtenu des avis de conformité pour commercialiser la loratadine au Canada en comprimés de 10 mg et sous forme liquide en concentration de 1 mg/ml, ainsi que ses comprimés de 5 mg de loratadine/120 mg de pseudoéphédrine. Conformément au paragraphe 4(1) du Règlement, Schering a soumis au ministre des listes de brevets avec chacun de ses avis de conformité pour la loratadine, énumérant le brevet '230 et les lettres patentes canadiennes no 1,272,480 (le brevet '480).

[20]      Dans une lettre datée du 3 août 1993, Nu-Pharm a donné un avis d'allégation à Schering aux termes de l'alinéa 5(3)b) du Règlement, alléguant la non-contrefaçon des brevets '230 et '480 visant la loratadine. Dans son avis d'allégation, Nu-Pharm soutient que [traduction] " [...] aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite advenant l"utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par nous de comprimés ou de solution contenant de la loratadine ". Dans l'énoncé du droit et des faits sur lesquels elle fonde son allégation, Nu-Pharm dit ce qui suit au sujet du brevet '230 :

         [traduction] Brevet '1160230
         Le présent brevet ne comporte aucune revendication pour l'utilisation du médicament. Il comporte des revendications pour le médicament en soi, mais celles-ci se limitent au médicament en soi produit au moyen des procédés décrits et revendiqués ou au moyen d'équivalents chimiques manifestes. Jusqu'à l'expiration [du brevet '230], nous entendons n'utiliser et ne vendre que de la loratadine fabriquée au moyen de procédés qui ne sont pas visés par [le brevet '230] et nous nous engageons par la présente en ce sens.

[21]      Le 20 septembre 1993, en réponse à cet avis d'allégation, Schering a déposé une demande en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement dans le dossier de la Cour no T-2274-93 en vue d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm pour la loratadine. Nu-Pharm n'a pas déposé de preuve ni de dossier de demande dans le cadre de cette instance. Après l'expiration des délais prévus pour le dépôt de sa preuve et de son dossier de demande, Nu-Pharm a présenté une requête en prorogation de ces délais. Le 10 mai 1994, le juge Rothstein (tel était alors son titre) a rejeté cette requête au motif qu'aucune preuve ne justifiait l'octroi d'une prorogation de délai. Nu-Pharm a déposé un avis d'appel de cette décision le 20 mai 1994.

[22]      Deux jours après que le juge Rothstein eut rejeté la requête en prorogation de délai, Nu-Pharm a envoyé un deuxième avis d'allégation à Schering au moyen d'une lettre datée du 12 mai 1994 dans laquelle elle alléguait la non-contrefaçon des brevets '230 et '480 pour la loratadine. Le deuxième avis d'allégation était presque identique au premier à tous égards importants, à l'exception de la déclaration portant que le procédé était [traduction] " maintenant au point ", et qu'il n'était pas visé par le brevet '230. Nu-Pharm a aussi dit qu'elle fournirait un énoncé détaillé du droit et des faits une fois qu'une ordonnance de confidentialité aurait été rendue.

[23]      Le 29 juin 1994, en réponse au deuxième avis d'allégation, Schering a déposé une demande dans le dossier de la Cour no T-1528-94 en vue d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm pour la loratadine.

[24]      Peu après, Schering a présenté des requêtes dans les dossiers de la Cour nos T-2274-93 et T-1528-94, sollicitant une ordonnance portant que le deuxième avis d'allégation ne constituait pas un avis d'allégation au sens du Règlement et qu'il ne donnait pas lieu à une autre instance relative à une demande de prohibition. Au soutien de sa thèse, l'avocat de Schering a notamment fait valoir que le deuxième avis d'allégation constituait un abus de procédure parce qu'il avait pour seul but de contourner l'ordonnance rendue par le juge Rothstein le 10 mai 1994.

[25]      Le 22 septembre 1994, le juge Rothstein a rendu des motifs d'ordonnance dans lesquels il a conclu que le deuxième avis d'allégation ne constituait pas un avis au sens du Règlement et qu'il ne donnait pas lieu à une nouvelle instance relative à une demande de prohibition. Dans sa décision, le juge Rothstein a qualifié d"affaire d"équité la question de savoir si, dans les circonstances de l"espèce, Nu-Pharm pouvait déposer un deuxième avis d'allégation. En particulier, il a conclu qu'il serait injuste d'autoriser Nu-Pharm à contourner le problème causé par le fait de ne pas avoir déposé sa preuve dans le cadre de la première instance relative à une demande de prohibition en lui permettant de signifier un nouvel avis d'allégation. Il a en outre conclu que le deuxième avis d'allégation n'était pas visé par le Règlement parce que la décision de la Cour au sujet de la première demande de prohibition ferait de la seconde instance de prohibition une chose jugée. À cet égard, il a souligné que la décision rendue à l'égard de la première demande de prohibition serait une décision sur le fond, même si Nu-Pharm n'avait déposé aucune preuve. En résumé, le juge Rothstein ne pensait pas que le Règlement " permette de déposer plusieurs avis d"allégation comportant les mêmes allégations afin de contourner les délais prescrits dans les Règles de la Cour ainsi que les ordonnances rendues par la Cour relativement à ceux-ci ". Toutefois, en soulignant que sa décision se limitait aux faits qui lui étaient soumis, le juge Rothstein a dit ce qui suit :

         [traduction] [Ma décision] n"a pas pour but d"empêcher Nu-Pharm de présenter une autre demande d"avis de conformité, advenant le cas où elle n"aurait pas gain de cause dans la [première] demande de prohibition [...] Cette décision empêche uniquement Nu-Pharm de solliciter une nouvelle décision sur les mêmes allégations qui ont été examinées dans les [premières] procédures [de prohibition] [...] découlant de son premier avis d"allégation].

[26]      Autrement dit, le juge Rothstein a souligné que Nu-Pharm pourrait chercher à obtenir un deuxième avis de conformité pour la loratadine et envoyer un autre avis d'allégation en s"appuyant sur des faits différents de ceux sur lesquels le premier avis d'allégation était fondé.

[27]      Le 20 octobre 1994, le juge Rothstein a rendu ses ordonnances dans les dossiers de la Cour nos T-2274-93 et T-1528-94 et il a notamment déclaré que le document daté du 12 mai 1994 ne constituait pas un avis d'allégation valide. Pour ce qui est du dossier no T-2274-93, il a aussi ordonné l'audition de la demande de prohibition sur la foi du dossier constitué dans cette affaire. Pour ce qui est du dossier no T-1528-94, il a accordé à Schering la permission de se désister de l'instance au motif que l'avis d'allégation n'était pas valide. Conformément à cette ordonnance, Schering s'est désistée de la demande de prohibition dans le dossier no T-1528-94.

[28]      Nu-Pharm a interjeté appel des ordonnances du juge Rothstein rendues le 20 octobre 1994.

[29]      Le 8 mai 1995 était la date de l'audition de la demande de prohibition présentée par Schering dans le dossier de la Cour no T-2274-93. L'avocat de Nu-Pharm a alors demandé un ajournement en attendant l'audition des appels des ordonnances du juge Rothstein rendues le 10 mai 1994 et le 20 octobre 1994. Le juge Pinard a ajourné sine die la demande de prohibition en attendant l'audition des appels des ordonnances du juge Rothstein.

[30]      Dans une lettre datée du 22 juin 1995, Nu-Pharm a donné un troisième avis d'allégation pour la loratadine, alléguant la non-contrefaçon des brevets '230 et '480. Ce troisième avis d'allégation était presque identique aux premier et deuxième avis d'allégation, à l'exception de la déclaration portant que Nu-Pharm avait à sa disposition [traduction] " [...] de la loratadine produite au moyen d"un nouveau procédé qui n'est pas visé par le [brevet '230] et qui ne constitue pas une contrefaçon. Si cette allégation est acceptée, nous n'utiliserons que ce produit ". Nu-Pharm a aussi indiqué qu'elle fournirait des précisions sur ce procédé lorsqu'une ordonnance de confidentialité aurait été rendue.

[31]      En réponse au troisième avis d'allégation, Schering a déposé une demande dans le dossier de la Cour no T-1708-95 en vue d"interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Nu-Pharm. Schering a aussi présenté une requête par laquelle elle sollicitait une ordonnance portant que le troisième avis d'allégation est nul.

[32]      Le 26 juin 1996, le juge Muldoon a rendu une ordonnance dans laquelle il a déclaré que le troisième avis d'allégation est nul et sans effet. Il a aussi suspendu la demande de prohibition dans le dossier de la Cour no T-1708-95 jusqu'à la décision finale relative à la demande de prohibition dans le dossier no T-2274-93, incluant les appels. Dans les motifs de son ordonnance, le juge Muldoon a conclu que Nu-Pharm n'avait pas présenté de preuve pour indiquer que le procédé mentionné dans le troisième avis d'allégation différait de celui mentionné dans les premier et deuxième avis d'allégation. À cet égard, il a dit ce qui suit aux pages 8 et 9 :

         Cette dernière allégation, dans la mesure où elle n'est pas une répétition des deux avis antérieurs, est trop vague pour être tolérée. Son caractère vague est attribuable à ce que Nu-Pharm dissimule et s'abstient de révéler au ministre ou au breveté, et au fait que Nu-Pharm prétend qu'il s'agit du premier et du seul avis d'allégation présenté à l'égard des deux brevets de Schering. Ce troisième avis rédigé sous forme de lettre en juin 1995 reprend presque textuellement le premier avis du mois d'août 1993, à l'exception seulement de ceci : a) " [n]ous avons en main de la loratadine produite selon un nouveau procédé qui n'est pas visé par le brevet 1160230 et qui ne constitue pas une contrefaçon ", et b) " [...] nous fournirons des précisions sur ce procédé lorsqu'une ordonnance de confidentialité aura été rendue ". Comme nous le verrons, le point b) précité est pertinent.
         Le point a) est celui qui est insupportablement vague. Lorsque Nu-Pharm affirme qu'elle a en main de la loratadine produite selon un nouveau procédé, reconnaît-elle en fait qu'elle n'avait pas à sa disposition ce médicament lorsqu'elle a signifié les deux avis d'allégation antérieurs en août 1993 et en mai 1994? Dans quelle mesure le procédé dont il est question dans ce troisième avis est-il nouveau? Le juge Rothstein a parlé d'équité et l'équité exige que Nu-Pharm réponde à ces questions avec force détails pour que la signification d'un deuxième avis ou d'avis subséquents soit justifiée. Si le ministre ne garantit pas une équité aussi fondamentale " et sûrement qu'aucun tribunal n'interviendrait " alors la Cour devrait, uniquement sur la base d'un harcèlement injuste et visiblement " pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada ", interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à l'auteur du harcèlement qui demande cet avis.

[33]      Le juge Muldoon a aussi conclu qu'il était " [...] certainement abusif d'avoir à engager une multiplicité de procédures et à mener chacune d'elles à terme pour découvrir si ces procédures et chacune des procédures connexes étaient abusives depuis le début ". Comme il ne pouvait radier l'avis d'allégation, il l'a donc déclaré nul.

[34]      Nu-Pharm a interjeté appel de l'ordonnance du juge Muldoon rendue le 26 juin 1996.

[35]      Le 7 novembre 1997, Nu-Pharm s'est désistée des appels déposés à l'encontre des ordonnances du juge Rothstein datées du 10 mai 1994 et du 20 octobre 1994, ainsi que de l'ordonnance du juge Muldoon datée du 26 juin 1996.

[36]      Le 3 juillet 1998, le juge Reed a accueilli la demande de prohibition présentée par Schering contre Nu-Pharm dans le dossier no T-2274-93. Nu-Pharm n'a pas interjeté appel de cette décision.

ii) Relation entre Apotex, Nu-Pharm et Brantford

[37]      À un certain moment au début de 1996, la société mère d'Apotex a acheté les actions de Nu-Pharm. Apotex et Nu-Pharm sont donc devenues des sociétés " soeurs ", ayant la même société mère. Toutefois, Apotex et Nu-Pharm n'avaient aucune direction commune et elles ont continué à exercer leurs activités de façon indépendante à titre de fabricants de produits pharmaceutiques, vendant leurs produits sous leurs propres étiquettes. À l'occasion, Apotex a préparé ou convenu de préparer des médicaments pour Nu-Pharm et vice versa, et elles ont acheté des produits l'une à l'autre. Avant de devenir des sociétés soeurs, elles avaient aussi conclu une entente en vertu de laquelle Apotex fabriquait de nombreux produits et Nu-Pharm effectuait les présentations réglementaires. Nu-Pharm a aussi permis à Apotex de renvoyer à ces présentations afin de permettre aux deux sociétés de vendre les produits en cause.

[38]      En août 1996, Apotex a acquis ACIC (Canada) Inc. (ACIC) et a modifié la dénomination de cette dernière pour la remplacer par Brantford. En conséquence, Apotex a entièrement accès aux livres et registres de Brantford.

iii) Avis d'allégation d'Apotex

[39]      À un certain moment, Apotex a déposé une présentation de drogue nouvelle auprès du ministre, sollicitant la délivrance d'un avis de conformité pour commercialiser des comprimés de 10 mg de loratadine. Cette présentation de drogue nouvelle ne renvoyait pas à la présentation de drogue nouvelle de Nu-Pharm pour la loratadine et ne constituait pas une cession de celle-ci. En résumé, il s'agissait d'une présentation abrégée de drogue nouvelle, autonome et indépendante. De plus, cette présentation ne faisait aucune mention de la présentation de drogue nouvelle de Nu-Pharm pour la loratadine.

[40]      Dans une lettre datée du 14 janvier 1997, Apotex a envoyé un avis d'allégation à Schering, alléguant la non-contrefaçon des brevets '230 et '480 visant la loratadine. Ceci est un extrait de l'avis d'allégation :

         [traduction] Voici le droit et les faits sur lesquels la présente allégation est fondée :
         Brevet no 1160230
         Ce brevet comporte des revendications visant le médicament (loratadine) en soi lorsqu'il est fabriqué au moyen d'un procédé visé par la revendication 1. Jusqu'à l'expiration de ce brevet, nous n'utiliserons que de la loratadine obtenue auprès de Brantford Chemicals Inc. et fabriquée au moyen d'un procédé qui n'est visé par aucune des revendications de ce brevet.

[41]      Apotex a offert de fournir des précisions sur son procédé à Schering si une entente de confidentialité était conclue entre elles. Schering a refusé de conclure une telle entente.

[42]      Le 4 mars 1997, Schering a déposé la présente demande en vue d'interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour la loratadine ou des compositions renfermant de la loratadine, et ce, jusqu'à l'expiration du brevet '230.

iv) Procédé non contrefait d'Apotex et négociations entre Apotex et Farmhispania

[43]      Les faits se rapportant à la mise au point par Apotex d'un procédé non contrefait de fabrication de la loratadine et à ses négociations avec une société espagnole dénommée Farmhispania.S.A. (Farmhispania) ressortent principalement des deux affidavits et des deux contre-interrogatoires de Bernard Sherman, le chef de la direction d'Apotex.

[44]      Dans son affidavit signé le 3 avril 1997, Sherman a dit, notamment, que Brantford était le fournisseur d'Apotex pour la loratadine, ainsi que l'indiquait l'avis d'allégation. De plus, Brantford n'a jamais fourni ni convenu de fournir de la loratadine à Nu-Pharm. Enfin, le procédé qui, selon Apotex dans son avis d'allégation, n'est pas contrefait a été mis au point chez Apotex et Brantford. Ce procédé n'a jamais été mis à la disposition de Nu-Pharm.

[45]      Le 12 février 1998, Sherman a été contre-interrogé sur son affidavit signé le 3 avril 1997. Au cours de son contre-interrogatoire, ce dernier a dit qu'il ne connaissait pas l'identité du fournisseur de Nu-Pharm, mais qu'il croyait qu'il s'agissait d'une société espagnole, Farmhispania ou Quinteca Sintetica, aussi appelée Chemi-Iberica. Entre 1993 et 1995, Apotex a fabriqué des comprimés de loratadine pour Nu-Pharm au moyen de produits provenant d'Espagne. Ce produit était probablement fabriqué au moyen d'un procédé contrefait car Sherman croyait qu"à cette époque, personne n'avait mis au point un procédé non contrefait. En fait, selon Sherman, ni Apotex ni Farmhispania n'avaient mis au point un procédé non contrefait en octobre 1994.

[46]      Pour ce qui est du procédé mentionné dans l'avis d'allégation d'Apotex, Nu-Pharm ne disposait d'aucun renseignement concernant le nouveau procédé mis au point par Brantford. Sherman ignorait quel procédé Nu-Pharm avait décrit dans sa présentation de drogue nouvelle et [traduction] " [...] ne savait pas comment il se pouvait qu'il soit identique [au procédé d'Apotex], à moins que, par coïncidence, une autre personne ait mis au point le même procédé ". Sherman ne voyait pas [traduction ] " [...] comment cela pouvait être possible ". En fait, à son avis, cela serait [traduction ] " impossible ", car le procédé d'Apotex a été mis au point chez Brantford avec l'aide de certains des chimistes d'Apotex et n'a jamais été divulgué à Nu-Pharm. De plus, le procédé d'Apotex n'a jamais été divulgué au fournisseur ou au fabricant de Nu-Pharm en Espagne par Apotex ou Brantford.

[47]      Pour ce qui est de la présentation de drogue nouvelle d'Apotex visant la loratadine, Sherman a dit qu'elle ne renvoyait pas à la présentation de drogue nouvelle de Nu-Pharm et qu'il ne s'agissait pas d'une cession de celle-ci. Il se peut qu'il y ait des données communes dans les deux présentations de drogue nouvelle car Apotex a fabriqué les comprimés visés par les deux présentations. Toutefois, les renseignements figurant dans la présentation de drogue nouvelle d'Apotex seraient [traduction] " complètement différents " à tous égard importants, particulièrement en ce qui a trait au procédé utilisé, parce que Nu-Pharm n'a jamais disposé de ces renseignements. Les données communes se rapporteraient à la préparation des comprimés et à l'étude de bio-équivalence portant sur la préparation. La source du produit brut et le procédé différaient de ceux dont disposait Nu-Pharm.

[48]      En ce qui concerne la mise au point du procédé, Sherman a témoigné que celui-ci avait été mis au point chez Brantford avec l'aide de certaines personnes au Apotex Fine Chemical Laboratory, et qu'il n'avait jamais été divulgué à Nu-Pharm. Ce procédé a été mis au point en 1996 et il était encore optimisé. Sherman était [traduction] " tout à fait certain " qu'il n'a pas été mis au point en 1994, soit avant qu'Apotex et Nu-Pharm ne deviennent des sociétés soeurs. Il ne connaissait pas le procédé employé pour fabriquer le produit de Nu-Pharm.

[49]      Au cours du contre-interrogatoire, l'avocat de Schering a montré à Sherman une copie d'une transmission par télécopieur datée du 24 octobre 1994 provenant de F. Butelman de Farmhispania. Sherman a dit qu'il avait entrepris des discussions avec Butelman, mais qu'aucun accord n'avait été conclu pour que Farmhispania approvisionne Apotex en loratadine. Il a réitéré à plusieurs reprises au cours de son contre-interrogatoire qu'Apotex n'avait conclu aucun accord avec Farmhispania en vue de l'approvisionnement en loratadine, et que Brantford était le fournisseur de ce produit. Lorsque l'avocat de Schering a souligné que la demande de brevet mentionnée dans la télécopie avait été déposée au Canada en octobre 1994, Sherman a corrigé son témoignage antérieur selon lequel le procédé avait été mis au point en 1996, et il a déclaré que [traduction] " [...] en octobre 1994, nos chimistes avaient découvert la voie que nous nous proposions de suivre ".

[50]      L'avocat de Schering a aussi montré à Sherman un affidavit déposé par lui auprès du Bureau des brevets, dans lequel il a dit, notamment, qu'Apotex avait conclu un contrat d'approvisionnement en loratadine avec une autre société, en l'occurrence Farmhispania. Sherman a dit qu'il y avait [traduction] " [...] un accord provisoire aux termes duquel il y avait eu certaines discussions [...] ", mais que cet accord avait été résilié parce que les parties n'avaient pu s'entendre sur les conditions d'un accord commercial. En résumé, il a dit qu'il n'y avait pas eu d'accord, mais qu'il y avait eu une proposition rejetée par Apotex.

[51]      Après son contre-interrogatoire, Sherman a consulté ses dossiers concernant Farmhispania. Le 18 mars 1998, il a signé son deuxième affidavit dans le cadre de la présente instance. Dans cet affidavit, déposé avec l'autorisation de la Cour, Sherman dit qu'il avait répondu aux questions de l'avocat de Schering concernant Farmhispania sans avoir consulté au préalable ses dossiers, car c'était [traduction] " [...] la première fois que cette question était soulevée ". En examinant ses dossiers, Sherman a découvert plusieurs documents appuyant le témoignage qu'il avait donné au cours de son contre-interrogatoire selon lequel aucun accord d'approvisionnement en loratadine n'était intervenu entre Apotex et Farmhispania. En particulier, il a produit cinq notes de service échangées entre Butelman de Farmhispania et lui-même, y compris la note de service du 24 octobre 1994 que lui avait montrée l'avocat de Schering au cours de son contre-interrogatoire.

[52]      Dans une note de service datée du 11 octobre 1994 et adressée à Butelman, Sherman a indiqué qu'il croyait comprendre qu'ils [traduction] " [...] travailleraient ensemble et seraient copropriétaires des résultats. Le personnel d'Apotex a consacré beaucoup de temps aux procédés et y a contribué de manière importante ". Par conséquent, il a proposé un accord aux termes duquel, notamment, les sociétés seraient copropriétaires des résultats des travaux effectués sur la loratadine. À cet égard, elles se divulgueraient intégralement les travaux effectués à ce jour sur le procédé de fabrication de la loratadine. De plus, Farmhispania approvisionnerait Apotex exclusivement au Canada, et Apotex ferait ses achats exclusivement auprès de Farmhispania. Apotex serait propriétaire du brevet canadien, Farmhispania du brevet espagnol, et elles seraient copropriétaires de tout brevet déposé dans n"importe quel autre pays. Enfin, en tant que fabricant de la loratadine, Farmhispania déposerait la fiche maîtresse de drogue pour les fins réglementaires au Canada, de la manière requise par Apotex.

[53]      Dans une note de service datée du 24 octobre 1994, Butelman a répondu à la note de service de Sherman datée du 11 octobre 19941. Dans ce document, Butelman a transmis un projet d'accord dans lequel il a dit, notamment, qu'Apotex et Farmhispania [traduction] " [...] partageraient et se divulgueraient tous les travaux chimiques et analytiques exécutés [...] ". De plus, Apotex contribuerait aux travaux de recherche et de développement chimiques et analytiques chez Farmhispania de mai 1994 à janvier 1995. Il a souligné que Farmhispania s'attendait à être en mesure, à la fin de janvier 1995, [traduction ] " [...] si le procédé est viable industriellement, de disposer de quantités à l"échelle du développement provenant de différents lots ". Pour ce qui est des brevets de procédé, il a confirmé que deux brevets déposés en Espagne avaient été envoyés à Apotex, mais il a souligné qu'Apotex n'avait pas encore envoyé les brevets de procédé déposés au Canada. Il a confirmé que Farmhispania serait chargée de fournir le dossier technique et de déposer la fiche maîtresse de drogue auprès du ministère de la Santé.

[54]      Dans une note de service datée du 28 octobre 1994 et adressée à Butelman, Sherman a indiqué qu'Apotex était [traduction] " [...] impatiente de conclure les arrangements [...] ", mais qu'il craignait que les [traduction ] " attentes de Farmhispania à l'égard des prix soient déraisonnables ". Il a donc présenté une contre-proposition et demandé à Farmhispania de soumettre un projet d'accord tenant compte de ses suggestions. Il a aussi dit qu'il était important de [traduction ] " [...] régler ces détails immédiatement afin de ne plus perdre de temps ".

[55]      Dans une note de service datée du 25 janvier 1995, Sherman a informé Butelman qu'il attendait de recevoir la [traduction] " proposition détaillée " de Farmhispania.

[56]      Dans une note de service datée du 1er février 1995, Sherman a indiqué qu'Apotex attendait de recevoir la [traduction] " nouvelle proposition " de Farmhispania sur la loratadine. Il a dit que [traduction ] " si vous désirez encore la fabriquer en Espagne, nous devons connaître les conditions que vous proposez. Dans la négative, nous devons aussi en être informés, afin d'être en mesure de préparer d'autres plans. L"absence de réponse de votre part nous fait perdre notre place auprès [de la Direction de la protection de la Santé] ".

[57]      Dans une transmission par télécopieur datée du 2 février 1995, Butelman a indiqué que le retard de la réponse était [traduction] " [...] entièrement dû à nos techniciens et aux résultats de nos essais en laboratoire ". Il a dit que ces résultats étaient maintenant disponibles, indiquant que [traduction ] " les rendements ont augmenté " et qu'il était [traduction ] " [...] impatient de conclure les arrangements ". Il a aussi dit qu'il voulait offrir à Apotex [traduction ] " [...] les droits à l'égard du brevet sur le procédé non contrefait [...] ".

[58]      Dans une réponse portant la même date, Sherman a fait part de son agacement face au fait de ne pas connaître les détails de la position de Farmhispania. En particulier, il a dit ce qui suit :

         [traduction] Vous dites seulement que vous êtes impatient de conclure des arrangements et de " [nous] offrir les droits à l'égard du brevet sur le procédé non contrefait ". Qu'est-ce que cela signifie?
         Nous supposons que vous voulez fabriquer la loratadine en Espagne et nous vendre ce produit. C'est pourquoi nous avons tenté de vous aider à mettre au point le procédé.
         Voulez-vous encore fabriquer ce produit en Espagne ou voulez-vous dire que vous nous offrez " les droits " de le synthétiser nous-même au Canada? Veuillez expliquer!
         Je présume que vous voulez fabriquer le produit en Espagne et nous le vendre. Dans la négative, pourquoi pas? Dans l'affirmative, à quel prix? Quand pourrons-nous en avoir des échantillons? Quand pouvez-vous mettre à jour la [fiche maîtresse de drogue] canadienne?

[59]      Ayant produit avec son affidavit les cinq notes de service susmentionnées, Sherman a dit dans la conclusion du deuxième affidavit qu'Apotex [traduction] " [...] n'avait jamais conclu [...] " d'accord d'approvisionnement en loratadine avec Farmhispania. Tout au plus, [traduction ] " [...] Apotex et Farmhispania avait conclu une entente de collaboration mutuelle qui n'a pas abouti à un accord d'approvisionnement en loratadine. En fait, Apotex n'a jamais reçu de loratadine de Farmhispania ".

[60]      Le 29 avril 1998, Sherman a été contre-interrogé sur son deuxième affidavit. Au début de son contre-interrogatoire, il a confirmé qu'il avait examiné ses dossiers sur la loratadine, particulièrement un dossier concernant les sources d'approvisionnement possibles. Ce dossier renfermait de la correspondance entre Apotex et Farmhispania, ainsi qu'entre Apotex et d'autres fournisseurs potentiels, couvrant la période de 1993 à 1996. Les dossiers d'Apotex contenaient aussi des documents provenant d'un autre fournisseur qui a fourni [traduction] " [...] une petite quantité de substance pour la recherche qui était, en fait, utilisée pour fabriquer les comprimés [...] " fabriqués par Apotex pour Nu-Pharm de 1993 à 1995. Il ne s'agissait pas de Farmhispania ni d'une société apparentée à cette dernière.

[61]      Au cours de son deuxième contre-interrogatoire, Sherman a confirmé de nouveau qu'aucun accord d'approvisionnement n'avait été conclu avec Farmhispania et qu'Apotex entendait se servir du produit fourni par Brantford et non par Farmhispania. Il a aussi dit qu'Apotex n'avait jamais acheté de loratadine auprès de Farmhispania, mais qu'elle en avait acheté une certaine quantité auprès d'une autre source.

[62]      Au cours de son contre-interrogatoire, Sherman a dit en outre qu'en 1993, Apotex a entrepris des discussions avec Farmhispania au sujet d"un procédé non contrefait de fabrication de la loratadine. Farmhispania n'avait effectué aucun travail sur ce procédé, mais elle avait [traduction ] " [...] quelques idées sur des voies qui n'occasionneraient pas une contrefaçon ". Farmhispania a transmis à Apotex certaines [traduction ] " [...] idées quant à une voie synthétique ", et Apotex a effectué certains travaux pour mettre au point ces idées ou d'autres idées. Farmhispania n'a fait part à Apotex d"aucune idée qui était [traduction ] " particulièrement importante " mais certaines de ses idées ont aidé les chimistes chez Apotex à trouver une idée réalisable. La contribution de Farmhispania à cet égard n'a été que minime. La majeure partie des travaux sur le procédé non contrefait de fabrication de la loratadine a été effectuée chez Apotex par Karimian et des personnes qui relevaient de lui. Avant d"entrer au service d"Apotex, Karimian travaillait pour ACIC, la société remplacée par Brantford. Il se peut que Karimian ait effectué une certaine partie des travaux de développement à l"époque où il était au service de ACIC, mais le gros de ses travaux a été effectué chez Apotex. Jackson, qui n'était pas un employé d'Apotex ou de Brantford, est mentionné à titre de co-inventeur du procédé non contrefait simplement parce qu'il a contribué une idée utile, mais le procédé a été mis au point exclusivement chez Apotex et Brantford. Ce procédé a été divulgué à Farmhispania, mais jamais à Nu-Pharm.

[63]      Dans son contre-interrogatoire, Sherman a aussi dit qu'en octobre 1994, les travaux inachevés comprenaient la [traduction] " mise à l"échelle " ou l'[traduction ] " optimisation " du procédé non contrefait pour le rendre viable sur le plan commercial. Apotex et Farmhispania avaient collaboré ensemble afin de mettre au point un procédé, mais aucun accord [traduction ] " en vue de la commercialisation " ou, en d'autres termes, en vue de la fabrication et de l'approvisionnement d'une forme non contrefaite de loratadine viable sur le plan commercial. Par conséquent, c'est à l'égard de la [traduction ] " commercialisation " que les deux sociétés ont tenté de conclure un accord sur des questions traitées dans les notes de service échangées entre Sherman et Butelman entre octobre 1994 et février 1995. Dans ce contexte, il était prévu qu'Apotex remettrait à Farmhispania tous les résultats des travaux qu'elle effectuerait sur la loratadine. Apotex avait déjà [traduction ] " [...] prouvé qu'il s'agissait d'un procédé réalisable [...] ". En ce sens, il était proposé que Farmhispania effectue le [traduction ] " travail de mise à l"échelle ", qu'elle le commercialise et qu'elle s'occupe de la fabrication, et qu'Apotex paie une certaine partie des travaux de développement. Toutefois, aucun accord d'approvisionnement n'a jamais été conclu entre les deux sociétés. Après avoir échoué dans sa tentative de conclure un accord d'approvisionnement en loratadine avec Farmhispania, Apotex a transmis le procédé à Brantford pour qu'elle fabrique le produit pour son compte. Brantford a effectué les travaux [traduction ] " de mise à l"échelle " requis pour rendre le produit viable sur le plan commercial.

[64]      L'avocat de Schering a interrogé Sherman au sujet de la déclaration figurant dans sa note de service du 1er février 1995 adressée à Butelman indiquant que l"absence de réponse de Farmhispania faisait perdre à Apotex sa [traduction ] " place " auprès de la Direction de la protection de la Santé du ministère de la Santé. Sherman a répondu que Farmhispania [traduction ] " ralentissait " les démarches entreprises par Apotex en vue d'obtenir une approbation réglementaire et de lancer le produit sur le marché. Il a nié la suggestion selon laquelle Apotex avait déposé à ce moment une présentation de drogue nouvelle pour la loratadine en fonction du procédé en voie de mise au point.

[65]      Enfin, l'avocat de Schering a interrogé Sherman sur la déclaration figurant dans sa note de service du 2 février 1995 adressée à Butelman [traduction]: " quand pouvez-vous mettre à jour la [fiche maîtresse de drogue] canadienne? " Sherman a indiqué que, selon lui, Farmhispania avait déjà déposé une fiche maîtresse de drogue pour un procédé contrefait de fabrication de la loratadine. Apotex n'a jamais eu accès au procédé contrefait original qui faisait l'objet de la fiche maîtresse de drogue de Farmhispania. Pour approvisionner Apotex en loratadine fabriquée au moyen d'un procédé non contrefait, Farmhispania devait déposer une fiche maîtresse de drogue nouvelle ou mise à jour.

[66]      Dans son contre-interrogatoire, Keshava Murthy, directeur général de Brantford, a dit que le procédé de fabrication non contrefait de loratadine avait été mis au point avant qu'Apotex acquière Brantford.

v) Demandes de brevet présentées par Apotex et Farmhispania

[67]      Le 27 juillet 1994, Farmhispania a déposé deux demandes de brevet en Espagne visant un procédé non contrefait de fabrication de la loratadine. Dans la demande no ES2080699, Antonio Gracia Egea est désigné à titre d'inventeur. Dans la demande no ES2080700, William Paul Jackson et Antonio Gracia Egea sont désignés à titre d'inventeurs. Le procédé synthétique révélé dans les deux demandes de brevet de Farmhispania visant la fabrication de la loratadine sont essentiellement identiques à celui qu'Apotex a mis au point.

[68]      Le 24 octobre 1994, Apotex a déposé au Canada la demande de brevet '2,134,128, dans laquelle trois de ses employés et William Jackson du Royaume-Uni sont désignés à titre d'inventeurs. La demande de brevet canadienne n'a pas encore été examinée, mais elle a été divulguée et le public peut la consulter. La requête déposée à l'appui de la demande de brevet indique que tous les inventeurs ont cédé leurs droits à Apotex, mais il n'y a pas eu de cession de la part de Jackson. Enfin, en réponse à une demande du Bureau des brevets, Sherman a déposé un affidavit daté du 14 février 1996 indiquant qu'Apotex avait conclu avec une autre société un accord en vue de l'approvisionnement d'Apotex en loratadine. Il a aussi indiqué que le co-inventeur désigné William Jackson était un employé de cette société avec laquelle Apotex collaborait et que ce dernier avait fait une suggestion concernant la mise au point du procédé. Les inventeurs d'Apotex se sont servis de cette suggestion pour mettre au point leur invention. En réponse à une autre demande de la part du Bureau des brevets, l'agent des brevets d'Apotex a fourni une copie de la transmission par télécopieur du 24 octobre 1994 provenant de Butelman et l'a identifiée comme étant [traduction] " l'accord requis " entre Apotex et Farmhispania au sujet de l'approvisionnement d'Apotex en loratadine.

[69]      Le procédé décrit dans la demande de brevet déposée par Apotex le 24 octobre 1994 est identique à celui qu'Apotex indique dans la présente instance comme procédé dont Brantford se servira pour fabriquer la loratadine pour Apotex.

[70]      En résumé, les procédés révélés dans les demandes de brevet déposées en Espagne par Farmhispania, dans la demande de brevet déposée au Canada par Apotex et dans les documents déposés par Apotex dans la présente instance, sont tous identiques.

QUESTION

[71]      Il s'agit de savoir si l'avis d'allégation d'Apotex constitue un abus de procédure.

ANALYSE

[72]      La question de savoir si l'avis d'allégation d'Apotex constitue un abus de procédure doit être examinée dans le contexte des ordonnances qu"ont rendues les juges Rothstein et Muldoon relativement aux avis d'allégation de Nu-Pharm ainsi que des faits établis en preuve dans le cadre de la présente instance.

[73]      Les ordonnances des juges Rothstein et Muldoon ont rendu nuls les deuxième et troisième avis d'allégation de Nu-Pharm. En 1997, il y a eu désistement des appels interjetés à l'encontre de ces ordonnances. Dans sa décision, le juge Rothstein a dit sans équivoque qu"il n"y avait pas d"obstacle à ce que Nu-Pharm présente une autre demande en vue d'obtenir un avis de conformité pour la loratadine; la seule chose qu"elle ne pouvait pas faire était de solliciter une nouvelle décision en fonction des mêmes faits sur lesquels le premier avis d'allégation était fondé. De même, dans son analyse, le juge Muldoon a souligné que Nu-Pharm n'avait présenté aucune preuve que le procédé mentionné dans le troisième avis d'allégation différait de ceux mentionnés dans les premier et deuxième avis d'allégation. En d'autres termes, les juges Rothstein et Muldoon ont reconnu que Nu-Pharm avait le droit d'envoyer un autre avis d'allégation comportant un fondement factuel différent de celui de son premier avis d'allégation.

[74]      L'avocat de Schering a soutenu que l'avis d'allégation envoyé par Apotex le 14 janvier 1997 constituait un abus de procédure parce qu'il avait été envoyé en vue de contourner les ordonnances de la Cour exigeant de Nu-Pharm qu'elle se présente à l'audience sur la base du premier avis d'allégation. Je ne peux souscrire à cet argument. Au moment des trois avis d'allégation de Nu-Pharm, dont le dernier a été envoyé le 22 juin 1995, Apotex et Nu-Pharm n'étaient pas des sociétés apparentées, mais des concurrentes sur le marché des produits pharmaceutiques. Leur collaboration occasionnelle à l'égard de certaines questions concernant la préparation, la fabrication et la vente de certains médicaments ne change rien au fait qu'elles étaient des personnes morales autonomes et distinctes jusqu'à ce que la société mère d'Apotex acquière les actions de Nu-Pharm en 1996. Avant cette acquisition, Apotex et Nu-Pharm étaient toutes les deux intéressées à commercialiser une forme non contrefaite de loratadine. Le premier avis d'allégation de Nu-Pharm a été donné le 3 août 1993. De 1993 à 1995, Apotex a fabriqué des comprimés de loratadine pour Nu-Pharm à partir des produits fournis à Nu-Pharm par une société espagnole non désignée nommément, qui n'était pas Farmhispania ou l'un des membres de son groupe. En 1993 et 1994, Apotex s'est efforcée de mettre au point elle-même un procédé non contrefait de fabrication de la loratadine. Elle a collaboré avec Farmhispania et entrepris des discussions concernant un procédé non contrefait de fabrication de la loratadine. Les chimistes d'Apotex ont été aidés par certaines idées communiquées par Farmhispania. À un certain moment en 1994, Apotex a divulgué à Farmhispania son procédé non contrefait de fabrication de la loratadine. Farmhispania et Apotex ont respectivement présenté des demandes de brevet en Espagne en juillet 1994 et au Canada en octobre 1994. Toutefois, leurs tentatives pour négocier un accord d'approvisionnement ont échoué au début de 1995 et Apotex a transmis son procédé à Brantford pour qu'elle fabrique la loratadine pour son compte. Apotex a acquis Brantford en 1996. Ni Apotex ni Brantford n'ont jamais divulgué à Nu-Pharm le procédé non contrefait mis au point par Apotex.

[75]      Au moment du premier avis d'allégation de Nu-Pharm en août 1993, la preuve orale et documentaire établit qu'Apotex n'avait pas encore mis au point son procédé non contrefait ou terminé la mise au point de celui-ci. En conséquence, l'avis d'allégation envoyé par Nu-Pharm en août 1993 était nécessairement fondé sur un autre procédé non contrefait. En d'autres termes, comme le procédé d'Apotex n'existait pas en août 1993, il ne s'agissait manifestement pas du procédé mentionné dans l'avis d'allégation de Nu-Pharm. L'avis d'allégation envoyé par Apotex en 1997 après ses efforts prolongés pour mettre au point une forme non contrefaite de loratadine viable sur le plan commercial et prendre des dispositions pour sa fabrication ne peut donc de quelque manière que ce soit être qualifié d'abus de procédure. De plus, le fait qu'Apotex et Nu-Pharm soient devenues des sociétés soeurs en 1996 ne peut servir à entacher les activités que ces sociétés ont exercées avant le changement de structure d'entreprise. En résumé, il n'existe tout simplement pas de fondement factuel pour appuyer la prétention selon laquelle l'avis d'allégation d'Apotex constitue un abus de procédure.

[76]      Subsidiairement, même si Apotex avait mis au point son procédé non contrefait avant août 1993, elle n'a pas divulgué ce fait à sa concurrente Nu-Pharm et s'est plutôt lancée dans ses propres efforts concertés pour mettre au point et utiliser son procédé. Dans les circonstances, le procédé d'Apotex n'était pas celui sur lequel le premier avis d'allégation de Nu-Pharm était fondé.

[77]      Enfin, même si Apotex et Nu-Pharm étaient des sociétés apparentées pendant toute la période en cause, Apotex aurait le droit, en vertu des ordonnances des juges Rothstein et Muldoon, de solliciter un avis de conformité pour la loratadine au motif que son avis d'allégation daté du 14 janvier 1997 est fondé sur des faits différents de ceux du premier avis d'allégation de Nu-Pharm.

[78]      Dans le cadre de la présentation de ses observations, l'avocat de Schering a avancé diverses théories conjecturales pour appuyer son argumentation sur la question de l'abus de procédure. En particulier, il a prétendu qu'il était [traduction] " probable " que Farmhispania était le fournisseur de Nu-Pharm. À mon avis, cet argument est conjectural et dénué de fondement factuel.

[79]      Dans le cadre de la présentation de ses arguments, l'avocat de Schering a aussi laissé entendre que le témoignage de Sherman manquait de crédibilité à certains égards. Il a fourni divers exemples pour appuyer cette prétention, dont le témoignage initial de Sherman selon lequel le procédé avait été mis au point par Apotex et Brantford en 1996, ainsi que la déclaration inexacte figurant dans l'affidavit déposé auprès du Bureau des brevets. Il est évident que le témoignage de Sherman au cours de son premier contre-interrogatoire renfermait certaines erreurs car le procédé a été mis au point par Apotex vers le début de 1994 avec une certaine contribution de la part de Farmhispania. Toutefois, après avoir eu la possibilité d'examiner ses dossiers sur Farmhispania, Sherman a corrigé ses erreurs. Après avoir lu l"ensemble de son témoignage de même que la preuve documentaire, je suis convaincue qu'il est crédible et fiable à tous égards importants, malgré l'absence d'explication au sujet de la preuve concernant l'affidavit déposé auprès du Bureau des brevets.

[80]      Pour tous ces motifs, j'ai donc conclu que l'avis d'allégation d'Apotex ne constitue pas un abus de procédure. Il n'est donc pas nécessaire que j'examine les autres arguments avancés par l'avocat de Schering relativement à cette question.

PARTIE III " CONTREFAÇON

FAITS

i) La présente instance

[81]      Le 6 avril 1993, Schering Canada Inc. a déposé conformément au Règlement quatre listes de brevets relativement à la loratadine pour des comprimés et des formes posologiques liquides renfermant de la loratadine ou de la loratadine combinée avec de la pseudoéphédrine. Les brevets nos 230 et 480 figuraient dans chacune de ces listes de brevets.

[82]      Dans une lettre datée du 14 janvier 1997, Apotex a donné un avis d'allégation aux termes de l'alinéa 5(3)b) du Règlement pour la loratadine. Dans cet avis d'allégation, Apotex soutient, relativement aux brevets '230 et '480, qu'aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne serait contrefaite advenant l"utilisation, la fabrication, la construction ou la vente de la loratadine ou de compositions renfermant de la loratadine. Apotex a en outre allégué que, jusqu'à l'expiration du brevet '230, elle [traduction ] " [...] n'utiliserait que de la loratadine obtenue auprès de [Brantford] et fabriquée au moyen d'un procédé qui n'est pas visé par une revendication de ce brevet ".

[83]      Le 4 mars 1997, Schering a introduit la présente demande en vue d"interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex relativement à la loratadine ou à des compositions renfermant de la loratadine, et ce, jusqu'à l'expiration du brevet '230.

ii) introduction à la loratadine

[84]      Le nom chimique de la loratadine est 11-(N-carboéthoxy-4-pipéridylidène)-8-chloro-6,11-dihydro-5H-benzo(5,6)cycloheptal(1,2-b)pyridine. La molécule de loratadine contient les sept constituants suivants :









[85]      Les parties numérotées de la molécule de loratadine correspondent aux groupes suivants :

         (1) noyau pyridine

         (2) noyau cycloheptane

         (3) noyau benzène

         (4) noyau pipéridine

         (5) double liaison carbone-carbone liant le noyau pipéridine au système (tricyclique) de trois noyaux

         (6) groupe carboéthoxy

         (7) chlore

[86]      Indépendamment du procédé qui est utilisé pour sa production, la loratadine doit comporter un noyau pyridine (1), un noyau cycloheptane (2) et un noyau benzène (3), condensés pour former un système à noyau tricyclique, auquel est lié, par une double liaison carbone-carbone (5), un noyau pipéridine (4) sur le noyau cycloheptane. De plus, un groupe carboéthoxy (6) est lié à l'azote du groupe pipéridine, et un chlore (7) est fixé en position C8 du noyau benzène.

iii) Brevet '230

[1]      Le brevet '230, intitulé " Antihistaminiques ", a été délivré à Schering Corporation le 10 janvier 1984. La demande visant le brevet '230 a été déposée le 16 juin 1981, revendiquant la priorité en fonction d'une demande américaine déposée le 19 juin 1980. Dans ce brevet, Frank J. Villani est désigné à titre d"inventeur. Le brevet '230 concerne généralement des composés antihistaminiques. Le brevet '230 renferme des revendications de produits obtenus par des procédés ainsi que l'exigeait l'article 41 de la Loi sur les brevets , L.R.C. (1970), ch. P-42. L'un des composés décrits et revendiqués dans le brevet '230 est la loratadine.

[2]      À la date de priorité du brevet '230, la loratadine était une composition de matière nouvelle et non encore connue.

[3]      Le brevet '230 renferme 17 revendications. Les revendications 1 à 14 visent un procédé de fabrication de composés, incluant la loratadine. La revendication 15 vise [traduction] " un composé de formule I telle que définie dans la revendication 1 produit au moyen du procédé de la revendication 7 ou d"un équivalent chimique manifeste de celui-ci ". La revendication 16 vise la loratadine produite au moyen du procédé de la revendication 13 ou d"un équivalent chimique manifeste.

[4]      Pour les fins de la présente instance, Schering ne s'est fondée que sur les revendications 1, 7 et 15 du brevet '230.

[5]      Comme il est indiqué ci-dessus, la revendication 15 vise un composé de formule générale tel que défini dans la revendication 1, produit au moyen du procédé de la revendication 7 ou d"un équivalent chimique manifeste.

[92]      La revendication 1 est un procédé pour la préparation de composés de formule générale I, comprenant la loratadine dans les conditions spécifiées par la revendication. Dans le procédé de la revendication I pour la préparation d'un composé de formule I, on fait réagir un composé de formule III avec un composé TY de formule IV. La réaction consiste à remplacer le groupe Y', qui est un groupe de substitution sur l'azote, par un groupe Y. Le groupe Y'est défini comme un " groupe remplaçable "; T est défini comme un " groupe pouvant être éliminé concurremment avec Y'"; et Y est défini comme étant l'un parmi deux groupes, dont l'un est aussi un groupe carboéthoxy. Aux fins des présentes, le groupe Y'est remplacé sur l'azote de la pipéridine par le groupe carboéthoxy Y.

[93]      La revendication 7 dans le brevet '230 précise ce qui suit :

     7.      Le procédé selon la revendication 1 est caractérisé par le fait que le composé de départ utilisé est de formule II'








     où X et Y'sont définis comme dans la revendication 1.

[94]      Dans le procédé de la revendication 7, le composé de départ (II') comporte le système à noyau tricyclique condensé ou parachevé (contenant le noyau pyridine, le noyau cycloheptane et le noyau benzène), avec une double liaison carbone-carbone liant le noyau de pipéridine au noyau cycloheptane du système à noyau tricyclique. Dans ce composé de départ spécifié, X et Y'sont définis comme dans la revendication 1. En particulier, Y'représente un groupe remplaçable, autre qu'un carboéthoxy. En d'autres termes, Y'n'est pas un carboéthoxy, mais est plutôt remplacé par un carboéthoxy pour former la loratadine.

[95]      Le procédé de la revendication 1 est le même que dans la revendication 7, excepté que le composé de départ est un composé de formule III. En d'autres termes, la revendication 1 a une portée plus large que la revendication 7.

[96]      Le brevet '230 divulgue que les composés de l'invention peuvent être préparés par des méthodes généralement connues et que [traduction] " [...] le procédé préféré consiste à faire réagir un composé de formule générale III'", avec l'addition du carboéthoxy comme dernière étape dans le procédé. Le brevet divulgue également que [traduction] " les composés de départ de formule III sont des composés partiellement connus, disponibles sur le marché, comme l'azatadine ", et que d'autres composés de départ peuvent être préparés selon certaines méthodes décrites dans la documentation, comme dans le brevet américain no 3,326,924, le brevet belge no 647,043, ou selon d'autres méthodes analogues.

[97]      Les exemples présentés sommairement dans la divulgation du brevet '230 montrent le procédé d'addition du groupe carboéthoxy pour former le composé de formule I ou pour l'obtention de la loratadine. Dans chacun de ces exemples, le système à noyau tricyclique (composé des noyaux pyridine, cycloheptane et benzène) est intact et est lié au noyau pipéridine par la double liaison carbone-carbone avant la réaction permettant d'ajouter le groupe carboéthoxy. En d'autres termes, selon le brevet '230, le système à noyau tricyclique, le noyau pipéridine et la double liaison carbone-carbone liant ces deux unités sont intacts lorsque le groupe carboéthoxy est introduit dans la molécule. Le groupe carboéthoxy est donc ajouté à la toute dernière étape.

[98]      En ce qui concerne la préparation de la loratadine, les procédés divulgués dans le brevet '230 peuvent être représentés comme suit :







                    

                         où R n'est pas un éthyle

[99]      Chacun des procédés revendiqués pour la production de la loratadine a un précurseur dont la molécule porte déjà le groupe pipéridine. De fait, toute la structure de la loratadine est présente dans la molécule de départ, excepté le groupe carboéthoxy sur l'azote de la pipéridine. Les réactions revendiquées dans le brevet '230 conduisent au remplacement, soit directement, soit en deux étapes, de l'atome ou du groupe Y'par le groupe carboéthoxy dans le précurseur. En d'autres termes, le brevet '230 ne revendique que la réaction qui introduit le groupe carboéthoxy dans le système à noyau tricyclique intact, lié au noyau pipéridine par la double liaison carbone-carbone. La réaction est représentée à l'aide du schéma ci-dessous, où la ligne en gras représente le changement de liaison dans la réaction :









[100]      Dans tous les procédés revendiqués par le brevet '230, le carboéthoxy ne peut être lié à l'azote de la pipéridine au moment de la liaison du noyau pipéridine avec le système à noyau tricyclique. Un autre groupe doit être présent sur l'azote de la pipéridine dans cette étape de la réaction. C'est pour cette raison que, dans les procédés revendiqués par le brevet '230, la réaction qui introduit le groupe carboéthoxy est la dernière étape. C'est cette dernière étape, ou un équivalent chimique évident, qui est revendiquée par le brevet '230.

iv) brevet '480

[101]      Schering a déposé la demande de brevet '480 le 13 mai 1986, soit environ deux ans après la délivrance du brevet '230. Le brevet '480 porte sur un procédé amélioré pour la production de divers produits, incluant la loratadine. En particulier, il revendique six procédés pour l'obtention de composés de formule générale I, selon la définition qu'en donne le brevet. La principale caractéristique du brevet '480 est l'emploi d'un superacide possédant une fonction d'acidité de Hammett de moins 12 ou moins pour effectuer la cyclisation. Le brevet '480 reconnaît que les procédés antérieurs pour l'obtention de composés de formule I, incluant la loratadine, étaient déficients.

v) état de la technique

[102]      Comme on l'a indiqué précédemment, le brevet '230 divulgue que les composés de l'invention " [...] peuvent être préparés par des méthodes généralement connues ". Le brevet '230 divulgue également que les composés de départ de formule III sont des " composés partiellement connus " disponibles sur le marché, comme l'azatadine. Enfin, d'autres composés de départ de formule III [traduction] " [...] peuvent être préparés selon les méthodes décrites dans la documentation ", par exemple le brevet américain no 3,326,924 et le brevet belge no 647,043, ou selon des méthodes analogues.

[103]      À la fin des années 1960, Schering a obtenu pour quelques substances, un certain nombre de brevets américains, incluant les nos 3,326,924 (auquel fait référence le brevet '230), 3,357,986 et 3,419,565. L'inventeur était Frank J. Villani, le même inventeur que celui du brevet '230. Les composés de ces brevets comprenaient l'azatadine, ainsi que des composés de même squelette que la loratadine, avec un chlore en position C8. Ces composés, dans lesquels l'azote de la pipéridine portait un hydrogène ou un groupe alkyle inférieur, peuvent être décrits comme suit :










     R = H, Me ou un autre alkyle inférieur

[104]      Dans l'azatadine et la loratadine, le substituant lié à l'azote du noyau pipéridine est différent. Dans l'azatadine, le groupe méthyle est présent. Cependant, dans la loratadine, le groupe carboéthoxy remplace le groupe méthyle. L'azatadine est un intermédiaire dans la production de la loratadine.

[105]      Il y a aussi de nombreuses autres références à des procédés antérieurs, qui sont présentées dans la preuve au dossier. Ces références renseignent généralement sur les composés auxquels font référence les paragraphes 102 et 103 ci-dessus, ainsi que sur d'autres dérivés connexes, et enfin sur les procédés pour obtenir ces composés.

[106]      Dans tous les procédés antérieurs, le groupe carboéthoxy ne pouvait être ajouté qu'après la liaison du noyau pipéridine au système à noyau tricyclique. Comme il est indiqué précédemment, c'est pour cette raison que le brevet '230 ne revendique que la réaction qui introduit le groupe carboéthoxy comme étape finale dans le procédé. De fait, c'était la stratégie suivie par les chimistes de Schering dans toutes leurs procédures.

[107]      Même si un certain nombre de procédés étaient généralement connus dans ce domaine, divers problèmes s'y trouvaient associés. Par exemple, le brevet américain no 3,326,924 révèle un problème dans le cas de la méthode de Schering, lorsqu'il faut placer le chlore à la position C8 voulue sur le noyau de benzène. De plus, les inventeurs du brevet '480 ont examiné les carences des procédés antérieurs dans un article publié en 1989, ultérieurement au brevet '230.

vi) Procédé commercial de Schering

[108]      Neuf étapes interviennent dans la production de la loratadine. En ce qui concerne la question de la contrefaçon, ce sont les trois dernières étapes dans chacun des procédés Schering et Apotex qui sont pertinentes.

[109]      Dans le procédé commercial de Schering, les trois dernières étapes sont la liaison avec la pipéridine, la cyclisation et l'addition du carboéthoxy. Le procédé Schering peut être représenté comme suit3 :


PROCESSUS A

SCHERING
















[110]      Dans le procédé de Schering, le noyau pyridine (A) et le noyau benzène (C) sont liés par un pont éthylène, après quoi le noyau pipéridine (D) est lié au noyau pyridine (A). Le noyau central, le cycloheptane (B) est formé par la création d'une double liaison carbone-carbone entre le carbone en alpha par rapport au noyau pyridine (A) et le noyau benzène (C) [traduction] " [...] en position para par rapport au substituant chloro ". L'étape finale dans le procédé Schering est le remplacement du substituant N-méthyle (méthyle) par le groupe N-éthoxycarbonyle (carboéthoxy). Dans la présentation du procédé Schering, le " COOEt " dans la dernière étape signifie " carboéthoxy ".

[111]      Comme on l'a indiqué précédemment, dans le procédé Schering, l'introduction ou la substitution du groupe carboéthoxy se produit après toutes les autres étapes conduisant à l'obtention de la loratadine. C'est la dernière étape dans l'obtention de la loratadine, et c'est cette dernière étape, ou un équivalent chimique évident de celle-ci, qui est revendiquée dans le brevet '230.

vii) Procédé Apotex

[112]      Dans le procédé Apotex, le noyau pipéridine renferme déjà le groupe carboéthoxy au moment de sa liaison avec le système à noyau tricyclique non encore parachevé. Le noyau pipéridine avec le groupe carboéthoxy déjà en place est lié au reste de la molécule par certaines réactions chimiques, sans destruction ni dégradation du groupe carboéthoxy. Les deux dernières étapes du procédé Apotex, soit la liaison avec la pipéridine et la formation du noyau cycloheptane central dans le système à noyau tricyclique, peuvent être représentées comme suit :












[113]      La deuxième étape intervient entre les deux molécules en haut à gauche du schéma ci-dessus. Dans l'avant-dernière étape, le noyau pipéridine portant le groupe carboéthoxy est lié par deux étapes successives au système à noyau tricyclique non parachevé. Premièrement, on fait réagir l'intermédiaire 12 (c.-à-d. la molécule sur le côté gauche supérieur) avec le triméthylphosphite pour former un ester phosphonate (réaction Arbuzov). L'ester phosphonate est la molécule représentée à la base du schéma ci-dessus. La formule chimique de l'ester phosphonate est P(OMe)3. Deuxièmement, l'ester phosphonate est traité avec l'hydrure de sodium et la N-carboéthoxy-4-pipéridone dans une réaction appelée " Horner-Emmons " (réaction Horner-Emmons). La réaction Horner-Emmons forme un intermédiaire 13 (soit la molécule se trouvant au milieu de la partie supérieure du schéma ci-dessus)4 en liant le noyau pipéridine au reste de la molécule par la double liaison carbone-carbone requise. La N-carboéthoxy-4-pipéridone est disponible dans le commerce.

[114]      La dernière étape se situe entre les deux molécules à la partie supérieure droite du schéma. Dans la dernière étape, l'intermédiaire 13 est traité avec de l'acétate de palladium pour former le noyau cycloheptane central du système à noyau tricyclique, ce qui donne la loratadine. La réaction dans la dernière étape, dans laquelle le noyau cycloheptane central est formé par cyclisation intramoléculaire, est connue sous le nom de réaction Heck (réaction Heck).

[115]      En bref, dans le procédé Apotex, il y a liaison de deux unités séparées et formation de deux liaisons séparées : le noyau pipéridine portant déjà le carboéthoxy de substitution est lié au système à noyau tricyclique non parachevé par une double liaison carbone-carbone, et le système à noyau tricyclique est parachevé par la formation du noyau cycloheptane central, ce qui donne la loratadine.

viii) La preuve d'Apotex dans la comparaison des procédés Schering et Apotex

[116]      La preuve présentée par Apotex consistait en affidavits par Robert Allan McClelland et Keshava Murthy.

[117]      McClelland est professeur au département de chimie de l'Université de Toronto. Il est considéré comme un expert international des mécanismes de réactions organiques et bio-organiques, et on lui a décerné de nombreuses distinctions à l'échelle tant nationale qu'internationale pour ses recherches. Ses qualifications révèlent particulièrement, entre autres atouts, sa compétence en chimie organique des mécanismes, particulièrement dans le domaine des intermédiaires produits par substitution nucléophile et réactions d'addition, ainsi que dans les domaines de la chimie biologique et médicale. Il est l'auteur de nombreuses publications dans ces domaines.

[118]      Dans son affidavit présenté sous serment le 2 avril 19965, McClelland a examiné les procédés Schering et Apotex, ainsi que l'état de la technique, en vue de déterminer si la chimie dans le procédé Apotex était un équivalent chimique évident du procédé Schering. Dans son analyse des différences chimiques réelles des deux procédés, McClelland s'est principalement intéressé aux réactions utilisées pour lier le noyau pipéridine au système à noyau tricyclique, et à la formation du noyau cycloheptane central. Il a également noté trois autres domaines où il existait des différences chimiques entre les deux procédés, notamment la formation de la liaison pi ou double, liant le noyau pipéridine au système à noyau tricyclique, le problème de Schering avec " l'isomère indésirable ", et les différents réactifs de pipéridine utilisés.

[119]      En analysant les réactions utilisées par Schering et Apotex pour la liaison avec le noyau pipéridine et la formation du noyau cycloheptane, McClelland a noté que tous les procédés utilisés avec succès par les chimistes de Schering pour produire des systèmes comme la loratadine ont deux caractéristiques en commun : premièrement, une réaction de Grignard (un réactif de Grignard 4-pipéridylique) est utilisée à un certain moment dans le procédé pour lier le noyau pipéridine au système à noyau tricyclique; deuxièmement, le noyau cycloheptane central dans le système à noyau tricyclique est créé ou fermé à l'aide d'une réaction Friedel-Crafts, qui est une substitution aromatique électrophile.

[120]      Par contre, McClelland a noté que le procédé Apotex utilise, pour effectuer ces deux transformations, les réactions chimiques très différentes qui suivent : premièrement, une réaction Arbuzov et une réaction Horner-Emmons pour lier le noyau pipéridine au système à noyau tricyclique; deuxièmement, une réaction Heck pour créer ou fermer le noyau cycloheptane central du système à noyau tricyclique.

[121]      McClelland estime que les réactions utilisées dans les procédés de Schering et d'Apotex " fonctionnent de façon très différente " et " [...] ne sont pas équivalentes chimiquement ". Il fonde son opinion sur les différences qui existent entre les deux réactions chimiques utilisées dans chaque procédé. Il décrit notamment les différences entre les réactions eu égard à la liaison avec le noyau pipéridine et la formation du noyau cycloheptane central.

[122]      En ce qui concerne la liaison du noyau pipéridine avec le système à noyau tricyclique, McClelland a noté que les réactifs pipéridyliques de Grignard, utilisés dans les réactions de Schering, possèdent un carbone C4 nucléophile qui forme une liaison avec le système à noyau tricyclique en " donnant sa paire d'électrons ". Par contre, la N-carboéthoxy-4-pipéridone utilisée par Apotex possède un carbone C4 électrophile qui forme une liaison avec le système à noyau tricyclique en " acceptant une paire d'électrons ". En soulignant la différence entre les deux réactions, McClelland a expliqué ce qui suit :

     [traduction] Les chimistes organiques classent leurs réactifs comme " électrophiles " ou " nucléophiles ". Dans un réactif nucléophile, l'atome qui intervient dans le changement de liaison est chargé complètement ou partiellement de façon positive et recherche donc un électron. Par contre, les réactifs nucléophiles sont chargés complètement ou partiellement de façon négative au niveau de l'atome intervenant dans le changement de liaison.

[123]      McClelland a illustré la différence entre les réactions utilisées dans les procédés Schering et Apotex pour la liaison avec le noyau pipéridine, comme suit :







[124]      En ce qui concerne la formation du noyau cycloheptane central dans le système à noyau tricyclique, McClelland a déclaré dans son affidavit que la différence entre la réaction Friedel-Crafts utilisée par Schering et la réaction Heck utilisée par Apotex [traduction] " [...] est si grande qu'il est difficile d'imaginer que quelqu'un puisse envisager qu'elles soient chimiquement équivalentes ". Dans le procédé Schering, l'acide ajouté lors de la réaction Friedel-Crafts créé un [traduction] " centre électrophile chargé positivement ", qui se lie au noyau benzène. À ce point, le noyau benzène [traduction] " [...] serait considéré comme nucléophile ". McClelland a illustré la réaction Friedel-Crafts pour le procédé du brevet '480, comme suit :













[125]      Par contre, McClelland a noté que dans la réaction Heck utilisée par le procédé Apotex pour former le noyau cycloheptane central [traduction] " [...] il n'y a pas d'interaction nucléophile-électrophile. Tout le processus chimique se fait par l'intermédiaire de ce qu'on appelle un complexe de métal de transition ". Il décrit le processus chimique intervenant dans la réaction Heck, comme suit :

     [traduction] Dans la première étape de cette réaction, le palladium s'insère dans la liaison C-Br, en liant le carbone au palladium. Le constituant oléfinique s'insère ensuite dans cette liaison, formant ainsi la nouvelle liaison clé entre le carbone de l'aryle et le carbone oléfinique. L'élimination de H-PdL2-Br donne ensuite le produit combiné. Une base est présente pour réagir avec H-PdL2-Br et régénérer le catalyseur PdL2.

[126]      McClelland a illustré la réaction Heck comme suit :













[127]      En comparant les réactions Friedel-Crafts et Heck dans le contexte de la formation du noyau cycloheptane central, McClelland a noté deux différences fondamentales. Premièrement, dans la réaction Friedel-Crafts, le catalyseur interagit avec seulement l'un des constituants réactifs en le rendant électrophile. Par contre, le catalyseur de la réaction Heck [traduction] " [...] interagit avec les deux constituants et participe intimement à la réaction où il y a formation de la nouvelle liaison [double carbone-carbone] ". Deuxièmement, la réaction Friedel-Crafts [traduction] " [...] nécessite des conditions vraiment acides ", alors que la réaction Heck nécessite des [traduction] " [...] conditions basiques, et généralement une basicité faible [...] ".

[128]      Comme il est indiqué précédemment, il y avait deux autres domaines où McClelland a constaté des différences chimiques dans les deux procédés, notamment la formation de la liaison pi ou double, liant le noyau pipéridine au système à noyau tricyclique, et l'" isomère indésirable ".

[129]      En ce qui concerne la formation de la liaison pi ou double, liant le noyau pipéridine au système à noyau tricyclique, McClelland a souligné une différence importante entre les procédés antérieurs, révélée par les procédés Schering et Apotex. Il a noté en particulier que, dans les procédés Schering qui ont effectivement été utilisés, la réaction introduisant la liaison double ou pi est effectuée dans des conditions acides [traduction] " [...] avec perte d'une molécule d'eau [...] ". Il explique ensuite ce qui suit :

     [traduction] Dans les premiers procédés Schering, le précurseur de l'alcool est le produit de la réaction de Grignard et de la cétone tricyclique [...]; dans ce cas, l'alcool est en fait isolé comme intermédiaire de réaction et traité ultérieurement avec l'acide. Dans le procédé Schering " ancien procédé H " et dans la version améliorée du brevet '480, l'alcool est le produit de la cyclisation initiale de la cétone, catalysée par l'acide, et la déshydratation se produit spontanément du fait des conditions de la réaction.

[130]      Par contraste, McClelland a expliqué que, dans le procédé Apotex, la liaison double ou pi se forme dans la seconde étape de la séquence Horner-Emmons, en milieu basique. De plus, la réaction élimine le groupe anionique phosphate diméthylique.

[131]      En bref, il a résumé les différences dans les deux procédés eu égard à la formation de la liaison double ou pi en déclarant que [traduction] " [...] Schering nécessite des conditions acides, [Apotex] nécessite des conditions basiques. Schering élimine une molécule d'eau, et [Apotex] élimine un anion de phosphate diméthylique ". McClelland illustre les différences entre les deux procédés dans la formation de la liaison double ou pi, comme suit :

Procédé Schering pour former la liaison pi









Procédé Apotex pour former la liaison pi









[132]      Dans son analyse de l'" isomère indésirable ", un problème auquel font référence les chimistes de Schering dans plusieurs de leurs communications, McClelland a déclaré qu'il existait une " différence fondamentale dans les processus chimiques " utilisés par Schering et Apotex.

[133]      L'" isomère indésirable " est un problème apparaissant [traduction] " [...] dans des séquences qui visent à former l'isomère 8-chloro, comme l'exige la loratadine ". En d'autres termes, pour pouvoir obtenir la loratadine, le chlore doit être à la position C8 du noyau benzène du système à noyau tricyclique. Cependant, dans un exemple donné par McClelland pour illustrer le problème, il note que le carbone électrophile peut se lier à la fois au carbone a et au carbone b sur le noyau benzène. Les produits provenant des deux réactions diffèrent comme suit : si le carbone électrophile se lie au carbone a, le chlore se trouve en C8 sur le noyau benzène (c.-à-d. l'isomère 8-chloro souhaité), et il se forme de la loratadine; inversement, si le carbone électrophile se lie au carbone b, le chlore se trouve en C10 sur le noyau benzène (ce qui correspond à l'isomère-10 indésirable), et il n'y a pas formation de loratadine. Le problème est illustré ci-dessous :









[134]      Le problème expérimenté par Schering en relation avec l'isomère indésirable n'apparaît pas dans le procédé Apotex, du fait que la double liaison carbone-carbone formée par la réaction Heck pour fermer le noyau cycloheptane central ne peut se former qu'entre Ca et Ca', et que la réaction s'effectue spécifiquement au niveau de C-Br du noyau benzène. Il en résulte que seul l'isomère souhaité se forme, avec le chlore en position C8 sur le noyau benzène. La double liaison carbone-carbone formée par la réaction Heck est représentée ci-dessous :













[135]      Finalement, en considérant les différents réactifs de pipéridine utilisés dans les deux procédés, McClelland a expliqué que les stratégies adoptées par Schering et Apotex étaient fondamentalement différentes et chimiquement non équivalentes. En particulier, il a souligné que la stratégie de Schering exclut l'introduction du groupe carboéthoxy à l'étape de la réaction où il y a liaison du noyau pipéridine avec le système à noyau tricyclique. Il faut donc utiliser un réactif de pipéridine qui contient autre chose que le carboéthoxy au moment de la liaison du noyau pipéridine avec le système à noyau tricyclique. Par contre, dans le procédé Apotex, le groupe carboéthoxy est déjà présent sur le noyau pipéridine au moment de sa liaison avec le système à noyau tricyclique.


[136]      Voici comment McClelland a expliqué dans sa conclusion que les deux stratégies n'étaient pas équivalentes chimiquement :

     [traduction] 33. Comme je l'ai exposé ci-dessus, la stratégie employée par les chimistes de Schering dans tous leurs processus montre que l'azote de la pipéridine ne peut porter un [carboéthoxy] à l'étape de la réaction où la pipéridine est fixée. Le réactif de pipéridine utilisé doit porter un autre groupe quelconque sur cet azote lors de cette étape de la réaction. Une réaction ultérieure, ou peut-être une série de réactions, est ensuite nécessaire pour lier le carboéthoxy à la pipéridine. D'un autre côté, dans la stratégie utilisée par [Apotex], la pipéridine peut et doit porter le [carboéthoxy] au moment où elle est introduite la première fois et survit aux réactions de cyclisation ultérieures. Autrement dit, les chimistes de Schering doivent utiliser un réactif de pipéridine qui contient quelque chose d'autre que le [carboéthoxy] et introduire ultérieurement le [carboéthoxy]. [Apotex] commence avec ce groupe déjà présent sur la pipéridine. Je suis d'avis que des stratégies chimiquement équivalentes permettraient l'emploi de réactifs similaires. La stratégie d'[Apotex] n'est pas équivalente chimiquement à la stratégie adoptée par les chimistes de Schering.

[137]      McClelland a également noté qu'à l'époque du brevet '230 la molécule de N-carboéthoxy-4-pipéridone (c.-à-d. le noyau pipéridine portant déjà le groupe carboéthoxy) et d'autres N-carboéthoxypipéridines étaient des composés connus. À ce titre, les chimistes de Schering auraient pu élaborer des stratégies de synthèse avec le groupe carboéthoxy présent sur le noyau pipéridine au moment de son introduction dans le procédé. Cependant, le fait que les chimistes de Schering n'ont pas élaboré une stratégie de ce type a conduit McClelland à la conclusion suivante : ou bien ils n'y ont pas pensé, ou bien ils l'ont écartée en faveur d'une de leurs autres démarches. Il a donc déclaré que [traduction] " par conséquent, la stratégie [Apotex], qui commence par une unité N-carboéthoxy-4-pipéridone [noyau pipéridine portant un groupe carboéthoxy], ne peut être un équivalent chimique ".

[138]      Dans la conclusion de cet affidavit, McClelland a déclaré que la démarche d'Apotex était [traduction] " très différente " de la démarche adoptée dans le brevet '230, le brevet '480 et dans les techniques antérieures. Il est d'avis que le procédé Apotex [traduction] " [...] représente également un nouveau processus chimique non évident, un processus chimique qui n'a aucun équivalent chimique évident parmi les procédés utilisés par les chimistes de Schering ".

[1]      Ainsi qu'il a déjà été indiqué, Apotex a aussi présenté le témoignage de Murthy concernant ces deux procédés. Murthy est le directeur général de Brantford, une société contrôlée par Apotex. Le témoignage de Murthy est essentiellement identique à celui de McClelland.

ix) Preuve de Schering comparant les procédés de Schering et d'Apotex

[2]      En réponse aux témoignages de McClelland et Murthy présentés par Apotex, Schering a déposé le second affidavit de Mitchell signé le 30 mai 1997, au sujet de la chimie des procédés de Schering et d'Apotex. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, Mitchell est un chimiste qui travaille pour l'une des sociétés apparentées à Schering à titre de Presidential Fellow, développement chimique, à l'Institut de recherche Schering-Plough. Son affidavit indique simplement qu'il possède un diplôme de doctorat en philosophie dans le domaine de la chimie organique de la University of Exeter. Son curriculum vitae n'a pas été annexé à son affidavit et son expérience dans le domaine de la chimie n'a pas été décrite.

[3]      Le second affidavit de Mitchell renferme deux sections, l'une intitulée [traduction] " Analyse du procédé d'Apotex " et l'autre [traduction ] " Contrefaçon ". La première partie de l'affidavit concernant le procédé d'Apotex se rapporte à la première question soulevée dans le cadre de la présente instance, soit le procédé dont Apotex doit se servir. En conséquence, ce n'est que la deuxième partie de l'affidavit intitulée [traduction ] " Contrefaçon " qui a rapport à la présente question.

[142]      En comparant les procédés de Schering et d'Apotex, Mitchell a décrit le procédé Apotex comme un [traduction] " procédé détourné ". Pour appuyer cette affirmation, il a noté que, dans son avant-dernière étape, Apotex utilise la N-carboéthoxy-4-pipéridone (c.-à-d. le noyau pipéridine portant déjà le groupe carboéthoxy) comme composé de départ. La N-carboéthoxy-4-pipéridone [traduction] " [...] peut à son tour être préparée à partir du précurseur N-méthyl-4-pipéridone moins coûteux ", composé " [...] préparé essentiellement dans les mêmes conditions que celles décrites par Villani " (c.-à-d. l'inventeur du brevet '230). Par conséquent, si on considère le procédé avec, comme produit de départ, la N-méthyl-4-pipéridone, le procédé Apotex [traduction] " représente simplement une version détournée du procédé commercial de Schering ", avec comme différence significative le point où le substituant méthyle est remplacé par le substituant carboéthoxy. Mitchell a joint comme pièces à son affidavit deux articles décrivant la réaction dans laquelle la N-carboéthoxy-4-pipéridone est dérivée de la N-méthyl-4-pipéridone.

[143]      Dans son affidavit, Mitchell a noté que les procédés Schering et Apotex [traduction] " empruntent la même voie générale de synthèse " et que " [...] les mêmes liaisons se forment dans la même séquence pour constituer le squelette de la loratadine ". En particulier, dans les deux procédés, la méthode de formation du système à noyau tricyclique et la liaison du noyau pipéridine s'effectuent de la même manière6. Dans le procédé Schering, la dernière étape est l'addition du carboéthoxy qui vient remplacer le substituant méthyle sur le noyau pipéridine. Cependant, dans le procédé Apotex l'[traduction] " échange se fait plus tôt ", à la troisième avant-dernière étape, avant la liaison du noyau pipéridine au système à noyau tricyclique. Mitchell estime qu'il était [traduction] " nécessaire " pour Apotex de procéder de cette manière; autrement, si Apotex avait utilisé la N-méthyl-4-pipéridone moins coûteuse pour sa synthèse, cela [traduction] " aurait donné le dérivé correspondant N-méthylé de la loratadine ". Autrement dit, si Apotex n'avait pas utilisé le noyau pipéridine portant déjà le carboéthoxy, il aurait fallu ajouter le carboéthoxy comme ultime étape pour former la loratadine. De plus, en introduisant le carboéthoxy précocement dans le procédé, Apotex [traduction] " exprime l'essence du brevet ['230] ", à savoir la production de loratadine.

[144]      En comparant les trois dernières étapes de chaque procédé, Mitchell a décrit la séquence Schering comme suit : liaison avec la pipéridine7, cyclisation et remplacement du méthyle par le carboéthoxy. Il a décrit la séquence Apotex comme suit : remplacement du méthyle par le carboéthoxy, liaison avec la pipéridine et cyclisation. Il estime que la comparaison des trois dernières étapes montre que [traduction] " chaque séquence comporte les mêmes transformations ", excepté le point où le méthyle est remplacé par le carboéthoxy. Mitchell a représenté la séquence des trois dernières étapes dans les deux procédés, comme suit :
























[145]      En comparant les trois dernières étapes de chaque procédé, Mitchell a constaté qu'Apotex avait " réordonné " les étapes dans le procédé Schering. À cet égard, il a déclaré ce qui suit :

     [traduction] Il est courant dans la conception d'une voie de synthèse chimique de réordonner les étapes pour diverses raisons, notamment pour améliorer le rendement ou pour éviter des réactions secondaires ou des impuretés indésirables. J'estime qu'il serait tout à fait normal qu'un chimiste qualifié veuille réordonner la séquence d'une transformation chimique. C'est ce qu'a fait fondamentalement Apotex.

[146]      Mitchell a également constaté que le " type de réaction " utilisé pour remplacer le méthyle par le groupe carboéthoxy était le même dans les deux procédés. Il a particulièrement noté que [traduction] " les deux utilisent du chloroformiate d'éthyle comme réactif. Dans les deux cas, l'azote est acylé pour former un sel d'ammonium quaternaire, puis le chlorure attaque le groupe méthyle pour libérer le chlorure de méthyle et le produit recherché ".

[147]      Dans sa conclusion, Mitchell estime que le procédé Apotex [traduction] " utilisera le même type de réaction que celle revendiquée dans le brevet ['230], et ce à un différent stade au cours de la voie de synthèse, pour obtenir le produit de l'invention, à savoir la loratadine ".

[148]      Dans son affidavit, Mitchell n'a pas répondu ni donné suite d'aucune manière à l'analyse détaillée de McClelland concernant les différences entre les réactions chimiques dans les deux procédés.


x) Autre preuve d'Apotex par comparaison des procédés Schering et Apotex

[149]      En réponse au second affidavit de Mitchell, Apotex a déposé le 16 juin 1997 un second affidavit de McClelland.

[150]      Dans son second affidavit, McClelland répond à la déclaration de Mitchell voulant que le procédé Apotex soit une " version détournée " du procédé Schering, lorsqu'" on le considère avec, comme composé de départ, la N-méthyl-4-pipéridone ". McClelland fait notamment référence à la réaction décrite comme " addition de COOOEt [carboéthoxy] " dans la représentation " Séquence B d'Apotex " de l'affidavit de Mitchell. Cette représentation figure au paragraphe 144 ci-dessus.

[151]      Bien que Mitchell ait fait référence à cette réaction et l'ait décrite comme faisant partie du procédé Apotex, McClelland a déclaré qu'Apotex n'a jamais utilisé une telle réaction, vu que la molécule de N-carboéthoxy-4-pipéridone (c.-à-d. le noyau pipéridine portant le carboéthoxy) est disponible dans le commerce. De fait, elle était disponible dans le commerce " dès 1976 ".

[152]      McClelland a également répondu à la déclaration de Mitchell voulant que le composé de départ, la carboéthoxy-4-pipéridone, était préparée " essentiellement dans les mêmes conditions que celles décrites dans Villani ", ainsi qu'aux deux articles annexés par Mitchell comme pièces dans son affidavit, pour appuyer sa déclaration. McClelland a répondu en notant que Mitchell avait omis de mentionner " l'existence d'autres réactions très différentes pouvant être utilisées pour obtenir la carboéthoxy-4-pipéridone "8. De plus, McClelland a qualifié la déclaration de Mitchell, selon laquelle le précurseur N-méthyl-4-pipéridone était " moins coûteux ", comme [traduction] " très trompeuse ", et il donné une explication détaillée pour justifier son opinion.

[153]      En ce qui concerne la distinction entre " pipéridone " et " noyau pipéridine ", McClelland a fait remarquer que [traduction] " le terme "pipéridone" désigne un composé possédant un noyau pipéridine, dans lequel l'un des carbones est présent sous la forme de C=O ". De plus, il existe [traduction] " trois types de noyau pipéridone - la 4-pipéridone, la 3-pipéridone et la 2-pipéridone ". Le procédé Apotex utilise une 4-pipéridone, auquel est lié le carboéthoxy, alors que le procédé Schering n'emploie pas ce type de composé. Le procédé Schering utilise plutôt une " 4-chloropipéridine ". Ces composés peuvent être représentés comme suit :





" 4-pipéridone " " 3-pipéridone " " 2-pipéridone " " 4-chloropipéridine "


[154]      McClelland a aussi déclaré que Mitchell a omis de [traduction] " reconnaître " dans son analyse d'autres " différences importantes " entre les deux procédés, et il a omis de tenir compte de la chimie qui intervient réellement dans les réactions. Pour appuyer sa déclaration, McClelland a donné les sept exemples qui suivent.

[155]      Premièrement, McClelland a noté, comme il est mentionné précédemment, que le procédé Apotex n'utilise pas une réaction qui introduit le groupe carboéthoxy dans le noyau pipéridine; le procédé emploie plutôt une molécule N-carboéthoxy-4-pipéridone disponible dans le commerce.

[156]      Deuxièmement, il a déclaré que Mitchell a omis de comparer les réactions dans les deux procédés conduisant à la formation de la double liaison carbone-carbone entre le noyau pipéridine et le noyau central cycloheptane dans le système à noyau tricyclique. La double liaison carbone-carbone est représentée comme suit :








[157]      McClelland estime que la double liaison carbone-carbone représente un [traduction] " aspect fondamental de la structure de la loratadine, et qu'elle est introduite d'une façon différente à différentes étapes des procédés Schering et Apotex ". Pour illustrer ce point, McClelland a fait référence à la représentation des deux procédés dans l'affidavit de Mitchell, figurant au paragraphe 144. Dans le procédé Schering, la double liaison carbone-carbone est introduite lors de l'étape [traduction] " cyclisation ", alors que dans le procédé Apotex, elle est introduite dans l'étape " liaison avec la pipéridine ". Dans l'étape " cyclisation " du procédé Apotex, la double liaison carbone-carbone est présente [traduction] " dans le composé de départ et dans le produit ".

[158]      Troisième exemple, et peut-être le plus important, Mitchell a omis de tenir compte dans son analyse de [traduction] " la chimie réelle qui se déroule, et particulièrement de la chimie qui intervient dans les réactions " illustrées par les processus reproduits au paragraphe 144 ci-dessus, et que McClelland n'estime pas équivalentes chimiquement. Dans les exemples quatre à sept des paragraphes 159 à 162 ci-dessous, McClelland a résumé les domaines dans lesquels il estime que Mitchell n'a pas tenu compte de la chimie réelle, omettant ainsi de reconnaître d'importantes différences entre les deux procédés.

[159]      Quatrièmement, en ce qui concerne la " liaison avec la pipéridine ", le procédé Schering utilise une réaction de Grignard formant une liaison simple qui est convertie pour former, à un stade ultérieur de la séquence réactionnelle, la double liaison carbone-carbone requise. Inversement, le procédé Apotex utilise une réaction Horner-Emmons, laquelle introduit simultanément la double liaison carbone-carbone. McClelland estime qu'il ne s'agit pas là de réactions chimiques équivalentes.

[160]      Cinquièmement, en ce qui concerne la " cyclisation ", Schering l'effectue en utilisant une réaction Friedel-Crafts, alors qu'Apotex se sert d'une réaction Heck. Selon le résumé du premier affidavit de McClelland, aux paragraphes 125 à 128 ci-dessus, il s'agit là de réactions chimiques [traduction] " très différentes ". Il y a aussi l'[traduction] " importante différence en ce qui concerne la façon dont la double liaison carbone-carbone est traitée ", comme le décrit le second exemple des paragraphes 156 et 157 ci-dessus. Dans l'étape de " cyclisation " de Schering, la réaction Friedel-Crafts forme simultanément la double liaison carbone-carbone, alors que dans le procédé Apotex, cette double liaison est [traduction] " déjà présente dans la matière de départ ".

[161]      Sixièmement, en ce qui concerne l'" addition de carboéthoxy ", Schering ajoute le groupe carboéthoxy à la toute dernière étape, après la liaison du noyau pipéridine avec le système à noyau tricyclique. Apotex n'a pas d'étape de ce type, étant donné que la N-carboéthoxy-4-pipéridone, dans laquelle le carboéthoxy se trouve déjà lié au noyau pipéridine, est disponible dans le commerce. Cependant, même si McClelland acceptait le point de vue de Mitchell, à savoir que la N-méthyl-4-pipéridone est le précurseur de la N-carboéthoxy-4-pipéridone, les réactions utilisées dans les deux procédés [traduction] " [...] ne peuvent être considérées comme chimiquement équivalentes eu égard à la façon dont elles interviennent dans la séquence prise dans son ensemble ". À cet égard, il a noté que Schering doit ajouter le groupe carboéthoxy [traduction] " à un stade précoce " du procédé pris globalement, alors qu'Apotex, qui utilise des [traduction] " réactions [chimiques] très différentes " peut commencer avec le groupe carboéthoxy déjà en place sur le noyau pipéridine. McClelland est en désaccord avec la déclaration de Mitchell voulant que le procédé d'Apotex soit simplement une voie " détournée ". À cet égard, il a déclaré ce qui suit :

     [traduction] Si le procédé Apotex était simplement une voie détournée du procédé Schering, alors on pourrait sûrement imaginer une modification de l'ordre des étapes dans le procédé Schering, de façon à introduire le noyau pipéridine avant que celle-ci ne soit liée au reste de la molécule. Cela n'est pas possible, et les chimistes de Schering l'ont de fait reconnu [...] J'estime que des stratégies chimiquement équivalentes permettraient d'effectuer des réactions chimiquement équivalentes lors d'étapes similaires dans la séquence. Cela n'est manifestement pas le cas ici.

[162]      Septièmement, en ce qui concerne l'introduction de la double liaison carbone-carbone, McClelland a noté que Mitchell a omis de tenir compte du fait que les réactions conduisant à la formation de la liaison dans les deux procédés sont " chimiquement différentes ".

[163]      En se fondant sur ces sept exemples, McClelland a conclu que Mitchell a omis de reconnaître des différences importantes dans la chimie utilisée pour ces deux procédés.

[164]      McClelland a également abordé d'autres points importants dans son second affidavit.

[165]      En ce qui concerne l'assertion de McClelland voulant qu'Apotex ait remplacé le méthyle par le carboéthoxy à un stade précoce, avant la liaison avec la pipéridine, McClelland a répété qu'Apotex n'a pas procédé à un tel remplacement. Cependant, même si Apotex a procédé ainsi, [traduction] " les séquences dans leur ensemble ne peuvent être considérées comme équivalentes en raison des restrictions inhérentes au procédé Schering, eu égard à la séquence réelle propre à cette réaction ".

[166]      McClelland a également répondu à l'assertion de Mitchell voulant qu'Apotex était dans l'obligation de remplacer le groupe méthyle par le groupe carboéthoxy à un stade précoce, à défaut de quoi il y aurait eu formation, comme chez Schering, du dérivé N-méthylé de la loratadine. À cet égard, il a noté que, vu le coût, aucun chimiste n'utiliserait la N-méthyl-4-pipéridone à la place de la N-carboéthoxy-4-pipéridone lorsque le produit final exige la présence du groupe carboéthoxy, à moins que la voie synthétique ne puisse tolérer l'addition du groupe carboéthoxy à un certain stade, comme c'est le cas avec le procédé Schering. Il a également noté que [traduction] " vu la disponibilité de la N-carboéthoxy-4-pipéridone chez les fournisseurs de produits chimiques et une stratégie de synthèse qui permet l'emploi de cette substance, aucun chimiste n'envisagerait d'utiliser un autre composé de départ ".

[167]      En ce qui concerne l'assertion de Mitchell voulant que " les mêmes liaisons se forment dans la même séquence pour former le squelette de la loratadine ", McClelland l'a qualifiée d'[traduction] " incorrecte " pour deux raisons. Premièrement, chez Schering la liaison entre le groupe carboéthoxy et l'azote de la pipéridine constitue la dernière étape de la séquence. Apotex ne forme pas cette liaison, mais utilise plutôt comme matière de départ le noyau pipéridine disponible dans le commerce et portant déjà le groupe carboéthoxy. Cependant, même si on supposait qu'Apotex forme la liaison, ce ne serait pas [traduction] " selon la même séquence " que dans le procédé Schering. Deuxièmement, la double liaison carbone-carbone est formée à différentes étapes des deux procédés.

[168]      McClelland a également qualifié d'" incorrecte " la déclaration de Mitchell voulant que " les procédés Apotex et Schering suivent la même voie générale de synthèse ". En particulier, il a noté que [traduction] " si la voie générale de synthèse employée par Schering était la même que celle utilisée par Apotex, leur stratégie pourrait certainement être adaptée pour permettre l'introduction d'une unité de N-carboéthoxypipéridine à l'état intact. Cela n'est pas le cas ".

[169]      McClelland a également examiné la représentation par Mitchell des deux procédés, illustrés dans le paragraphe 144 ci-dessus, ainsi que sa déclaration voulant que " les mêmes transformations soient utilisées dans chaque séquence, la différence se situant au moment du remplacement du méthyle par le carboéthoxy ". Dans sa réponse, McClelland a affirmé qu'[traduction] " il ne s'agit pas seulement d'une simplification exagérée résultant d'une imagination débordante, mais que c'est tout simplement faux ". Pour appuyer cette déclaration, McClelland a expliqué qu'en ce qui concerne la liaison avec la pipéridine, la transformation de Schering tout comme celle d'Apotex fait [traduction] " en réalité appel à trois opérations chimiques ", résumées par les étapes (i), (ii) et (iii) ci-dessous :


Schering                                      Apotex

Étape (i)          Formation de réactif de Grignard          Réaction d'Arbuzov

Étape (ii)          Addition de réactif de              Déprotonation

             Grignard à C=N

Étape (iii)          Hydrolyse                      Condensation

[170]      McClelland a décrit les trois étapes intervenant dans les deux procédés, comme suit :

     [traduction] Dans l'étape (ii), le réactif de Grignard est ajouté à la triple liaison carbone-azote liée au noyau pyridine. Cela forme le sel de magnésium d'une imine, qui dans l'étape (iii) est hydrolysé en cétone. Dans le procédé d'Apotex, l'étape (i) est une réaction d'Arbuzov dans laquelle le CH2Cl lié au noyau pyridine est converti en un ester phosphonate. L'étape (ii) est une déprotonation formant un carbanion stabilisé par un phosphonate. Dans l'étape (iii), ce carbanion réagit avec la N-carboéthoxy-4-pipéridone, pour former en une seule étape le composé avec la C=C et un anion de phosphonate diéthylique. Cette transformation correspond à une condensation.

[171]      En bref, McClelland a déclaré que les séquences ci-dessus [traduction] " ne sont certainement pas équivalentes ". De plus, McClelland a répété que Mitchell avait complètement omis [traduction] " d'examiner si les transformations s'effectuaient avec la même chimie ". À cet égard, il a déclaré que la réaction de Friedel-Crafts utilisée pour la cyclisation dans le procédé Schering n'est pas la [traduction] " même transformation " que la réaction Heck utilisée dans la cyclisation du procédé Apotex. De même, la réaction de Grignard utilisée pour lier le noyau pipéridine dans le procédé Schering n'est pas la " même transformation " que la réaction Horner-Emmons utilisée par Apotex.

[172]      En guise de [traduction] " commentaire général ", McClelland a déclaré qu'à son avis Mitchell [traduction] " a examiné les procédés de façon superficielle et qu'après cet examen superficiel, il est arrivé à la conclusion que les deux procédés étaient équivalents ". De plus, McClelland estime que la conclusion de Mitchell voulant que " les mêmes transformations soient utilisées ", [traduction] " néglige le fait que les séquences utilisent des réactions très différentes " et qu'elles effectuent d'autres transformations clés, comme la formation de la double liaison carbone-carbone et le remplacement par le groupe carboéthoxy, selon [traduction] " des voies très différentes ".

[173]      Finalement, McClelland a qualifié la déclaration de Mitchell, où celui-ci soutient qu'Apotex avait " réordonné " les étapes du procédé Schering, d'[traduction] " incorrecte " en se basant sur l'impossibilité de réordonner la séquence dans le procédé Schering, le groupe carboéthoxy étant présent sur le noyau pipéridine au moment de la liaison avec le reste de la molécule. Pour surmonter ce problème, Apotex a élaboré une [traduction] " stratégie de synthèse différente ", qui lui permet " d'utiliser comme réactif un dérivé de la pipéridine avec le groupe carboéthoxy présent sur la molécule ".

[174]      Dans la conclusion de son second affidavit, McClelland a donné une vue d'ensemble de sa réponse à l'affidavit de Mitchell :

     [traduction] Conclusions
     23. Dans ses conclusions voulant que le procédé Apotex soit le même que le procédé Schering, et particulièrement le même que le procédé du brevet canadien [sic];
     (i) Mitchell invente une réaction qui ne fait pas partie du procédé Apotex.
     (ii) Mitchell omet de tenir compte de l'introduction de la liaison clé pour la loratadine, à savoir la double liaison C=C.
     (iii) Mitchell donne des indications générales très larges (dont certaines sont incorrectes) pour les transformations, et jamais il n'essaie de prendre en considération la chimie réelle qui se déroule [...]
     (iv) Mitchell omet de tenir compte du fait que le procédé Schering [...] et de fait tous les procédés brevetés et publiés par Schering ne peuvent être réordonnés de façon à comporter la N-carboéthoxypipéridine comme composé de départ.
     (v) Mitchell omet de prendre en considération le fait que Schering a obtenu ultérieurement un brevet [le brevet '480] pour la préparation de la loratadine [...] Les commentaires de Mitchell en ce qui concerne le procédé Apotex s'appliquent tout autant au procédé de ce brevet, et pourtant Schering doit avoir considéré cela comme inventif, puisque la compagnie a déposé une demande de brevet.

[175]      Après ce résumé, McClelland est toujours d'avis que le procédé Apotex [traduction] " [...] représente une chimie nouvelle, non évidente, qui n'est l'équivalent chimique manifeste d'aucun des procédés utilisés par les chimistes de Schering dans le [brevet '230]. "

[176]      Lors du contre-interrogatoire de McClelland, l'avocat de Schering lui a présenté deux procédés hypothétiques, soit les pièces 2 et 3 du contre-interrogatoire. Pour faciliter les références, ces deux procédés hypothétiques, avec la représentation par Mitchell du procédé Apotex, sont reproduits ci-dessous :


[1]      Dans son contre-interrogatoire, McClelland a convenu que le procédé hypothétique décrit dans la pièce 2, illustré ci-dessus, contreferait littéralement le brevet '230 parce que la dernière étape est identique à celle du procédé revendiqué dans le brevet. Il a aussi convenu que le procédé hypothétique décrit dans la pièce 3 était équivalent sur le plan chimique à celui de la pièce 2 et que les types de réactions employées pour la liaison avec la pipéridine et la cyclisation constituaient [traduction] " le même type de réaction " que dans le procédé d'Apotex. Toutefois, en comparant la pièce 3 avec le procédé d'Apotex, McClelland s'est dit en désaccord avec la suggestion de l'avocat de Schering selon laquelle [traduction ] " l'essence de la transformation dans chaque cas est très similaire " et que la [traduction ] " seule différence " est l'ordre dans lequel les réactions se produisent. À cet égard, McClelland a souligné qu'Apotex n"effectue pas le remplacement par le carboéthoxy [traduction ] " à un stade avancé dans le cadre de la synthèse d'une molécule complexe " (c'est-à-dire qu'Apotex utilise un produit disponible sur le marché dans lequel le carboéthoxy se trouve déjà lié au noyau de pipéridine). Toutefois, même si Apotex réalise le remplacement par le carboéthoxy de la manière suggérée par l'avocat de Schering, McClelland a dit que la conversion de la N-méthyl-4-pipéridine en carboéthoxy [traduction ] " [...] ne constitue pas un équivalent chimique de la même réaction faite avec une molécule qui renferme de la pipéridine et des liaisons doubles. Ce n'est pas l'équivalent chimique ". Il a aussi qualifié l'étape à laquelle est fait le remplacement par le carboéthoxy de [traduction ] " différence majeure " parce que dans la description qu'a faite Mitchell du procédé d'Apotex, ce remplacement est fait [traduction ] " sur une simple molécule, la N-méthyl-4-piperidine ", et dans la pièce 3, elle est faite sur une molécule après l'assemblage de tout le reste. De l'avis de McClelland, [traduction ] " c'est différent sur le plan chimique ".

[2]      L'avocat de Schering a aussi interrogé McClelland pour savoir si la liaison établie dans le cadre de la réaction du remplacement par le carboéthoxy [traduction] " finit par être le même liaison dans la loratadine ". McClelland a convenu que c'est [traduction ] " ultimement cette liaison dans la loratadine ". Toutefois, il a souligné que la question ne peut être examinée qu'en fonction du [traduction ] " résultat final ", mais qu"il faut plutôt examiner l'ensemble du procédé pour évaluer l'équivalence chimique. McClelland a souscrit à la suggestion selon laquelle le remplacement par le carboéthoxy dans la pièce 3 constitue le [traduction ] " même type de réaction " que dans le procédé d'Apotex, si on accepte la thèse de Mitchell selon laquelle Apotex réalise cette réaction dans le cadre de son procédé.

[3]      Au cours de son contre-interrogatoire, McClelland a réitéré l'importance d"évaluer la stratégie d'ensemble sous-jacente à un procédé chimique. À cet égard, il a souligné que :

     [traduction] [L]orsque l'on parle de stratégie synthétique générale, on examine non seulement l'assemblage de divers éléments, mais aussi le mode d'assemblage de ces éléments, qui fait en sorte que la synthèse s'ensuit. Vous pouvez lier la pipéridine à un carbone dans cette position et alors ce serait un cul-de-sac, parce que si vous n'avez pas les bons autres groupes fonctionnels, vous ne pouvez pas passer à l'étape suivante.

[4]      McClelland a aussi souligné que les chimistes organiciens traitent d'une [traduction] " voie synthétique " [traduction ] " [...] suivant les groupes fonctionnels qui sont présents, et que la voie suivie consiste à assembler convenablement ces groupes fonctionnels ".

[5]      Au cours de son contre-interrogatoire, McClelland a aussi été interrogé sur les [traduction] " voies rétrosynthétiques ". McClelland a répondu que [traduction ] " l"analyse rétrosynthétique " comporte [traduction ] " [...] l'examen de la molécule et une rétrospection, qui tient compte du type de chimie [...] " qui peut être réalisé pour former une liaison. Le chimiste imagine alors la réaction [traduction ] " de manière prospective " pour déterminer si la réaction chimique est raisonnable. Si elle ne l'est pas, cette voie est écartée. Dans le contexte de l'analyse rétrosynthétique, McClelland a expliqué que le chimiste doit [traduction ] " [...] examiner la voie qui émerge dans son ensemble [...] " pour déterminer si le produit peut être fabriqué.

[6]      Le dossier renferme des éléments de preuve que je n'ai pas résumés. Toutefois, pour en arriver à ma décision à l'égard de cette question, j'ai lu et examiné l'ensemble de la preuve présentée par les parties.

QUESTION

[7]      Il s'agit de savoir si l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex n'est pas justifiée.

ANALYSE

[8]      Pour déterminer si Schering a établi, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex n'est pas justifiée, la preuve présentée par Schering et Apotex sur la question de la contrefaçon doit être examinée et soupesée. Ainsi qu'il a déjà été indiqué, Apotex s'est fondée principalement sur le témoignage d'expert de McClelland pour établir que son procédé de fabrication de la loratadine ne constitue pas un équivalent chimique manifeste du procédé de Schering décrit dans le brevet '230. McClelland est un expert international des mécanismes de réactions organiques et bio-organiques et il possède des connaissances particulières dans le domaine de la mécanique de la chimie organique, particulièrement des intermédiaires produits dans des substitutions nucléophiles et des réactions d'addition. Schering s'est fondée sur le témoignage d'expert de Mitchell, un employé de l'une des sociétés de son groupe. Toutefois, les compétences de Mitchell sont décrites de façon schématique dans son affidavit et il n'y a aucune indication au sujet de ses domaines de spécialisation.

[9]      Un examen de la preuve versée au dossier indique qu'à tous égards, le témoignage de McClelland était très détaillé et convaincant. Dans son premier affidavit, McClelland expose avec force détails minutieux, techniques, son analyse pour appuyer sa conclusion selon laquelle le procédé d'Apotex était [traduction] " très différent " de celui de Schering et qu'il représentait [traduction ] " [...] un nouveau processus chimique non évident, un processus chimique qui n'est pas l'équivalent chimique évident [...] " du procédé de Schering. McClelland a notamment expliqué que les stratégies utilisées dans les deux procédés ne constituent pas des équivalents chimiques pour diverses raisons. En particulier, il a expliqué que la stratégie adoptée par Schering empêchait l'introduction du groupe carboéthoxy sur l"azote de la pipéridine au moment de la liaison du noyau de pipéridine au système à noyau tricyclique, car il serait détruit ou dégradé par l'utilisation du réactif Grignard. Il a en outre expliqué que les réactions employées dans le procédé Schering, soit les réactions Grignard et Friedel-Crafts, ne constituaient pas des équivalents chimiques de celles employées dans le procédé d'Apotex, soit la réaction Arbuzov suivie de la réaction Horner-Emmons et de la réaction Heck. À tous égards, son témoignage était convaincant, détaillé et cohérent et nécessitait une réponse significative. Toutefois, l'affidavit de Mitchell soumis en réponse à ce témoignage était des plus superficiels et n'abordait presque aucune des questions de fond soulevées par McClelland. De plus, ce dernier a soumis un affidavit dévastateur en réponse au témoignage de Mitchell dans lequel il a réfuté, d'une manière persuasive et convaincante, tous les points soulevés. Enfin, le témoignage de McClelland n'a pas été miné de quelque manière importante que ce soit au cours du contre-interrogatoire. Dans les circonstances, je n'hésite aucunement à déclarer que je préfère le témoignage de McClelland à celui de Mitchell et que je lui ai accordé nettement plus de poids. En soupesant les témoignages de ces deux experts, j'ai aussi tenu compte du fait que McClelland est un expert indépendant, reconnu mondialement dans un domaine de la chimie qui se rapporte directement aux faits de l'espèce, tandis que Mitchell est un chimiste qui travaille pour une société apparentée à Schering et dont les compétences et les connaissances ne sont pas consignées dans le dossier.

[10]      Vu que j'accepte le témoignage de McClelland, j'ai décidé que le procédé d'Apotex ne constitue pas un équivalent chimique du procédé de Schering. J'ai donc conclu que Schering n'a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation de non-contrefaçon d'Apotex n'est pas justifiée. Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de l'évidence. Pour en arriver à ma décision, je ne me suis pas fondée sur l'état antérieur de la technique pour interpréter les revendications du brevet '230 ou en restreindre la portée.

DÉCISION

[11]      La demande est rejetée avec dépens.


D. McGillis

Juge

OTTAWA,

Le 25 juin 1999




Traduction certifiée conforme


Richard Jacques, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DE DOSSIER :              T-366-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SCHERING CANADA INC. et SCHERING CORPORATION c. APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ
LIEU DE L'AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :      26 avril 1999

JUGEMENT PRONONCÉ PAR : Madame le juge McGillis

EN DATE DU :              25 juin 1999

AVOCATS :

Anthony Creber

Jennifer Wilkie                          POUR LES DEMANDERESSES

Harry Radomski

Ivor Hughes                              POUR APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Straty & Henderson

Ottawa (Ontario)                          POUR LES DEMANDERESSES

Goodman, Phillips & Vineberg

Toronto (Ontario)                          POUR APOTEX INC.
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1Au cours du contre-interrogatoire de Sherman sur son affidavit, l'avocat de Schering a montré à ce dernier la note de service datée du 24 octobre 1994 que lui avait adressée Butelman.

2L'article 41 de la Loi sur les brevets , L.R.C. (1970), ch. P-4, disposait :
     41.(1) Lorsqu'il s'agit d'inventions couvrant des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l'alimentation ou à la médication, le mémoire descriptif ne doit pas comprendre les revendications pour la substance même, excepté lorsque la substance est préparée ou produite par les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués, ou par leurs équivalents chimiques manifestes.
     41.(1) In the case of inventions relating to substances prepared or produced by chemical processes and intended for food or medicine, the specification shall not include claims for the substance itself, except when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents.

3 Dans la représentation, l'étape de " liaison avec la pipéridine " est décrite de façon inexacte par " addition de pipéridone ".

4 L'intermédiaire est marqué incorrectement " (10) " dans le diagramme.

5 Bien que la date du constat d'assermentation de l'affidavit de McClelland apparaisse comme étant le " 2 avril 1996 ", il semblerait que l'affidavit date plutôt du 2 avril 1997.

6 Tout au long de son affidavit, Mitchell utilise à tort l'appellation " pipéridone " à la place de pipéridine. Il a corrigé son erreur lors de son contre-interrogatoire.

7 Dans son affidavit, Mitchell utilisait l'expression " addition de pipéridone ". L'avocat a admis que l'expression appropriée à employer était " liaison avec la pipéridine ".

8 Dans son contre-interrogatoire, Mitchell a admis qu'il existait différentes façons de préparer la carboéthoxy-4-pipéridone, autres qu'à partir de la N-méthyl-4-pipéridone. Mais, il a déclaré qu'il s'agissait là de [traduction] " la façon la plus évidente pour préparer ce composé ".

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